Il n’est pas rare d’entendre de la part de certains que la Religion serait un danger pour la société, or, les religions, qui ont dominé les sociétés humaines durant de longs cycles, avant l’avènement du monde moderne, n’avaient jamais été une menace d’ordre mondial et planétaire, ni pour l’Humanité, ni pour la Nature et les animaux.
La sacralité de l’existence impliquait le respect du Divin aussi bien que de Sa Création. Avec la désacralisation du cosmos et de la vie, à partir du 17e siècle essentiellement, avec la domination du paradigme mécaniciste et matérialiste, tout n’était plus réduit qu’au « règne de la quantité » et d’une matière désacralisée, au service de l’ego, sans aucun respect pour le Divin et l’ensemble du monde du vivant. Avec l’émergence du capitalisme et de la société industrielle, aussi bien les animaux, que les écosystèmes et que les êtres humains ont été menacés de toutes parts, avec des conflits ou des meurtres simplement pour « augmenter son capital ». Si les conflits ne sont pas le monopole du monde moderne, ils ont toutefois pris une ampleur inouïe, avec des menaces et une portée d’envergure mondiale avec l’avènement du monde moderne. Ainsi, ce sont plusieurs peuples qui ont péri ou qui ont frôlé l’extermination totale, des centaines de milliers d’espèces qui se sont éteintes ou qui sont en voie de disparition, sans parler des insectes et des plantes qui sont en grand danger, du fait du paradigme matérialiste et capitaliste de l’Homme. Quant au lourd bilan sur le plan humain, le capitalisme et le communisme, suivi du fascisme et du nazisme (nourri aussi du darwinisme social), ce sont des centaines de millions d’êtres humains qui ont péri, soit directement par la violence armée, soit indirectement par des famines et des maladies engendrées par les guerres ou les mauvaises conditions de vie engendrées par les « dominants ».
René Guénon développait déjà tout cela, et annonçait, à la fin du 19e siècle et au début du 20e siècle, les crises terribles et les « cataclysmes » que subiront les peuples et la nature du fait des idéologies modernes. Il aborda cela notamment dans La Crise du monde moderne, Orient et Occident et Le règne de la quantité et les signes des temps.
A l’heure où les animaux et les êtres humains ne sont plus vus comme étant des personnes dotées d’une âme, et donc d’une valeur « sacrée », tous sont remplaçables, et ne sont plus que des valeurs numériques, qui peuvent être supprimées ou remplacées, dans l’esprit des multinationales et des dirigeants adoptant la mentalité matérialiste.
Le scientifique, métaphysicien, philosophe et islamologue musulman Seyyed Hossein Nasr, avait lui aussi déjà anticipé les crises actuelles, juste à la suite de René Guénon, notamment dans L’homme face à la nature : la crise spirituelle de l’homme moderne (éd. Buchet-Chastel, 1978) et La religion et l’ordre de la nature (éd. Entrelacs, 2004), abordait déjà les causes profondes de ces déséquilibres planétaires, – dans leur parution en anglais – avant que ces sujets soient « à la mode » et inquiètent nombre de scientifiques comme de militants écologistes,
Il dit d’ailleurs que : « Que l’harmonie entre l’homme et la nature ait été détruite, c’est un fait que la plupart des gens admettent. Mais tous ne se rendent pas compte que ce déséquilibre est dû à la destruction de l’harmonie entre l’homme et Dieu »[1].
Un autre danger vient du fait que cette idéologie a imposé aussi son paradigme dans les recherches et modèles scientifiques qui ont été orientés vers ces dérives, tout en excluant la métaphysique et l’éthique, et où la recherche scientifique est devenue prisonnière du « règne de la quantité » par ceux qui exploitent la science uniquement dans une perspective de domination et de profit matériel. Comme le rappelle le Dr. Joseph E. B. Lumbard, qui synthétisait la pensée de Nasr sur ce sujet : « La science en soi est neutre et les informations que la découverte scientifique fournit sont exactes sur son propre plan, mais la science se fourvoie lorsqu’elle passe du domaine de l’investigation à celui de l’idéologie, généralisant et absolutisant une vision particulière du monde physique qui relève de son domaine, puis jugeant les autres disciplines en fonction de cette vision étroite. […] Nasr appelle à une intégration de la science moderne dans la métaphysique et dans les sciences cosmologiques traditionnelles, dans lesquelles la connaissance des niveaux de réalité propres à chaque discipline est perçue à travers la lumière de formes supérieures de connaissance, au sommet desquelles se trouve la connaissance de la Réalité ultime »[2].
Dans La connaissance et le sacré (éd. L’Âge d’Homme, 1999), Nasr définit la Tradition comme suit : « La Tradition telle que nous l’entendons techniquement (…), signifie les vérités ou principes d’origine divine révélés ou dévoilés à l’humanité et, en fait, à tout un secteur cosmique, par l’intermédiaire de divers messagers, prophètes, avataras, Logos ou autres médiations, de même que tous les prolongements et les applications de ces principes dans divers domaines : la loi et la structure sociale, l’art, le symbolisme, les sciences, y compris de toute évidence la Connaissance suprême et l’ensemble des moyens y conduisant »[3].
L’importance du Sacré pour lui est manifeste : « Le Sacré est la Vérité absolue et éternelle telle qu’elle se manifeste dans notre monde. C’est l’apparition de l’Éternel dans le temps, du Centre dans la périphérie, du Divin dans le monde de l’espace et du temps. Le Sacré est présent en soi, ainsi que dans ses manifestations »[4].
C’est pourquoi, son œuvre ne se limite pas à indiquer les erreurs, les limites, les dérives et les contradictions du monde moderne, mais nous interroge aussi sur notre condition, et propose un (r)appel à la Tradition, au sens métaphysique du terme : « Défendre le point de vue traditionnel, ce n’est pas nier la réalité de toutes sortes de maux chez les peuples prémodernes, depuis les guerres jusqu’au scepticisme philosophique du déclin grec. La différence majeure est dans le fait que malgré les maux présents dans les civilisations traditionnelles, le sacré était omniprésent et les gens vivaient dans un monde de foi. Aujourd’hui, le mal s’étend de manière bien plus insidieuse, tandis que le sens même de la vie, qui est la quête et la découverte du sacré, s’est dissous »[5].
C’est un appel à la responsabilisation générale de l’Homme : « La responsabilité de l’homme vis-à-vis de la société, du cosmos et de Dieu émane finalement de lui-même, non pas de son moi en tant qu’ego mais de l’homme intérieur qui est le miroir et le reflet du Soi suprême, la Réalité ultime qui peut être envisagée soit comme pur Sujet soit comme pur Objet puisqu’elle transcende en elle-même toutes les dualités, n’étant ni sujet ni objet »[6]. Dans le même ouvrage, il rappellera aussi ceci : « Pour l’homme moderne, le sentiment de crainte n’a plus qu’une signification négative en raison de la perte du sens de la majesté et de la grandeur associé à la Divinité. […] cependant, le dicton biblique repris par saint Paul et par le Prophète de l’islam : « le commencement de la sagesse est la crainte de Dieu », reste d’une importance capitale puisqu’il correspond à la nature des choses et aux besoins les plus urgents et réels de l’homme en tant qu’être créé pour l’immortalité »[7], ce qu’en Islam, nous nommons la « taqwâ », c’est-à-dire la bonté pieuse (al-birr), ainsi que la vigilance à l’égard de l’Ordre Divin, et la volonté de s’écarter de tout acte répréhensible et injuste.
De même, comme il le dit dans le même ouvrage, la connaissance de la métaphysique permet une meilleure compréhension du Réel, tout en respectant l’Œuvre manifestée par Dieu (L’Absolu), et par voie de conséquence, un plus grand respect envers Ses créatures : « La connaissance grâce à laquelle l’homme est capable de distinguer le réel de l’illusoire et de connaître les choses dans leur essence ou telles qu’elles sont, ce qui signifie en fin de compte les connaître in divinis. La connaissance du Principe qui est à la fois la Réalité absolue et infinie est le cœur de la métaphysique, tandis que la distinction entre les niveaux d’existence universelle et cosmique, incluant à la fois le macrocosme et le microcosme, sont comme ses membres. […] Cette science ou cette sagesse première et fondamentale précède et contient les principes de toutes les autres sciences »[8].
Le philosophe Lucian W. Stone résumait ainsi l’approche de Seyyed H. Nasr concernant les sciences : « Selon Nasr, alors que les sciences traditionnelles — qui comprennent la biologie, la cosmologie, la médecine, la philosophie, la métaphysique, etc. —, considèrent les phénomènes naturels et l’humanité comme vestigia Dei (signes de Dieu), la science moderne a séparé l’univers, y compris les humains, de Dieu. Le monde naturel ou le cosmos a une signification qui les dépasse, que la science séculière moderne ignore intentionnellement »[9]. Nasr fut à la fois formé dans les sciences islamiques traditionnelles, ainsi que dans la philosophie (antique, médiévale, moderne et contemporaine), la métaphysique, l’histoire des sciences, l’épistémologie, la géologie, la physique, les mathématiques, la logique, la biologie et la paléontologie. Il est donc bien placé, et adopte ainsi, en connaissance de cause, une approche synthétique et interdisciplinaire des sciences et des défis contemporains dans ce domaine.
