Le jihâd offensif entre contexte et impératif universel

   Le Jihâd offensif peut se définir comme étant l’effort sacré fourni dans un cadre politico-militaire face à d’autres forces militaires et nations politiques, tendant à étendre le domaine du dâr al-islâm ou d’empêcher une nation ennemie d’attaquer les musulmans ou les non-musulmans parmi les dhimmis, – dont leur protection est une obligation morale et juridique en Islam -. Si tous les juristes parmi les références dans ce domaine sont unanimes, – conformément au Qur’ân – pour rendre obligatoire le Jihâd défensif sur le plan politico-militaire, consistant à défendre les terres musulmanes de toute agression extérieure ou contre tout mouvement terroriste venant de l’intérieur, – c’est-à-dire des mouvements extrémistes ciblant aussi bien les civils locaux que les touristes ou que les autorités légitimes -, tous n’ont pas été unanimes concernant le Jihâd offensif, et même parmi les partisans de cette doctrine, ils ont divergé sur les modalités et les motivations justifiant cette doctrine.

   Pour certains juristes musulmans, qu’ils soient contemporains ou anciens (avec des nuances cependant), tout état politique qui autorise les musulmans à pratiquer leur culte en toute sécurité, est un dâr al-islâm (selon cette définition, les Etats-Unis, la Suède, l’Allemagne, etc. seraient des terres d’Islam), tandis que pour la majorité, le dâr al islam est le pays où est appliqué la Loi islamique (Sharî’ah), où l’Islam est inscrite dans la Constitution, et que l’appel à la prière (adhân) soit publiquement manifestée, tout comme un certain nombre de préceptes islamiques. L’avis majoritaire est le plus solide à cet égard, puisqu’une terre d’islâm doit se caractériser par l’élément qui prédomine, à savoir les références islamiques.

   Quant au dâr al kufr (terres non-musulmanes) il peut se classifier en plusieurs catégories : dâr al harb (pays non-musulman étant ostensiblement hostile ou en guerre avec des pays musulmans), dâr al ‘ahd (terre non-musulmane qui ne persécute pas les musulmans et qui a des relations pacifiques avec les musulmans ; terre de la paix), et dâr al sulh (terre du traité, indiquant la reddition et l’abandon de la guerre).

Pour d’anciens juristes faisant autorité comme Sufyân at-Thawrî (m. en 778), Al-Awzâ’î (m. 774) et at-Tahâwî (m. en 933), la norme est la paix jusqu’à ce que la nation hostile déclare la guerre[1], ce qui est conforme au Qur’ân comme nous le verrons plus loin.

   Mais pour d’autres, étant donné la configuration géopolitique de leur époque, où les empires cherchaient constamment à s’étendre, la norme était la guerre jusqu’à ce que les autres nations signent un traité de paix ou passent sous l’administration islamique, car il faut bien se resituer dans leur contexte ; les frontières n’étaient pas fixes, les traités n’étaient pas toujours possibles ou respectés, les minorités étaient parfois persécutées ou exterminées en toute impunité. Dès lors, le Jihâd offensif était un moyen de répondre aux ambitions impérialistes des nations non-musulmanes, d’étendre le dâr ul islâm pour y protéger les musulmans et les non-musulmans devant dès lors des dhimmis dont la protection était garantie par l’Etat musulman. Cela échappe parfois à la mentalité moderniste et laxiste des occidentaux de l’Ouest, où les frontières sont globalement fixes et sécurisées depuis plusieurs décennies (en Europe de l’Est et dans les Balkans, on se souviendra des guerres terribles ayant conduit à de nouvelles frontières dans les années 1990), car encore à la moitié du 20e siècle, les nations européennes et américaines contestaient les frontières officielles, les traités, et menaçaient ainsi la sécurité des populations européennes.

   D’autres juristes, par rapport au dâr al-kufr, les divisent en 2 catégories. Le Dâr al-khawf (terre de l’insécurité, crainte, peur) qui est le pays non-musulman qui persécute la minorité musulmane qui vit sur son territoire au point où la communauté musulmane ne s’y sent pas ou plus en sécurité (comme c’est parfois le cas dans certains pays non-musulmans de nos jours). Et par opposition au dâr al-khawf, il y a le dâr al-amn (terre de sécurité), qui est le pays non-musulman qui ne persécute pas sa minorité musulmane et qui se sent donc en sécurité[2].

