Les concepts de Jihâd défensif et de Jihâd offensif en Islam

En Islam, la guerre n’est pas souhaitable, et n’est permise que pour se défendre face à des envahisseurs ou des rebelles terroristes et criminels, et que s’ils refusent de déposer les armes, ou si des nations refusent la paix et la fin des persécutions envers les croyants et les non-croyants parmi les innocents et les opprimés. Il est interdit de mener la guerre envers les innocents et ceux qui n’ont pas combattu les Musulmans (ou les non-Musulmans sous leur autorité) comme le montrent les preuves textuelles islamiques :

« Toutes les fois qu’ils allument un feu pour la guerre, Allâh l’éteint. Et ils s’efforcent de semer le désordre, la terreur et le chaos sur la terre, alors qu’Allâh n’aime pas les semeurs de désordre et de chaos » (Qur’ân 5, 64). Par déduction, ce verset interdit aux Musulmans de semer le trouble, le désordre, le chaos ou la terreur sur la terre, car il s’agit d’actions clairement prohibées et condamnées par Allâh.

« S’ils s’écartent de vous sans avoir eu à vous combattre, et s’ils vous proposent la paix, alors Allâh n’établira pour vous aucun recours (hostile) contre eux » (Qur’ân 4, 90).

 « Et s’ils inclinent à la Paix, incline vers celle-ci (toi aussi) et place ta confiance en Allâh, car c’est Lui l’Audient, l’Omniscient. Et s’ils veulent te tromper, alors Allâh te suffira. C’est Lui qui t’a soutenu par Son secours, ainsi que par (l’assistance) des croyants » (Qur’ân 8, 61-62).

« Il se peut qu’Allâh établisse de l’amitié entre vous et ceux d’entre eux dont vous avez été les ennemis. Et Allâh est Omnipotent et Allâh est Pardonneur et Très Miséricordieux. Allâh ne vous défend pas d’être bienfaisants, justes et équitables envers ceux qui ne vous ont pas combattus pour la Religion et ne vous ont pas chassés de vos demeures. Car Allâh aime les équitables et les justes. Allâh vous interdit seulement de prendre pour alliés ceux qui vous ont combattus pour la Religion, chassés de vos demeures et ont aidé à votre expulsion. Et ceux qui les prennent pour alliés sont les injustes » (Qur’ân 60, 7-9). Quant aux autres versets, notamment 9/29 et 9/130 sur la jyzia et l’ordre de combattre jusqu’à ce qu’ils se repentent, deviennent musulmans ou acceptent la paix et la sécurité via la jyzia, cela s’explique par le contexte même de l’histoire et de la Sûrate 9, où des forces non-musulmanes avaient violé le pacte, obstrué le Sentier d’Allâh et combattu les Musulmans : « Et si l’un des associateurs te demande asile, accorde-le lui, afin qu’il entende la Parole d’Allâh, puis fais-le parvenir à son lieu de sécurité. Car ce sont des gens qui ne savent pas. Comment y aurait-il pour les associateurs un pacte admis par Allah et par Son Messager ? A l’exception de ceux avec lesquels vous avez conclu un pacte près de la Mosquée sacrée. Tant qu’ils sont droits et loyaux envers vous, soyez droits et loyaux envers eux. Car Allâh aime les pieux (faisant preuve de droiture et de justice). Comment donc! Quand ils triomphent de vous, ils ne respectent à votre égard, ni parenté ni pacte conclu. Ils vous satisfont de leurs bouches, tandis que leurs coeurs se refusent ; et la plupart d’entre eux sont des pervers. Ils troquent à vil prix les versets d’Allâh (le Qur’ân) et obstruent Son Sentier. Ce qu’ils font est très mauvais ! Ils ne respectent, à l’égard d’un croyant, ni parenté ni pacte conclu. Et ceux-là sont les transgresseurs et les agresseurs. Mais s’ils se repentent, accomplissent la Salât et acquittent la Zakât (l’aumône légale), ils deviendront vos frères en Religion. Nous exposons intelligiblement les versets pour des gens qui savent. Et si, après le pacte, ils violent leurs serments et attaquent votre Religion, combattez alors les chefs de la mécréance – car, ils ne tiennent aucun serment – peut-être cesseront-ils ? Ne combattrez-vous pas des gens qui ont violé leurs serments, qui ont voulu bannir le Messager et alors que ce sont eux qui vous ont attaqués les premiers ? Les redoutiez-vous ? C’est Allâh qui est plus digne de votre crainte si vous êtes croyants ! (…) » (Qur’ân 9, 6-13). Allâh conditionne donc le combat par les violences et trahisons causées par les autres, et exhorte les croyants à cibler en priorité les chefs pour faire cesser la guerre. Et c’est dans ce contexte-là qu’il faut comprendre l’ensemble des versets et des ahadiths sur le combat, car les récits et passages se comprennent à la lumière des principes et ordres universels et explicites évoqués dans le Qur’ân et dans certains ahadiths sahîh ou hassân. Le fait de ne pas avoir suivi la méthodologie qurânique pour interpréter le Qur’ân, a conduit certains exégètes à se tromper (parfois en étant influencé par leur situation géopolitique de l’époque où des idolâtres les prenaient pour cibles), lorsqu’ils pensaient que cet ordre était général (combattre les idolâtres) là où il était contextuel et circonstanciel. Même face aux combattants ennemis qui attaquaient les croyants, Allâh ordonne de cesser les combats s’ils se repentent en devenant musulmans, ou d’accepter d’eux la jyzia là où les Musulmans (ici à la Mecque) sont retournés victorieux à la Mecque après en avoir été chassés, et que la Mecque passa sous l’autorité islamique. Ces versets-là par ailleurs, n’évoquent jamais la permission d’attaquer les non-musulmans ou de leur imposer l’islam de force. Quant aux combattants ennemis, ils avaient le choix entre la conversion à l’islam, la jyzia (en vivant en dehors de la Mecque et de Médine), ou de prendre leurs affaires et partir en dehors du Hijâz, sinon ils recevraient la peine en tant que combattant ennemi ayant pris les armes. La preuve de tout cela, est l’éthique islamique de la guerre, incarnée historiquement après la Révélation des versets sur la guerre, lorsque les Musulmans remportèrent le combat à la Mecque (en ayant évité un bain de sang d’ailleurs contre ceux qui les avaient persécuté et combattu, ne cherchant pas à se venger mais seulement à faire triompher la Vérité et la Justice). Lorsque le Prophète (ﷺ) et ses Compagnons revinrent victorieux à la Mecque à la fin de la période médinoise, sans avoir versé le sang des innocents, il (ﷺ) dit au peuple qui l’avait persécuté, agressé, calomnié, banni et opprimé : « Ô habitants de la Mecque ! Que pensez-vous que je vais faire de vous aujourd’hui ? ». Ils répondirent : « Du bien, car tu es un frère généreux et noble, fils d’un frère généreux et noble ». Le Prophète () reprit : « Je vais vous dire ce que (le Prophète) Yûsuf avait dit à ses frères : « Pas de récrimination contre vous aujourd’hui. Allez-vous-en, vous êtes libres – qu’Allâh vous pardonne – (cf. Qur’ân 12, 92) »[1].

  D’autres versets montrent qu’il s’agit de légitime défense ou de secourir des opprimés injustement persécutés ou tués par des oppresseurs, qui relèvent de ce qui est recommandé : « Et qu’avez-vous à ne pas combattre dans le Sentier d’Allâh et pour (aider) ceux qui sont considérés comme opprimés – hommes, femmes et enfants –, qui disent : « Seigneur, fais-nous pouvoir quitter cette cité dont les gens sont oppresseurs » » (Qur’ân 4, 75).

« Et s’ils vous demandent l’aide pour la cause de la Religion, vous devez la leur apporter, sauf si c’est contre un peuple avec qui vous êtes liés par un pacte » (Qur’ân 8, 72).

« Allâh prend la défense de ceux qui cultivent la foi. Allâh réprouve (vraiment) le traître ingrat. Autorisation est donnée à ceux qui sont attaqués (de se défendre) – parce que vraiment ils sont lésés (en étant injustement opprimés) ; et Allâh est certes Capable de les secourir -.  Ceux qui ont été expulsés de leurs demeures, – contre toute justice, simplement parce qu’ils disaient : « Allâh est notre Seigneur ». – Si Allâh ne repoussait pas les gens les uns par les autres, les ermitages seraient démolis, ainsi que les églises, les synagogues et les mosquées où le nom d’Allâh est beaucoup invoqué. Allâh soutient, certes, ceux qui soutiennent (Sa Religion). Allâh est assurément Fort et Puissant, ceux qui, si Nous leur donnons la puissance sur terre, accomplissent la Salât (Prière canonique), acquittent la Zakât (la charité légale), ordonnent le convenable et interdisent le blâmable. Cependant, l’issue finale de toute chose appartient à Allâh » (Qur’ân 22, 38-41). L’objectif est donc ici évident, et n’est pas directement lié à l’incroyance des injustes et des criminels, mais à leurs injustices comme le meurtre, la torture, la persécution et l’expulsion. Le but est donc de repousser l’injustice et de ramener la situation à la paix et à la sécurité des citoyens. Par ailleurs, même aux combattants ennemis, le Qur’ân, dans la Sûrah at-Tawbâh (n°9) laisse 4 mois aux forces ennemies, pour quitter le territoire, malgré le fait qu’ils avaient imposé la guerre aux musulmans. Une fois le délai passé, s’ils sont toujours là, ils seront alors combattus (voir Qur’ân 9/5).