Il dira ainsi que : « Le monde physique est relié à Dieu par des niveaux de réalité qui transcendent le monde physique lui-même et qui constituent les différents degrés de la hiérarchie cosmique »[10].
Là où la vision traditionnelle comporte une dimension éminemment riche et synthétique, la vision moderne perd de vue l’essentiel pour ne rester qu’à la conception purement « mécanique » et « matérielle » des choses, et donc fragmentaire. Frithjof Schuon l’avait judicieusement observé : « Une science qui perce les profondeurs de l’« infiniment grand » et de l’« infiniment petit » sur le plan physique, mais qui nie les autres plans qui pourtant révèlent la raison suffisante de la nature sensible et en fournissent la clef, est un plus grand mal que l’ignorance pure et simple ; c’est, en somme, une « contre-science» dont les effets ultimes ne peuvent pas ne pas être mortels »[11].
Et ailleurs, il écrivait : « Nous ne reprochons pas à la science moderne d’être une science fragmentaire, (…) ; nous lui reprochons d’être subjectivement et objectivement une transgression et de mener subjectivement et objectivement au déséquilibre et partant au désastre »[12].
La Science Sacrée demeure néanmoins, et ne demande qu’à être redécouverte : « La scientia sacra n’est autre que cette connaissance sacrée qui se trouve au cœur de toute révélation, (…) le centre de ce cercle qui englobe et définit la tradition. (…) les deux sources de cette connaissance sont la révélation et l’intellection ou l’intuition intellectuelle, qui implique l’illumination du coeur et du mental de l’être humain et la présence en lui d’une connaissance de nature immédiate et directe, goûtée et expérimentée (…). L’homme est capable de connaître, et cette connaissance correspond à un aspect de la réalité. En dernière analyse, cette connaissance est la connaissance de la Réalité Absolue et l’intelligence possède le don miraculeux de pouvoir connaître ce qui est et tout ce qui participe de l’être. (…). L’homme peut connaître par intuition et par révélation non pas parce qu’il est un être pensant qui impose les catégories de sa pensée à ce qu’il perçoit, mais parce que connaître c’est être »[13].
Titus Burckhardt écrivait à juste titre que : « Selon toutes les prophéties, le dépôt sacré de la Tradition intégrale subsistera jusqu’à la fin du cycle ; cela signifie qu’il y aura toujours quelque part une porte ouverte. Pour les hommes capables de dépasser le plan des écorces et animés d’une volonté singulière, ni la décadence du monde environnant, ni l’appartenance à tel peuple ou tel milieu, ne constituent des obstacles absolus »[14].
Dans le même ouvrage, il rappelait aussi ceci : « Depuis l’effondrement, non seulement de la hiérarchie sociale, mais aussi de presque toutes les structures traditionnelles, les gens qui ont conservé, en toute lucidité, une mentalité conservatrice, n’ont plus rien à quoi se raccrocher. Ils se trouvent isolés dans un monde complètement asservi qui se targue de liberté, et qui se targue d’être riche et divers alors que son uniformité écrase tout. On ne cesse de clamer que l’humanité est sur la voie d’un progrès continuel, que l’être humain, après avoir « évolué » pendant des millions d’années, a désormais entamé une mutation décisive, qui doit le conduire à sa victoire finale sur les conditions matérielles de la vie. Le conservateur lucide et intelligent est seul dans une foule en délire, il reste seul éveillé au milieu d’un peuple de somnambules qui prennent leur rêve pour la réalité. Il sait, par expérience et par discernement, que l’homme, malgré son obsession du changement, reste toujours le même, pour le meilleur et pour le pire. Les questions fondamentales que soulève la condition humaine sont toujours restées les mêmes ; les réponses à ces questions sont connues depuis la nuit des temps, et pour autant que le langage humain puisse les exprimer, elles ont été transmises, depuis toujours, au fil des générations. C’est ce précieux héritage qui importe avant tout au conservateur lucide et intelligent. Puisque de nos jours presque toutes les formes de vie traditionnelles ont été détruites, le conservateur n’a que rarement l’occasion de prendre part à un travail qui possède, par sa signification et son utilité, une valeur universelle. Mais toute médaille a son revers : la disparition des formes traditionnelles nous met à l’épreuve et nous oblige à faire preuve de discernement. Quant à la confusion qui règne autour de nous dans le monde, elle nous impose de laisser de côté tous les accidents, pour nous tourner résolument vers l’essentiel »[15].
La Science sacrée, qui permet de nous connaitre en même temps que le « monde », est évoqué ainsi dans le Qur’ân : « Nous leur montrerons Nos signes (ayat) dans l’univers et en eux-mêmes, jusqu’à ce qu’il leur devienne évident que c’est cela, la vérité » (Qur’ân 51, 21).
Le Shaykh Rûzbehân al-Baqilî dans ‘arâ’is al-bayân fi haqâ’iq al-Qur’ân dit de ce verset : « [Le Vrai –ta’ala-] fit apparaître les signes (ayat) et en fit le miroir de Ses Attributs et de Son Essence, exalté soit-Il. Dans ce miroir se reflètent les Lumières de l’Essence et des Attributs, chez les gens de la contemplation (mushâhada) de l’incréé, par le Secret des sens profonds du Tawhîd […]. Le Vrai évoqua en premier lieu les signes manifestes de Ses Attributs dont les Lumières apparaissent à l’horizon des Secrets. Ce qui est désigné ici par les « signes » n’est autre que le monde physique concret, quant aux « Attributs », ils sont la manifestation de l’Essence qui permet la contemplation de la Haqiqa. Et s’il n’en était pas ainsi, alors quels seraient les signes manifestés des Attributs et de l’Essence ? En vérité, les signes sont perceptibles par les yeux, les Attributs sont perceptibles par les « cœurs », l’Essence est perceptible par les esprits, et le Secret de la prééternité est perceptible par les Secrets (de la ma’rifa) … mais ce Secret n’est dévoilé qu’au Secret lui-même ».
La mentalité moderne, qui se caractérise par une approche appauvrie de la réalité, se transpose aussi dans l’appauvrissement ou la négation de l’âme, et par une prédominance de l’ego, même à travers l’art moderne. Ainsi, comme le dit Nasr, la plupart des artistes modernes « s’enlisent dans leur propre ego (…), menant des vies » souvent dissolues, « alors que la perspective traditionnelle », au contraire, « cherche à libérer l’artiste par la discipline spirituelle […] et à briser l’emprise de l’ego inférieur sur l’âme immortelle »[16]. L’artiste traditionnel « n’essaye pas d’exprimer ses sentiments ou ses propres idées », comme le fait l’artiste moderne, et « L’Art pour l’art » (ou la « Science pour la science » comme disait René Guénon), n’est pas son credo, pas plus que « l’innovation, l’originalité et la créativité » car, contrairement à l’artiste moderne, il sait que l’art a pour but « de réaliser la perfection intérieure et les besoins humains au sens le plus profond (…), qui sont spirituels », intimement liés à « la beauté et à la vérité ». « Toute beauté est un reflet de la Beauté divine et peut conduire à la source de ce reflet » ; mais « l’artiste » contemporain coudoie « la laideur, sans se rendre compte que le besoin de beauté est aussi profond que celui de l’air qu’il respire »[17].
Les célèbres ahadîth prophétiques disant : « Allâh est Beau et (Il) aime la beauté. L’orgueil consiste à nier (ou rejeter) le vrai et à mépriser les gens »[18] et : « Allâh est certes Bon et n’agrée que ce qui est bon »[19] ont été la source d’inspiration de la civilisation islamique, non seulement en matière d’apport scientifique ou éthique, mais aussi concernant la poésie, la calligraphie, la tenue vestimentaire, – dont la beauté se trouve dans son harmonie comme dans sa pudeur -, l’architecture, la peinture, la musique ou les traités spirituels, car tout ce qui est Beau, – en lien avec le Sacré et l’Unité principielle -, est le reflet de la Beauté divine, et conduit l’âme à la béatitude et à la contemplation. Il n’y a qu’à voir la différence palpable entre l’art sacré, – que cela soit dans la musique « sacrée », les monuments religieux fondés sur l’art sacré -, ou la belle poésie, toutes ses formes d’art renvoient à l’élévation de l’âme, à la « respiration de l’âme » qui s’évade et se libère de l’étroitesse de la matière et du monde « artificiel » si caractéristique du monde moderne, qui emprisonne l’âme et atrophie son esprit. A contrario, « l’art » moderne, exalte l’ego, atrophie l’esprit, enferme l’âme qui ensuite suffoque et gesticule dans tous les sens sans but objectif, et faisant appel à ses plus bas instincts, conduisant des individus jusqu’à la violence sociale, la folie meurtrière, l’automutilation, la dépression ou le suicide.
Quand on est face à une œuvre d’art sacrée, – notamment les grandes mosquées de Turquie, d’Iran ou du Maghreb par exemple -, cela inspire tous les plus nobles sentiments et les plus belles aspirations, tout en cultivant en nous, l’humilité et l’amour de la beauté. Or, face aux monuments « modernes », rien de semblable n’est visible ou palpable.
