Beaucoup d’islamophobes prétendent qu’Allâh ou le Qur’ân seraient dépourvus de notions en lien avec l’Amour, – et les athées parmi eux sont contradictoires à ce sujet car beaucoup d’athées matérialistes contestent même l’existence de l’amour -. Or rien n’est plus faux en ce qui concerne l’Islam, car outre les Noms ar-Rahmân et ar-Rahim qui englobent et expriment l’idée d’un Amour rayonnant, il y a aussi le Nom Al-Wadûd. Selon l’imâm Fakhr ud-Dîn ar-Râzî, au chapitre 41 de son Traité sur les Noms divins Lawâmi’ al-Bayyinât fî al-asmâ’ wa al-Sifât : « Al-Wadûd : Le Bien-Aimant et le Bien-Aimé, le Constant en amour, le Tout-Affectueux. Allâh a dit : « Et c’est Lui le Pardonneur, le Tout-Affectueux » (Qur’ân 85, 14).
1) Signification de ce Nom
Le nom d’action wadd dont dérive ce nom signifie l’amour ou l’affection (hubb).
On distingue 3 aspects dans l’interprétation de ce nom :
1- Al-Wadûd a le sens de al-wâdd, le Bien-Aimant, Celui qui aime Ses serviteurs ainsi qu’Allâh dit:
« … un peuple qu’Il aime et qui L’aime (yuhibbuhum wa yuhibbûnahu) … » (Qur’ân 5, 54), car Il aime Ses serviteurs ; c’est dire qu’Il veut les faire parvenir aux réalités les meilleures.
Sache que, dans cette interprétation, l’amour (wadd) est proche de la Miséricorde (rahma), celle-ci toutefois exige, à la différence de l’amour, un être faible qui est l’objet de cette miséricorde. En outre, le bienfait prend naissance des fruits de l’Amour.
2- Al-Wadûd est Celui qui porte les êtres à aimer les créatures comme il apparaît dans ce verset : « le Tout Miséricordieux accordera Son amour » (Qur’ân 19, 96).
3- Al-Wadûd a le sens de al-Mawdûd, le Bien-Aimé. Allâh est Bien-Aimé par Ses Saints en raison de la plénitude de bienfaits qu’Il leur procure.
2) Participation du serviteur à ce Nom
Le serviteur montrera beaucoup d’amour pour les êtres selon les prescriptions de la Loi révélée. C’est pour cette raison que le Prophète (ﷺ) après avoir eu les dents de devant brisées (pendant la bataille d’Uhud, s’adressa à son Seigneur en ces termes : « Ô mon Dieu, guide les gens de mon peuple car ils ne savent pas ! ». Il dit à ‘Alî (sur lui la Paix) : « Si tu veux précéder les Rapprochés (muqarrabûn), prie (Allâh) pour celui qui te persécute, donne à celui qui te refuse et sois indulgent envers celui qui te lèse ».
3) Dires des maîtres sur ce Nom
Ils soutiennent qu’une des caractéristiques de l’amour (mahabba) est de ne pas s’accroître dans la fidélité ni décroître dans l’infidélité. As-Shiblî se trouva dans un asile d’aliénés. Des gens s’empressèrent vers lui. Il leur demanda : « Qui êtes-vous ». Ils répondirent : « Nous sommes tes amis ». Il se mit alors à leur lancer des pierres et ils se sauvèrent. Shiblî leur répliqua : « Si vous étiez mes amis, vous ne vous enfuiriez pas devant cette épreuve ! ».
On a dit : « Al-Wadûd est Celui qui témoigne de l’amour à Ses Saints en leur donnant Sa Connaissance, aux pécheurs en leur accordant Son indulgence et Sa miséricorde, et à tout un chacun en assurant la subsistance et la suffisance qui proviennent de Lui ». On a dit : « Al-Wadûd est Celui qui te détache d’autrui et fais disparaître de ton coeur la considération des formes et des êtres lorsqu’Il t’aime » ».
Le linguiste, islamologue, traducteur et spécialiste de la théologie et de la spiritualité musulmane, Maurice Gloton, dans son essai de traduction du Qur’ân (éd. Albouraq) écrivait : « Les deux Noms Rahmân et Rahim dérives de la racine RHM. Mentionnée 339 fois clans le Qur’ân, la racine RHM exprime l’endroit dilatable qui se contracte et dans lequel est déposée la semence qui actualise un processus d’amour, d’où l’idée de matrice, d’amour expansif, de rayonnement, de germination. Dans cette perspective, ce terme garde une relation très étroite avec le sens de la racine HBB. En effet, celle-ci signifie aimer. Deux termes fondamentaux en découlent : hubb, amour séminal et habba, graine, ou semence prégnante d’amour. Pour ces raisons, nous avons rendu les deux Noms divins qui en sont issus par : le Tout-Rayonnant d’Amour et le Très-Rayonnant d’Amour. Les Noms Miséricordieux ou Compatissant par lesquels ils sont très souvent traduits suggèrent, pour le premier, un coeur qui prend pitié, et, pour le second, le fait de « pâtir ou souffrir avec ». Ces traductions laissent alors échapper les acceptions principales que comporte cette racine. De plus, issues de cette racine commune, ces deux Noms divins doivent être traduits par une expression qui prend en compte leur même racine : rayonnement d’Amour, le Tout-Rayonnant d’Amour comportant une signification plus universelle que le second, le Très-Rayonnant d’Amour, comme l’indiquent la plupart des théologiens musulmans ».
Il y a par ailleurs aussi les Noms Al-Ra’ûf (Le Très-Bienveillant) et Al-Barr (Le Bon, Le Bienveillant), que les islamophobes oublient souvent de mentionner…
Le Shaykh Al-Akbar Ibn ‘Arabî – le Shaykh orthodoxe – que certains orientalistes ont tenté de déformer, comme par exemple dans son poème où il évoque les différentes doctrines et formes religieuses, amputant les développements des points évoqués par Ibn ‘Arabî. Charles-André Gilis dira : « S’il est bien exact qu’Ibn Arabî a pu écrire : « Mon cœur s’est ouvert à toutes les formes : il est un pâturage pour les gazelles et un couvent de moines chrétiens, etc. », il n’en demeure pas moins que nul peut-être plus que le Sheikh al-Akbar n’a insisté sur le respect scrupuleux de la Loi islamique et même sur les possibilités qu’elle comporte comme support des réalités d’ordre initiatique. Mais de cela, naturellement, M. Corbin ne souffle mot »[1].