   Ibn Hajar dans son Fath al-Bârî (1/21) a pour sa part écrit que les musulmans quittant la Mecque pour aller en Abyssinie réalisèrent une émigration d’une « Dâr ul-khawf » vers une « Dâr ul-amn ». De même, quelques années plus tard, les musulmans quittant au début la Mecque pour aller s’installer à Médine réalisèrent aussi une émigration d’une « Dâr ul-khawf » vers une « Dâr ul-amn ».

   Le Shaykh Khalid Saïfullâh résume donc les 2 classifications :

– la première de ces deux classifications repose sur les relations du Dâr al-kufr avec le Dâr al-islâm (état de belligérance/hostilité ou non), le Dâr al-harb étant le pays qui est en état de belligérance avec le Dâr ul-islam ;

– la seconde classification repose sur la considération de la situation que ce pays non-musulman fait vivre à la minorité musulmane qui y réside : si un pays non-musulman organise ou encourage la persécution armée de sa minorité de confession musulmane, alors il s’agit d’une Dâr al-khawf [Khâlid Saïfullâh a ici employé la dénomination Dâr al-harb, mais il s’agit en fait d’un Dâr ul-khawf[3]. De même, si ce pays empêche les musulmans de pratiquer ce qui est obligatoire même pour un musulman qui vit en terre non-musulmane, ces musulmans doivent émigrer de ce pays. Par contre, si rien de ces deux aspects n’est présent, le pays est une Dâr ul-amn, et les musulmans n’ont pas l’obligation d’en émigrer[4].

   Le Shaykh Khâlid Saïfullâh pense que les savants d’auparavant prenaient en considération le premier critère, alors qu’il s’agit pour les savants contemporains de se pencher sur le second.

– En fait cette seconde considération existait déjà auparavant, puisque Ibn Hajar a employé la dénomination « Dâr ul-khawf ». Et par ailleurs Shaykh Khâlid Saïfullâh n’a pas voulu dire que la première considération serait aujourd’hui devenue complètement caduque, mais que les juristes d’hier ont insisté sur le premier aspect, et ce parce qu’il était relativement rare que les musulmans soient résidents des pays non-musulmans ; par ailleurs, écrit-il encore, il n’existait alors pas la fitna du nationalisme dans les régions de la Dâr ul-islâm, et un musulman pouvait facilement quitter une de ces régions pour aller s’installer dans une autre[5].

   Les deux considérations sont donc toujours valables : la première concerne les relations que le pays non-musulman entretient avec les pays musulmans alentour ; la seconde les libertés que ce pays non-musulman accorde ou n’accorde pas à sa minorité musulmane. Et comme l’explique le Shaykh Mannâ’ al-Qattân, le fait que les Etats du monde – ce qui inclut les pays musulmans – ont signé des accords internationaux stipulant qu’ils ne se feront pas la guerre les uns les autres pour agrandir le territoire qu’ils contrôlent, fait donc que les pays non-musulmans sont aujourd’hui, dans les faits, des « cités Mu’âhida » (ou Dâr al-‘ahd) par rapport aux pays du Dâr al-islâm ; seul un pays qui viole l’accord de non-agression devient « cité Muhâriba » (Dâr al-harb)[6]. Dans l’Article 39 de la charte des Nations Unies il est dit : « Le Conseil de sécurité constate l’existence d’une menace contre la paix, d’une rupture de la paix ou d’un acte d’agression et fait des recommandations ou décide quelles mesures seront prises conformément aux Articles 41 et 42 pour maintenir ou rétablir la paix et la sécurité internationales ». Et comme les pays musulmans ont accepté et signé les traités internationaux, – ce qui est permis en Islam si ces traités s’accordent avec les principes de la Sharî’ah en termes de sécurité et de souveraineté de la nation musulmane et des minorités musulmanes dans les terres non-musulmanes -, le Jihâd offensif ne se pose plus, puisque les motivations le rendant légitime ou nécessaire sont absentes. Les seuls cas où le Jihâd offensif sont encore possibles, selon le Qur’ân, concernent des musulmans ou des non-musulmans violemment persécutés ou massacrés, et qui appellent à l’aide afin d’être secourus face aux injustes, et ceci, à condition que les musulmans aient la capacité militaire suffisante, qu’ils n’emploient pas de méthodes terroristes ni ne sèment le désordre sur terre.