  Ainsi, gens du peuple, combattants ayant déposé les armes et même certains chefs militaires, doivent être épargnés et ne pas être réprimés lorsque la guerre dépose ses fardeaux.

  Concernant le verset 8/39 où le terme « fitna » est employé, il ne peut pas désigner que le shirk, car sinon Allâh aurait employé ce terme-là. Or, le terme « fitna » renvoie à plusieurs choses, dont la volonté de certains criminels et injustes de faire apostasier les Musulmans de l’Islam, par le mensonge, la persécution, la guerre, l’humiliation, le chaos, le désordre, la torture, etc. C’est d’ailleurs l’avis de ‘Abdullâh Ibn ‘Umar concernant le commentaire de ce verset, rapporté par Al-Bukharî dans son Sahîh n°4513, 4514 et 4515 : « Nous l’avons fait du vivant du Messager d’Allâh (), alors que l’Islam n’avait que quelques adeptes. Un homme (musulman) était jugé en raison de sa religion ; il était soit tué, soit torturé. Mais lorsque le nombre de Musulmans avait augmenté, il y avait (alors) plus d’afflictions ni d’oppressions ». Quant au passage « jusqu’à ce que le Dîn soit à Allâh seul », le Shaykh Faysal al-Mawlawî dans Al-Ussus ush-shar’iyya (p. 72) rapporte que selon plusieurs savants, cela signifie : « jusqu’à ce que soit établi, pour toute personne qui le désire, le droit de professer et de pratiquer librement la religion agréée par Allâh », ou autrement dit, la fin des troubles et des persécutions. Et pour le verset : « Combattez ceux qui ne croient pas en Allâh et au Jour Dernier, qui ne considèrent pas interdit ce qu’Allâh et Son Messager ont déclaré interdit et qui ne professent pas la vraie religion parmi ceux qui ont reçu la Révélation avant vous, jusqu’à ce qu’ils donnent la jizya eux-mêmes en toute humilité (à l’égard de l’autorité islamique) » (Qur’ân 9, 29), il se réfère à ceux qui, parmi les non-Musulmans, avaient attaqué les Musulmans, et ne considéraient pas interdit, les grands péchés comme l’idolâtrie, le meurtre, l’oppression, la persécution, l’expulsion des demeures, le vol, le pillage, le banditisme, la tyrannie, etc. comme l’explique notamment le Shaykh Wahba az-Zuhaylî dans Athâr ul-harb fi-l-fiqh il-islâmî (p. 118), car dans le contexte de cette Sûrah, le principe déterminant et motivant (‘illa) cet ordre, concerne ceux qui sont agresseurs vis-à-vis des Musulmans. Ce verset, comme les autres du même type, sont donc à comprendre non pas de façon absolue ou inconditionnelle (mutlaq), mais à la lumière des principes généraux qui éclairent le contexte et les exceptions. La norme étant la paix entre les peuples selon le Qur’ân, et la guerre étant l’exception, et non pas l’inverse. Cela est prouvé par le fait que ce verset fut révélé avant la bataille de Tabûk (qui eut lieu en l’an 9 H durant le mois de Rajâb d’après l’exégète Mujâhid) comme l’indique Al-Baghawî dans son Tafsîr du Qur’ân.  Dans Ad-Durr ul-manthûr nous y lisons que : « Ibn Abi Shayba, Ibn Jarir, Ibn al-Mundhir, Ibn Abi Hatim, Abû al-Shaykh et al-Bayhaqi ont rapporté dans leurs Sunân sous l’autorité de Mujâhid, qu’Allâh l’agrée, dans Sa Parole « Combattez ceux qui ne croient pas en Allâh (…) » : ceci fut révélé lorsque le Prophète Muhammad (ﷺ) et ses Compagnons firent la bataille de Tabuk [en réponse aux agressions des Byzantins] ». En effet, il a été rapporté par al-Bukharî dans son Sahîh n°4418, Muslim dans son Sahîh n°1475 et 1479 aussi, Nûr ad-Din al-Haythami dans son Majma’ al-Zawâ’id et d’autres. Ce qu’indiqueront aussi Ibn al-Qayyîm dans Zâd al-ma’âd (3/527-528) et Faysal al-Mawlawî dans Al-ussus ush-shar’iyya li-l-‘alâqât bayn al-muslimîn wa ghayr il-muslimîn (pp. 50-51), où les Musulmans prirent leurs dispositions en allant affronter les forces byzantines (qui avaient employé les Arabes Ghassanides pour aller exterminer les Musulmans à Médine même) en prenant les devants, pour ne pas combattre aux alentours des villes saintes. Ce même verset fut aussi illustré par la riposte des Musulmans aux hostilités lancées par l’empereur Sassanide contre la Communauté musulmane. Al-Khatîb at-Tabrizî dans son Mishkat al-Masabih n°3936 rapporte que face à l’armée sassanide qui avait initié la guerre : « Bismi-Llâh Ar-Rahmân Ar-Râhîm. De Khalid Ibn al-Walid à Rustum et Mih’an parmi les nobles de Perse. Que la Paix soit avec ceux qui suivent les conseils et la bonne guidée. Pour continuer : Nous vous invitons à l’Islam, mais si vous refusez, alors payez la jizya en toute humilité (cf. Qur’ân 9/29). Si vous refusez, (alors sachez que) j’ai avec moi des gens qui aiment mourir dans le Sentier d’Allâh, comme vous aimez le vin (pour vous enivrer et perdre toute ludicité). Que la Paix soit avec ceux qui suivent les conseils et la bonne guidée »

  De façon générale, la guerre n’est pas souhaitable et en ce sens, le Messager d’Allâh (ﷺ) a dit : « Ne souhaitez pas la rencontre avec l’ennemi (qui souhaite vous combattre) mais souhaitez plutôt la paix, le salut, le pardon et la préservation. Mais si vous le rencontrez (car cette situation vous est imposée), alors soyez fermes et endurants, et sachez que le Paradis se trouve à l’ombre des sabres (car cela conduit au martyr pour lutter contre l’oppresseur et l’envahisseur injuste) ! (Puis il a dit) : Ô Allâh ! Toi qui fais descendre le Livre, qui fais se déplacer les nuages et qui défais les coalisés, défais-les et accorde-nous la victoire sur eux ! » »[2].

  Le jour (de la bataille) d’Al-Ahzab (c’est-à-dire des clans), Al-Bara relate : « J’ai vu le Prophète (ﷺ) porter de la terre, et la terre couvrait la blancheur de son abdomen. Et il disait : « Sans Toi (Ô Allah !), nous n’aurions pas été guidés, ni (n’aurions été conduit) à donner en aumône et charité, ni à prier. Alors (Ô Allâh), bénis-nous avec la tranquillité et affermis nos pieds lorsque nous rencontrons nos ennemis (qui nous attaquent). En effet (ces) gens se sont rebellés et tournés contre nous (- les opprimés -), mais nous ne céderons jamais s’ils tentent de nous opprimer »[3].

  Le Messager d’Allâh (ﷺ) a dit : « Allâh m’a inspiré d’être humble et de vous ordonner l’humilité, afin que nul ne méprise un autre, et que nul n’opprime un autre (en se montrant injuste à son égard) »[4].

  Al-Samarqandi dans Tanbih al-Ghafilîn (1/380) rapporte que Sufyân at-Thawri a dit : « Il serait plus facile pour vous de rencontrer Allâh Tout-Puissant avec 70 péchés entre vous et Allâh que de Le rencontrer avec un seul péché entre vous et Ses créatures [ou : Serviteurs, croyants non] ». Et cela parce que, pour celui qui se tourne exclusivement vers Allâh – en étant sur le Tawhîd – et qui aspire sincèrement à Son Pardon et à Sa Miséricorde, se verra pardonner par Allâh car Il est le Pardonneur par excellence et Le Tout-Miséricordieux, tandis que causer du tort à Ses créatures est plus grave en ce sens que toutes les créatures n’ont pas forcément la force ou la volonté de pardonner à ceux qui leur font du tort.

  Le Shaykh Ibn Taymiyya a dit dans Al-Nubûwât (1/140) : « (…) les incroyants (non-musulmans) ne sont combattus qu’à condition qu’ils fassent la guerre, comme cela est mentionné par la majorité des savants et comme cela est évident dans le Livre (Qur’ân) et la Sunnah ». Et dans son al-Siyâsah al-Shar’îah 1/165) il critiquait l’opinion déviante de certains juristes en la matière : « Certains juristes estiment que tous peuvent être tués au seul motif qu’ils sont incroyants, mais ils font une exception pour les femmes et les enfants car ils constituent (selon eux) la propriété des musulmans. Cependant, le premier avis (celui de ne combattre que ceux qui nous attaquent) est le bon car nous ne pouvons combattre que ceux qui nous combattent – et nous devons alors les combattre en faisant triompher la Religion d’Allâh ». En effet, il est interdit de combattre ceux qui ne nous attaquent pas, comme l’a dit le Messager d’Allâh (ﷺ) : « En vérité, le plus tyrannique des êtres humains envers Allâh est celui qui tue ceux qui ne l’ont pas combattu »[5]. Et cela conformément au Qur’ân : « Combattez dans le sentier d’Allâh ceux qui vous combattent, et ne transgressez pas. Certes. Allâh n’aime pas les transgresseurs (et les agresseurs) » (Qur’ân 2, 190). At-Tabarî dans son Tafsîr (2/190) commente ce verset en rapportant l’avis de Ibn ‘Abbâs (le cousin du Prophète) qui dit : « Ne tuez ni femmes, ni enfants, ni vieillards, ni quiconque vient à vous avec la paix et qui retient sa main de vous combattre, car si vous faisiez cela, vous auriez certainement transgressé » ainsi que l’avis de ‘Umar Ibn ‘Abd al-‘Azîz : « Cela fait référence aux femmes, aux enfants et à quiconque ne vous fait pas la guerre parmi eux ». Et cela réfute l’avis du fondateur du wahhabisme et de ses semblables, qui ont autorisé le meurtre des non-musulmans qui n’étaient pas liés par un pacte. Or, les versets du Qur’ân et ahadiths sahîh, qui ont une portée générale, interdisent clairement le meurtre des non-combattants (Musulmans et non-Musulmans), qu’ils soient liés par un pacte, une alliance, un traité ou non.

