Le sens de la responsabilité

Les gens qui nous lisent, savent bien maintenant que selon nous, le problème ne réside tant pas dans les divergences juridiques, politiques ou doctrinales, mais dans l’absence d’une opérativité dans la praxis, et dans la mentalité de nos contemporains, aussi bien des « conservateurs » que des « réformistes », qui souvent, sont influencés, – parfois malgré eux -, par la mentalité moderne.

Bien que l’Islam possède une métaphysique, une épistémologie, une théologie et une philosophie qui s’enracinent dans le Qur’ân pour s’ouvrir vers l’universel, l’Islam est avant tout une praxis, dépassant les clivages doctrinaux et juridiques, où la foi se vivifie et s’ouvre à la connaissance et à la sagesse par la pratique des rites fondamentaux, – porteurs de Barakah – tels que la prière, le dhikr, le jeûne, le pèlerinage et l’aumône, ainsi que par l’accomplissement des bonnes œuvres. C’est cela l’essentiel de l’Islam, et ce qui permet d’œuvrer concrètement pour l’élévation de la communauté, en nous occupant des pauvres, des orphelins, des veuves, des malades, des opprimés, des personnes innocentes victimes de violence, des animaux maltraités, du respect de l’environnement.

Au-delà même de cela, il ne faut pas se cacher derrière nos divergences doctrinales ou juridiques pour délaisser l’accomplissement du bien et insister sur des polémiques stériles ou des mises en garde déplacées et dénuées d’équité et de pondération.

Que l’on soit parent, enfant, étudiant, professeur, député, directeur, scientifique, médecin, etc., nous avons une responsabilité, celle d’aspirer avec excellence à Allâh tout d’abord, et celle de prendre soin de ce qu’Il nous a confié en termes d’enfants et de parents, d’animaux, d’environnement, de biens matériels, de voisins, d’étudiants, de citoyens, etc.

Aucune personne douée d’intelligence ne peut nier le fait que l’être humain possède une particularité évidente parmi les créatures. La portée de son esprit, l’élaboration et la manipulation d’innombrables concepts permettant le développement de nombreuses applications pratiques, et son impact sur la planète, ne sont plus à démontrer. En ce sens, Allâh a dit : « En vérité, Nous avons proposé aux cieux, à la terre et aux montagnes Al Amânah (le Dépôt). Ils ont refusé de le porter et en ont eu peur, alors que l’homme s’en est chargé ; il est vraiment foncièrement injuste et ignorant » (Qur’ân 33, 72).

Celui qui occupe une fonction légitime, ne peut cependant pas se comporter en tyran ou en irresponsable, car des conséquences désastreuses en émaneront.
Allâh dit : « Et ne pense point qu’Allâh soit inattentif à ce que font les injustes. Il leur accordera un délai jusqu’au jour où leurs regards se figeront » (Qur’ân 14, 42).

Il dit aussi : « Certes, Allâh vous commande de rendre les dépôts à leurs ayants-droit, et quand vous jugez entre des gens, de juger avec équité. Quelle bonne exhortation qu’Allâh vous fait ! Allâh est, en vérité, Celui qui entend et qui voit tout » (Qur’ân 4, 58).

« Tout ce qui vous a été donné [comme bien] n’est que jouissance de la vie présente ; mais ce qui est auprès d’Allâh est meilleur et plus durable pour ceux qui ont cru et qui placent leur confiance en leur Seigneur, qui évitent [de commettre] les péchés les plus graves ainsi que les turpitudes, et qui pardonnent après s’être mis en colère, qui répondent à l’appel de leur Seigneur, accomplissent la Ṣalât, se consultent entre eux à propos de leurs affaires, dépensent de ce que Nous leur attribuons, et qui, atteints par l’injustice, ripostent.

La sanction d’une mauvaise action est une mauvaise action [une peine nécessaire] identique. Mais quiconque pardonne et réforme, sa récompense incombe à Allâh. Il n’aime point les injustes ! Quant à ceux qui ripostent après avoir été lésés, …ceux-là pas de voie (recours légal) contre eux ; Il n’y a de voie [de recours] que contre ceux qui lèsent les gens et commettent des abus, contrairement au droit, sur la terre : ceux-là auront une correction douloureuse. Et celui qui endure et pardonne, cela en vérité, fait partie des bonnes dispositions et de la résolution dans les affaires » (Qur’ân 42, 36-43).