Ils l’ont amputé ainsi de son dernier vers qui est : Lâ ilâha illâ Llâh : il n’y a de dieu qu’Allâh. Et voici le commentaire d’Ibn ‘Arabî sur ce fameux poème tant cité et décrié : « 13. « Mon cœur s’est ouvert à toutes les formes ». “Ainsi qu’un autre a dit : « Le cœur (el-qalb) est ainsi nommé pour sa faculté de changement (taqallub – mot de même racine Q L » car il varie suivant les influences diverses par lesquelles il est affecté, en conséquence de la variété de ses états spirituels (ahwâl) ; et la variété de ses états est due à la variété des manifestations divines (théophanies – tajalliyât ilâhiyya) qui apparaissent dans son secret (sirr)”. « Un pâturage pour les gazelles », c’est-à-dire pour les objets de son amour, les gazelles symbolisant l’amour des bien-aimés pour les amants. « Un couvent de moines chrétiens [dayr li-ruhbân) » : représentant les bien-aimés comme des moines, il appelle le cœur un couvent. On compare les amoureux aux moines à cause de leur vie vouée entièrement à Dieu, de même le cœur est assimilé à un temple consacré qui est la demeure des religieux et l’endroit où ils se tiennent pour l’adoration. 14. « Un temple d’idoles [bayt al-awthân) » ; il s’agit de réalités divines que les hommes recherchent, et pour lesquelles ils adorent Allâh. « La Ka’ba du pèlerin » : Parce que son cœur est entouré d’esprits élevés (aptitudes angéliques –açhâb almalakât al malakiyya-) et quand le cœur est ainsi entouré, il est appelé ka’aba. « Les tables de la Thora » : Son cœur est une table sur laquelle sont inscrites les sciences mosaïques qui se sont manifestées en lui. « Le Livre du Qur’ân » Parce que son cœur a reçu l’héritage de la parfaite connaissance Muhammédienne. (ma’ârif muhammadiyya kamâliyya) 15. « Je pratique la religion de l’Amour –dîn al-hubb-) » : Cela fait allusion au verset : « Si vous aimez Allâh, conformez-vous à moi, Allâh vous aimera » (Coran III, 29) « Dans quelques directions que ses chameaux s’avancent » : « J’accepte volontairement et joyeusement toute charge qu’II m’imposera ». « L’amour est ma religion et ma foi ». « Aucune religion n’est plus élevée qu’une religion fondée sur l’Amour et sur le désir ardent de Celui que j’adore et en qui j’ai foi et qui l’ordonne mystérieusement. Telle est la caractéristique des spirituels de type Muhammadien. Car Muhammad -sur lui la Grâce et la Paix de Dieu- a sur les autres prophètes le privilège de la station de l’amour parfait ; et bien qu’il soit aussi élu, confident, ami intime et d’autres qualifications parmi celles qui sont reconnues aux Prophètes, Dieu lui accorda une faveur supplémentaire, celle de l’avoir pris comme amoureux (habib), c’est-à-dire amant (muhibb) et aimé (mahbûb). Or, j’ai hérité de sa voie »[2].
L’imâm Abû Hâmid Al-Ghazali dans Le livre de l’Amour (tome 36 du Ihyâ’) relate : « ‘Abd al-Wâhid Ibn Zayd raconte également ce qui suit : « Je passai un jour devant un homme qui se tenait sur de la neige. Je l’interrogeai : ‘’N’as-tu pas froid ?’’ Il me répondit : ‘’Quiconque est préoccupé par l’amour de Dieu ne ressent pas le froid.’’ » Sarî as-Saqatî a dit quant à lui : « Au Jour du jugement, les communautés seront appelées du nom de leur Prophète. On leur dira ainsi :’’Ô communauté de Moïse, ô communauté de Jésus, ô communauté de Muhammad !’’ Mais ceux qui cultiveraient l’amour de Dieu feront exception. On les appellera ainsi : ‘’Ô saints de Dieu, venez auprès de Dieu !’’ Leurs cœurs bondiront presque de leurs poitrines tant leur joie sera grande ».
Haram Ibn Hayyân a dit aussi : « Le croyant, lorsqu’il connaît son Seigneur, l’aime. Et lorsqu’il L’aime, il fait route vers Lui. Puis quand il ressent combien il est doux d’allers vers Lui, il n’aborde plus cette vie avec concupiscence, et n’envisage plus l’au-delà avec nonchalance. Il est désabusé par ce bas-monde, et tend à la paix de l’autre-monde ».
Yahyâ Ibn Mu’âdh a dit pour sa part : « Son pardon dissout les péchés, alors que dire de Son agrément ? Son agrément dissout les espoirs, alors que dire de Son amour (hubb) ? Son amour stupéfait les esprits, alors que dire de Son amour essentiel (wudd) ? Son amour essentiel fait oublier tout ce qui n’est pas Lui, alors que dire de Sa subtile mansuétude ».
Un livre mentionne à ce sujet que le Seigneur a dit : « Mon serviteur, J’en jure par le droit que tu as sur Moi, Je t’aime. Alors par le droit que J’ai sur toi, aime-Moi ! ».
Yahyâ Ibn Mu’âdh disait encore : « Le poids d’une graine de moutarde d’amour m’est plus cher qu’une adoration pendant 70 ans sans amour » ».
Ibn al-Qayyîm rapporte dans son Madârij al Sâlikîn les récits suivants :
Le Prophète Dawûd (‘alayhî salâm) a dit : « Seigneur ! Comment vais-je Te remercier alors que mon action de grâce pour toi est un bienfait pour moi de Ta part qui mérite que je Te remercie ?”. Allâh lui dit : “Maintenant tu m’as rendu grâce, ô Dawûd ».
Un hadith qudsî relate qu’Allâh a dit : « Les habitués à Ma mention sont ceux qui Me fréquentent. Les habitués à Mon remerciement sont ceux qui méritent le surplus de Ma part. Les habitués à Mon obéissance sont ceux qui bénéficient de Ma largesse (générosité). Quant aux habitués à Ma désobéissance, Je ne les désespère pas de Ma Miséricorde. S’ils se repentent, Je suis leur Bien-Aimé, et s’ils ne se repentent pas, Je suis leur Médecin. Je les éprouve par les “malheurs” pour les purifier des défauts ».