  Bien qu’il y ait divergence chez les savants, ceux dont l’avis l’emporte quant à leur pertinence et à leur conformité du Qur’ân et de la conduite prophétique, sont bien ceux qui considèrent que ce sont les versets exhortant à la paix qui tracent en fait ce qui fait la règle, et que c’est la paix qui est donc l’état originel des relations internationales. Quant aux cas de guerre évoqués dans les autres versets, ils constituent un cas exceptionnel et temporaire par rapport à l’état normal, qui est la paix. Cet avis – de la Paix comme norme – est notamment ceux des éminents Salafs Sufyân-Thawrî et d’Abd ar-Rahmân al-Awzâ’î[6], qui sont les fondateurs d’écoles juridiques des premiers temps de l’Islam.

  L’imâm Sufyân at-Thawrî (97 H/716 – 161 H/778) de la génération des Salafs, qui était contemporain des derniers Sahaba encore vivants (dont Anâs Ibn Mâlik) ainsi que de la famille alide (comme Muhammad al-Bâqir et Ja’far as-Sadiq qui avaient rencontré des Sahaba et qui étaient sur la Voie prophétique) et de l’imâm Abû Hanifa. Il était une autorité dans le sunnisme orthodoxe, tout en ayant soutenu la famille alide et les Musulmans contre la tyrannie des mauvais dirigeants omeyyades. Il était un maître dans le Tasawwuf, le Hadith, le Tafsîr du Qur’ân, le fiqh (et fondateur d’une école qui n’a plus survécu de nos jours), la ‘aqida et l’ascétisme. Son école n’a cependant pas perduré car vers la fin de sa vie, il se faisait discret, refusant de côtoyer les dirigeants injustes et d’accepter leurs offres de devenir juge, préférant se désavouer plutôt de leurs injustices et de ne pas chercher à les amadouer, ce qui le conduisit à s’éloigner des cours publics dispensés à de nombreux disciples. Quoi qu’il en soit, pour lui, seul le Jihâd défensif était obligatoire. Il était aussi de ceux, qui parmi les Salafs, ne préconisait pas de peine juridique pour les apostats pacifiques. Ibn al-Jawzî dans Sifat al-Safwa, Abû Nu’aym dans Hyliat al-Awliya’ et Ibn al-Qayyîm dans Madârîj al-Salikîn rapportent à son sujet qu’il a dit : « Sans Abû Hashim al-Sûfî (m. 115 H), je n’aurais jamais perçu la présence des formes les plus subtiles d’hypocrisie (et de l’ego) en moi… Parmi les meilleures personnes se trouve le Sûfi instruit en jurisprudence (fiqh) ». Cela prouve également que le Tasawwuf en tant que science islamique et spiritualité était déjà bien ancrée dans la génération des Salafs, soit, dès le début de l’Islâm.

  Les grands imâms du fiqh parmi les Salafs le tenaient en très haute-estime : « Si ‘Alqama et al-Aswad étaient présents, ils auraient besoin de Sufyân (At-Thawrî) » (imâm Abû Hanifa, fondateur d’une école juridique) ; « Je n’ai jamais vu quelqu’un de plus compétent en matière de halal et de haram que Sufyân al-Thawrî » (imâm Sufyân Ibn ‘Uyayna, fondateur d’une école juridique) ; « Par Allâh ! Sufyân (at-Thawrî) était plus instruit qu’Abû Hanifa » (imâm Fudayl ibn ‘Iyyâd, un Sûfi et mujtâhid dans le Fiqh) ; « Il est au-dessus de Malik en toutes choses » (imâm Yahya ibn Sa’id al-Qattan, un juriste et une sommité dans le Hadith) ; « Si ces 2-là s’accordent sur quelque chose – al-Thawrî et Abû Hanifa – alors c’est une position forte » (imâm Ibn al-Mubarak, sommité dans le Hadith et le Fiqh, jurtse indépendant mais très proche de l’école d’Abû Hanifa) ; « At-Thawri était pour nous l’imâm de tout le peuple…. Sufyân à son époque était comme Abû Bakr et ‘Umar à leur époque » (imâm et Sûfi Bishr al-Hafi, l’un des grands maîtres dans le Tasawwuf de l’imâm Ahmad) ; « Si on m’avait demandé de choisir quelqu’un pour diriger cette Ummah, j’aurais choisi Sufyân at-Thawri » (imâm al-Awza’î, fondateur d’une école juridique) ; « Je n’ai jamais vu un homme qui suit la Sunnah avec plus de rigueur ou dans le corps duquel j’aimerais être plus que Sufyân at-Thawrî » (imâm As-Shafi’i, fondateur d’une école juridique) ; « Savez-vous qui est l’imâm ? L’imâm à mon avis est Sufyân at-Thawri. Personne ne vient devant lui dans mon cœur ! » (l’imâm Ahmad – fondateur d’une école juridique – à Abû Bakr al-Marwadhi). Le dernier muftî se réclamant ouvertement de son école mourut en Irak en 406 H/1015.

  Quant à l’imâm ‘Abd ar-Rahmân al-Awzâ’î (88 H/707 – 157 H/774), il était un célèbre juriste, ussûlî, exégète du Qur’ân et savant du hadith, ayant fondé une école juridique également. Il était par ailleurs d’avis, similairement à Sufyân at-Thawrî et d’autres, que les apostats de l’Islam ne devraient pas être exécutés à moins que leur apostasie ne fasse partie d’une hostilité politique s’apparentant à de la rébellion armée, ou d’un « complot visant à prendre le contrôle de l’État », c’est-à-dire une trahison »[7], et c’est pourquoi on peut déduire du Qur’ân et de la Sunnah que ce n’est pas l’apostasie seule qui mérite une peine juridique, mais celle qui s’accompagne de trahison et d’une potentielle entrée en guerre contre la Ummah. Il était aussi connu pour venir en aide aux Musulmans et Chrétiens qui étaient victimes d’injustices de la part de certains groupes ou gouverneurs injustes. Son école fut implantée dans certaines régions du Maghreb, d’Andalousie et du Shâm (actuels Syrie, Liban, Jordanie) jusqu’au 10e siècle, avant d’être supplantés par les écoles malikite et shafi’ite dans ces mêmes régions. Le dernier muftî se réclamant ouvertement de son école mourut en Syrie en 347 H/958. Jibrîl Al Haddâd a dit de lui : « Il est l’un de ceux qui ont allié l’endurance dans l’adoration avec la science et l’affirmation de la vérité. Il est considéré comme étant une preuve (hujjah) à lui seul en tant que narrateur de hadîth, connu pour sa vaste compréhension de la Sharî’ah, sa grande érudition et sa piété ». L’imâm Mâlik Ibn Anas a dit : « Al Awzâ‘î était un imâm digne d’être suivi ». L’imâm et Shaykh ul-Islâm Abû Nu‘aym a dit : « Le savant de grande notoriété, l’arbitre réputé, l’imâm honoré, celui ne craint personne aucune personne (pour Allâh), le préféré, ‘Abd Ar-Rahmân Abû ‘Amr Al Awzâ‘î (qu’Allâh l’agréé). Il était unique à son époque et l’imâm de sa génération. Il ne craignait personne (pour Allâh). Il disait la vérité et ne craignait pas la répression des tyrans ».  L’imâm Abû Hafs Ibn ‘Umar Ibn ‘Alî disait : « Tous les ahadîths rapportés par les gens du Shâm sont faibles, excepté ceux transmis par un certain nombre très limité d’honorables, et Al Awzâ‘î en fait partie ». Al Hâfiz An-Naysabûrî a dit : « La chaîne fiable de transmissions des gens du Shâm est celle de ‘Abd Ar-Rahmân Ibn ‘Amr Al Awzâ‘î et Hassân Ibn ‘Atiyya, d’après les Compagnons (…). Sache que parmi les sciences nécessaires des sciences du hadîth, la connaissance des imâms honorables et de grande notoriété d’entre les Tâbi‘în et leurs atbâ‘ (suiveurs), ceux dont on mémorise leur hadîth, on les étudie et on cherche la barakah auprès d’eux (…) et parmi eux le hafiz du Shâm ‘Abd Ar-Rahmân Ibn ‘Amr Al Awzâ‘î ».