« Certes, Allâh commande l’équité, la bienfaisance et l’assistance aux proches. Et Il interdit la turpitude, l’acte répréhensible et la tyrannie. Il vous exhorte afin que vous vous souveniez. Soyez fidèles au pacte d’Allâh après l’avoir contracté et ne violez pas vos serments après les avoir solennellement prêtés et avoir pris Allah comme garant [de votre bonne foi]. Vraiment Allâh sait ce que vous faites ! » (Qur’ân 16, 90-91).

Dans le cadre d’un serment politique, du contrat de mariage, de la naissance des enfants, des liens de parenté, du voisinage et de toutes les affaires de la vie courante et politique, le musulman sait que sa relation à Allâh implique le respect du « Pacte Divin », dont les fondements sont la connaissance et la réalisation du Tawhîd, de la justice et de l’équité, ainsi que l’aspiration à la piété, à l’excellence et à la sagesse, et les valeurs telles que la bonté, la bienfaisance, la compassion, l’endurance, la modestie, la générosité, etc. doivent faire partie de son quotidien jusqu’à ce que sa personnalité s’en imprègne naturellement.

« Et n’usez pas du nom d’Allâh, dans vos serments, pour vous dispenser de faire le bien, d’être pieux et de réconcilier les gens. Et Allâh est Audient et Omniscient » (Qur’ân 2, 224).

Utiliser la religion, par des subterfuges, afin de tendre volontairement vers la perversion, semer la corruption sur terre, commettre des abominations et semer volontairement la zizanie parmi les gens, est une chose vraiment terrible. Celui qui n’a aucune taqwâ (crainte d’Allâh) commet certainement une injustice abominable, pire encore quand cela est commis extérieurement en Son Nom pour tromper volontairement les gens. Il nous faut prendre garde à cela !

Celui qui se détourne d’Allâh et de la bonté est privé d’une grâce immense : « Adorez Allâh et ne Lui donnez aucun associé. Agissez avec bonté envers (vos) père et mère, les proches, les orphelins, les pauvres, le proche voisin, le voisin lointain, le collègue et le voyageur, et les domestiques sous votre responsabilité, car Allâh n’aime pas, en vérité, le présomptueux, l’arrogant » (Qur’ân 4, 36) et « La bonté pieuse ne consiste pas à tourner vos visages vers le Levant ou le Couchant. Mais la bonté pieuse est de croire en Allâh, au Jour dernier, aux Anges, au Livre et aux prophètes, de donner de son bien, quelqu’amour qu’on en ait, aux proches, aux orphelins, aux nécessiteux, aux voyageurs indigents et à ceux qui demandent l’aide et pour délier les jougs, d’accomplir la Salât (prière rituelle) et d’acquitter la Zakât (aumône obligatoire). Et ceux qui remplissent leurs engagements lorsqu’ils se sont engagés, ceux qui sont endurants dans la misère, la maladie et quand les combats font rage, les voilà les véridiques et les voilà les vrais pieux » (Qur’ân 2, 177),

Beaucoup veulent ainsi les « avantages mondains » de la fonction, mais pas les devoirs qui leurs incombent, et qui doivent assurer la stabilité et la prospérité de la nation, ou de l’entreprise, ou de la famille, etc.

Cette conscience de la responsabilité doit s’opérer au quotidien comme l’a dit le Prophète Muhammad (‘alayhî salât wa salâm) dans plusieurs ahadîths : « Vous êtes tous des bergers et vous êtes responsables de vos troupeaux. Le gouverneur est un berger et est responsable de son troupeau. L’homme est un berger dans sa famille et est responsable de son troupeau. La femme est une bergère dans la maison de son mari et est responsable de son troupeau. Ainsi chacun d’entre vous est berger et est responsable de son troupeau » (hadîth rapporté par Muslim et al-Bukharî dans leur Sahîh) et « La personne à qui Allâh confie une responsabilité, puis ne s’en charge pas consciencieusement, ne sentira pas l’odeur du Paradis* » (hadîth rapporté par Muslim et al-Bukharî dans leur Sahîh).