De même, ‘Abdullah ibn Yazîd al-Khâtamî relate que le Prophète Muhammad (ﷺ) a dit : « Mon Dieu ! Procure-moi Ton Amour et l’amour de celui qui me serait bénéfique auprès de Toi. Mon Dieu ! De ce que Tu m’accorderas, parmi ce que j’aime, fait que cela soit pour moi une force dans ce que Tu aimes, et de ce que Tu me prives parmi ce que j’aime, fais que cela soit finalement consacré à ce que Tu aimes ! ».
L’amour à l’égard des créatures d’Allâh, implique le fait de vouloir leur bien, mais non pas d’aimer les actes ou pensées qui s’opposent à l’Amour et au Bien, comme la haine, la violence gratuite, l’injustice ou la négation de l’Amour et du Beau Divin. Cela implique donc d’une part, le fait de vouloir le bien des gens, mais aussi de réprouver tout acte ou toute forme de pensées ou d’idéologies s’opposant à cela. Ainsi dans le Qur’ân, Allâh n’agrée pas les transgresseurs (2, 190 ; 5, 87 et 7, 55), le désordre et les semeurs de désordre (2, 205 et 5, 64), les injustes (3,57 ; 3, 140 et 42, 40), le présomptueux, l’arrogant, (4, 36 et 28, 76), les gaspilleurs (6, 141), les excessifs (7, 31), les corrupteurs (28, 77), etc. Autrement dit, tous les caractères vils (qui apparaissent en l’absence des qualités nobles) pour l’être humain.
Thawr ibn Zayd rapporte ce qui suit : « Allâh – qu’Il soit exalté – a regardé Dâwûd (le Prophète David) – que la paix soit sur lui – alors qu’il était solitaire et isolé. Allâh lui dit : « Pourquoi es-tu dans la solitude et l’isolement ? ». Dawûd répondit : « Pour Toi j’ai manifesté mon hostilité envers les créatures ». Allâh lui dit : « Ne sais-tu pas que Mon amour implique que tu sois affectueux avec Mes serviteurs et que tu les combles de tes faveurs ? Voilà comment je t’inscrirai parmi Mes amis et Mes bien-aimés. Car si tu es ainsi, ton nom figurera dans le registre des gens de l’amour » »[3].
Le Prophète Jésus (‘Issa), – ‘alayhî salâm – dit : « Celui qui aime Allâh aime les épreuves ». Et on raconte qu’un jour il rencontra un grand groupe d’adorateurs qui s’étaient flétris à force d’adoration, comme des outres usées. « Qui êtes-vous, demanda-t-il ? – Nous sommes des adorateurs, répondirent-ils. – Pourquoi adorez-vous ? – Allâh a mis en nous la crainte de l’enfer, et nous avons peur. – Il appartient à Allâh de vous sauver de ce que vous craignez », dit Jésus. Alors Jésus s’éloigna, et il rencontra d’autres adorateurs encore meilleurs. « Pourquoi adorez-vous ? demanda-t-il. – Allâh nous a donné le désir du paradis et de ce qu’il y a préparé pour ses amis. C’est cela dont nous avons l’espoir. – Il appartient à Allâh de vous donner ce que vous espérez », dit Jésus. Puis il partit, et il rencontra d’autres adorateurs. « Qui êtes-vous ? Dit-il. – Nous sommes ceux qui aiment Allâh. Nous ne L’adorons pas par crainte de l’enfer ni par désir du paradis, mais par amour pour Lui et pour Sa très grande gloire. – Vous êtes vraiment les amis de Allâh, et c’est avec vous qu’il m’a été ordonné de vivre ». Et il s’installa parmi eux »[4]. Dans une autre version, on rapporte qu’il a dit aux deux premiers groupes : « C’est une chose créée que vous craignez et une chose créée que vous aimez », et au troisième groupe : « Vous êtes vraiment les plus proches d’Allâh ».
C’est comme un enfant à l’égard de ses parents. Il peut exécuter leurs ordres par crainte d’une punition, par espoir d’une récompense, ou par amour parental en soi, et c’est cette dernière perspective qui constitue le degré le plus élevé, tout comme pour les amoureux d’Allâh, car même s’il n’y aurait ni de récompense ni de châtiment, Il mériterait notre obéissance de par Sa Majesté. Dans la dualité, les oppositions forment parfois un équilibre (espoir-crainte), mais celui qui aspire totalement à Son Amour, et donc à l’Un, la station de l’amour englobe et transcende toute chose, et prend plaisir à accomplir Son Ordre par pur amour, pour Lui-même, car rien de plus élevé que Lui n’est possible et n’existe. Il n’y a donc pas de « kufr » (mécréance) dans ces paroles, tant qu’il n’y a pas de rejet du Paradis, de l’Enfer, des récompenses et des « corrections » infligées en cas de transgressions (sauf par Pardon Divin). En effet, il s’agit simplement d’adorer Allâh pour Lui-même et non pas d’adorer Allâh pour autre que Lui, car le Paradis et l’Enfer sont des choses créées. Pour autant, il faut reconnaitre l’existence du Paradis et des récompenses accordées par Allâh d’une part, et l’enfer et la correction d’Allâh d’autre part en cas de transgression. Si le meilleur adorateur est bien celui qui adore Allâh pour Lui-même (car même si le Paradis et l’Enfer n’existaient pas, Allâh mériterait tout de même qu’on L’adore), cela n’implique pas de renier l’existence du Paradis et de l’Enfer, comme états existentiels supra-physiques ayant leur raison d’être. Par contre ceux qui ont un autre but qu’Allâh, cherchant avant tout l’espoir du Paradis ou se préserver de l’enfer, plus que d’adorer Allâh et de Le contempler (le plus haut plaisir céleste), manifestent une faiblesse dans leur foi. Allâh est le But et rechercher Sa Satisfaction est ce qu’il y a de plus noble et important, indépendamment de la question du Paradis et de l’Enfer, qui existent, qui ont leur raison d’être et qu’il ne faut certes pas mépriser, mais qui demeurent des créatures, et donc qui sont secondaires par rapport à Allâh.
L’amour spirituel transcende la dualité crainte-espoir, pour être absorbé totalement par l’Un, et ainsi se conformer totalement à Sa Volonté, en se dépouillant des limites du mental et de l’ego. Mais dans l’état de la dualité, il faut garder à l’esprit qu’il faut garder espoir en Sa Miséricorde et en Son Pardon en cas de transgression et de péché, mais aussi la crainte en cas de transgression pour ne pas s’enfoncer davantage dans la mécréance, l’injustice ou les vices de l’âme, et avoir conscience de ces deux choses permet de trouver un certain équilibre. Ces deux perspectives, que l’on peut retrouver dans les enseignements d’un même maître, ne se contredisent donc pas, car elles partent de deux perspectives différentes, qui correspondent aussi à des degrés spirituels distincts.