  Dans ses lettres sur le droit qui nous sont parvenues notamment à travers l’imâm Abû Yûsuf (m. 182 H/798) dans al-Radd ‘alâ siyar al-Awzâ’îainsi que par Ibn Abî Hâtim al-Râzî (m. 327 H/938) dans al-Jarh wa-l-ta’dîl, nous apprenons qu’il militait fermement aussi – en se basant sur le Qur’ân et la Sunnah – contre le fait de tuer en temps de guerre, les femmes, les enfants, les ermites, les travailleurs, les laboureurs, les hommes religieux et toutes les autres personnes qui ne combattaient pas sur le champ de bataille. Il dit également que le musulman (en dehors du commandant ou du dirigeant) qui tue un prisonnier de guerre (parmi les combattants ennemis) sans avoir reçu l’ordre du dirigeant, doit être puni pour son acte et payer le prix du sang. Même en temps de guerre, il affirme qu’il est harâm (illicite) pour les musulmans d’accomplir un acte de destruction (comme les maisons, les lieux de culte, arbres, plantations, etc. et les autres édifices appartenant aux populations non-musulmanes) en territoire ennemi, car c’est la corruption et comme le dit Allâh dans le Qur’ân : « Allâh n’aime pas la corruption et la destruction ». La seule exception concerne de ce qui relève de la nécessité pour éviter un grand mal. Pour l’apostat pacifique, selon lui il faut le laisser en paix tant qu’il ne menace pas l’Etat ni les Musulmans, et de façon générale, il plaide pour un soutien et une solidarité envers les opprimés. Le Dr. Hassân Amdouni dira à son sujet : « Malgré sa rigueur au niveau de l’attachement aux Textes, il aimait se prononcer selon la règle de la facilité, et c’est dans ce sens qu’il a rapporté de nombreux hadîth mettant en exergue les règles de l’allégement (at-takhfîf) et de la recherche de la facilité (at-taysîr) pour la Ummah »[8]. L’imâm Al-Awzâ’î était aussi proche de l’imâm Sufyân at-Thawrî. Ad-Dhahabî dans son Duwal al Islâm, Ibn Sa‘d dans ses Tabaqât et Al Ya‘qûbî dans son Târîkh ont mentionné la date de sa mort dans leurs ouvrages et rapporté ce récit : ‘Alî Ibn ‘Ubayd a raconté : « J’étais chez Sufyân At-Thawrî, quand un homme présent dit : « J’ai vu hier dans mon rêve, comme si un myrte ou une plante aromatique a été élevé vers le ciel du côté de l’ouest, jusqu’à ce qu’elle disparût dans le ciel ». Alors Sufyân dit : « Si ton rêve s’avère vrai, Al Awzâ‘î vient de mourir ! ».

 Par ailleurs, des savants comme Wahba az-Zuhaylî, Abû Zahra, Faysal al-Mawlawî et d’autres ont écrit qu’ils pensent que, des 2 avis existants sur le sujet, l’avis juste est celui selon lequel l’état naturel des relations internationales est la paix[9].

  Le Shaykh Faysal al-Mawlawî dans Al-Ussus ush-shar’iyya (pp. 23-31) rappelle que « l’objectif des Musulmans par rapport à ceux qui ne sont pas Musulmans est de leur faire connaître l’islam (da’wa) sans jamais les contraindre à l’embrasser. Or, la paix constitue la situation où cette présentation (da’wah) est la plus efficace. Preuve en est le fait qu’en l’an 6 de l’hégire, le nombre des musulmans accompagnant le Prophète était seulement d’un peu plus que 1400 [alors qu’il y avait eu mobilisation, puisque le Qur’ân reproche à des bédouins de ne pas avoir répondu présent : cf. Sûrah Al-Fath’] ; cependant, le traité de paix signé cette même année à Hudaybiyya entre les Musulmans et les Mecquois permit à ces derniers de mieux connaître l’islam ; et 2 ans plus tard, en l’an 8 de l’hégire, alors que les Mecquois avaient violé le traité, les Musulmans partis avec le Prophète à la Mecque furent au nombre de 10 000 ». Ce fut d’ailleurs pendant ces 2 années de paix avec leur cité que des personnages mecquois qui avaient jusqu’alors combattu l’islam (comme Khâlid ibn ul-Walîd et Amr ibn ul-‘As) se convertirent à l’islam. En effet, lorsqu’une situation est marquée par la paix et les échanges culturels cordiaux, les sentiments positifs envers les autres ont tendance à croitre, et les discussions sereines sont possibles. Or, dans les situations de fortes tensions ou de guerre, beaucoup de gens arrêtent de réfléchir convenablement et ont tendance à cultiver la haine ou les préjugés.

  Ibn al-Qayyim dans Zâd al-Ma’âd (3/309-310) écrit ceci, concernant le traité de Hudaybiyya entre les Musulmans et les idolâtres de la Mecque, durant la période médinoise : « Cette trêve [de Hudaybiya] était une des plus grandes ouvertures. En effet, les gens furent en sécurité les uns par rapport aux autres, les Musulmans se mélangèrent aux non-musulmans, leur firent la da’wah, leur firent écouter le Qur’ân et discutèrent publiquement et en sécurité avec eux de l’islam ; celui qui cachait sa conversion la déclara publiquement ; et entrèrent en islam pendant la période de cette trêve ceux dont Allâh voulut qu’ils entrent ; c’est pourquoi Allâh a appelé cela une ouverture claire ». A noter que dans ce traité, il était interdit d’appliquer aussi une peine aux apostats ou aux déserteurs qui voulaient quitter l’Islam ou Médine, pour rejoindre la Mecque ou retourner auprès des idolâtres, et le Prophète (ﷺ) signa ce traité, car justement, les éventuels apostats avaient interdiction, avec ce traité, de prendre les armes contre les Musulmans.

  Le Shaykh Abû al-Hassân Alî an-Nadwî dans Qassas un-nabiyyîn (5/225-227) dit : « La paix instituée à Hudaybiyya fut une conquête des coeurs (…). Cette paix rendit possibles les occasions de contact entre les Musulmans et les idolâtres ; ces derniers purent prendre connaissance des beautés de l’islam et des (nobles) manières des Musulmans ; et une année ne s’écoula pas qu’un grand nombre de personnes s’étaient converties à l’islam ». Puis, précisant juste après cette paix avec les Quraysh que : « la situation s’étant calmée, le Prophète écrivit des lettres aux rois de la terre et aux roitelets arabes, les invitant à l’islam… ».

  Ceci étant dit, l’Islam prend en compte la réalité. A l’époque prophétique comme par la suite, la configuration géopolitique était celle des logiques impériales, où chaque empire souhaitait s’étendre en écrasant ou en absorbant les autres nations pour diverses raisons. En Islam, si répandre l’islam par la prédication, la science et les échanges culturels est souhaitable, la guerre ne l’est pas. La paix est la règle générale, même si certains juristes médiévaux, influencés par leur contexte politique, se sont parfois fourvoyés à ce niveau.

Du point de vue islamique, au fond, la question est simple.

(1) Si les autres nations acceptent l’Islam, il n’y a pas de jihâd offensif.

(2) Si les autres nations acceptent l’autorité islamique tout en gardant leur propre religion et culture, il n’y a pas de jihâd offensif.

(3) Si les autres nations refusent l’autorité islamique et d’être des dhimmis (citoyens non-musulmans protégés par l’Etat musulman et pouvant garder leur religion) mais qu’ils acceptent les traités de paix, il n’y a pas de Jihad offensif non plus.

 C’est le sens de ces versets, souvent coupés et déformés par les islamophobes et les khawarij : « Et combattez dans le Sentier d’Allâh (seulement) ceux qui vous combattent. Ne transgressez pas (l’Ordre divin) et n’agressez pas (injustement les gens), Allâh n’aime pas les transgresseurs et les agresseurs. Et éliminez-les là où vous les trouvez, et expulsez-les de là où ils vous ont expulsés. Et (causer) la Fitna est plus grave que le fait de tuer [ceux qui causé cette Fitna]. Et ne les combattez pas auprès de la Mosquée Sacrée [de la Mecque] tant qu’ils ne vous combattent pas là ; s’ils vous combattent [là], alors éliminez-les ; ainsi est la rétribution de [ces] négateurs (qui vous combattent) ; s’ils cessent (de vous attaquer), alors Allâh est Pardonnant, Miséricordieux. Et combattez-les jusqu’à ce qu’il n’y ait plus de Fitna, et que le Dîn soit à Allâh ; s’ils cessent, alors [plus d’agressivité contre eux, car] il ne doit y avoir d’agressivité que vis-à-vis des injustes » (Qur’ân 2, 190-193). On voit bien que ces versets réfutent l’allégation islamophobe, car il s’agit de légitime défense, où le Qur’ân interdit l’agression injuste envers les non-Musulmans, et souhaite la paix autant que possible, mais justifie en cas de guerre, la légitime défense, jusqu’à ce que les ennemis cessent le combat. La « fitna » ici, ne se réfère pas seulement à l’idolâtrie des ennemis, mais surtout à leurs actions criminelles, terroristes et injustes, qui visent les croyants dans leur chair, leur vie, leur dignité, leur religion et leur sécurité. S’ils cessent, et que les croyants ont le dessus ou que les idolâtres cessent leurs persécutions contre les croyants, alors Allâh interdit de les attaquer ou de s’en prendre à eux.