Les juristes ont divergé pour savoir si le pacte devait être à durée déterminée ou s’il pouvait l’être à durée indéterminée également. Pour Ibn Qudâma dans Al-Mughnî (12/691-698), il est d’avis qu’il n’est autorisé au dirigeant d’un pays de la Dâr ul-islâm de conclure qu’un traité de mu’âhada à durée déterminée avec le pays non-musulman en question mais pouvant être renouvelé, tandis que pour Ibn Taymiyya dans Al-Fatâwâ al-kubrâ (4/613), il est pour sa part d’avis qu’il est également autorisé de conclure avec lui directement un traité de paix à durée indéterminée. En tous les cas, le Qur’ân n’interdit nullement qu’un pacte soit à durée indéterminée, et Al-Bukhârî écrit notamment que :

« – « Du fait de conclure un traité (al-muwâda’a wa-l-mussâlaha) avec les idolâtres, avec ou sans clause de tribut ; et le péché de celui qui n’a pas respecté (ce) traité. Et de la parole (d’Allâh) : « S’ils inclinent vers la paix, incline (toi aussi) vers elle » » (Sahîh al-Bukhârî, Abwâb ul-jiyza wa-l-muwâda’a, bâb n° 12) ;

– « Du fait de conclure un traité pour trois jours, ou pour une durée déterminée » (bâb n° 18) ;

– « Du fait de conclure un traité sans que la durée (en) soit déterminée » (bâb n° 19) ».

    Ibn Taymiyya écrit dans Al-Fatâwâ al-kubrâ (4/613 ou 5/542 selon l’édition) : « Il est autorisé de le conclure pour une durée indéterminée ainsi que pour une durée déterminée ».

    Ibn al-Qayyim dans Zâd ul-ma’âd (3/146) écrit quant à lui : « Dans ce récit il y a la preuve du caractère autorisé de conclure une paix de façon indéterminée, sans que le délai soit fixé, mais comme le pense le dirigeant. Après cela rien n’est venu qui ait abrogé cette règle de façon formelle. L’avis juste en est donc le caractère autorisé et le caractère valide. As-Shâfi’î l’a stipulé selon la relation de al-Muzanî. Autre que lui parmi les référents (aïmma) l’a aussi stipulé ».

La guerre dans le Qur’ân n’est motivée que par la justice et la légitime défense. En effet, Allâh dit : « Comment donc! Quand ils triomphent de vous, ils ne respectent à votre égard, ni parenté ni pacte conclu. Ils vous satisfont de leurs bouches, tandis que leurs cœurs se refusent ; et la plupart d’entre eux sont des pervers. Ils troquent à vil prix les versets d’Allâh (le Qur’ân) et obstruent Son chemin. Ce qu’ils font est très mauvais ! Ils ne respectent, à l’égard d’un croyant, ni parenté ni pacte conclu. Et ceux-là sont les transgresseurs. Mais s’ils se repentent, accomplissent la Ṣalāt et acquittent la Zakāt, ils deviendront vos frères en religion. Nous exposons intelligiblement les versets pour des gens qui savent. Et si, après le pacte, ils violent leurs serments et attaquent votre religion, combattez alors les chefs de la mécréance – car, ils ne tiennent aucun serment – peut-être cesseront-ils (de s’en prendre à vous) ? Ne combattrez-vous pas des gens qui ont violé leurs serments, qui ont voulu bannir le Messager et alors que ce sont eux qui vous ont attaqués les premiers ? Les redoutiez-vous ? C’est Allâh qui est plus digne de votre crainte si vous êtes croyants ! » (Qur’ân 9, 8-13). Ces versets de la Sûrate At-Tawbah sont parmi les derniers versets révélés concernant la guerre, et donnent le contexte : la légitime défense et la justice.

« Combattez dans le sentier d’Allâh ceux qui vous combattent, et ne transgressez (n’agressez) pas. Certes. Allâh n’aime pas les agresseurs/transgresseurs ! » (Qur’ân 2, 190).

« Autorisation est donnée à ceux qui sont attaqués (de se défendre) – parce que vraiment ils sont lésés ; et Allâh est certes Capable de les secourir, ceux qui ont été expulsés de leurs demeures, – contre toute justice, simplement parce qu’ils disaient : « Allâh est notre Seigneur » -. Si Allâh ne repoussait pas les gens les uns par les autres, les ermitages seraient démolis, ainsi que les églises, les synagogues et les mosquées où le nom d’Allâh est beaucoup invoqué. Allâh soutient, certes, ceux qui soutiennent (Sa Religion) » (Qur’ân 22, 39-40).