Il est rapporté que notre maître Abû Bakr (‘alayhî salâm) a dit : « Il y a 3 catégories de dévots (adorateurs d’Allâh) ; chacun d’eux est reconnaissable à 3 signes : le premier adore Allâh le Très-Haut, par crainte, le second par convoitise/espoir et le troisième par amour.
La première catégorie de dévots est reconnaissable à 3 signes : le dévot se méprise, il mésestime ses mérites et surestime ses péchés.
La seconde catégorie de dévots est reconnaissable à 3 signes : le dévot (en dehors des prophètes) est pour les gens un modèle en toutes circonstances, il est le plus généreux d’entre eux en ce monde et celui qui, de toutes les créatures, se fait la meilleure opinion d’Allâh.
La troisième catégorie de dévots est reconnaissable à 3 signes : le dévot donne sans sourciller ce qui lui est le plus cher dès lors qu’il agrée son Seigneur, il œuvre à tout ce qui contrarie son ego dès lors qu’il agrée son Seigneur, et il est en toute circonstance avec son Maître (Allâh) quand il ordonne (une chose) ou interdit (une chose) »[5].
Le degré de l’amour surpasse et transcende les deux autres degrés (la crainte et l’espoir), comme dans les versets suivants : « Il est des gens qui donnent leur vie pour l’Agrément d’Allâh » (Qur’ân 2, 207) et « Allâh a promis aux croyants et aux croyantes des jardins (célestes) sous lesquels coulent des ruisseaux et où ils séjourneront éternellement, ainsi que des demeures agréables dans les Jardins d’Eden. Mais l’agrément d’Allâh vaut mieux encore ; là est l’immense succès » (Qur’ân 9, 72).
Notre imâm ‘Alî disait : « Tous les extrêmes mènent à l’erreur, le juste milieu est ce qu’il y a de mieux, il porte la marque du Livre sacré et l’influence de la prophétie »[6].
Ainsi que : « Certains adorent Allâh par convoitise, c’est l’adoration des commerçants. D’autres par crainte, c’est la condition des esclaves. Enfin, d’autres adorent Allâh par remerciement, c’est l’apanage des hommes libres »[7].
Selon une autre traduction/version possible : « Il y a des gens qui ont adoré Allâh pour le paradis, [pour un bienfait et ainsi] pour Le remercier, cette adoration est celle des salariés ; il y a des gens qui ont adoré Allâh par ce qu’ils ont peur, c’est l’adoration des esclaves ; il y a des gens qui ont adoré Allâh par reconnaissance et par amour pour Lui, c’est l’adoration des gens libres ».
Ainsi que : « Je ne T’ai pas adoré par crainte de l’enfer, ni par désir de Ton Paradis. Je T’ai trouvé en soi digne d’adoration et d’amour, alors je T’ai adoré », ce qui rejoint en quelque sorte le hadîth du Prophète qui dit que même si ses péchés lui étaient pardonnés et que le Paradis lui était promis, cela ne l’empêcherait pas de continuer à être patient, à demander pardon et à invoquer Allâh. Selon ‘Aîsha, en effet, le Prophète priait durant la nuit jusqu’à fendiller la peau de ses pieds. « Je lui dis : “Pourquoi fais-tu tout cela alors qu’Allâh t’a effectivement pardonné tes fautes passées et futures ?”. Il dit : “Ne serais-je pas un serviteur reconnaissant” »[8]. Cela signifie que par pur Amour (et gratitude), Allâh mérite en soi d’être adoré, indépendamment du reste (des choses créées, des promesses, des récompenses ou des châtiments, qui au final, ne sont que des manifestations et des conséquences de Ses Attributs, et non pas de Son Essence pure). On n’adore pas des choses créées, mais que Celui qui est incréé, c’est-à-dire Allâh. Car si le but n’était que le Paradis, alors le Prophète Muhammad n’aurait pas continué à prier et à agir noblement, puisque le Paradis lui était déjà garanti.
En ce sens, il a été rapporté aussi : « Allâh a révélé ce qui suit au Prophète Dawûd : « Qui est plus infâme que celui qui M’adore par peur de Mon feu et par désir de Mon Paradis ? Si je n’avais pas créé un Paradis et un feu, n’aurais-Je pas été digne d’être obéi ? »[9].
Notre maître Abû Bakr a dit : « Celui qui a goûté au pur amour d’Allâh Le Très-Haut, finit par abandonner le désir du monde d’ici-bas ». Et selon une autre version : « Celui qui goûte à la pureté de l’amour d’Allâh s’éloigne devant tout ce qui est autre qu’Allâh et se prive pour Allâh de tout ce qu’il désire (parmi les choses éphémères de ce bas-monde) ! »[10]. Selon une autre version encore : « Goûter au pur amour d’Allâh dispense de rechercher ce monde et éloigne de la société des hommes ».
Il a encore été rapporté à son sujet qu’il a dit : « Il existe 5 obscurités, et 5 lumières (pour en sortir) : – L’amour de ce bas-monde est une obscurité, sa lumière est la piété. – Le péché est une obscurité, sa lumière est le repentir. – La tombe est une obscurité, sa lumière est : « La ilaha illa’Llah, Muhammad rasulu’Llah ». – L’autre monde est une obscurité, sa lumière est les bonnes actions. – Le Pont est une obscurité, sa lumière est la certitude (spirituelle) »[11].
Al-Hassan al-Basrî disait : « Celui qui connaît son Seigneur, L’aime, et celui qui connaît le bas monde, renonce à lui »[12].
Ibn Qayyim al-Jawziyya dans son Rawdat al-muhibbin wa nuzhat la-mushtaqin[13] rapporte les paroles de grands imams du passé parmi les salafs, à propos de l’Amour dans l’adoration. Le grand maître spirituel et juriste Junayd a dit : « J’entendis al-Harith al-Muhasibî dire, l’amour est quand tu t’inclines complètement envers quelque chose, ensuite la préférence de cette chose sur soi-même et sur ton esprit et tes possessions, ensuite la conformité avec cette chose intérieurement et extérieurement, et la réalisation de ta faiblesse dans ton amour pour Lui ». Abdullah ibn al-Mubarak a dit : « Quiconque auquel est donné une portion d’amour et auquel il n’est pas donné une équivalence de piété, a été lésé ». Yahya bin al-Muadh al-Razi a dit : « Un amour du poids d’un atome est préférable pour moi que d’adorer plus de 70 ans sans amour ».