  Dans la situation où ils refuseraient la paix et qu’ils imposent la guerre, il faut alors les combattre sous plusieurs conditions avant la confrontation (dernière opportunité de refuser le combat).

(1) La conversion à l’Islam, devenant leurs frères et sœurs avec les mêmes droits.

(2) Devenir des dhimmis et être protégés tout en gardant leur religion et/ou leur culture.

(3) Signer un traité de paix à durée déterminée ou indéterminée.

  Burayda rapporte à ce sujet que lorsque le Messager d’Allâh (ﷺ) nommait quelqu’un comme chef d’une armée ou d’un détachement militaire face aux troupes ennemis qui combattaient les Musulmans tout en refusant la paix, il l’exhortait particulièrement à craindre Allâh et à être bon envers les musulmans qui étaient avec lui. Il disait : « Combattez au nom d’Allâh et dans le Sentier d’Allâh – avec justice et droiture -. Combattez (ceux qui vous combattent parmi) ceux qui ne croient pas en Allâh. Faites une guerre sainte (sans injustice ni bassesse), ne détournez pas le butin ; ne rompez pas votre engagement ; et ne mutilez pas les cadavres ; ne tuez pas les enfants. Et lorsque tu rencontreras ton ennemi parmi les idolâtres, invite-les à 3 choses : quelle que soit celle des 2 premières à laquelle ils te répondent favorablement, accepte-la d’eux et retiens-toi de leur faire du mal : [1] Invite-les à accepter l’islam. S’ils te répondent favorablement, accepte (cela) d’eux et retiens-toi d’eux ; ensuite : invite-les à quitter leur cité pour la cité des Emigrants (Dâr ul-muhâjirîn), et informe-les que s’ils font cela, ils auront les mêmes droits et devoirs que les Emigrants ; S’ils refusent de quitter leur cité, informe-les qu’ils seront alors comme les bédouins musulmans : La Loi divine qui s’applique aux musulmans s’appliquera à eux, (mais) ils n’auront aucune part dans les biens du butin et du fa’y ; car n’en bénéficient que ceux qui participent aux batailles ; [2] S’ils refusent (l’islam), demande-leur la jizya (leur permettant de garder leur religion tout en étant politiquement protégé par les Musulmans). S’ils te répondent favorablement, accepte (cela) d’eux et retiens-toi d’eux [et pourront pratiquer leur religion – autre que l’islam -] ; [3] Et s’ils refusent (de payer la jizya), demande l’aide d’Allâh et combats-les. (…) »[10].

  Mais pendant ou après la guerre, l’Islam ordonne de protéger et d’escorter en lieu sûr les soldats qui ont déposé les armes avant qu’on leur mette la main dessus : « Et si l’un des associateurs te demande asile, accorde-le lui, afin qu’il entende la Parole d’Allâh, puis fais-le parvenir à son lieu de sécurité. Car ce sont des gens qui ne savent pas » (Qur’ân 9, 6).  Quant à ceux qui ont été capturés durant le combat, ils deviendront des captifs de guerre qui devront être bien traités et soignés, avec interdiction de les torturer ou de les humilier, et avec la possibilité, selon le choix du dirigeant, de les libérer gratuitement, de les échanger via une rançon, de devenir esclaves jusqu’à leur affranchissement (par volonté du responsable, pour expier une faute grave, par libération suite à un mauvais traitement ou suite à la demande du captif d’être affranchi lorsque la guerre sera terminée). Allâh dit : « Ensuite, libérez-les, ou rançonnez-les, lorsque la guerre aura cessé » (Qur’ân 47, 5) ; « Ils [les justes parmi les Musulmans] distribuent de la nourriture au pauvre, à l’orphelin, au captif (prisonnier de guerre) en disant : « Nous vous donnons cette nourriture pour être agréable devant Allâh, et nous ne vous en demanderons ni récompense ni action de grâces. Nous craignons de la part d’Allâh un jour terrible (…) » (Qur’ân 76, 8-10) ; « La bonté pieuse et la justice ne consistent pas (seulement) à tourner (extérieurement) vos visages vers le Levant ou le Couchant. Mais Al-Birr (la bonté pieuse emprunte de justice) est de prêter foi en Allâh, au Jour Dernier, aux Anges, au Livre et aux Prophètes, de donner de son bien, quelqu’amour qu’on en ait, aux proches, aux orphelins, aux nécessiteux, aux voyageurs indigents et à ceux qui demandent l’aide et pour délier les jougs (affranchir les esclaves et les captifs), d’accomplir la Salât et d’acquitter la Zakât. Et ceux qui remplissent (pleinement et sincèrement) leurs engagements lorsqu’ils se sont engagés, ceux qui sont endurants dans la misère, la maladie et quand les combats font rage, les voilà les véridiques et les voilà les vrais pieux qui font preuve de justice ! » (Qur’ân 2, 177) ou encore : « Adorez Allâh et ne Lui donnez aucun associé. Agissez avec bonté et bienfaisance envers vos père et mère, les proches, les orphelins, les pauvres, le proche voisin, le voisin lointain, le collègue et le voyageur, et les domestiques (et captifs) qui sont sous votre responsabilité, car Allâh n’aime pas, en vérité, le présomptueux, l’arrogant » (Qur’ân 4, 36). 

  Dans la Sunnah, le Messager d’Allâh (ﷺ) a dit : « Traitez bien les prisonniers »[11]. Jabir Ibn ‘Abdullâh a rapporté que : « Le Prophète (ﷺ) a recommandé le bon traitement des esclaves (domestiques) et il disait : « Nourrissez-les de la même nourriture que vous mangez, habillez-les des mêmes vêtements que vous portez, et ne tourmentez pas et ne maltraitez pas la Création d’Allâh, le Très-Haut »[12]. Le Messager d’Allâh (ﷺ) a dit aussi : « Celui qui est traitre, misérable (dans son comportement), avare et qui fait du mal ou qui cause du tort à ses esclaves (domestiques) ou à des gens qui sont sous sa responsabilité, n’entrera pas au Paradis (…) alors traitez-les avec bonté et générosité (…) »[13]. Ou encore ce hadith du Messager d’Allâh (ﷺ) : « Nourrissez ceux qui ont faim, visitez les malades et libérez les captifs »[14].

  Et si le combattant ennemi a tué (ou violé) une ou plusieurs personnes, il peut être sujet à l’exécution, soit par décision du dirigeant ou du commandant, soit sur demande de la famille de la victime en guise de la loi du talion.

  Dans tous les cas, peu importe le type de jihâd mené (défensif ou contre-offensif), cela ne peut jamais cibler volontairement les enfants, les femmes, les hommes, les personnes âgées, religieux ou non, qui ne combattent pas (avec des armes à la main) les Musulmans ou les non-Musulmans sous leur autorité. Le combat doit se faire sur les champs de bataille et pas dans les zones essentiellement civiles. L’idéal est de cibler uniquement les chefs politiques, militaires et idéologiques, afin d’éviter les morts inutiles (y compris militaires des simples soldats ou policiers exécutants) et mettre plus rapidement un terme à la guerre en ciblant les donneurs d’ordre et non pas le peuple ou les simples exécutants.

  La question du Jihâd offensif ne se pose de toute façon pas, que l’on soit contre ou pour ce concept, dans le cas où les différents pays ont signé des accords bilatéraux ou des traités de paix, comme c’est le cas au sein des pays de l’ONU.

  Du vivant du Prophète (ﷺ), les autorités byzantines et perses, alors dirigées par des despotes et oppresseurs, avaient refusé la conversion à l’Islam ainsi que la paix, et avaient tué des ambassadeurs musulmans et lancé les hostilités contre les terres musulmanes. Les Musulmans se sont alors défendus, puis pour éviter les nouvelles attaques, ont mené des contre-offensives contre les 2 superpuissances de l’époque, tout en étant soutenus par une partie des populations locales, et épargnant les civils et les destructions des maisons et lieux de culte appartenant aux non-Musulmans. Ensuite, ils se sont implantés politiquement, en baissant la charge des taxes, en étant plus justes et protégeant mieux la liberté de culte et de conscience, à tel point qu’ils étaient comme des libérateurs par les Juifs, les Chrétiens persécutés par Byzance ou les Zoroastriens méprisés ou maltraités par le pouvoir sassanide (qui était aussi fort instable depuis un moment).

Michel le Syrien (1126 – 1199) qui était historien mais aussi un célèbre patriarche de l’Église syriaque orthodoxe dit ceci dans sa Chronique universelle : « Le Dieu des vengeances (…) voyant la méchanceté des Romains qui, partout où ils dominaient, pillaient cruellement nos églises et nos monastères et nous condamnaient sans pitié, amena du Sud les fils d’Ismaël [c-à-d les Musulmans] pour nous délivrer d’eux (…). Ce ne fut pas un léger avantage, pour nous, d’être délivrés de la cruauté des Romains, de leur méchanceté et de leur colère, de leur cruelle jalousie et de nous trouver en repos ». Michel reçut par ailleurs le sultan musulman Kiliç Arslan II à Mélitène en 1182, avec qui eut lui des discussions cordiales.

