Tradition vs idéologie – les anciens maîtres vs les modernistes et orientalistes

  Bon nombre de coranistes, d’orientalistes (parmi ceux qui sont peu sérieux et/ou foncièrement malhonnêtes) et modernistes se complaisent à critiquer des montagnes de science ainsi que le patrimoine juridique, théologique et spirituel de l’islam, sans y comprendre grand chose.

  La réalité est qu’ils n’ont aucune maitrise dans le Qur’ân et ses sciences, la langue arabe, les ussûl al-fiqh, l’histoire ou les sciences rationnelles (dont la logique et l’épistémologie) ou encore dans la métaphysique.

  Leur niveau intellectuel et leur bagage encyclopédique tout comme leur faible niveau spirituel font qu’ils n’arrivent pas du tout à la cheville de nos grands maîtres comme Al-Baqillânî (m. 403 H/1013), Al-Juwaynî (m. 478 H/1085), Al-Qushayrî (m. 465 H/1072), les frères Al-Ghazâlî (Abû Hâmid – m. 505 H/1111 – et Ahmad – m. 520 H/1126), Fakhr ud-Dîn ar-Râzî, (m. 606 H/1209), Shaykh al-Akbar Ibn ‘Arabî (m. 638 H/1240), Jalâl ud-Dîn Rûmî (m. 672 H/1273), ‘Izz ud-Dîn Ibn ‘Abd as-Salâm (m. 660 H/1262), Ibn Daqîd al-‘Îd (m. 702 H/1302), Shihâb ad-Dîn al-Qarâfî (m. 684 H/1285), Al-Taftazani (m. 791 H/1390), ‘Alî Ibn Muhammad al-Jurjâni, Abû Ishâq As-Shâtibî (m. 790 H/1388), Nûr ad-Dîn ‘Abd ar-Rahmân Jâmî (m. 898 H/1492), Badr al-Din al-‘Ayni (m. 855 H/1453), Sulaymân Ibn Kamâl Pasha (m. 940 H/1534), Ismâ’îl Haqqi Bursevi (m. 1137 H/1725), ‘Abd al-Ghani an-Nabulsî (m. 1143 H/1731), Al-Murtadâ al-Hussaynî al-Zabidî/Zubaydî (m. 1205 H/1790), Ahmad Ibn ‘Ajiba (m. 1124 H/1809), l’émir ‘Abd al-Qadîr (m. 1300 H/1883), Ahmad al-‘Alawî (m. 1353 H/1934) et tant d’autres.

  Et parmi les savants de notre temps nous pouvons citer Shaykh Muhammad At-Tâhir Ibn `Âshûr (m. 1973), Shaykh Ibrahim Niasse at-Tijanî (m. 1975), Shaykh `Abd Al-Halîm Mahmud al-Hussayni (m. 1978), Shaykh Ibrâhîm Al-Yaqûbî (m. 1985), Shaykh Ahmad Mashhûr Al-Haddâd al-Hussaynî (m. 1995), Shaykh Muhammad Zakî Ibrâhîm al-Hussaynî (m. 1998), Shaykh `Abd Al-Hamîd Kishk (m. 1996), Shaykh Sayyîd Muhammad Al Alawî al-Malikî al-Makkî al-Hassânî (m. 2004), Shaykh `Atiyyah Saqr (m. 2006), Shaykh Al-Habîb `Abd Al-Qâdir As-Saqqâf (m. 2010), Shaykh Rajâb Dîb (m. 2016), Shaykh Abû al Asfar ‘Alî Muhammad al-Balkhi (grand savant et saint d’Afghanistan – Sûfi naqshbandi, m. 2018), Shaykh Muhammad Salîm al-Is’irdî (logicien, juriste shafiite, parlait arabe, turc, persan et le turc, décédé le 12 juin 2020), Shaykh Mahmûd Efendi An-Naqshbandi (m. 2022), Shaykh Al-Habîb `Umar Ibn Hafîdh al-Hussaynî, Shaykh Sayyid Habib Kazim al-Saqqaf al-Hussaynî, Dr. Ali al-Omari, Dr. Hamza al-Bakri, Shaykh René Guénon, Shaykh Martin Lings, Shaykh Titus Burckhardt, Shaykh Muhammad Valsân, Michel Chodkiewicz, Muhammad Hamidullah, Dr. Fuat Sezgin, , Shaykh Seyyed Hussein Nasr, Taha Abdarrahmane (du Maroc), Dr. Denis Gril, Dr. Tayeb Chouiref, Dr. Asad Q. Ahmed et tant d’autres.

  Leur maitrise de la logique, de l’épistémologie, des textes de l’Islam et de son patrimoine spirituel, juridique et théologique, et leur haute stature spirituelle (pour les maîtres et éducateurs spirituels parmi eux) – et ceux qui les ont suivi de nos jours dans cette voie – dépassent de très loin la compréhension limitée et superficielle des modernistes, des orientalistes et des coranistes, qui proposent des analyses lacunaires et souvent binaires, pour ne pas dire médiocres pour un certain nombre parmi eux, et purement propagandistes et calomniateurs pour d’autres.