    Ainsi donc, dans le Qur’ân, le Jihâd offensif ne peut pas s’exercer pour contraindre les gens à la foi ou les combattre uniquement en raison de leur mécréance : « Et si ton Seigneur l’avait voulu, tous les hommes peuplant la Terre auraient, sans exception, embrassé Sa foi ! Est-ce à toi de contraindre les hommes à devenir croyants » (Qur’ân 10, 99).

« S’ils te contredisent, dis-leur : « Je me soumets à Allâh, moi et ceux qui me suivent ». Après quoi, demande à ceux qui ont reçu l’Écriture et aux non-initiés : « Et vous ? Êtes-vous soumis à Allah ? ». S’ils se déclarent soumis à Allâh, c’est qu’ils ont pris la bonne voie, mais s’ils s’en détournent, rappelle-toi que ton rôle se limite à transmettre le Message. Allâh observe constamment Ses serviteurs » (Qur’ân 3, 20).

« Obéissez donc à Allâh ! Obéissez au Prophète ! Prenez garde ! Mais si vous vous détournez du Seigneur, sachez que Notre Prophète n’a d’autre mission que de vous transmettre clairement le Message » (Qur’ân 5, 92).

« S’ils se détournent de toi, sache que Nous ne t’avons pas envoyé pour assurer leur sauvegarde. Tu n’es chargé que de les avertir. Lorsque Nous accordons à l’homme quelques faveurs de Notre part, il s’en réjouit, mais aussitôt qu’un malheur l’atteint pour le punir de ses fautes, il fait preuve d’une grande ingratitude » (Qur’ân 42, 48).

« Dis : « Ô négateurs ! Je n’adore pas ce que vous adorez, pas plus que vous n’adorez ce que j’adore ! […] À vous votre religion, et à moi la mienne ! » (Qur’ân 109, 1-3 à 6).

Les principes généraux à ce sujet sont évoqués dans plusieurs versets, qui instituent et entérinent la justice et la préférence accordée à la paix :

« Si donc ces gens-là se tiennent à l’écart, et au lieu de vous attaquer vous offrent la paix, Allâh ne vous donne plus aucun droit de les inquiéter » (Qur’ân 4, 90).

« Il se peut qu’Allâh établisse de l’amitié entre vous et ceux d’entre eux dont vous avez été les ennemis. Et Allâh est Omnipotent et Allâh est Pardonneur et Très Miséricordieux. Allâh ne vous défend pas d’être bienfaisants et équitables envers ceux qui ne vous ont pas combattus pour la religion et ne vous ont pas chassés de vos demeures. Car Allâh aime les équitables. Allâh vous défend seulement de prendre pour alliés ceux qui vous ont combattus pour la religion, chassés de vos demeures et ont aidé à votre expulsion. Et ceux qui les prennent pour alliés sont les injustes » (Qur’ân 60, 7-9). Plusieurs exégètes citent ce hadîth comme étant en lien avec ce verset, où la mère d’Asmâ bint Abû Bakr qui était toujours non-musulmane en l’an 630 (soit environ 2 ans avant la mort du Prophète, à la fin de la période médinoise), sa mère (qui vivait au milieu de gens faisant la guerre au Prophète, à Abû Bakr et à ses propres enfants !) vint la voir à Médine. Asmâ, embarrassée, demanda conseil au Prophète Muhammad ﷺ : « « Ô Messager d’Allâh, ma mère mécréante est venue me voir. Puis-je la recevoir et entretenir des (bonnes) relations avec elle malgré sa mécréance ? ». Ce à quoi le Prophète répondit : « Oui, sois bonne avec ta mère » ». Ibn ‘Uyayna a dit : « Puis Allâh révéla « Allâh ne vous défend pas d’être bienfaisants et équitables envers ceux qui ne vous ont pas combattus pour la religion et ne vous ont pas chassés de vos demeures. Car Allâh aime les équitables » (Qur’ân 60, 8) »[7]

   Que dire alors qu’il s’agissait non seulement d’une femme mécréante, vivant dans le camp ennemi, ne s’en désavouant pas clairement, mais qui ne levait pas les armes elle-même contre les musulmans ? Le Prophète dit à Asmâ de maintenir de bons rapports avec elle (pas d’insulte, pas d’agression, pas de meurtre, pas de tromperie, pas de vol), d’être respectueuse et bienfaisante avec sa mère. N’est-ce pas là le summum de la justice et de la bonté ?