  Selon les savants Musulmans Faysal al-Mawlawî dans Al-Ussus ush-shar’iyya (pp. 94-95) et Wahba az-Zuhaylî dans Al-‘Alâqât ud-duwaliyya fi-l-islâm (p.100), une cause majeure (poussant les Musulmans à combattre les empires byzantin et sassanide) résidait dans le fait l’ambassadeur du Prophète avait été tué par les alliés des Byzantins, ce qui avait provoqué le combat de Mûta, où des forces byzantines avaient guerroyé contre les forces musulmanes ; et, par rapport aux Sassanides, dans la mesure où l’empereur sassanide avait fait envoyer 2 personnes saisir le Prophète (ﷺ) à Médine pour le tuer.

  Les historiens Jean Sellier et André Sellier écrivent dans Atlas des peuples d’Orient (éd. La Découverte, 2002, p. 52) : « A l’époque où la puissance abbasside s’écroule, la majorité de la population du Croissant fertile et de l’Egypte a adopté la langue arabe. En dehors de la péninsule arabique, l’islam demeure en revanche minoritaire, sauf sans doute en Irak (où subsiste une forte proportion de nestoriens). En haute Mésopotamie et en Syrie [passées sous administration musulmane au 7e siècle], la population restera en grande partie chrétienne jusqu’au 13e siècle. En Egypte [également passée sous administration musulmane au 7e siècle], l’islam ne deviendra majoritaire qu’au 11e siècle. Pas plus que les Omeyyades, les Abbassides n’ont mené une politique de conversions ». Ces faits historiques réfutent les quelques récits apocryphes que l’on peut trouver dans les Chroniques historiques d’At-Tabârî ou d’Ibn Kathir – récits posant problèmes d’ailleurs du point de vue de l’éthique islamique sur ce que furent globalement les expéditions militaires musulmanes des premiers temps, que l’on sait justes et épargnant les populations civiles de toute forme d’injustice -. Cette absence (dans les premiers temps de l’Islam sous les Califes bien-guidés) de conversion forcée et de massacres de masse ou de massacres des populations civiles, sera confirmée par d’autres travaux historiques, mentionnés notamment par Christian Julien Robin et Jérémie Schiettecatte dans leur ouvrage Les préludes de l’Islam: Ruptures et continuités dans les civilisations du Proche-Orient, de l’Afrique orientale, de l’Arabie et de l’Inde à la veille de l’Islam (éd. De Boccard, 2013). Les Musulmans n’avaient pas pillé ou détruit les bibliothèques, asservi les populations civiles, massacré les populations locales ou détruit leurs villes, ni même éradiqué leur religion ou leur culture. Tout en étant soutenu par une bonne partie des populations locales, les appelant parfois à l’aide pour les libérer des régimes despotiques et répressifs de l’époque (en Syrie, en Irak, en Palestine, en Egypte, au Maghreb, en Perse, en Andalousie, etc.). Les Musulmans étaient vus comme des libérateurs, et ne s’installaient que très rarement dans les quartiers non-Musulmans. Ils restaient soit aux abords des villes ou en dehors, ou alors fondaient eux-mêmes de nouvelles villes, comme en Syrie, en Irak, en Perse, au Maghreb, en Egypte, en Andalousie, etc. Les non-Musulmans, même majoritaires dans certaines régions plusieurs siècles après l’arrivée des Musulmans, appréciaient l’allègement des taxes, le fait d’avoir pu conserver leur culture et leur religion, leurs propres tribunaux religieux et communautaires, le tout en étant protégés politiquement et militairement sous la Shar’îah par les forces Musulmanes qui assurèrent leur protection.

  Pour en revenir au Jihâd offensif, la politique ne fonctionne pas qu’avec de bons sentiments. C’est en permanence un jeu de rapports de force, mais en Islam, ce rapport de force, ou la méthode de la dissuasion militaire, doivent toujours s’inscrire dans le cadre de la justice, de la sécurité, de la paix et de la bonne entente entre les peuples, ouvrant le dâr al-islâm aux Musulmans et aux non-Musulmans pacifiques du monde entier. A l’époque surtout, il était nécessaire de rester vigilant pour ne pas être écrasé, trahi ou absorbé par des empires injustes ou décadents. De nos jours, même si l’impérialisme est surtout politique et économique, il existe encore parfois sous la forme militaire, et les pays musulmans doivent se renforcer pour éviter de devenir la proie des ambitions impérialistes, tout comme les pays musulmans doivent s’interdire d’opprimer leurs propres citoyens ou d’envahir des pays pacifiques ou qui possèdent des traités de paix, ou encore si la guerre ne fera qu’empirer les choses pour tout le monde, ou impacter inutilement les civils de part et d’autre.

  « O humains ! Nous vous avons créés d’un mâle et d’une femelle, et Nous avons fait de vous des nations et des tribus, pour que vous vous entre-connaissiez. Le plus noble d’entre vous, auprès d’Allâh, est le plus pieux et le plus droit (enraciné dans la justice). Allâh est certes Omniscient et Grand Connaisseur » (Qur’ân 49, 13).

« Allâh appelle à la demeure de la Paix et guide qui Il veut vers un droit chemin » (Qur’ân 10, 25)

« Ô vous qui croyez ! Entrez tous dans la Paix » (Qur’ân 2, 208)

Le Messager d’Allâh (ﷺ) a dit : « Adorez le Tout-Rayonnant d’Amour et Tout-Miséricordieux (Allâh), nourrissez les pauvres et répandez la Paix et les salutations. Vous entrez alors au Paradis en Paix (par Sa Miséricorde) »[15].

‘Abdullâh ibn Salâm a dit : « Lorsque le Messager d’Allâh (ﷺ) arriva à Médine, les gens se précipitèrent vers lui et ont dit : « Le Messager d’Allâh est venu ! ». Je suis venu avec les gens pour le voir et quand j’ai regardé le visage du Messager d’Allâh, j’ai réalisé que son visage n’était pas celui d’un menteur. La première chose qu’il dit (une fois arrivé à Médine) fut : « Ô peuple, répandez la paix (et les belles salutations), nourrissez ceux qui ont faim et priez la nuit quand les gens dorment et vous entrerez en Paix au Paradis »[16].

  Dans certains ahadiths il est dit d’ailleurs que souvent, les Musulmans seront attaqués et qu’ils devront donc combattre les forces ennemies qui lanceront les hostilités. Les ahadiths ne disent pas en effet : « Combattez-les (…) » mais « Vous serez amenés à combattre » ou « Vous combattrez (ceux qui vous attaqueront) » (voir par exemple Al-Bukhari dans son Sahîh n°2767, 3398, 3593, Muslim dans son Sahîh n°2921, 2981, etc.), signifiant qu’ils n’ont d’autre choix que de les combattre si d’autres groupes leur imposent la guerre. Attention donc aux mauvaises traductions que l’on peut trouver sur certains sites et certaines vidéos YouTube.

Le Prophète (ﷺ) envoya une partie des Musulmans en Abyssinie, terre de justice et de sécurité pour les Musulmans malgré que le pays fut dirigé par un roi/négus chrétien (qui se convertira certes à l’Islam plus tard, mais qui n’appliqua pas totalement la Loi islamique car son peuple et ses conseillers politiques étaient demeurés chrétiens en grande partie à cette époque). Le Prophète (ﷺ) ne leur dit pas de causer des troubles, un coup d’Etat, des révoltes ou de s’en prendre au gouvernement, malgré leur incroyance, mais comme ils étaient justes, il fallait aussi être justes et bienfaisants envers eux. Il (ﷺ) dit ainsi à propos du Négus (alors chrétien), qui dirigeait l’Abyssinie : « Il s’y trouve un roi chez qui personne n’est opprimé, et c’est une terre de justice »[17].

  Le Prophète Muhammad (ﷺ) en prenant Abû Bakr as-Siddiq par la main, lui dit, à propos d’un groupe idolâtre (la tribu des Banû Shaybân) qui incarnait une qualité que le croyant doit mettre en oeuvre : « Quelle noble qualité que celle-ci, par laquelle Allâh contient la violence des uns et des autres, et par laquelle ils se réconcilient »[18].

   De même, le Prophète (ﷺ) reconnut et loua les qualités et l’intelligence de Khalîd ibn al- Walîd alors qu’il était encore idolâtre à l’époque comme le rapporte Ad-Dhahâbî dans Târîkh al-Islâm (1/293).

  Plus tard, le Prophète (ﷺ) a dit, alors qu’il avait son propre état politique à Médine, de laisser les Abyssins en paix tant qu’ils vous laisseront en paix. Même chose pour les Moghols : « Laissez (en paix) les Abyssiniens tant qu’ils vous laissent tranquilles, et Laissez (en paix) les moghols (parfois confondus avec les Turcs) tant qu’ils vous délaissent (tant qu’ils ne vous combattent pas) »[19].

  Cela nous informe du fait que, après la foi en Allâh et en ce qu’Il a révélé, et le bon comportement, le Prophète (ﷺ) cherchait avant tout la justice sociale et politique pour sa communauté, même si le gouvernement ou la terre de résidence, n’étaient pas « musulmans ». Ceci étant dit, le Négus finit par se convertir à l’Islam, mais ne put instaurer politiquement et publiquement la Sharî’ah, faute de soutien populaire et étant empêché par une partie conséquente de ses « ministres et dignitaires ».

  L’Islam accorde une grande importance au soutien des opprimés et à la lutte contre l’oppression, en témoigne le célèbre pacte Hilf al-fudul, où le Prophète (ﷺ) dit : « Certes, j’avais été témoin d’un pacte de justice dans la maison d’Abdullah ibn Jud’an auquel, si j’étais appelé à y répondre maintenant, au temps de l’Islam, j’y répondrais. Faites de telles alliances afin de rendre les droits à leur peuple, afin qu’aucun oppresseur n’ait de pouvoir sur les opprimés »[20].

