Réflexion sur l’esclavage, la société et la justice

Depuis quelques décennies, le sujet de l’esclavage revient souvent dans les débats, et l’approche intellectuelle couplée à une approche historique est souvent délaissée au profit de considérations purement idéologiques et passionnelles.

Dans le cadre de l’Islam, l’esclavage et ses différentes formes ont fait l’objet d’un certain nombre d’exigences éthiques et de statuts juridiques. Si l’idéal est bien l’affranchissement, l’Islam n’abolit pas nécessairement religieusement les contingences historico-sociales, mais institue un cadre éthique visant à rappeler à tous les acteurs de la société l’idéal éthique et les limites légales à respecter pour éviter les abus et s’en affranchir (des pratiques sociétales qui ne sont ni nécessaires ni bénéfiques) si possible.

 Ainsi, le Qur’ân mentionne la « mukatabah », qui est le contrat d’affranchissement accordé à l’esclave qui demande sa liberté en échange d’une somme d’argent convenue avec son maître. Et le « ‘Itq’ » qui est l’affranchissement volontaire de l’esclave sans contre-partie accompli par le maître de son propre chef. La preuve légale pour la mukatabah peut être trouvée dans ce verset qurânique notamment : « Ceux de vos esclaves qui cherchent un contrat d’affranchissement, concluez ce contrat avec eux si vous reconnaissez du bien en eux » (Qur’ân 24, 33).

La preuve légale pour le ‘Itq’ est mentionnée notamment dans ce verset : « Les aumônes ne sont destinées que pour les pauvres, les indigents, ceux qui y travaillent, […] pour l’affranchissement des esclaves » (Qur’ân 9 , 60).

Par le passé, les esclaves se satisfaisaient de leur condition pour la plupart tant qu’ils étaient bien traités : « Adorez Allâh et ne Lui donnez aucun associé. Agissez avec bonté envers (vos) père et mère, les proches, les orphelins, les pauvres, le proche voisin, le voisin lointain, le collègue et le voyageur, et les domestiques sous votre responsabilité, car Allâh n’aime pas, en vérité, le présomptueux, l’arrogant » (Qur’ân 4, 36). L’ordre d’agir avec bonté exclut la tyrannie, l’injustice, l’agression verbale ou physique, la maltraitance ou le meurtre. Ceux qui étaient maltraités pouvaient porter plainte auprès des juges et des gouverneurs, comme cela est mentionné dans de nombreux livres d’histoire et de droit, et nous avons quelques exemples avec le calife ‘Umar ibn al-Khattâb qui donna raison à des esclaves contre leurs maîtres/responsables qui firent preuve d’injustice.

La possession d’esclaves et/ou de servants n’était donc pas perçue comme une injustice en soi.  La question de l’esclavage, est une obsession moderne, le contexte particulièrement houleux et délicat de l’histoire occidentale avec la traite négrière, l’expliquant certainement en partie. Toutefois, la forme ancienne de l’esclavage n’a plus de raison d’être, et ne doit jamais s’accompagner des abus et des dérives que l’on connait, et est liée à une mentalité et à des pratiques propres au passé (ou révolues) de nouvelles formes d’esclavages ont vu le jour dans le monde moderne – plus pernicieuses car économiques plus que physiques- mais perdurent dans de nombreux pays du monde, instituées et pratiquées par des multinationales européennes, américaines et chinoises.

L’état d’esprit, les us et coutumes (ou les pratiques) d’une époque ne peuvent pas être transposés à d’autres époques puisque les perceptions changent considérablement, et ce, même au sein d’une période donnée (d’un pays à un autre par exemple en raison du droit qui y est appliqué à cet instant). De nos jours, pour certains, être ouvrier est perçu comme étant un travail pénible, dangereux, sous-payé et asphyxiant, alors que beaucoup d’ouvriers eux-mêmes se satisfont de leurs conditions de vie, car ils sont adaptés pour cela, et n’ont pas d’autres aspirations ou ambitions, alors que pour d’autres personnes, ce métier est perçu comme une prison ou comme étant un fardeau difficile à supporter conduisant à la dépression. Et il en va de même pour plein d’autres métiers modernes.

Là où l’éthique (adab/akhlaq) de l’Islam est très exigeante et conduit le musulman sur la voie de la Sainteté, le fiqh comporte un certain laxisme prenant en compte les faiblesses et le niveau inférieur des musulmans pêcheurs, pour ne pas les exclure de l’Islam ni de la Miséricorde Divine, tout en leur donnant un cadre propice à éviter de succomber impunément à toutes leurs passions. C’est aussi, selon le Qur’ân, un critère pour distinguer ceux d’entre les musulmans, qui aspirent vraiment à la piété et à la sagesse, en comparaison à ceux qui s’y montrent plutôt réfractaires, sans pour autant les exclure de la sphère de la communauté.

C’est ce qui provoque parfois une impression (tantôt biaisée tantôt fondée) de décalage entre l’idéal islamique et les conceptions juridico-politiques de certains courants et individus.


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