Abû Bakr al-Qattani a dit : « Il y avait une discussion au sujet de l’amour (d’Allâh) à la Mecque au cours du pèlerinage et les savants en parlèrent. Junayd était le moins âgé d’entre eux et ils dirent : ‘’Dis ce que tu possèdes ô Iraqi (Junayd)’’. Il baissa sa tête par déférence et ses yeux se remplirent de larmes, ensuite il dit : ‘’Un adorateur se laissant lui-même, connecté avec le souvenir de son Seigneur, debout avec l’accomplissement de ses obligations, Le regardant avec son cœur, lequel cœur est consumé par la lumière de son Essence, sa soif est satisfaite du verre de Son amour, et s’il parle c’est par Allâh, et s’il met en garde c’est de la part d’Allâh, et s’il se déplace c’est sur l’ordre d’Allâh, et s’il est silencieux c’est qu’il est avec Lui, et il est par Allâh, il est pour Allâh, il est avec Allâh (fa huwa billahi wa lillahi wa’allahi). Les savants s’exclamèrent et dirent : ‘’Il n’y a rien au-dessus de ceci, qu’Allâh te renforce, couronne des Connaisseurs !’’ ». Ces mots de Junayd sont liés aux enseignements islamiques, notamment par le hadith qudsi (dire inspiré) fort connu rapporté par al-Bukhari dans son Sahîh, sous l’autorité de Abû Hurayra, où le Messager d’Allâh (ﷺ) a dit : « Allâh a dit : « Quiconque nuit à celui qui s’est consacré à Moi, Je lui déclarerai la guerre. Mon serviteur ne se rapproche de Moi par rien qui M’est agréable que l’accomplissement des obligations que Je lui ai donné. Mon serviteur ne cessera de se rapprocher de Moi par des pratiques surérogatoires jusqu’à ce que Je l’aime, et quand Je l’aime, Je deviens l’oreille par laquelle il entend, les yeux par lesquels il voit, la main par laquelle il empoigne, son pied par lequel il marche. S’il Me sollicite quelque chose, certes, Je la lui accorderai, et s’il sollicite Ma protection, certes, Je la lui accorderai … » ». Junayd fit allusion à cette différence de niveaux dans sa réponse lorsqu’il fut questionné : « Par-dessus tout, il y a des gens qui disent que définitivement ils atteignent le niveau de la bonté en ne faisant aucune action ». Il dit : « Parlent-ils de la suppression des actes (obligatoires et autres) ? Non, quiconque commet l’adultère et vole est mieux que celui qui tient un tel propos. Car sûrement les connaisseurs d’Allâh (al `arifina billah) prennent les actions dictées par Allâh et retournent à Lui avec ces actions, et si j’avais à vivre mille années je ne diminuerais jamais de faire de bonnes actions ».
En effet, la preuve de l’Amour doit se manifester par les belles paroles, les nobles aspirations, les pures intentions et les bonnes actions. Junayd dit encore : « Le connaisseur d’Allâh n’est pas considéré comme connaisseur jusqu’à ce qu’il ne devienne comme la terre ; ça lui est égal qu’une bonne ou une mauvaise personne le piétine ; ou comme la pluie, elle tombe sans discrimination sur ceux qu’elle aime ou ceux qu’elle n’aime pas ».
Quant au savant Summûn, il dit : « Les amoureux d’Allâh ont obtenu l’honneur des deux mondes, celui-ci et celui de l’au-delà. Le Prophète a dit : « L’être humain est avec celui qu’il aime ». Ils sont avec Allâh dans la dunya et dans l’au-delà ».
Yahya ibn Mu’adh a dit : « Il n’est pas véridique celui qui prétend qu’il L’aime et trépasse Ses limites ». Et il dit aussi : « Le connaisseur d’Allâh abandonne cette vie mondaine et il n’a pas assez de deux choses : pleurer sur son propre moi (ego, nafs), et son grand désir pour (contempler et adorer) son Seigneur ».
Par ailleurs, Ibn Taymiyya précise que toute action religieuse trouve son fondement dans l’amour (mahhaba). Le Shaykh commente les propos attribués à la sainte irakienne, Râbi’a al-’Adawiyya qui affirmait : « Je n’ai T’ai pas adoré par désir de Ton Jardin, ni par peur de Ton Feu. Je T’ai seulement adoré par désir de Te contempler ! ». Ibn Taymiyya en conclut que celui qui agit pour l’obtention d’une compensation de la part d’Allâh, ou bien pour repousser un châtiment, n’est pas réellement amoureux d’Allâh ; par conséquent, il lui est impossible de se rapprocher de ce dont il n’est pas amoureux…[14].
Désirer la Face d’Allâh (le Bien en soi) est le summum de la spiritualité, ce qui n’empêche pas qu’Allâh (Le Bien) récompensera les vertueux comme « rétributions » pour leurs actes. Mais nous ne devons pas oublier Allâh pour désirer une chose créée (le Paradis) ou pour craindre une chose créée (comme l’enfer par exemple).
Voici ce que dit le Shaykh Ibn Taymiyya dans ses Majmû’ ul Fatâwâ Al Kubrâ à propos de certains sûfis qui parlaient de réalités métaphysiques dans un état extatique, où l’individualité avait disparu : « Ce degré d’amour est un état dans lequel se trouvent bon nombre parmi les Gens de l’Amour et les Gens du Désir [d’Allâh]. Lorsqu’une telle personne s’anéantit dans l’objet de son amour — qui est Allâh — suite à l’intensité de son amour, il évoquera Allâh et ne s’évoquera pas, il se rappellera d’Allâh et ne se rappellera pas de lui-même, il visualisera Allâh et ne se verra pas, il “vivra” en Allâh et non lui-même. Lorsqu’il atteint ce degré, il n’a même plus conscience de sa propre existence. C’est pourquoi il dit dans ce genre d’état spirituel : « Je suis Le Vrai – ana-l-Haqq », ou « Gloire à Moi – subhânî », ou encore « Il n’y a rien dans ce manteau en dehors d’Allâh – mâ fi-l-jubbah illa Llâh », ceci parce qu’il est ivre de l’amour d’Allâh et que c’est devenu un plaisir et une joie qu’il ne peut contrôler. Et pour de tels états, la plume de la Loi est levée (on ne les condamne pas pour ce qu’ils disent ou font) »[15].