  Enfin, nulle part le Qur’ân ou la Sunnah purifiée disent de combattre les peuples de la terre entière jusqu’à ce qu’ils deviennent Musulmans ou que la Shar’iah s’applique partout, même si, bien compris et vécu, l’Islam et donc la Shar’iah sont des bénédictions et des protections pour les gens. Le Qur’ân dit explicitement : est ce à toi de contraindre”.

  Par contre, il faut leur expliquer ce qu’est l’islam et sa sagesse, et s’ils veulent l’islam et la Shar’iah, tant mieux, sinon, tant pis.

Voici la noblesse de l’Islam, qui surpasse les considérations idéologiques, politiques, mondaines, matérialistes ou capitalistes des uns et des autres, n’en déplaisent aux islamophobes, aux khawarij ou à certains déviants se réclamant de l’Islam.

  L’Islam offre ainsi toujours une porte de sortie à la guerre et un moyen de favoriser la paix, que ce soit avant la déclaration d’une guerre, juste avant la confrontation lors d’une bataille, pendant la bataille (s’ils déposent les armes) ou après la bataille. De même, l’Islam interdit la punition collective : « Dis : « Chercherais-je un autre Seigneur qu’Allâh, alors qu’Il est le Seigneur de toute chose ? Chacun n’acquiert [le mal] qu’à son détriment : personne ne portera le fardeau (ou la responsabilité) d’autrui. Puis vers votre Seigneur sera votre retour et Il vous informera de ce en quoi vous divergez » (Qur’ân 6, 164). Ibn Kathîr dans le Tafsîr (6/164) dit : « Ce verset nous informe de l’apparition du Jour de la Résurrection au cours duquel se trouve la récompense d’Allâh le Très-Haut, Son jugement et Sa justice, où les âmes ne seront récompensées que pour leurs propres actes. Si les actions sont bonnes, alors la récompense est bonne, et si les actions sont mauvaises, alors la récompense est mauvaise. Personne ne portera le fardeau du péché à la place d’un autre, car telle est la justice de L’Exalté (Allâh) ».

  Le Messager d’Allâh (ﷺ) a dit : « Ne revenez pas à l’incrédulité (mécréance) après moi en vous frappant (injustement) le cou. Aucune personne ne doit être punie pour les crimes de son « père » ou de son « frère »[21]. Dans un autre Hadith, nous lisons : « Il n’y a aucun fardeau sur l’enfant adultère pour les péchés de ses parents ». Alors le Prophète récita le verset : « Nul ne portera les fardeaux d’un autre » (6, 164) »[22].

Le Messager d’Allâh (ﷺ) a dit : « En vérité, les pires transgresseurs (par rapport aux crimes envers Ses créatures) envers Allâh sont ceux qui tuent dans la Mosquée Sacrée, ceux qui tuent celui qui ne l’a pas combattu, ou ceux qui tuent avec la vengeance de l’ignorance »[23].

   En vérité, la pratique de la punition collective fait partie des pratiques de la jahiliyya que l’Islam est venue abolir.

At-Tabarî dans son Tafsîr (17/33) dit : « Ne tuez personne en représailles à un meurtre injuste, sauf le meurtrier lui-même, car les gens ignorants (de la jahiliyya) faisaient cela. Si un homme tuait un autre homme d’une tribu adverse, le patron de l’homme assassiné tuait un homme notable de l’autre tribu. Ainsi, Allâh le Très-Haut a interdit cela à Ses serviteurs ».

  Ibn Hishâm dans sa Sirah an-Nabawiyya (610) rapporte : « La cause de la guerre entre les Qurayshites et la tribu de Bakr, comme je l’ai raconté, était due à un fils de Hafs ibn Al-Akhyaf. Il était parti à la recherche d’un chameau perdu à Dajnan. C’était un jeune homme aux cheveux flottants et portant un manteau, et c’était un jeune homme beau et propre. Il passa par Amir ibn Yazid qui était à l’époque le chef de Bakr. Il a vu le jeune et a été émerveillé par lui. Amir a dit : « Qui es-tu, ô garçon ? ». Le garçon dit : « Je suis le fils de Hafs ibn Al-Akhyaf de la tribu de Quraish ». Lorsque le garçon se détourna, Amir dit aux membres de sa tribu : « Ô tribu de Bakr, les Qurayshites vous doivent-ils le prix du sang ? ». Ils répondirent : « Bien sûr, par Allâh, leur (prix du) sang leur est dû ! ». Amir a déclaré : « Quiconque tue ce garçon pour se venger aura versé le sang qui lui est dû ». Alors l’un des membres de la tribu suivit le garçon et le tua pour se venger du sang versé par Quraish. Lorsque les Quraish discutèrent de la question, Amir dit : « Vous nous devez (le prix) du sang, alors que voulez-vous ? ». Si vous souhaitez nous payer ce que vous nous devez, nous vous paierons ce que nous vous devons. Si vous ne voulez que du sang, homme pour homme, alors ignorez vos revendications et nous ignorerons les nôtres. Le garçon n’était pas très important pour les Quraishites, alors ils dirent : « Très bien, homme pour homme ». Ils l’ont donc ignoré et n’ont pas demandé de compensation ».

  Par rapport à la loi du talion, où Allâh dit dans le Qur’ân : « Le Mois sacré pour le mois sacré ! – Le talion s’applique à toutes choses sacrées. Donc, quiconque transgresse en vous agressant, rendez-lui la pareille, mais faites preuve de Taqwâ vis-à-vis d’Allâh (en étant justes et pieux). Et sachez qu’Allâh est avec les pieux (qui font preuve de droiture en agissant avec justice pour Lui). Et dépensez dans le Sentier d’Allâh. Et ne vous jetez pas par vos propres mains dans la destruction. Et faite le bien, car Allâh aime les bienfaisants » (Qur’ân 2, 194-195). En Islam, la loi du talion ne consiste qu’à riposter (contre les combattants ou les meurtriers) en les combattant ou en les neutralisant, et non pas à attaquer les non-combattants parmi leur peuple, puisqu’Allâh ordonne aux croyants d’être bons et bienfaisants, justes et pieux, même dans ce genre de situation. Al-Qurtûbî dans son Tafsîr (2/194) dit : « Celui qui vous opprime, vous pourrez prendre vos droits le concernant selon la mesure de son oppression. Celui qui vous maltraite, vous pourrez alors réagir de la même manière que ses paroles. Celui qui s’en prendra à votre honneur, alors vous pourrez lui répondre. Mais ne transgressez pas contre ses parents, ni ses enfants, ni ses proches. Ce n’est pas votre droit de mentir contre lui s’il a menti contre vous. En effet, un péché ne devrait pas être accompagné d’un autre péché ».  

  Le Shaykh Ibn Taymiyya dans Ar-Radd ‘ala Al-Bakri (1/381) : « Si quelqu’un ment contre vous ou commet un adultère avec votre famille, il ne vous sera pas permis de mentir contre lui ou de commettre un adultère avec sa famille. L’adultère et le mensonge sont interdits par (l’Ordre d’) Allâh ».

  La riposte est autorisée, mais pas à n’importe quel prix ; s’ils tuent nos enfants et nous torturent, on ne peut pas tuer leurs enfants ou les torturer, puisqu’Allâh exige que la lutte se fasse selon Sa Loi et dans Son Sentier, donc dans la justice et la piété, sans leur infliger de punition collective, de torture, de meurtres de civils, etc. Ainsi, s’ils tuent nos soldats ou nos combattants, nos civils et détruisent nos hôpitaux, nous ne devrions pas chercher à tuer le plus de soldats possibles ou de civils parmi eux, ou même de détruire leurs hôpitaux. Il faut plutôt chercher à briser le cycle de la haine et de la destruction, et répondre par ce qui est meilleur, comme le dit le Qur’ân : « La bonne action et la mauvaise ne sont pas pareilles. Repousse (le mal) par ce qui est meilleur (par le bien); et voilà que celui avec qui tu avais une animosité devient tel un ami chaleureux. Mais (ce privilège) n’est donné qu’à ceux qui endurent et il n’est donné qu’au possesseur d’une grâce immense. Et si jamais le Shaytan t’incite (à agir autrement), alors cherche refuge auprès Allâh » (Qur’ân 41, 34-36). Il est évidemment permis de se protéger face à un agresseur, ou à cibler les soldats et combattants ennemis qui ont lancé les hostilités, mais il est préférable de cibler les chefs de la guerre et de la mécréance tyrannique afin d’espérer que la guerre cesse : « Et si, après le pacte, ils violent leurs serments et attaquent votre Religion, combattez alors les chefs de la mécréance – car, ils ne tiennent aucun serment – peut-être cesseront-ils ? » (Qur’ân 9, 12). 