Et comme le disait Titus Burchardt : « La beauté des arts de l’Islam – nous pouvons également dire : la beauté que l’Islam communique normalement à son ambiance – est comme un enseignement silencieux qui corrobore et approfondit l’enseignement doctrinal transmis par l’éducation religieuse. Il pénètre dans l’âme sans passer par le raisonnement ; pour beaucoup de croyants, il constitue un argument plus direct que la pure doctrine ; il est comme la vie ou comme la chair de la religion, la théologie, la loi et la morale et constituant le squelette. Pour cette raison, l’existence de l’art est une nécessité vitale dans l’économie spirituelle et sociale de l’Islam. L’art, cependant, ne saurait exister dans l’artiste ou sans l’artisan, qui ne se distinguent pas réellement dans le monde traditionnel de l’Islam, où un art sans métier manuel, de même qu’un exploit technique dépourvu de beauté, sont inconcevables. Cela signifie que le recul progressif des métiers artisanaux devant l’invasion de la machine a pour conséquence la disparition partielle ou totale des arts islamiques. D’un seul coup, l’enseignement religieux est dépouillé d’au moins deux de ses supports, à savoir l’aide silencieuse d’une beauté partout présente – il en existe encore des traces, mais pour combien de temps ? – et de l’aide plus directe des activités professionnelles normalement orientées vers un but spirituel »[20].
Frithjof Schuon dans son ouvrage L’Œil du cœur dit d’ailleurs ceci : « L’homme ne peut donc s’empêcher d’affirmer la Divinité d’une manière ou d’une autre, puisqu’il existe. S’il nie ou plutôt croit nier la Divinité, l’existence même de celui qui nie affirme Ce qu’il nie. L’homme peut dire non, mais son existence dit oui. Qui nie la Divinité nie son existence, et elle lui sera enlevée — parce qu’il se l’enlève à lui-même — sans que pourtant elle puisse lui être enlevée effectivement, c’est-à-dire autrement que d’une manière symbolique. S’il arrive que des êtres nient inconsciemment leur existence en niant consciemment la Divinité, sans pouvoir s’enlever cette existence, ne se l’étant pas donnée, c’est encore parce que la Divinité est infinie, et que Son affirmation doit retracer également, selon son mode propre, cette Infinité : en effet, la Divinité, étant infinie, comporte toutes les possibilités inhérentes à l’Infinité; or le néant, tout en étant l’impossibilité, peut être dit possible dans un certain sens, sans quoi il ne serait aucunement concevable, ni à plus forte raison exprimable; il n’est certes pas possible en lui-même, car en lui-même il n’a aucune réalité ni existence; mais il est possible dans l’Infinité, et en raison de Celle-ci; en d’autres termes, si l’Infinité laissait en dehors d’Elle Sa propre négation ou plutôt l’apparence de Sa propre négation, Elle ne serait pas Infinité ».
L’Homme, qui a conscience de ses limites en termes de savoir et de puissance, ainsi que des contraintes qui conditionnent son existence, sait qu’en réalité, il n’est ni tout-puissant ni éternel de et par lui-même. Cela le conduit alors logiquement à reconnaitre un principe qui lui est infiniment supérieur en dernière instance, c’est-à-dire, pour aller au bout des choses, au principe qui a structuré l’univers et qui le dépasse donc. Ce principe absolu et éternel, identifié comme étant Dieu, est ce qu’il y a de plus élevé dans l’échelle de la logique et des valeurs. Et l’on constate que, chez tous ceux qui ont évincé ou nié ce principe, des croyances se sont forgées pour placer leur espoir et leur devenir, dans des croyances chimériques qui ne possèdent pas les Attributs de Dieu, puisqu’elles contiennent en elles-mêmes, limites et contraintes, comme la politique, la science quantitative, l’économie ou le progrès social. Or, toutes ses croyances ont volé en éclat déjà tout au long du 20e siècle, et au cours du 21e siècle, tous admettent désormais que les sociétés occidentales sont en crise : crise environnementale, crise identitaire, crise de la démocratie, crise des valeurs, crise paradigmatique dans les sciences, crise géopolitique.
Le fait est que, l’être humain sera toujours tourné vers le Principe Divin tant qu’il possèdera une conscience et une intelligence, et que son degré de réflexion ne sera pas étouffé par un consumérisme abêtissant inhibant sa capacité cognitive.
Le 20e siècle fut qualifié de siècle noir, puisque les conséquences du rejet de Dieu et de la spiritualité, ont conduit à de terribles tragédies d’une violence rare : génocides, massacres, déportations de population par million, destruction terrible de l’environnement, …
Celui qui est habité par le « souffle divin » et qui en a conscience, n’aura pas besoin d’opérer une « fuite en avant » pour combler un vide (engendré par la désacralisation du monde), qui ne sera jamais comblé à travers le matérialisme idéologique ou consumériste, et qui conduira l’individu à chercher une échappatoire, soit en voulant « dompter la nature » au lieu de son ego, – ce qui amène à saccager la nature -, soit par la folie (et le fanatisme), ou encore par la dépression suivie du suicide.
Quand une civilisation ne se préoccupe plus de la dignité humaine et tourne le dos à toute perspective spirituelle, elle ne peut qu’entamer un processus de dégénérescence la conduisant à détruire le monde, avant de se détruire elle-même, voulant entrainer tout le monde dans sa chute, même ceux qui voulaient en rester aussi loin que possible.
Toute l’actualité du monde moderne, n’est qu’une confirmation de ce que toutes les traditions spirituelles avaient annoncé, et pourtant, peu nombreuses sont les personnes qui ont vraiment pris la peine d’y prendre réellement garde.
René Guénon, dans La crise du monde moderne (chap.3 : Connaissance et action) disait : « C’est bien là, en effet, le caractère le plus visible de l’époque moderne : besoin d’agitation incessante, de changement continuel, de vitesse sans cesse croissante comme celle avec laquelle se déroulent les événements eux-mêmes. C’est la dispersion dans la multiplicité, et dans une multiplicité qui n’est plus unifiée par la conscience d’aucun principe supérieur, c’est, dans la vie courante comme dans les conceptions scientifiques, l’analyse poussée à l’extrême, le morcellement indéfini, une véritable désagrégation de l’activité humaine dans tous les ordres où elle peut encore s’exercer, et de là l’inaptitude à la synthèse, l’impossibilité de toute concentration, si frappante aux yeux des Orientaux. Ce sont les conséquences naturelles et inévitables d’une matérialisation de plus en plus accentuée, car la matière est essentiellement multiplicité et division, et c’est pourquoi, disons-le en passant, tout ce qui en procède ne peut engendrer que des luttes et des conflits de toutes sortes, entre les peuples comme entre les individus. Plus on s’enfonce dans la matière, plus les éléments de division et d’opposition s’accentuent et s’amplifient, inversement, plus on s’élève vers la spiritualité pure, plus on s’approche de l’unité, qui ne peut être pleinement réalisée que par la conscience des principes universels ».
Cela est d’une évidence certaine pour tous ceux qui s’enracinent sincèrement et profondément dans une perspective spirituelle, où s’élever spirituellement conduit l’être à s’élever au-dessus des illusions et des oppositions du mental et de la dualité, où le racisme disparait, tout comme le fanatisme idéologique ou politique, de même que les mauvaises habitudes ou les mauvaises pensées, et où les suggestions psychiques et psychologiques (des idéologues, des charlatans, des concepteurs du « marketing », des chefs d’Etat qui jouent sur les émotions et le culte de la personnalité, …) ainsi que les vices qui conduisent à l’addiction et donc à l’esclavage de l’être humain, n’ont plus d’emprise pour celui qui réalise un certain degré de liberté spirituelle et de détachement à l’égard des phénomènes et des choses de nature relative.
L’Islam appelle à se libérer des mauvaises tendances, et donc à purifier son âme par la maitrîse de son ego à chaque instant, car la « passion » est très mauvaise conseillère, raison pour laquelle les « modernes » manipulent et asservissent les populations humaines par ce biais : « C’est la passion qui traduit, et trahit, la subjectivité de nos démarches. On sera d’autant moins objectif que l’on est concerné, impliqué, proche, donc soumis à la passion que la situation suscite. (…). Pour émouvoir ou simplement convaincre quelqu’un, il faut tenir compte de ce qu’il pense, de ce qu’il est, de ses valeurs, en un mot, de la façon dont il réagit à la question soulevée dans la relation intersubjective qui fait l’objet de la négociation et donne lieu à la rhétorique. (…) La passion, en général, est la manière dont nous réagissons subjectivement à une relation question-réponse, c’est notre propre réponse à cette relation, une réponse qui vise à créer ou à nourrir celui qui s’adresse à nous. La passion est une réaction subjective à un problème, ce qui fait l’alternative oui/non se traduit au niveau du Moi par un sentiment de plaisir ou de déplaisir. (…) Mais la passion est plus qu’une émotion au sens d’une réaction de plaisir ou de douleur, la passion, parce que réponse, est un jugement, une croyance, à propos d’une question, et elle est rhétorique en ce qu’elle avale la question dans et par cette croyance. C’est pour cette raison que la passion est dite aveuglante : on ne voit plus la question, notre croyance, nos opinions l’emportent avec elles. La passion est donc un puissant réservoir rhétorique : elle touche au plus profond de nos valeurs. (…). Si l’amour est aveugle, en ce qu’il prête des qualités objectives amplifiées à l’être aimé, la colère ou la haine font de même avec les propriétés négatives de celui qui en est l’objet »[21].