En effet, ce genre d’individus (connus pour leur science et/ou leur piété), lorsqu’ils prononcent de telles paroles, ne le font pas en leur nom (ego ; individualité ; nâfs) mais au Nom d’Allâh ; car c’est en Lui que leurs ego se sont anéantis, contrairement au Pharaon à l’époque de Mûsa – ‘alayhî salâm – qui n’était ni adorateur d’Allâh, ni un vertueux, et qui parlait donc en tant que lui-même (individualité) du point de vue exotérique lorsqu’il obligea les gens à l’adorer car il se considérait comme étant leur Seigneur (pas dans le sens de Créateur, mais dans le sens que c’est à lui que les gens devaient se plier, l’adorer, lui obéir aveuglément, suivre sa loi, mourir pour lui, etc.), car il n’était pas dans un état extatique ni dans un état de “démence” lorsqu’il manifesta son attitude. Quand une créature perd conscience d’elle-même et de toute chose créée, que peut-il rester, si ce n’est Allâh, l’Incréé ?
Salah Stétié relatait aussi cette parole attribuée à Râbi’a : « Qui a décrit n’a pas été décrit. Comment décrire Celui que tu prétends décrire si, en Sa présence, tu es absent ? Si en Son centre, tu t’es fondu ? Si en Sa contemplation, tu as disparu ? Si, en ta retenue, tu t’es enivré de Lui ? Si, en ton vide, tu t’es laissé combler ? Si, en ta joie, tu es terrifié ? » Puis : « Entre l’aimant et l’Aimé, il n’existe pas de distance. C’est la force du désir qui produit la parole et c’est la saveur qui provoque le besoin de décrire. Qui a goûté sait et Celui qui a décrit n’a pas été décrit. La grandeur frappe la langue de mutisme. L’angoisse révérentielle interdit au peureux de s’exprimer. La jalousie voile les concurrents aux regards. La stupéfaction perpétuée, l’angoisse inévitable, les cœurs dérivants, les secrets enfouis, les corps dévastés par la maladie et corrompus, puis l’amour, avec son inflexible pouvoir, devenu l’arbitre des cœurs ! »[16].
Farîd al-Dîn ’Attâr rapporte ces magnifiques vers attribués à Râbi`a al-`Adawwiyyâh dans Tadhkiratu al-awliyâ’ : « De deux amours je T’aime : d’un amour « passionnel/intense/libre » et d’un amour qui T’est dû ».
Certains rapportent ces mêmes vers de Dhû al-Nûn, ou bien de Sufyân al-Thawrî (qui connaissait aussi Râbi’â), ou encore à Hammâd Ibn Zayd[17].
Al-Jabr (Muwaffiq Fawzî) relate : « J’ai fait de Toi le confident de mon coeur,
Et j’ai mis mon corps à la disposition des dialogueurs.
Mon corps est ainsi agréable à celui qui l’effleure,
Mais mon unique compagnon, est l’Amant de mon coeur »[18].
Un hadîth qudsî enseigne que : « (Ni) Mon ciel et (ni) Ma terre ne peut Me contenir, mais le cœur de Mon serviteur Me contient »[19].
Sahl ibn Sad et al-Nu’mân Bashîr rapportent ce hadith : « Allâh a sur la terre des réceptacles, ce sont les cœurs des serviteurs. Ceux qu’Allâh préfère sont les plus doux, les plus purs et les plus solides (spirituellement) ».
Et quiconque aime réellement Allâh, agira avec bienfaisance (ihsân)[20] envers les créatures, qui sera à son tour une preuve de l’Amour que l’on voue sincèrement à Lui. Il est dit dans le Qur’ân que : « La Miséricorde d’Allâh est proche des bienfaisants » (7, 56), « Et quiconque abandonne (remet) son être tout entier à Allâh tout en étant bienfaisant (ihsan), s’accroche réellement à l’anse la plus ferme. (Et) la fin de toute chose appartient à Allâh » (31, 22), « Qui est meilleur en religion que celui qui remet son être tout entier à Allâh tout en oeuvrant bien dans la voie qu’Allâh aime… » (4, 125), « Certes, Allâh est avec ceux qui L’ont craint avec piété et ceux qui sont bienfaisants » (16, 128), « Y a-t-il d’autre récompense pour l’Excellence que l’excellence (spirituelle et morale) ? » (55, 60), « Et Il récompense ceux qui font le bien par la meilleure récompense » (53, 31), « Certes, Allâh commande l’équité, la bienfaisance (ihsan) et l’assistance aux proches. Et Il interdit la turpitude, l’acte répréhensible et la rébellion (tyrannie). Il vous exhorte afin que vous vous souveniez » (16, 90), « Non, mais quiconque abandonne[21] à Allah son être entier tout en faisant du bien (dans l’état d’ihsan), aura sa rétribution auprès de son Seigneur. Pour eux nulle crainte, et ils ne seront point attristés » (2, 112) et « Ô vous qui croyez ! Inclinez-vous, prosternez-vous, adorez votre Seigneur, et faites le bien. Peut-être réussirez-vous ! » (22, 77).
Dans le Qur’ân il est dit aussi : « …Mon Seigneur est vraiment Miséricordieux et plein d’amour [‘Ilayhi ‘Inna Rabbī Raĥîmun Wadûdun] » (11, 90 et 85, 14), « Allâh suscitera des gens qu’Il aime et qui L’aime [Allâhu Biqawmin Yuĥibbuhum wa Yuĥibbûnahu] Telle est la générosité d’Allâh qu’Il accorde à qui Il veut » (5, 54), par la grâce de la foi : « Allâh vous a fait aimer la foi et embellie dans votre cœur… » (49, 7). C’est cette aspiration ardente –secret de l’origine et du retour- qui a poussé le Prophète Muhammad (ﷺ) à s’en remettre et à se conformer à Lui (53, 3) et c’est toujours elle –en mesure variable- qui incite les êtres à faire de même : « Dis ! Si vous aimez [Tuĥibbûna] Dieu, suivez-moi, Allâh vous aimera » (3, 31), ceux que « Le Tout-Miséricordieux comblera d’amour [Ar-Raĥmânu Wuddân] » (19, 96).