  Le Qur’ân dit également : « Ô les croyants ! Observez strictement la justice et soyez des témoins (véridiques) comme Allâh l’ordonne, fût-ce contre vous-mêmes, contre vos père et mère ou proches parents. Qu’il s’agisse d’un riche ou d’un besogneux, Allâh (par rapport à la Vérité et à la Justice) a priorité sur eux 2 – et Il est plus connaisseur de leur intérêt que vous -. Ne suivez donc pas les passions, afin de ne pas dévier de la justice. Si vous portez un faux-témoignage ou si vous le refusez, sachez qu’Allâh est Parfaitement Connaisseur de ce que vous faites » (Qur’ân 4, 135). Il n’est donc pas permis de soutenir un oppresseur ou un criminel, même s’il fait partie de notre famille, de nos proches ou de notre « groupe ». Allâh dit : « Que soit issue de vous une communauté qui appelle au bien, ordonne le convenable, et interdit le blâmable. Car ce seront eux qui réussiront » (Qur’ân 3, 104) et c’est le sens du hadith connu : « Peu importe, qu’un homme aide son frère, qu’il ait tort (en étant oppresseur et injuste) ou qu’il soit lésé (opprimé et victime d’injustice). S’il opprime les autres, alors arrêtez-le (en l’empêchant de commettre son injustice ou son oppression), car cela le soutient (en l’empêchant d’être injuste). S’il est opprimé, alors soutenez-le (en le préservant d’être victime de l’oppression) »[24]. Et dans un autre hadith, le Messager d’Allâh (ﷺ) a dit : « Remplissez pleinement votre engagement en étant digne de confiance envers ceux en qui vous vous êtes librement engagés, et ne trahissez pas (en retour) celui qui vous a trahit »[25].

  Prêcher l’Islam implique, selon l’Islam, d’incarner le bon comportement et la sagesse, et de savoir se montrer souple, clément, bon et avenant envers les gens, en s’adaptant à leur degré de compréhension et à leur état spirituel. Mu’adh ibn Jabal a dit : « L’Envoyé d’Allâh m’a fait la recommandation suivante : « Ô Mu’adh je t’enjoins la piété, de dire la vérité, de tenir tes engagements, de restituer les dépôts, de ne pas trahir, de préserver le voisin et le prochain (dans leur droit et de ton mal), d’être clément envers l’orphelin, d’être souple dans tes propos, de saluer convenablement les gens, de bien agir, de limiter tes espoirs (dans les illusions de ce bas-monde), de t’attacher à la Foi, d’étudier consciencieusement le Qur’ân, d’aspirer à l’Au-delà, de redouter le Jugement dernier et d’être humble. Je t’interdis d’insulter un sage, d’accuser un homme honnête de mensonge, d’obéir au pêcheur, de désobéir à un imâm juste et de semer le désordre, la corruption et la destruction sur terre. Je te recommande aussi de craindre Allâh près de chaque pierre et arbre et dans chaque village, d’invoquer et d’évoquer Allâh en tous lieux, et de te repentir pour chaque péché, un repentir secret pour les péchés intimes et un repentir public pour les péchés manifestes (péchés commis dans la sphère publique) »[26]. Et d’après ’Urwa, ’A’isha disait : « L’Envoyé d’Allâh n’est jamais monté en chaire sans que je l’entende réciter ces 2 versets : « Ô vous qui croyez ! Soyez pieux et droits envers Allâh (et Son Ordre), et parlez avec droiture ! Allâh transformera en bien, pour vous, vos oeuvres, et Il vous pardonnera vos fautes » (37, 70-71) »[27].

  Il s’agit là des fondements de la futuwwa, l’esprit de la chevalerie spirituelle en Islam, où le croyant se doit d’incarner les convenances éthiques et spirituelles, le bon adab, qui consiste à cultiver et manifester les bonnes manières, le noble comportement, la générosité, la droiture, la compassion à l’égard de Ses créatures, la loyauté et la piété envers Allâh et toutes les personnes auprès de qui il s’est engagé, etc.

« Dis : « Mon Enseigneur a ordonné (la pratique de) la justice, la droiture et le convenable » (Qur’ân 7, 29). Le terme « Qist » en arabe englobe les notions de justice, de droiture, d’adéquation et de convenable. Il est donc question ici, pour le croyant, d’agir selon ce qui est juste, approprié, convenable et droit.


Notes :

[1] Rapporté par Ibn Ishaq dans sa Sîrah, Al-Wâqidî, Kitâb al-maghâzî 1/701 et d’autres.

[2] Rapporté par différentes voies et variantes, certaines étant plus courtes et concises que les autres. Selon ‘Abdullâh ibn Abî Awfâ, Abû Hurayra, Salim Abû An-Nadr et d’autres, Al-Bukharî dans son Sahîh n°2965, 2966 et 3024, Muslim dans son Sahîh n°1741 et 1742, Abû Nu’aym dans Hilyat ul Awliya’ 8/286 et d’autres.

[3] Rapporté par Al-Bukharî dans son Sahîh n°2837 dans le chapitre le combat dans le Sentier d’Allâh.

[4] Rapporté par Muslim dans son Sahîh n°2865 selon ‘Iyad Ibn Himar, Abû Dawûd dans ses Sunân n°4895.

[5] Rapporté par Ahmad dans son Musnad n°15943 selon Abû Shurayh, sahîh.

[6] Wahba az-Zuhaylî dans Al-‘Alâqât ud-duwaliyya fi-l-islâm, p.94 rapporte leurs avis en la matière.

[7] Rapporté notamment par Asmi Wood, “8. Apostasy in Islam and the Freedom of Religion in International Law”, 2012, p.169 : https://www.jstor.org/stable/10.20851/j.ctt1t3051j.13?seq=20 ; voir aussi Paul Babie, Freedom of Religion under Bills of Rights, Neville Rochow (eds.), University of Adelaide Press. p. 169, et aussi par J Bowker, What Muslims Believe, 1998, n 133, 96.

[8] Ameur Zemmali dans son article Imam Al-Awzai and his humanitarian ideas (707-774), 1988, dresse un tableau synthétique résumant ses positions sur cette thématique. Voir aussi la biographie L’Imâm Al-Awzâ’î l’érudit du Châm par Hassan Amdouni.

[9] Wahba az-Zuhaylî dans Al-‘Alâqât ud-duwaliyya fi-l-islâm p. 94 ; Abû Zahra dans Al-‘Alâqât ud-duwaliyya fi-l-islâm pp. 50-51 ; et Faysal al-Mawlawî dans Al-Ussus ush-shar’iyya li-l-‘alâqât bayn al-muslimîn wa ghayr il-muslimîn p. 13.

[10] Rapporté par Muslim dans son Sahîh n°4522 selon Burayda, at-Tirmidhî dans ses Sunân n°1617.

[11] Rapporté par As-Suyûti dans Al-Jami’ Al-Saghir n°1003 selon Abî Aziz Ibn Umayr.

[12] Rapporté par Al-Bukharî dans son Al-Adab Al-Mufrad n°188, sahîh.

[13] Rapporté par Ahmad dans son Musnad n°13 et 32 selon Abû Bakr, At-Tirmidhî dans ses Sunân n°1946, Ibn Mâjah dans ses Sunân n°3691, Al-Khatib at-Tabrizî dans Mishkat al-Masabih n°3375 et d’autres. Certaines voies sont bonnes tandis que d’autres sont faibles mais se renforcent mutuellement.

[14] Rapporté par Al-Bukharî dans son Sahîh n°5058 selon Abû Mûsâ Al-Ash’arî.

[15] Rapporté par At-Tirmidhî dans ses Sunân n°1855 selon ‘Abdullâh ibn Amr, sahîh.

[16] Rapporté par Ibn Mâjah dans ses Sunân n°1334, sahîh.

[17] Rapporté par Ahmad dans son Musnad n°18304, Ibn Hisham dans sa Sîrah 164/2, et d’autres et le récit est sahih.

[18] Rapporté par Al-Bayhaqî dans ad-Dalâ’il al-Nubuwwa 2/422-427, Abû Nu’aym dans ad-Dalâ’il al-Nubuwwa 1/237-242, Ibn Kathîr dans al-Bidâya wa an-Nihâya 3/164-165.

[19] Rapporté par Abû Dawûd dans ses Sunân n°4302 avec une bonne chaine.

[20] Rapporté par Ibn Hishâm dans As-Sirah an-Nabawiyya 1/134, Al-Bayhaqî dans As-Sunân al-Kubrâ n°12114 selon Talha ibn Abdullâh, Ibn Kathîr dans sa Sîrah également, al-Qâssim ibn Thâbit al-‘Awfî dans al-Dalâʼil fī Gharîb al-Hadîth n°243, sahîh.

[21] Rapporté par An-Nasâ’î dans ses Sunân n°4131 selon ‘Abdullâh Ibn Mas’ûd, sahîh.

[22] Rapporté par Al-Hâkim dans Al-Mustadrak n°7135 selon ‘Aîsha, hassân.

[23] Rapporté par Ahmad dans son Musnad n°6643 selon ‘Abdullâh Ibn Amr, sahîh.

[24] Rapporté par Muslim dans son Sahîh n°2584 selon Jabir, al-Bukharî dans son Sahîh n°2312 selon Anas Ibn Mâlik.

[25] Rapporté par At-Tirmidhî dans ses Sunân n°1264 selon Abû Hurayra, hassân.

[26] Rapporté avec de légères variantes par Abû Nu’aym dans Hilyat al-Alawîya pp.240-241, Al-Bayhaqî dans Kitâb az-Zûhd n°956, Al-Ghazâlî dans son Ihyâ’ 2/388, Al-Mundhirî dans al-Targhîb wa-l-tarhîb 4/107-109 et d’autres.

[27] Rapporté par Al-Bayhaqî dans Kitâb az-Zûhd n°960.


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