La « passion » éloigne ainsi de l’objectivité et de la prise de recul nécessaire pour percevoir les choses au-delà des simples apparences ou des discours superficiels. C’est pourquoi le Qur’ân insiste pour que les croyants purifient leur « cœur » et éduquent leur nafs (ego), afin de ne pas se laisser piéger par les manipulations d’autrui ni par les émotions négatives qui peuvent les rendre esclaves de leurs pulsions, désirs illusoires ou manipulations des autres (surtout pour de mauvaises finalités).
Dans le chapitre 6 (Chaos social) de La Crise du Monde Moderne, René Guénon écrivait : « Naturellement, quand nous nous trouvons en présence d’une idée comme celle d’« égalité », ou comme celle de « progrès », ou comme les autres « dogmes laïques » que presque tous nos contemporains acceptent aveuglément, et dont la plupart ont commencé à se formuler nettement au cours du XVIIIe siècle, il ne nous est pas possible d’admettre que de telles idées aient pris naissance spontanément. Ce sont en somme de véritables « suggestions », au sens le plus strict de ce mot, qui ne pouvaient d’ailleurs produire leur effet que dans un milieu déjà préparé à les recevoir ; elles n’ont pas créé de toutes pièces l’état d’esprit qui caractérise l’époque moderne, mais elles ont largement contribué à l’entretenir et à le développer jusqu’à un point qu’il n’aurait sans doute pas atteint sans elles. Si ces suggestions venaient à s’évanouir, la mentalité générale serait bien près de changer d’orientation ; c’est pourquoi elles sont si soigneusement entretenues par tous ceux qui ont quelque intérêt à maintenir le désordre, sinon à l’aggraver encore, et aussi pourquoi, dans un temps où l’on prétend tout soumettre à la discussion, elles sont les seules choses qu’on ne se permet jamais de discuter. Il est d’ailleurs difficile de déterminer exactement le degré de sincérité de ceux qui se font les propagateurs de semblables idées, de savoir dans quelle mesure certains hommes en arrivent à se prendre à leurs propres mensonges et à se suggestionner eux-mêmes en suggestionnant les autres ; et même, dans une propagande de ce genre, ceux qui jouent un rôle de dupes sont souvent les meilleurs instruments, parce qu’ils y apportent une conviction que les autres auraient quelque peine à simuler, et qui est facilement contagieuse ; mais, derrière tout cela, et tout au moins à l’origine, il faut une action beaucoup plus consciente, une direction qui ne peut venir que d’hommes sachant parfaitement à quoi s’en tenir sur les idées qu’ils lancent ainsi dans la circulation ».
Parmi les chimères de notre temps, il y a la démocratie, qui pour certains, est devenue une religion (en réalité, une pseudo-religion), une fin en soi, alors que c’est la stabilité, la prospérité, la sécurité et l’épanouissement spirituel et moral qui comptent, au-delà des modalités politiques. Toujours au chapitre 6 de son ouvrage, Guénon dénonçait déjà cette illusion il y a près d’un siècle : « Si l’on définit la « démocratie » comme le gouvernement du peuple par lui-même, c’est là une véritable impossibilité, une chose qui ne peut pas même avoir une simple existence de fait, pas plus à notre époque qu’à n’importe quelle autre ; il ne faut pas se laisser duper par les mots, et il est contradictoire d’admettre que les mêmes hommes puissent être à la fois gouvernants et gouvernés, parce que, pour employer le langage aristotélicien, un même être ne peut être « en acte » et « en puissance » en même temps et sous le même rapport. Il y a là une relation qui suppose nécessairement deux termes en présence : il ne pourrait y avoir de gouvernés s’il n’y avait aussi des gouvernants, fussent-ils illégitimes et sans autre droit au pouvoir que celui qu’ils se sont attribué eux-mêmes ; mais la grande habileté des dirigeants, dans le monde moderne, est de faire croire au peuple qu’il se gouverne lui-même ; et le peuple se laisse persuader d’autant plus volontiers qu’il en est flatté et que d’ailleurs il est incapable de réfléchir assez pour voir ce qu’il y a là d’impossible. C’est pour créer cette illusion qu’on a inventé le « suffrage universel » : c’est l’opinion de la majorité qui est supposée faire la loi ; mais ce dont on ne s’aperçoit pas, c’est que l’opinion est quelque chose que l’on peut très facilement diriger et modifier ; on peut toujours, à l’aide de suggestions appropriées, y provoquer des courants allant dans tel ou tel sens déterminé ; nous ne savons plus qui a parlé de « fabriquer l’opinion », et cette expression est tout à fait juste, bien qu’il faille dire, d’ailleurs, que ce ne sont pas toujours les dirigeants apparents qui ont en réalité à leur disposition les moyens nécessaires pour obtenir ce résultat. Cette dernière remarque donne sans doute la raison pour laquelle l’incompétence des politiciens les plus « en vue » semble n’avoir qu’une importance très relative ; mais, comme il ne s’agit pas ici de démonter les rouages de ce qu’on pourrait appeler la « machine à gouverner », nous nous bornerons à signaler que cette incompétence même offre l’avantage d’entretenir l’illusion dont nous venons de parler : c’est seulement dans ces conditions, en effet, que les politiciens en question peuvent apparaître comme l’émanation de la majorité, étant ainsi à son image, car la majorité, sur n’importe quel sujet qu’elle soit appelée à donner son avis, est toujours constituée par les incompétents, dont le nombre est incomparablement plus grand que celui des hommes qui sont capables de se prononcer en parfaite connaissance de cause ».
Cette illusion dépend d’une autre, qui est sensée la justifier, à savoir celle de la majorité, comme le dit Guénon juste après : « Ceci nous amène immédiatement à dire en quoi l’idée que la majorité doit faire la loi est essentiellement erronée, car, même si cette idée, par la force des choses, est surtout théorique et ne peut correspondre à une réalité effective, il reste pourtant à expliquer comment elle a pu s’implanter dans l’esprit moderne, quelles sont les tendances de celui-ci auxquelles elle correspond et qu’elle satisfait au moins en apparence. Le défaut le plus visible, c’est celui-là même que nous indiquions à l’instant : l’avis de la majorité ne peut être que l’expression de l’incompétence, que celle-ci résulte d’ailleurs du manque d’intelligence ou de l’ignorance pure et simple ; on pourrait faire intervenir à ce propos certaines observations de « psychologie collective », et rappeler notamment ce fait assez connu que, dans une foule, l’ensemble des réactions mentales qui se produisent entre les individus composants aboutit à la formation d’une sorte de résultante qui est, non pas même au niveau de la moyenne, mais à celui des éléments les plus inférieurs. Il y aurait lieu aussi de faire remarquer, d’autre part, comment certains philosophes modernes ont voulu transporter dans l’ordre intellectuel la théorie « démocratique » qui fait prévaloir l’avis de la majorité, en faisant de ce qu’ils appellent le « consentement universel » un prétendu « critérium de la vérité » : en supposant même qu’il y ait effectivement une question sur laquelle tous les hommes soient d’accord, cet accord ne prouverait rien par lui-même ; mais, en outre, si cette unanimité existait vraiment, ce qui est d’autant plus douteux qu’il y a toujours beaucoup d’hommes qui n’ont aucune opinion sur une question quelconque et qui ne se la sont même jamais posée, il serait en tout cas impossible de la constater en fait, de sorte que ce qu’on invoque en faveur d’une opinion et comme signe de sa vérité se réduit à n’être que le consentement du plus grand nombre, et encore en se bornant à un milieu forcément très limité dans l’espace et dans le temps. Dans ce domaine, il apparaît encore plus clairement que la théorie manque de base, parce qu’il est plus facile de s’y soustraire à l’influence du sentiment, qui au contraire entre en jeu presque inévitablement lorsqu’il s’agit du domaine politique ; et c’est cette influence qui est un des principaux obstacles à la compréhension de certaines choses, même chez ceux qui auraient par ailleurs une capacité intellectuelle très largement suffisante pour parvenir sans peine à cette compréhension ; les impulsions émotives empêchent la réflexion, et c’est une des plus vulgaires habiletés de la politique que celle qui consiste à tirer parti de cette incompatibilité.
Mais allons plus au fond de la question : qu’est-ce exactement que cette loi du plus grand nombre qu’invoquent les gouvernements modernes et dont ils prétendent tirer leur seule justification ? C’est tout simplement la loi de la matière et de la force brutale, la loi même en vertu de laquelle une masse entraînée par son poids écrase tout ce qui se rencontre sur son passage ; c’est là que se trouve précisément le point de jonction entre la conception « démocratique » et le « matérialisme », et c’est aussi ce qui fait que cette même conception est si étroitement liée à la mentalité actuelle ».
