La Shar’îah et le fiqh : apprendre à les dissocier sans les opposer

Il est courant de nos jours de voir les gens confondre les fondements et les finalités de la Sharî’ah, avec des avis juridiques qui sont le fruit d’un ijtihad, en imputant leurs erreurs, lacunes ou dérives, à la Sharî’ah, alors que celle-ci en est innocente.

La Sharî’ah c’est la vertu et les meilleurs caractères avant tout, comme l’ont dit des imâms et maîtres comme As-Shatibi et Al-Ghazâlî par exemple. Le fiqh n’est pas la Sharî’ah, mais une compréhension humaine de celle-ci, il faut donc les dissocier (mais non pas les opposer). la Sharî’ah c’est l’ensemble des normes islamiques et des vertus, ainsi que ses principes juridiques, théologiques, spirituels, éthiques, etc. Les khawarij doivent être combattus au nom de l’islam et pourtant ils se cachent aussi parfois derrière le fiqh. Et dans le fiqh, il y a des avis totalement opposés et contradictoires parfois, or on ne peut pas dire qu’Allâh (donc la Sharî’ah) se contredit, contrairement à la compréhension humaine. Si les sources (Qur’ân, Sunnah, qiyas/analogie, observations, expériences, logique et principe de non-contradiction, réflexion, inspiration spirituelle et dévoilements spirituels), les principes et les finalités sont universelles et « inattaquables », les raisonnements juridiques des fuqaha, eux, peuvent être justes comme être erronés, être universels ou très circonstanciels (liés à une culture, une situation géopolitique, à des conditions économiques ou anthropologiques spécifiques, etc.).

Le fiqh, comme les autres sciences en lien avec l’Islâm ne doivent pas être désacralisés, car leur caractère sacré leur a été conféré par Allâh dans le Qur’ân. Cela ne veut pas dire cependant que le fiqh ne doit pas comporter une possibilité d’adaptation, d’allègement ou de durcissement quand les conditions et les changements temporels l’exigent. Il s’agit d’une science noble et pure en soi, ainsi que nécessaire pour la spiritualité comme pour la vie en société ; même les sociétés modernes n’ont pas pu échapper à la nécessité d’avoir un corpus juridique pour légiférer les règles diverses devant régir la société. Seulement, ce fiqh perd sa raison d’être, et donc son caractère noble et sacré, quand il perd son lien avec la Révélation et qu’il ne vise plus à se conformer aux finalités de la Loi et à assurer un certain degré de justice et d’équité pour les gens.

Le maître spirituel, linguiste, juriste, ussûlî (spécialiste des fondements), le théologien, le poète et l’exégète du Qur’ân Jalâl ud-Dîn Rûmî ne disait-il pas ceci dans son Kitâb fîhi mâ fîhi : « L’origine de la jurisprudence (fiqh) est la Révélation (wahî) ; mais quand elle se mélange aux idées, aux sens et aux apports personnels, sa pureté disparaît ; elle n’a plus rien de cette pureté de la Révélation. De même, l’eau qui coule du Tarut sur la ville : regarde combien elle est pure et limpide à sa source ! Mais quand elle parvient à la ville et passe dans les enclos, les quartiers et les maisons ; après que beaucoup de personnes y ont plongé les mains, le visage, les pieds, les membres, les habits, les tapis ; après que les saletés du quartier, celles des chevaux et des mulets s’y sont mêlées : arrivée en aval à la ville, bien qu’elle soit la même eau, qui arrose la poussière, désaltère les assoiffés et fait reverdir la plaine, il faut un discernateur pour déceler que cette eau n’a plus la même pureté et qu’elle est mélangée à beaucoup de saletés ».

L’imâm et juriste As-Shatibî a écrit dans al-Muwâfaqât (2/124) : « La Sharî’ah dans sa totalité ne produit (ne doit produire en réalité) que des nobles vertus ».

L’imâm As-Shatibî a dit aussi dans son livre Al I’tisam (304/1) : « Les savants ont appris que toute preuve dans laquelle il y a une ambiguïté ou un problème (de compréhension) n’est pas une preuve réelle ».

Est ainsi « islamique » et « orthodoxe », ce qui possède un lien évident avec l’Islam et ses principes, ses valeurs et ses finalités, et donc tout avis qui reflète la noblesse et la sagesse de l’Islam. Quant aux erreurs, lacunes et dérives des uns et des autres, elles ne sont pas « islamiques » malgré leurs prétentions.

« Et Nous ne t’avons envoyé (Muhammad) que comme une Miséricorde pour les mondes » (Qur’ân 21, 107).

Dans une parole prophétique il est dit : « Certes, je n’ai pas été envoyé comme maudisseur (pour les gens), je n’ai été envoyé (essentiellement) que comme miséricorde (pour les gens) ». (1).

« Et vraiment, tu (Muhammad) es selon un caractère (et une moralité) incomparable (et éminent) » (Qur’ân 68, 4).

Le Prophète Muhammad (ﷺ) a dit : « J’ai été envoyé pour parfaire la noblesse du comportement (les nobles caractères et les belles vertus) » (2).

Ainsi se cacher derrière des avis juridiques en décalage ou en opposition avec les valeurs fondamentales de l’Islam et les nobles caractères, surtout pour les gens prétendant à la science, à la spiritualité, à la piété, à l’orthodoxie ou à l’intellectualité, ne peut être qu’un signe d’égarement et une preuve témoignant contre leur prétention, et la Loi divine en est donc innocente.

Qu’un musulman lambda et pécheur n’aspire pas aux plus nobles vertus, c’est excusable quoique blâmable, mais de la part d’un juge, d’un savant, d’un mufti, d’un calife ou d’un saint, – de qui les gens attendent la fiabilité, le savoir et l’équité -, cela est inadmissible surtout quand on se pose en donneurs de leçon et en garants de l’intelligence ou de l’orthodoxie, – bien qu’il faut garder à l’esprit que nul, parmi nous (non-prophètes), n’est infaillible ou exempt éventuellement de vices ou de péchés. Au plus l’autorité et la responsabilité d’une personne sont grandes, au plus il lui incombe de se conformer aux qualités et implications qu’exigent de telles fonctions et responsabilités.

Certaines choses sont « autorisées » au commun des gens car ils n’aspirent ni à la vertu ni à la sainteté, donc l’indulgence est plus grande pour eux, mais la loi du pays doit sévir contre les réels abus et injustices, même si cela provient des gens de la masse (‘awwâm). Mais ce qui est déjà « critiquable » chez les gens de la masse, comme défauts ou bassesses, l’est encore plus quand il s’agit d’une personne affichant de fortes prétentions, aussi bien en public qu’en privé, où là, l’excuse n’est en principe pas « admise ».

Notes :

(1) Rapporté par Muslim dans son Sahîh n°2599 sous l’autorité d’Abû Hurayra.

(2) Rapporté par Al-Bukharî dans Al-Adab Al-Mufrad n°273 selon Abû Hurayra, par Ahmad dans son Musnad 2/381, par al-Hâkim dans Al-Mustadrak n°4221 qui l’a authentifié, par Al- Haythâmî dans son Majmâ’ al-Zawâ’îd n°14188 qui l’a authentifié, par Mâlik dans Al-Muwattâ’

et d’autres.


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