Allâh aime toutes Ses créatures originellement (« Sa Miséricorde embrasse toute chose » dit le Qur’ân 7, 56), Ar-Rahmân (« Le Tout-Miséricordieux/le Tout-Rayonnant d’Amour » à l’égard de toute Sa Création) et Ar-Rahîm (« Le Très-Miséricordieux/Le Très-Rayonnant d’Amour » à l’égard de Ses serviteurs qui suivent la Voie qu’Il a tracé).
Néanmoins, Il n’agrée pas les altérations de Sa Création originelle car l’être humain est noble à l’état primordial selon le Qur’ân : « Certes, nous avons honoré et donné à chaque être humain une dignité. Nous les avons transportés sur terre et sur mer, lui avons attribué de bonne chose comme nourriture et nous les avons nettement préférés sur plusieurs de Nos créatures » (17, 70).
Mais ses actes pervertis ou ses idées/pensées malsaines et hérétiques ne sont pas agrées par Allâh. C’est Allâh qui a créé tout ce qui existe (la liberté, le Bien et la possibilité d’absence de bien, qui se traduit, au niveau des créatures, par l’apparition d’un mal relatif), mais c’est l’être humain qui choisi l’absence de bien dans ses actions (or le mal n’est pas comme tel intrinsèque et ne peut se manifester qu’en l’absence de bien, et le mal n’est pas imposé aux gens, ce sont eux qui choisissent de le faire au lieu d’agir pour et par le bien). Quant au Bien, c’est Allâh qui en est le Détenteur Suprême, et qui accorde Ses Qualités, Ses Grâces, Ses Bienfaits, etc. aux créatures. Allâh agrée et aime les bonnes actions, mais réprouve (amour en mode négatif) ce qui s’y oppose (tyrannie, mal, injustice, perversion, …). Il accorde aux non-musulmans de nombreux bienfaits, bien qu’ils l’ignorent ou qu’ils préfèrent les taire, comme les épouses ou les époux, les enfants ou de bons parents, de bons fruits, le soleil, la pluie, la fraicheur, la respiration, l’apesanteur et la gravité, l’oxygène, un système digestif capable de digérer et d’assimiler les aliments et d’extraire les nutriments nécessaires à la bonne santé, une vie plus ou moins longue pour l’adulte, afin qu’il se repente et augmente sa connaissance tout en jouissant des bienfaits, etc. Malgré leur ingratitude et leur comportement inique, Il leur laisse un dépit, un certain délai, avec un certain nombre de bienfaits dont ils jouissent.
Alors même que certains d’entre eux renient carrément Sa Réalité, ils se maintiennent à chaque instant à l’existence grâce à Allâh (la disposition et la gestion de Ses lois, de l’existence, de l’espace-temps, de la matière, de l’oxygène, etc.) ; ainsi ils osent Le renier par ce qu’Il a créé, mais ils sont voilés et s’arrêtent aux causes “secondes et naturelles”, sans voir l’Agent Transcendant au-delà des causes secondes et limitées, qui tirent leur existence de la « Réalité absolue » à l’origine de toute chose (comme il existe quelque chose plutôt que le néant, et que le néant est l’absence de réalité ne pouvant rien produire, c’est que l’existence relative et ses structures dépendent d’une Réalité Eternelle et Immuable, puisque le fini ne possède pas sa propre raison d’être et ne peut pas tirer sa réalité du néant qui n’a aucune réalité). Même les « prouesses » scientifiques et technologiques, qui sont le produit de milliers de scientifiques s’étalant sur des siècles et avec des moyens colossaux mis en oeuvre, sont basés sur l’existence de la matière première, des lois de la physique, de l’intelligence et des éléments de la création disposés et accordés par Allâh, ils ne sont même pas maîtres d’eux-mêmes mais agissent comme s’ils étaient les souverains de ce monde, alors qu’ils n’ont aucun contrôle sur leur naissance, leur déjection, leur respiration ou leur mort.
Si l’amour et le bonheur existent, alors Allâh est la Source même du bonheur et de l’amour, donc ceux qui connaissent l’Amour et le Bonheur ont bénéficié des « Bienfaits » d’Allâh. Si un homme aime une femme, et qu’une femme aime un homme, et se vouent mutuellement amour, bienveillance et respect, ils doivent prendre conscience que cela a été rendu possible par Allâh. Mais quand l’inverse se produit, il s’agit là d’un « accident », en ce sens que les défauts se manifestent dans le monde manifesté (celui de la multiplicité et de « l’illusion ») quand l’individu ne reflète plus les qualités (qui proviennent de Allâh comme l’Amour, la Bienveillance, le Pardon, la Miséricorde, la Justice, etc.). Et puisque le relatif ne peut exister que par l’Absolu (sans quoi rien n’existerait), alors tout ce qui est relatif dépend d’Allâh, donc l’univers et tout ce qu’il contient comme qualités et comme éléments (eau, galaxie, atomes, amour, sensation de bien-être, etc.). Les athées bénéficient donc aussi des Bienfaits d’Allâh bien qu’ils en soient “extérieurement” inconscients. Donc on peut conclure positivement que logiquement, tous les êtres humains, et l’ensemble des êtres vivants ou les éléments « inanimés » ont besoin d’Allâh puisque leurs existences, lois, modalités, subsistances et qualités, dépendent de Lui. Le néant ne pouvant rien produire (aucune réalité, ni « avant », ni « pendant », ni « après »), et comme il existe quelque chose plutôt que rien (en tant qu’absence de réalité), alors l’existence relative dépend forcément d’un principe et d’une réalité absolue, infinie et immuable, dont tout le reste dépend nécessairement.
[1] Charles-André Gilis, A propos d’un texte d’Henri Corbin, Études Traditionnelles, 1974, n° 441.
[2] Tarjumân et ashwâq correspondant à la p. 124 de la traduction de Maurice Gloton L’interprète des désirs chez Albin Michel, 2012. Maurice Gloton (1926 – 2017, mort le 28 janvier 2017), UbaydAllah de son nom de conversion (à l ‘islam), était un important traducteur (arabe-français), à qui nous devons des ouvrages importants sur la théologie, la métaphysique, la langue arabe, le Qur’ân, la spiritualité et les définitions.
[3] Ibn al-Jawzî, L’Amour de Dieu dans la tradition musulmane, éd. Iqra, 2000, pp. 74-75.