C’est justement là, l’inversion, ou le renversement, des valeurs, manifestation des « ruses sataniques » : « C’est le renversement complet de l’ordre normal, puisque c’est la proclamation de la suprématie de la multiplicité comme telle, suprématie qui, en fait, n’existe que dans le monde matériel (1) ; au contraire, dans le monde spirituel, et plus simplement encore dans l’ordre universel, c’est l’unité qui est au sommet de la hiérarchie, car c’est elle qui est le principe dont sort toute multiplicité (2) ; mais, lorsque le principe est nié ou perdu de vue, il ne reste plus que la multiplicité pure, qui s’identifie à la matière elle-même. D’autre part, l’allusion que nous venons de faire à la pesanteur implique plus qu’une simple comparaison, car la pesanteur représente effectivement, dans le domaine des forces physiques au sens le plus ordinaire de ce mot, la tendance descendante et compressive, qui entraîne pour l’être une limitation de plus en plus étroite, et qui va en même temps dans le sens de la multiplicité, figurée ici par une densité de plus en plus grande (1) ; et cette tendance est celle-là même qui marque la direction suivant laquelle l’activité humaine s’est développée depuis le début de l’époque moderne. En outre, il y a lieu de remarquer que la matière, par son pouvoir de division et de limitation tout à la fois, est-ce que la doctrine scolastique appelle le « principe d’individuation », et ceci rattache les considérations que nous exposons maintenant à ce que nous avons dit précédemment au sujet de l’individualisme : cette même tendance dont il vient d’être question est aussi, pourrait-on dire, la tendance « individualisante », celle selon laquelle s’effectue ce que la tradition judéo-chrétienne désigne comme la « chute » des êtres qui se sont séparés de l’unité originelle (2). La multiplicité envisagée en dehors de son principe, et qui ainsi ne peut plus être ramenée à l’unité, c’est, dans l’ordre social, la collectivité conçue comme étant simplement la somme arithmétique des individus qui la composent, et qui n’est en effet que cela dès lors qu’elle n’est rattachée à aucun principe supérieur aux individus ; et la loi de la collectivité, sous ce rapport, c’est bien cette loi du plus grand nombre sur laquelle se fonde l’idée « démocratique » ».
A propos de « l’occidentalisation du monde », s’exerçant aussi bien à travers l’impérialisme politique et militaire, que par l’impérialisme idéologique et culturel, au chapitre 8 (L’envahissement occidental) de La Crise du Monde Moderne, Guénon écrivait encore ceci : « Déclarons-le très nettement : l’esprit moderne étant chose purement occidentale, ceux qui en sont affectés, même s’ils sont des Orientaux de naissance, doivent être considérés, sous le rapport de la mentalité, comme des Occidentaux, car toute idée orientale leur est entièrement étrangère, et leur ignorance à l’égard des doctrines traditionnelles est la seule excuse de leur hostilité. Ce qui peut sembler assez singulier et même contradictoire, c’est que ces mêmes hommes, qui se font les auxiliaires de l’« occidentalisme » au point de vue intellectuel, ou plus exactement contre toute véritable intellectualité, apparaissent parfois comme ses adversaires dans le domaine politique ; et pourtant, au fond, il n’y a là rien dont on doive s’étonner. Ce sont eux qui s’efforcent d’instituer en Orient des « nationalismes » divers, et tout « nationalisme » est nécessairement opposé à l’esprit traditionnel ; s’ils veulent combattre la domination étrangère, c’est par les méthodes mêmes de l’Occident, de la même façon que les divers peuples occidentaux luttent entre eux ; et peut-être est-ce là ce qui fait leur raison d’être. En effet, si les choses en sont arrivées à un tel point que l’emploi de semblables méthodes soit devenu inévitable, leur mise en oeuvre ne peut être que le fait d’éléments ayant rompu toute attache avec la tradition ; il se peut donc que ces éléments soient utilisés ainsi transitoirement, et ensuite éliminés comme les Occidentaux eux-mêmes. Il serait d’ailleurs assez logique que les idées que ceux-ci ont répandues se retournent contre eux, car elles ne peuvent être que des facteurs de division et de ruine ; c’est par là que la civilisation moderne périra d’une façon ou d’une autre ; peu importe que ce soit par l’effet des dissensions entre les Occidentaux, dissensions entre nations ou entre classes sociales, ou, comme certains le prétendent, par les attaques des Orientaux « occidentalisés », ou encore à la suite d’un cataclysme provoqué par les « progrès de la science » ; dans tous les cas, le monde occidental ne court de dangers que par sa propre faute et par ce qui sort de lui-même. (…) les deux esprits opposés existent maintenant l’un et l’autre en Orient, et la force spirituelle, inhérente à la tradition et méconnue par ses adversaires, peut triompher de la force matérielle lorsque celle-ci aura joué son rôle, et la faire évanouir comme la lumière dissipe les ténèbres ; nous dirons même qu’elle en triomphera nécessairement tôt ou tard, mais il se peut que, avant d’en arriver là, il y ait une période d’obscuration complète. L’esprit traditionnel ne peut mourir, parce qu’il est, dans son essence, supérieur à la mort et au changement ; mais il peut se retirer entièrement du monde extérieur, et alors ce sera véritablement la « fin d’un monde ». D’après tout ce que nous avons dit, la réalisation de cette éventualité dans un avenir relativement peu éloigné n’aurait rien d’invraisemblable ; et, dans la confusion qui, partie de l’Occident, gagne présentement l’Orient, nous pourrions voir le « commencement de la fin », le signe précurseur du moment où, suivant la tradition hindoue, la doctrine sacrée doit être enfermée tout entière dans une conque, pour en sortir intacte à l’aube du monde nouveau ».
Il continuait, en dénonçant l’inversion accusatoire et l’hypocrisie de la mentalité « occidentale » (au sens moderne et idéologique du terme) qui détruit les peuples et les cultures, tout en disant vouloir par la suite « se défendre » contre des dérives qu’ils ont eux-mêmes engendrés ou alimentés : « Mais laissons là encore une fois les anticipations, et ne regardons que les événements actuels : ce qui est incontestable, c’est que l’Occident envahit tout ; son action s’est d’abord exercée dans le domaine matériel, celui qui était immédiatement à sa portée, soit par la conquête violente, soit par le commerce et l’accaparement des ressources de tous les peuples ; mais maintenant les choses vont encore plus loin. Les Occidentaux, toujours animés par ce besoin de prosélytisme qui leur est si particulier, sont arrivés à faire pénétrer chez les autres, dans une certaine mesure, leur esprit antitraditionnel et matérialiste ; et, tandis que la première forme d’invasion n’atteignait en somme que les corps, celle-ci empoisonne les intelligences et tue la spiritualité ; l’une a d’ailleurs préparé l’autre et l’a rendue possible, de sorte que ce n’est en définitive que par la force brutale que l’Occident est parvenu à s’imposer partout, et il ne pouvait en être autrement, car c’est en cela que réside l’unique supériorité réelle de sa civilisation, si inférieure à tout autre point de vue. L’envahissement occidental, c’est l’envahissement du matérialisme sous toutes ses formes, et ce ne peut être que cela ; tous les déguisements plus ou moins hypocrites, tous les prétextes « moralistes », toutes les déclamations « humanitaires »,toutes les habiletés d’une propagande qui sait à l’occasion se faire insinuante pour mieux atteindre son but de destruction, ne peuvent rien contre cette vérité, qui ne saurait être contestée que par des naïfs ou par ceux qui ont un intérêt quelconque à cette oeuvre vraiment « satanique », au sens le plus rigoureux du mot. Chose extraordinaire, ce moment où l’Occident envahit tout est celui que certains choisissent pour dénoncer, comme un péril qui les remplit d’épouvante, une prétendue pénétration d’idées orientales dans ce même Occident ; qu’est-ce encore que cette nouvelle aberration ? ».
Il est désolant que de nombreux musulmans ont oublié le Message qurânique dans leur rapport à la nature, aux animaux et au cosmos, car s’en détourner, c’est se priver de la Bénédiction divine (Baraka) qui se trouve dans les êtres et les phénomènes physiques qui « alimentent » la vie. Ce pacte, les musulmans se sont engagés, en principe, à le respecter : « Ceux qui violent le pacte d’Allâh après s’y être engagés, qui sèment la corruption sur la Terre, ceux-là seront voués à la plus détestable des demeures » (Qur’ân 13, 25).
Pour vivre dignement, l’être humain doit se nourrir de ce qui se trouve sur terre, mais il ne doit pas tomber dans l’abus, causant la corruption et le désordre : « Mangez et buvez des dons qu’Allâh vous a octroyés ; ne semez pas le désordre sur la Terre ! » (Qur’ân 2, 60).
« Nulle bête rampant sur terre, nul oiseau volant de ses ailes, qui ne vive en communauté (espèce) à l’instar de vous-mêmes. Et nous n’avons rien omis dans le Livre éternel. Puis c’est vers leur Seigneur qu’ils feront tous retour » (Qur’ân 6, 38).
« Lorsque Ton Seigneur confia aux Anges : « Je vais établir sur la terre un vicaire « Khalifa ». Ils dirent : « Vas-Tu y désigner un qui y mettra le désordre et répandra le sang, quand nous sommes là à Te sanctifier et à Te glorifier ? » – Il dit : « En vérité, Je sais ce que vous ne savez pas ! » (Qur’ân 2, 30).
Ce verset permet de comprendre la puissance contenue dans l’Homme, mais quand celle-ci se détourne des finalités louables, elle se transforme en une force qui corrompt et saccage l’Homme en même temps que la nature. Tout le Message qurânique consiste donc à enjoindre les êtres humains à purifier leur âme pour ne pas corrompre leur environnement en même temps que la société :
« Par le soleil et par sa clarté !
Et par la lune quand elle le suit !
Et par le jour quand il l’éclaire !
Et par la nuit quand elle l’enveloppe !
Et par le ciel et Celui qui l’a édifié !