« Ô les croyants ! Soyez stricts (dans vos devoirs) envers Allâh et soyez des témoins équitables. Et que la haine pour un peuple ne vous incite pas à être injustes. Pratiquez l’équité : cela est plus proche de la piété. Et prenez garde à Allâh. Car Allâh est certes Parfaitement Connaisseur de ce que vous faites » (Qur’ân 5, 8). L’exégète Al-Qurtûbî dit dans son Tafsîr (5/8) : « Ce verset montre que la mécréance du mécréant ne l’empêche pas d’être traité avec justice ! ».

« Et, sauf en droit, ne tuez point la vie qu’Allâh a rendu sacrée. Quiconque est tué injustement, alors Nous avons donné pouvoir à son proche [parent]. Que celui-ci ne commette pas d’excès dans le meurtre, car il est déjà assisté (par la loi) » (Qur’ân 17, 33).

Néanmoins, il y a bien une chose qui est encore pire que le meurtre du point de vue sociétal, comme nous l’apprend le Qur’ân, où Allâh dit : « La fitna (sédition, trouble, persécution, idolâtrie, chaos, …) est plus grave que le meurtre » (Qur’ân 2, 191). La persécution, l’oppression ou le massacre d’un peuple innocent étant prohibé, les musulmans sont en droit d’intervenir et de s’organiser pour secourir les opprimés.

   Le principe est donc que la vie de tout être humain est sacrée en Islam, y compris celle des non-musulmans. La règle générale (de la sacralité de leur vie) est toutefois levée en cas d’agressions armées ou de meurtres de leur part : « Combattez dans le sentier d’Allâh ceux qui vous combattent, et ne transgressez/agressez pas. Certes. Allâh n’aime pas les agresseurs/transgresseurs ! » (Qur’ân 2, 190). Ce verset est immuable et universel, et ne saurait être abrogé, et fournit la justification religieuse qui permet de mener le combat contre les agresseurs ennemis.

   Et en effet, Allâh loue la justice, la générosité et la vertu, mais condamne fermement l’injustice, la turpitude, la tyrannie et les actes répréhensibles. Il dit : « Soyez fermes dans le maintien de la justice, témoignez pour (l’Amour d’) Allâh, même contre vous-même, vos parents ou vos proches » (Qur’ân 4, 135) et « En toute vérité, Allâh commande la justice, la vertu et la générosité (libéralité, assistance) envers les proches, et Il interdit la turpitude, les actes répréhensibles et la tyrannie » (Qur’ân 16, 90). Il s’agit là de principes universels qui ne font nullement l’objet d’une quelconque abrogation, puisqu’il s’agit de valeurs immuables et non pas de dispositions juridiques particulières ou temporelles.

   Abû ad-Dardâ’ a relaté que le Prophète Muhammad ﷺ a dit : « Savez-vous ce qui est encore meilleur que la prière, le jeûne et la sadaqa (l’aumône, la charité) ? C’est de maintenir de bons rapports (amicaux) avec les gens, car les querelles et la rancœur sont ce qui détruisent les choses (l’humanité) »[8].

    Abû ad-Dardâ’ rappela ceci aussi en une autre occasion : « Dois-je vous dire quelque chose de mieux pour vous que la Sadaqa (charité ; aumône) et le jeûne ? Améliorer le rapport amical (avec les gens), car la haine est ce qui détruit les choses »[9].

   Cela ne veut pas dire qu’il faille abandonner la prière, le jeûne et la charité, – qui sont des obligations comportant de nombreux bienfaits pour l’âme, la société et le corps -, mais que le bon comportement revêt également une importance capitale pour la foi comme pour l’Humanité. Le mauvais comportement peut entâcher, pervertir ou même « étouffer » la foi des individus, en raison de l’injustice ou de l’extrémisme.