Cela désigne toute personne – homme ou femme -, qui occupe une fonction impliquant la charge d’autres personnes que soi, comme le gouverneur, le père de famille, la mère, et toute personne exerçant une fonction dans la police, la médecine, l’éducation, la politique, l’administration, etc.

Quand la personne perd le sens et l’importance de cette responsabilité, et des devoirs qui y sont associés, la société connait la déchéance, les troubles et la corruption.

* Expression désignant la gravité de ce péché, qui est associé à ce qui est impur, et donc ce que le Paradis refuse. Toutefois, la Miséricorde Divine l’emporte et le Pardon Divin est toujours possible.

Le Prophète Muhammad (‘alayhî salât wa salâm) a dit : « Très certainement, Allâh interrogera (au Jour du Jugement dernier), toute personne à qui Il avait confié une responsabilité ; l’avait-elle préservée ou négligée ? Il interrogera même l’époux sur son comportement envers sa famille » (Rapporté par Ibn Hibbân dans son Sahîh).

Dans un magnifique hadîth, Mu’adh ibn Jabal relata les recommandations prophétiques dont il bénéficia : « L’Envoyé d’Allâh (Muhammad) m’a fait la recommandation suivante : « Ô Mu’adh je te recommande la piété, de dire la vérité, de tenir tes engagements, de restituer les dépôts (ce que les gens te confient), de ne pas trahir, de préserver le voisin, d’être clément envers l’orphelin, d’être souple dans tes propos, de saluer convenablement les gens, de bien agir, de limiter tes espoirs (mondains), de t’attacher à la Foi, d’étudier consciencieusement le Qur’ân, d’aspirer à l’Au-delà, de redouter le Jugement dernier et d’être humble. Je t’interdis d’insulter un sage, d’accuser un homme honnête de mensonge, d’obéir au pêcheur, de désobéir à un imam juste et de semer le désordre sur terre. Je te recommande aussi de craindre Allâh près de chaque pierre et arbre et dans chaque village, et de te repentir pour chaque péché, un repentir secret pour les péchés intimes et un repentir public pour les péchés manifestes (péchés commis dans la sphère publique) » » (Hadîth rapporté par Abû Nu’aym et Al-Bayhaqî).

L’imâm ‘Alî (‘alayhi salâm) a dit : « Dans le Livre d’Allâh se trouvent des histoires sur les gens qui sont venus avant vous, sur ce qui arrivera après vous et sur les règles régissant les relations entre vous. Il faut le prendre au sérieux, ce n’est pas une plaisanterie. Quiconque le néglige parmi les tyrans, Allâh le détruira ; quiconque cherche la guidée ailleurs, Allâh l’égarera. C’est la corde robuste, le sage rappel, et le chemin de la droiture. C’est le Livre que les désirs futiles ne peuvent pas détériorer, que les langues ne peuvent pas mal prononcer. Il est un émerveillement constant et les savants ne s’en lassent jamais. Quiconque le cite dit la vérité, quiconque agit en fonction sera récompensé, quiconque s’y réfère dans ses jugements sera équitable et quiconque appelle les gens à lui sera guidé sur la Voie Droite » (rapporté par Ibn Kathir dans Fadâ’îl al-Qur’ân, p. 15).

De même, nous avons conscience de nos péchés et de nos faiblesses, et sans sombrer dans l’hypocrisie ou la tyrannie, il faut éviter tant bien que mal de commettre les turpitudes et les injustices qui impacteront la société. A ce propos, le Prophète Muhammad (‘alayhî salât wa salâm) a dit : « Quand le mal est fait en secret, il ne porte tort qu’à celui qui le fait, mais quand il est accompli en public et que personne ne s’y oppose, il porte atteinte à tout le monde » (Hadîth rapporté par Ibn Kathîr).

Si nous voulons redresser un pays, mener à bien nos projets, développer nos entreprises, assurer l’épanouissement de nos proches et de nos familles ou de nos écoles, il est nécessaire de prendre conscience de notre responsabilité et des « dépôts » qui sont entre nos « mains », et sur lesquels nous devons veiller avec soin et équité. Sans cela, il est inutile d’espérer un changement qualitatif de la situation catastrophique dans laquelle nous sommes à tous les niveaux.


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