Et par la terre et Celui qui l’a étendue !
Et par l’âme et Celui qui l’a harmonieusement façonnée ;
Et lui a alors inspiré son immoralité, de même que sa piété !
A réussi, certes celui qui la purifie.
Et est perdu, certes, celui qui la corrompt ».
(Qur’ân 91, 1-10).
C’est pourquoi Allâh appelle les musulmans à suivre la voie du juste milieu, celui de l’équilibre universel : « C’est ainsi que Nous fîmes de vous une communauté du juste milieu afin que vous soyez modèles/témoins aux gens, tout comme le Prophète vous est modèle et (un) témoin » (Qur’ân 2, 143).
L’Homme, étant objectivement un être particulier et singulier au sein de la Création, capable, en esprit, de synthétiser et de nommer « toutes les choses », symbolise à l’échelle du microcosme (l’Homme), le macrocosme (l’univers). Sa « Lieutenance » instituée par le Divin, lui confère certains droits, non pas en tyran et en arrogant, mais en humilité, et afin de reconnaitre la Gloire Divine et les bienfaits qu’Il a dispensé aux êtres. En effet : « Les serviteurs du Tout Miséricordieux sont ceux qui marchent humblement sur terre, qui, lorsque les ignorants s’adressent à eux, disent : « Paix ! » » (Qur’ân 25, 63). Ainsi que : « Ne prends pas un air arrogant en abordant tes semblables ! Ne te dandine pas avec insolence dans ta démarche ! Allâh n’aime pas les insolents pleins de gloriole » (Qur’ân 31, 18).
Par Sa Miséricorde et Sa Puissance, Il a accordé aux Hommes les moyens de leur subsistance, de Le connaitre et d’explorer Sa Création :
« Ils sont certes perdants, ceux qui ont, par sottise et ignorance tué leurs enfants, et ceux qui ont interdit ce qu’Allâh leur a attribué de nourriture, inventant des mensonges contre Allâh. Ils se sont égarés et ne sont point guidés. C’est Lui qui a créé les jardins, treillagés et non treillagés; ainsi que les palmiers et la culture aux récoltes diverses; [de même que] l’olive et la grenade, d’espèces semblables et différentes. Mangez de leurs fruits, quand ils en produisent ; et acquittez-en les droits le jour de la récolte. Et ne gaspillez point car Il n’aime pas les gaspilleurs. Et (Il a créé) parmi les bestiaux, certains pour le transport, et d’autres pour diverses utilités ; mangez de ce qu’Allâh vous a attribué, et ne suivez pas les pas du Diable, car il est pour vous un ennemi déclaré » (Qur’ân 6, 140-142).
Cependant, l’Homme ne doit pas succomber à l’avidité et au gaspillage, qui engendrent alors fléaux et corruption : « La corruption est apparue sur la terre et dans la mer du fait des agissements des êtres humains. Allâh leur fera expier une partie de leurs péchés, afin qu’ils reviennent peut-être de leurs erreurs » (Qur’ân 2, 11).
« Béni soit celui dans la main de qui est la royauté, et Il est Omnipotent. Celui qui a créé la mort et la vie afin de vous éprouver (et de savoir) qui de vous est le meilleur en oeuvre, et c’est Lui le Puissant, le Pardonneur. Celui qui a créé 7 cieux superposés sans que tu voies de disproportion en la création du Tout-Miséricordieux. Ramène [sur elle] le regard. Y vois-tu une brèche quelconque ? Puis, retourne ton regard à deux fois : le regard te reviendra humilié et perplexe » (Qur’ân 67, 1-4). Prendre conscience des vertus et bienfaits qui se cachent dans la Création du Tout-Puissant, les scruter et les contempler, ramènent l’Homme à avoir conscience de sa propre réalité, le conduisant au savoir en même temps qu’à l’humilité et à la reconnaissance envers Allâh et Ses Bienfaits. De même, ceux qui gardent un contact avec la nature sont en meilleure santé, développent une plus grande connaissance et conscience des trésors et des bienfaits qui se cachent dans la nature et la contemplation du cosmos.
Allâh interpelle ainsi l’Homme à travers le cosmos et la nature qu’Il a créé : « N’ont-ils donc pas observé le ciel au-dessus d’eux, comment Nous l’avons édifié et embelli ; et comment il est sans faille aucune ? » (Qur’ân 50, 6) ;
« N’est-ce pas Lui qui a créé les cieux et la terre et qui vous a fait descendre du ciel une eau avec laquelle Nous avons fait pousser des jardins pleins de beauté. Vous n’étiez nullement capables de faire pousser leurs arbres. Y-a-t-il donc une divinité avec Allâh ? Non, mais ce sont des gens qui Lui donnent des égaux.
N’est-ce pas Lui qui a établi la terre comme lieu de séjour, placé des rivières à travers elle, lui a assigné des montagnes fermes et établi une séparation entre les deux mers, – Y a-t-il donc une divinité avec Allâh ? Non, mais la plupart d’entre eux ne savent pas.
N’est-ce pas Lui qui répond à l’angoissé quand il L’invoque, et qui enlève le mal, et qui vous fait succéder sur la terre, génération après génération, – Y a-t-il donc une divinité avec Allâh ? C’est rare que vous vous rappeliez !
N’est-ce pas Lui qui vous guide dans les ténèbres de la terre et de la mer, et qui envoie les vents, comme une bonne annonce précédant Sa grâce. – Y a-t-il donc une divinité avec Allâh ? Allâh est Très Elevé au-dessus de ce qu’ils [Lui] associent.
N’est-ce pas Lui qui commence la création, puis la refait, et qui vous nourrit du ciel et de la terre. Y a-t-il donc une divinité avec Allâh ? Dis : « Apportez votre preuve, si vous êtes véridiques ! ».
Dis : « Nul de ceux qui sont dans les cieux et sur la terre ne connaît l’Inconnaissable, à part Allâh ». Et ils ne savent pas quand ils seront ressuscités ! » (Qur’ân 27, 60-65).
« Ceux qui ont mécru, n’ont-ils pas vu que les cieux et la terre formaient une masse compacte ? Ensuite Nous les avons séparés et fait de l’eau toute chose vivante. Ne croiront-ils donc pas ? » (Qur’ân 21, 30).
Si on peut juger la valeur d’une personne par sa piété, cela est possible de le voir dans la façon par laquelle il se comporte à l’égard d’Allâh, de la vie humaine, des animaux et de la nature.
Le Qur’ân par ailleurs résume parfaitement les dégâts engendrés par les activités humaines saccageant la nature dans une magnifique sûrate :
« Quand la terre sera ébranlée de son ébranlement,
Et que la terre fera sortir ses charges,
Et que l’humain dira : « Qu’a-t-elle ? »,
En ce Jour, elle relatera ses expériences (…) » (Qur’ân 99, 1-4).
Dans d’autres versets, Allâh évoque les « bouleversements cosmiques » qui se dérouleront par la suite :
« Quand le ciel se rompra, et que les étoiles se disperseront, et que les mers confondront leurs eaux » (Qur’ân 82, 1-3).
« Quand le ciel se déchirera et obéira à son Seigneur – et fera ce qu’il doit faire » (Qur’ân 84, 1-2).
Sur l’écologie en Islam, voir par exemple Maurice Gloton, L’écologie ou l’harmonie universelle (éd. Albouraq, 2018). Après une belle introduction décrivant les thématiques qui seront abordées dans l’ouvrage, l’auteur procède à une exégèse technique, littéraire et spirituelle de la Sûrate al-Fatiha du Qur’ân, qui synthétise la fonction, la nature et la responsabilité de l’Humain à l’égard du Divin et du monde. Dans les chapitres suivants, il expose des développements doctrinaux et intellectuels sur le Nom Divin « Jamâl », sur l’éthique qurânique à travers les notions d’excellence et d’intégrité, les oeuvres intègres, les éléments environnementaux mentionnés dans la Révélation (air, feu, terre, eau), et il termine en citant quelques versets sur les signes avant-coureurs de la fin des temps où la terre connaitra des changements de grande ampleur et « gémira » en raison des méfaits de l’humanité et des nouvelles conditions cycliques. Néanmoins, pour des développements plus profonds, il faudra s’orienter vers les ouvrages de Martin Lings, de Ibn ‘Arabî et de Seyyed Hossein Nasr par exemple.
Sur les animaux en Islam, voir Al-Hafiz Basheer Ahmad Masri, Les animaux en islam (éd. Droits des Animaux, 2015). Il s’agit d’un livre assez complet et très bien documenté dans son ensemble, aussi bien pour les références et aspects islamiques, que sur le plan scientifique et philosophique. Ce livre peut ainsi contribuer à revoir certaines (mauvaises habitudes), à réformer certaines mentalités, et à voir le règne animal avec plus de compassion et de considération, sans pour autant abandonner complètement la consommation de viande ou des produits alimentaires en lien avec le vivant (miel, oeufs, produits laitiers, etc.) mais au moins de renoncer à la cruauté, à la surconsommation, aux mauvaises conditions de vie dans lesquelles évoluent les animaux élevés par l’Homme, au gaspillage et à d’autres maux que nous commettons, souvent sans en être conscient.