[4] Rapporté par Abû Tâlib al-Makki (m.996) dans son Qût al qulûb 2/56. Il était un juriste shafiite, un ascète, un théologien, un sûfi et un traditionniste, et dont son oeuvre Qût al qulûb fut une référence dans son domaine, et où aussi bien des savants comme Abû Hâmid Al-Ghazâlî et Ibn Taymiyya, apprécièrent son oeuvre et s’inspirèrent dans leurs propres écrits et enseignements. Rapporté aussi par Ibn al-Jawzî qui le rapporte sous l’autorité de Fudhayl ibn ‘Iyyâdh dans son ouvrage L’amour de Dieu, ainsi que par Abû Hâmid al-Ghazâlî dans ‘Ihyâ’ 4/288.
[5] Rapporté par Ibn Hajar al Asqalânî dans Al-Isti’dâd yawm al-ma’âd (traduit en français sous le titre Sagesses musulmanes – Le livre des prédispositions au jour dernier, éd. Tawhid, 2011) au chapitre des 9 singularités.
[6] Récit rapporté dans Nahj al-Balagha (La Voie de l’éloquence) qui fut compilé par as-Sharif ar-Radi. Au sujet de l’authenticité de ce livre, attribué à l’imâm ‘Alî, le chercheur et savant Reza Shah Kazemi dit qu’une bonne partie du texte peut en effet être attribué à l’imâm ‘Alî (Reza-Shah Kazemi, Ali ibn Abu Talib. Medieval Islamic Civilization : An Encyclopedia. Taylor & Francis, 2006, pp. 36 et 37). De plus, la plupart de ses enseignements dispersés furent transmis par ses disciples directes, dans un style éloquent bien connu de l’imâm ‘Alî. Un récit similaire fut rapporté aussi par l’imâm de la Sunnah Al-Haddâd (descendant du Prophète) dans son ouvrage Al-Fusûl Al-`Ilmiyyah.
[7] Récit rapporté dans Nahj al-Balagha (La Voie de l’éloquence), rapporté aussi par l’imâm Al-Haddâd dans son ouvrage Livre du savoir et de la sagesse.
[8] Rapporté par al-Bukharî et Muslim dans leur Sahîh.
[9] Rapporté par le muhaddîth, walî et faqih Shaykh Ahmad Zarrûq, dans Qawa’id at-Tasawwuf, p. 229.
[10] Rapporté par l’imâm Ahmad Ar-Rifâ’î al Hussaynî (un descendant du Prophète) dans Halatu ahli al haqiqati ma’a Allâh (L’état spirituel des hommes de la vérité avec Allâh) ainsi que par Abû Hâmid Al-Ghazâlî dans Ihyâ’.
[11] Ibn Hajar Al-’Asqalânî dans Al-Isti’dâd yawm al-ma’âd.
[12] Ibn Qudâma, Mukhtasar Minhâj al-Qâsidin.
[13] Ibn Qayyim al-Jawziyya, Rawdat al-muhibbin wa nuzhat la-mushtaqin (Le jardin des amoureux et la promenade des aspirants), Beyrut : Dar al-Kutub al-ilmiyya, 1993, pp. 406-409. Ainsi que dans son Madarij as Salikîn.
[14] Ibn Taymiyya, Majmû al fatawa, 11/17. Voir aussi Jamal-Eddine Benghal, La vie de Rabi‘a al-‘Adawiyya : une sainte musulmane du VIIIème siècle, éd. Iqra, 2000. Ibn Arabi parle d’elle aussi dans ses Futuhât al makkiyya (Les Illuminations/ouvertures/conquêtes spirituelles de La Mecque, traduit partiellement en français). Farîd ud-Dîn Attâr mentionne aussi certains aspects de sa vie dans son célèbre Tadhkirat al-Awliya (ouvrage retraçant la vie des premiers saints de l’islam après la génération des compagnons, et débutant par l’imâm Jâ’far as-Sâdiq), traduit partiellement en français sous le titre Le mémorial des saints (notamment aux éditions du Seuil, 1976, ainsi que par Eva de Vitray-Meyerovitch, éditions Le Point, publié en 2014).
[15] Là encore, cela contraste probablement avec ses anciennes opinions, sur lesquelles il revenait parfois (comme tant d’autres savants) après avoir pris du recul, approfondi sa science et avoir étudié cela sous de nouveaux aspects. Et comme on peut le lire dans ses autres écrits, il excusait également Abû Yazîd Al-Bistâmî (un savant, un saint et un ascète), un « disciple spirituel » de l’imâm Jâ’far As-Sâdiq (l’un des plus savants et vertueux de son temps, descendant du Prophète par ‘Alî et descendant de Abû Bakr, maître exotérique et ésotérique des grands imâms du fiqh tels que Mâlik ibn Anas, Abû Hânifa, Sûfyan At-Thawrî, Sûfyan Ibn Uyayna, etc.), lorsqu’il prononçait des sentences lors de ses états extatiques.
[16] Dans Râbi‘a de feu et de larmes (éd. Albin Michel, 2015, p. 71.
[17] Voir al-Zubaydî, Ithâf al-sâda al-muttaqîn fi sharh ihyâ ’ulum al-dîn, 6/577.
[18] Dans Diwân Râbi`a al-`Adawiyya wa akhbâruhâ, pp. 78-79.
[19] Rapporté par Ahmad dans son Kitâb az-Zûhd, par Wahb ibn Munabbîh, ainsi que par de nombreux maîtres spirituels. Il est cité aussi par l’imâm Abû Hâmid al-Ghazâlî dans son ‘Ihyâ’. Certains l’ont cité sans chaine (d’où le fait que des savants comme al Hafiz Al-‘Iraqî l’ait considéré comme « sans fondement », tandis que d’autres l’ont rapporté à travers des chaines de transmission). Ce récit a été authentifié spirituellement par des grands maîtres tels que Al-Ghazâlî et Ibn Arabî. Le sens est que l’on peut connaitre Allâh et Sa Proximité à travers la connaissance, la proximité spirituelle, la sincérité et nos propres ressources intérieures, et que Son Essence n’est pas physiquement localisable dans Sa Création.
[20] Le mot « ihsan » et ses dérivés ont les sens suivants en arabe : hassuna (devenir, sembler, rendre excellent, beau), ihsanan (faire excellemment), ahsana (il fit une bonne action), ihsan (gentillesse, bonté, bienfaisance, excellence spirituelle et morale), husna (récompense), hassan (excellent, bon, convenable, beau), hissanun (beaux).
[21] Cela consiste donc à accepter Son Ordre aussi bien que notre « destin », tout en ayant confiance en Lui, en espérant en Lui, et en accomplissant les bonnes actions, en sachant que les « résultats » de nos efforts se trouvent en Son Pouvoir.