    En temps de paix et de prospérité, les échanges cordiaux, commerciaux et intellectuels peuvent se multiplier et se renforcer, diminuer les tensions et les mauvais ressentiments dûs à la guerre, – ce que l’on peut déduire des bienfaits du traité de Hudaybiyya entre le Prophète et les idolâtres de Quraysh -, et ce, bien que la guerre puisse aussi déboucher indirectement sur un regain d’intérêt intellectuel ou religieux, mais ce n’est pas là sa fonction primaire, ni une chose souhaitable pour le croyant. En effet, le Prophète Muhammad ﷺ a dit : « Ô gens ! Ne souhaitez pas la rencontre de l’ennemi ! Demandez plutôt à Allâh la paix (et le salut). Cependant, soyez patients une fois que vous le rencontrez ! Et sachez que le Paradis est sous l’ombre des sabres. Ô Allâh ! Toi qui as fait descendre le Livre et qui fais courir les nuages, vaincs-les et accorde-nous la victoire contre eux ! » »[10].

Il est rapporté que Mu’ad ibn Jabal a dit : « Le dernier conseil que le Prophète m’ait donné lorsque je mettais mon pied à l’étrier était : « Prémunissez-vous envers Allâh où que vous soyez ; faites suivre la mauvaise action par une bonne qui effacera la précédente, et conduisez-vous bien (avec une haute moralité) envers les gens » »[11].

   Ainsi, tant que les minorités musulmanes dans les pays non-musulmans peuvent pratiquer leur religion et l’enseigner à leurs enfants, le combat militaire n’est pas nécessaire, contrairement à la prédication, – qui demeure un devoir (encadré par la sagesse, le bon comportement, la science et la clairvoyance) pour ceux qui sont aptes à le faire – peut se faire par le commerce, les débats, la production littéraire, les assemblées spirituelles et religieuses, les moyens de communication ou les vidéos qui existent aujourd’hui, et cela dans des conditions idéales où la guerre ne vient pas envenimer les choses. La prédication est nécessaire pour inviter les gens à l’Islam, faire connaitre le Droit divin, enseigner les vertus, et faire triompher la Parole divine sur celle des hommes.


[1] Voir Wahba az-Zuhaylî, Athâr ul-harb fi-l-fiqh il-islâmî, p. 94 ; Angeliki E. Laiou, The Crusades from the Perspective of Byzantium and the Muslim World, 2001, p. 23. Pour At-Tahawî, l’un des avis qu’on lui attribue est que le Jihâd offensif n’est pas une obligation, mais une recommandation (dans le contexte de leur époque du moins), rapporté par Hervé Bleuchot dans son son ouvrage Droit musulman paru en 2000 et publié aussi dans un papier en ligne en note de bas de page (n°38) en précisant toutefois que pour lui le Jihâd offensif n’était pas obligatoire : https://books.openedition.org/puam/1044?lang=fr#ftn1

[2] Voir notamment Shaykh Thânwî dans Islâm aur siyâssat, compilation par Muftî Taqî Uthmânî, p. 236.

[3] cf. “L’ensemble des pays non-musulmans (“Dâr ul-kufr”) se partagent en Dâr ul-‘ahd et Dâr ul-harb, ou en Dâr ul-amn et Dâr ul-khawf (III – 2/2)”, Ahmed Anas Lala, 19 décembre 2008 : https://www.maison-islam.com/articles/?p=517.

[4] Shaykh Khalid Saïfullâh, Islâm aur jadîd ma’âshî massâ’ïl, pp. 68 et 71-72.

[5] Ibid., p.68.

[6] Mannâ’ al-Qattân, Iqâmat ul-muslim fî baladin ghayri islâmî, pp. 20-23, 59.

[7] Rapporté par al-Bukharî dans son Sahîh n°5978, voir aussi n°2624, par Muslim dans son Sahîh, par An-Nawawî dans Riyâd as-Salihin n°325.

[8] Rapporté par al-Bukhari dans Al Adab Al-Mufrad n°391, chaîne sahîh.

[9] Rapporté par al-Bukhari dans Al-Adab Al-Mufrad n°412, chaine sahîh.

[10] Hadith rapporté par Bukhari dans son Sahîh n°3025.

[11] Rapporté par At-Tirmidhî dans ses Sunân n°1987, par Ahmad dans son Musnad 5/153, par Ad-Darimî dans ses Sunân 2/823, par An-Nawawî dans son recueil des 40 ahadiths n°18, selon Mu’ad Ibn Jabal et Abû Dharr Jundub ibn Junâda.


1 thought on “Le jihâd offensif entre contexte et impératif universel

  1. :

    La limpidité de cet article est tellement remarquable qu’on se demande comment se fait-il que les détracteurs de l’Islam bénéficient-ils toujours d’autant de crédit avec tous ces arguments énoncés ..

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