Au plus une société se sécularise, au plus elle engendre des maux et devient une menace pour l’environnement et l’Humanité, en plus de « souiller » l’âme et de la priver de sa finalité première. Concernant la communauté musulmane, il y a 2 dangers majeurs, qui constituent une menace certaine ; la sécularisation, qui est une menace plus subtile mais qui engendre des maux terribles et qui opère dans la mentalité elle-même, et le fanatisme accompagné de corruption. La pollution qui tue chaque année, le taux élevé de suicides dans les pays sécularisés, les violences sociales ou familiales, etc., tout cela atteignit des proportions importantes qu’avec le règne du sécularisme.
« Pour garder un espoir de limiter le réchauffement planétaire à 1,5 °C d’ici la fin du siècle, l’ONU estime qu’il faudrait réduire les émissions mondiales de CO2 de 7,6 % par an entre 2020 et 2030. Comme le met en avant notre graphique, en 2018, les trois pays les plus peuplés au monde étaient aussi les plus gros pollueurs au dioxyde de carbone. Avec 9,53 milliards de tonnes de CO2 émises, la Chine devançait de loin les États-Unis et l’Inde, avec respectivement 5,15 milliards et 2,48 milliards de tonnes. Si l’Union européenne était un pays, elle devancerait l’Inde sur le podium, avec des émissions de 3,48 milliards de tonnes en 2018 ».
En haut du classement, les nations les plus polluantes sont la Chine, les Etats-Unis, l’Union européenne, l’Inde, la Russie, le Japon et l’Allemagne[22]. L’Iran occupe la 9e place, – juste après l’Allemagne -, et l’Arabie Saoudite la 10e place, – juste devant le Canada -. Dans le cas de l’Iran et de l’Arabie Saoudite, le fait qu’ils soient d’importants exportateurs de pétrole et de gaz y jouent pour beaucoup. Précisons aussi que l’Iran s’inscrit dans une politique pragmatique où les préceptes religieux et la perspective spirituelle sont souvent mis de côté en raison de la corruption politique et de leurs alliances politiques contre-nature pour faire face à la politique criminelle des Etats-Unis et de leurs alliés dans la région. Pour l’Arabie Saoudite, bien qu’étant une monarchie, sur le plan politique, elle adopte plutôt une politique séculariste, – tout comme les émirats arabes unis -, accompagnée aussi d’une mentalité autoritaire et d’une corruption approuvées par leurs alliés et protecteurs occidentaux. Mais que ce soit en Iran ou en Arabie Saoudite, des personnalités politiques éminentes dénoncent aussi bien la corruption politique, que le sécularisme et le fanatisme idéologique, et appellent à des réformes promouvant la spiritualité, la justice sociale, l’éthique islamique, et une meilleure redistribution économique des richesses du pays. Il n’est donc pas correct de diaboliser l’ensemble de la famille régnante en Arabie ou l’ensemble de la classe politique iranienne.
Ainsi, la pollution tue chaque année des millions de personnes, cause de nombreuses maladies et participe à la disparition de la faune, de la flore et perturbe de nombreux écosystèmes.
Concernant l’impact de la pollution sur la biodiversité marine : « La fondation Tara Océan et des chercheurs du CNRS ont étudié la biodiversité du plancton autour du monde. Menacé par le changement climatique, il pourrait disparaître en Arctique, entraînant le dérèglement de tout un écosystème marin. “Le plancton (microbes, virus, petits animaux marins) représente la base de la chaîne alimentaire dans les océans et fournit toutes sortes d’écosystèmes, explique Chris Bowler, directeur de recherche au CNRS. C’est pourquoi il a un rôle particulièrement important et qu’il est nécessaire de comprendre son métabolisme.” En collaboration avec Lucie Zinger, Chris Bowler a mené un groupe de scientifiques pour analyser des données collectées sur un échantillon de 189 stations dans le monde pendant l’expédition de trois ans. “Nos résultats montrent clairement que la biodiversité planctonique est plus importante autour de l’équateur, et décroit autour des pôles”, a affirmé la codirectrice dans un communiqué de presse. (…) “On s’est rendu compte que les mécanismes influençant la transcription génétique de certaines bactéries, et augmentant leur capacité d’adaptation à leur nouvel environnement, étaient très différents autour de l’équateur comparé aux pôles” rapporte Shinichi Sunagawa, professeur à l’ETH-Zürich. Le plancton des eaux tropicales auraient, selon les résultats de l’étude, plus de capacité à s’adapter à son environnement que le plancton qui se situe dans les eaux polaires. En effet, avec un patrimoine génétique flexible et une grande variété de populations, le plancton peut plus facilement s’ajuster aux changements de leur environnement dans les zones tropicales.
En région polaire, les populations sont plus restreintes et leur patrimoine génétique moins flexible. Le dérèglement climatique et le réchauffement des océans pose alors une réelle menace pour le plancton qui se situe autour des pôles et pourrait finalement être remplacés par des espèces plus adaptées, venant des eaux plus chaudes comme celles de l’Atlantique. (…) Le changement le plus important attendu devrait pourtant arriver dans les régions polaires, d’après les chercheurs, altérant les écosystèmes qui y sont associés et avec de graves conséquences au niveau mondial. “Comme le plancton est la base de la chaîne alimentaire, leur disparition pourrait influer sur les organismes qui s’en nourrissent. Le plancton arctique est riche en lipides, ce qui permet aux autres espèces de stocker de l’énergie et de se protéger du froid, fait remarquer Chris Bowler. Le réchauffement des températures pourrait entrainer leur extinction, et un écosystème entier pourrait finalement disparaître.”
Le groupe de scientifiques mené par Chris Bowler et Lucie Zinger est inquiet. Si rien n’est fait, et que “nous ne changeons pas notre mode de vie, ces prédictions pourraient devenir réalité au cours des prochains siècles”, alerte le chercheur. Avant d’ajouter : “nous devons arrêter les énergies fossiles, réduire la pollution et stopper la production de plastique au plus vite, cela devient urgent.” »[23].
Par rapport au climat et à la disparition des espèces : « Le réchauffement climatique pourrait, selon les résultats d’une récente étude américaine, être à l’origine de l’extinction d’une espèce animale et végétale sur trois d’ici 2070. C’est une nouvelle étude alarmante. Plusieurs espèces animales et végétales pourraient être directement menacées par le réchauffement climatique, si les températures continuaient de monter. Un tiers des espèces pourrait avoir disparu d’ici 2070, selon cette étude publiée mercredi dernier par deux chercheurs de l’Université de l’Arizona, notamment relayée par Slate. Ces scientifiques ont ainsi analysé des données relevées à 10 ans d’écart, relatives à 538 espèces animales et végétales, dans 581 milieux naturels différents. Ils ont ensuite comparé les comportements et les déplacements des animaux, le nombre d’extinctions ainsi que les relevés climatiques.
44% des espèces disparues en 10 ans
Ils sont parvenus à la conclusion que de nombreuses espèces ne survivraient pas à une hausse progressive des températures, liée au réchauffement climatique. Selon eux, 44% des espèces étudiées auraient d’ailleurs déjà disparu dans l’un de leurs milieux naturels.
Et les résultats de l’étude ont révélé que le réchauffement climatique avait un rôle majeur dans l’extinction de certaines espèces. Étonnamment, certaines espèces se sont éteintes dans des endroits du monde où les températures annuelles ont augmenté de manière peu significative. Ce sont plutôt les journées estivales de pics de chaleur qui se sont avérées avoir des effets dramatiques sur la disparition de la faune et de la flore »[24].
Dans un article de Christine Dell’Amore paru sur National Geographic : « Le changement climatique engendre des conséquences étendues et désastreuses à l’égard du monde animal et végétal, qui lutte pour s’adapter.
Le rapport initié par le groupe d’experts intergouvernemental sur l’évolution du climat (GIEC) conclut que diverses formes de vie migrent vers le nord ou dans des eaux plus profondes afin de survivre à la mutation de leur habitat.
Certaines sont également contraintes de modifier leurs habitudes. Par exemple, les oiseaux qui construisent leur nid élèvent leurs petits et migrent plus tôt étant donné l’arrivée prématurée du printemps.
Selon ce rapport publié en 2014, « les conséquences du changement climatique sont plus importantes et plus étendues sur les systèmes naturels ».
D’après Peter Alpert, directeur du programme environnemental biologique de l’US National Science Foundation à Arlington en Virginie, les recherches actuelles suggèrent que les survivants de cette mutation seront les espèces capables de s’adapter et de se répandre, comme les mauvaises herbes, les insectes nuisibles, ainsi que celles sensibles au froid et invasives comme le Python birman en Floride (…) »[25].
Concernant l’impact direct de la pollution sur l’Humanité : « La pollution atmosphérique affecte la santé. Trois millions d’êtres humains meurent chaque année à cause de la pollution de l’air, soit 5 % des décès annuels mondiaux, selon l’Organisation mondiale de la santé (OMS). La pollution atmosphérique est également responsable d’allergies et de maladies respiratoires. Les effets de cette pollution sur l’organisme humain dépendent de multiples facteurs : intensité de la pollution, âge des individus, région, etc.
Pollution atmosphérique et santé : les personnes à risque
Les personnes âgées et les enfants jusqu’à 12 ans sont plus sensibles à la pollution atmosphérique, car leur organisme est moins bien protégé. Enfin, les personnes dites « sensibles » (qui souffrent d’allergie, de maladie cardiorespiratoire et les fumeurs) doivent également faire attention. Lorsque les pics de pollution sont atteints, il est recommandé à ces personnes à risque de ne pas sortir. Plus généralement, les citadins sont considérés comme une population à risque, à cause de l’importante circulation automobile et des rejets industriels.