  Il suffit de comparer la qualité des travaux de nos grands maîtres (mais qui demande du temps, à la fois pour lire leurs ouvrages – et ne pas se contenter que de quelques citations ici et là) et le fait que leurs œuvres étaient globalement bénéfiques – avec celle des modernistes et coranistes, dont les contradictions, l’absence de rigueur intellectuelle et la myopie intellectuelle sautent aux yeux, et ne cherchant ni à plaire à Allâh, ni à cultiver la piété et la sagesse, ni à être équitables envers nos maîtres du passé, en plus de falsifier leurs positions  ou textes et de chercher à les diaboliser. Néanmoins, certains « réformistes » (qui peuvent être d’orientation « traditionnelle » ou non d’ailleurs) que l’on pourrait qualifier de sérieux et d’intéressants méritent le respect pour la qualité de leurs travaux et leur intention noble, lorsqu’ils s’évertuent à se raccrocher au Qur’ân, à la Sunnah purifiée, aux notions de justice et de compassion, et qui ne rejettent pas ni ne dénigrent tout ce qui a été fait d’utile, de louable et de bénéfique au sein du patrimoine islamique.

 Le niveau des modernistes, loin d’avoir bénéficié de la sagesse et du savoir des anciens, s’est englué dans les ténèbres de l’ignorance et de l’arrogance, où il n’y a plus de place pour la nuance et la profondeur, et où leurs débats se transforment en querelles d’ego – même si cela existait aussi par le passé, mais sans l’érudition que détenaient les anciens -, sans aucune perspective réaliste, élévatrice et salvatrice. En cela, ils se conforment dans le moule de la modernité à travers son consumérisme, ses passions, sa propension à l’ignorance et à tout juger avant même d’avoir étudié sérieusement les sujets dont ils parlent, mais où tous veulent absolument donner leurs avis répréhensibles et personnels sur toutes les questions qui animent les réseaux sociaux. Eux-mêmes, souvent sans le savoir, sont conditionnés et illusionnés par bon nombre d’idéologies modernes et de superstitions qui sont aux antipodes de l’islam (comme le matérialisme, le scientisme, le consumérisme, le sécularisme, le darwinisme, le néolibéralisme, le communisme, le capitalisme, le littéralisme, le rigorisme, le tribalisme, le fanatisme, l’individualisme, le sionisme, le new-âge, le colonialisme occidental, etc. selon les cas).

  Ceci étant dit, dans ce qu’ont pu rapporter ou dire les plus grands savants du passé, plusieurs choses sont à garder à l’esprit :

1) Ils ne sont pas infaillibles et ont pu se tromper sur certains points juridiques, scientifiques ou théologiques.

2) Avant de les critiquer ou de les dénigrer, il convient de s’assurer qu’ils sont bien les auteurs des textes qu’on leur impute ou reproche, vérifier s’ils ont révisé leurs anciens jugements (car avec l’expérience, la maturité et une science plus vaste, nous avons souvent tendance à revoir nos avis au fil du temps), et d’abord savoir si c’est ce qu’ils ont réellement voulu dire par là.

3) Certains avis juridiques sont liés aux coutumes de l’époque, et selon leurs propres méthodologies et fondements juridiques, si la coutume change, leurs avis en lien avec la culture et la société peuvent changer ou être délaissés lorsque les conditions et coutumes changent également.

4) Certains passages dans leurs commentaires du Qur’ân et de la Sunnah peuvent être erronés, ou en partie influencés par la culture ou les arguments d’autorité de leur époque, ou biaisés car ils n’avaient pas connaissance de la faiblesse de certains récits, ou de l’existence de ahadiths plus solides.

5) Pour une partie d’entre eux, tout comme pour beaucoup de modernistes de notre époque, certaines décisions juridiques ou orientations politiques étaient dictées par leur affiliation à un pouvoir politique (pas toujours clairvoyant ni très juste), ou tout simplement par suivisme de leurs vices et de leurs passions. Il faut ainsi distinguer le sunnisme traditionnel du sunnisme officiel (qui falsifie ou étouffe en quelque sorte le sunnisme originel), et de même pour le shiisme traditionnel du shiisme officiel (lorsqu’il est exercé au niveau politique), ainsi que pour le mu’tazilisme originel et le mu’tazilisme officiel, et ainsi de suite, jusqu’aux régimes sécularisés de notre temps qui déforment et instrumentalisent leur idéologie officielle (aussi blâmable et/ou illusoire qu’elle soit à l’origine) comme la démocratie, la laïcité, le communisme, le « Progrès », etc., afin de massacrer des populations, enfermer ou persécuter des opposants politiques, détruire des pays, piller et asservir des nations entières comme l’ont fait les puissances coloniales britannique, française, belge, hollandaise, allemande américaine, sioniste et russe tout au long des 300 dernières années, avec un bilan désastreux de plus de 300 millions de morts directs, et avec un bilan tout aussi tragique parmi les victimes indirectes.

6) Aussi à l’époque les disciples, tout en respectant leurs maîtres, n’hésitaient pas à diverger d’eux ou à montrer leur désaccord sur certains sujets, manifestant ainsi leur indépendance intellectuelle et leur recherche personnelle de la Vérité.


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