Risques à court terme de la pollution atmosphérique
Lors d’une période de forte pollution atmosphérique et durant les quelques jours qui suivent, les études montrent une augmentation des hospitalisations, due notamment à une hausse des crises cardiaques (mortelles ou non).
Risques à long terme sur la santé
Un individu soumis à la pollution atmosphérique sur une longue durée, même à faible dose, risque davantage d’être touché par une maladie cardiopulmonaire (infarctus du myocarde, asthme, etc.). Les risques de cancer sont également plus importants. La pollution atmosphérique contribue à une baisse de la fertilité, à une augmentation de la mortalité infantile et à un affaiblissement du système immunitaire.
Pense-bête : l’activité sportive est déconseillée lors des pics de pollution, car elle provoque une forte ventilation qui augmente notamment les risques d’inflammation des poumons »[26].
Il n’est évidemment pas question de minimiser le danger que représente le terrorisme mondial (qu’il soit athée, raciste, marxiste, sioniste, identitaire ou « islamiste »), mais les dégâts liés à la pollution sont bien plus terribles que ceux liés au terrorisme, et si d’importants efforts ne sont pas fournis à ce niveau, c’est toute l’Humanité ainsi que l’ensemble des espèces animales et végétales qui seront encore en plus grand danger. C’est pourquoi des milliers de scientifiques à travers le monde déclarent l’urgence climatique : « Un rapport signé par plus de 11 000 scientifiques issus d’un large éventail de disciplines résonne aujourd’hui comme un nouveau cri d’alarme. Selon ces experts, notre Terre fait aujourd’hui « face à une urgence climatique claire et non équivoque ». Ils proposent quelques pistes pour y faire face. « 40 ans de négociations n’y ont rien fait. Nous avons continué à nous comporter comme si de rien n’était. » C’est le constat de William Ripple, chercheur à l’université de l’Oregon (États-Unis) et chef de file d’une coalition scientifique internationale qui lance aujourd’hui un cri d’alarme. « Le changement climatique est en cours. Il s’accélère même plus rapidement que prévu par de nombreux scientifiques », poursuit l’expert. Sans changements profonds et durables visant à limiter nos émissions de gaz à effet de serre, « une souffrance humaine indescriptible » apparait inévitable. C’est la conclusion d’un rapport rédigé par l’équipe de William Ripple et signé par plus de 11.000 scientifiques issus de 153 pays. Une façon pour eux de déclarer une véritable urgence climatique. Une situation face à laquelle ils refusent toutefois de nous laisser sans quelques pistes de solutions.
Ainsi les chercheurs pointent plusieurs grands domaines dans lesquels des mesures immédiates devraient être prises pour ralentir les effets du réchauffement de la planète. Et avant tout dans le secteur de l’énergie. Secteur dans lequel les scientifiques appellent bien sûr à un remplacement immédiat des combustibles fossiles par des ressources renouvelables. Pour y parvenir, ils suggèrent de supprimer les subventions aux entreprises fortement émettrices de CO2 et d’imposer des redevances sur le carbone suffisamment dissuasives. Ils recommandent aussi de protéger — et le cas échéant de restaurer — les écosystèmes susceptibles de stocker le CO2 atmosphérique. Comme les forêts, les prairies ou les mangroves. (…) »[27].
Ainsi sans mesures immédiates visant à limiter nos émissions de gaz à effet de serre, « une souffrance humaine indescriptible » est inévitable. Et parmi les pistes proposées par d’éminents chercheurs, il y a la réduction des émissions de CO2 et d’autres polluants atmosphériques grâce entre autres à des leviers économiques et à un changement d’habitudes alimentaires. Sur le plan individuel, éviter le gaspillage et les déplacements inutiles qui impliquent des véhicules polluants, ainsi que l’usage du plastique quand c’est possible, ne pas jeter ses déchets dans la nature ou à même le sol, etc,
L’Islam, tout en proposant à l’Humanité les plus nobles idéaux tout en se gardant de commettre des actions ou des pratiques mettant en péril sa santé et la société, appelle aussi à préserver la nature et à ne pas maltraiter les animaux.
[1] Voir Lucian W. Stone, Jr., « Nasr, Seyyed Hossein (1933-) », dans John R. Shook, Dictionary Of Modern American Philosophers, vol. 3, London, Thoemmes Continuum, 2005, p. 1802.
[2] Joseph E. B. Lumbard, « Seyyed Hossein Nasr on Tradition and Modernity », dans David Marshall (Ed.), Tradition and Modernity: Christian and Muslim Perspectives, Washington, D.C., Georgetown University Press, 2013, pp. 181-182.
[3] Voir son ouvrage en anglais, Knowledge and the Sacred, éd. 1981, p. 64.
[4] Voir son interview ; Terry Moore, « Introduction », dans Ramin Jahanbegloo, In Search of the Sacred : a Conversation with Seyyed Hossein Nasr on his Life and Thought, Santa Barbara/CA, Praeger, 2010, p.17.
[5] L.E. Hahn, R.E. Auxier & L.W. Stone Jr. (Eds), The Philosophy of Seyyed Hossein Nasr, Chicago, Open Court, coll. « The Library of Living Philosophers » (no 28), 2001, p. 273.
[6] Seyyed Hossein Nasr, Knowledge and the Sacred, éd. 2007, pp. 149-150.
[7] Ibid., éd. 1989, p. 166.
[8] Ibid., p. 121.
[9] Lucian W. Stone, Jr., « Nasr, Seyyed Hossein (1933-) », dans John R. Shook, Dictionary Of Modern American Philosophers, vol. 3, London, Thoemmes Continuum, 2005, p. 1801.
[10] Voir The Essential Seyyed Hossein Nasr, 2007, p. 34.
[11] Frithjof Schuon, Regards sur les mondes anciens, p. 117.
[12] Frithjof Schuon, L’ésotérisme comme principe et comme voie, p. 209.
[13] Seyyed Hossein Nasr, Knowledge and the Sacred, éd. de 1989, pp.119-120.
[14] Titus Burckhardt, Miroir de l’intellect, éd. L’Âge d’Homme, 1992.
[15] Titus Burckhardt, Miroir de l’intellect, chapitre : Être conservateur, éd. L’Âge d’Homme, 1992.
[16] L.E. Hahn, R.E. Auxier & L.W. Stone Jr. (Eds), The Philosophy of Seyyed Hossein Nasr, Chicago, Open Court, coll. « The Library of Living Philosophers » (no 28), 2001, p. 388.
[17] Voir Ramin Jahanbegloo, In Search of the Sacred: a Conversation with Seyyed Hossein Nasr on his Life and Thought, Santa Barbara/CA, Praeger, 2010, pp. 238-239 et 242 à 246 ; et L.E. Hahn, R.E. Auxier & L.W. Stone Jr. (Eds), The Philosophy of Seyyed Hossein Nasr, Chicago, Open Court, coll. « The Library of Living Philosophers » (no 28), 2001, p. 392
[18] Rapporté par Muslim dans son Sahîh n°131, sous l’autorité de ’Abdallâh Ibn Mas’ûd.
[19] Rapporté par Muslim dans son Sahîh n°1686.
[20] Texte publié en anglais : Philosophy, Literature and Fine Arts, éd. par S. H. Islamica Education Series, Londres et Djedda, pp. 41-48, traduit par Tayeb Chouiref dans Titus Burckhardt – Le soufisme entre Orient et Occident, éd. Tasnîm, Vol. 1, 2020, p. 82.
[21] Michel Meyer, Qu’est-ce que l’argumentation ?, éd. Vrin, 2005, pp. 28-29.
[22] “Les plus gros émetteurs de CO2 au monde”, Statista, 9 novembre 2020 :
[23] “Biodiversité marine : des scientifiques s’inquiètent des effets du changement climatique sur le plancton”, Geo, 14 novembre 2020 : https://www.geo.fr/environnement/biodiversite-marine-des-scientifiques-sinquietent-des-effets-du-changement-climatique-sur-le-plancton-198620
[24] “Réchauffement climatique: 1 espèce sur 3 d’animaux et de plantes pourrait avoir disparu d’ici 2070”, BFMTV, 17 février 2020 : https://www.bfmtv.com/sciences/rechauffement-climatique-1-espece-sur-3-d-animaux-et-de-plantes-pourrait-avoir-disparu-d-ici-2070_AN-202002170074.html
[25] “7 espèces affectées par le changement climatique – dont une déjà disparue”, National Geographic : https://www.nationalgeographic.fr/environnement/7-especes-affectees-par-le-changement-climatique-dont-une-deja-disparue
[26] “Pollution atmosphérique : quel impact sur la santé ?”, Futura Sciences, 31 janvier 2020 : https://www.futura-sciences.com/sante/questions-reponses/corps-humain-pollution-atmospherique-impact-sante-4092/
[27] “11.000 scientifiques déclarent l’urgence climatique”, Futura Sciences, 10 novembre 2019 : https://www.futura-sciences.com/planete/actualites/climatologie-11000-scientifiques-declarent-urgence-climatique-69220/