La question de la succession politique : Y’a-t-il eu un testament politique publique de la part du Prophète pour désigner son successeur politique ? (Par les maîtres Ibn ‘Arabî et Farîd ud-Dîn Attâr, quintessence de la gnose spirituelle en Orient et en Occident, dans le monde arabe et dans le monde persan)

Si l’on recoupe les différents points de vue, les éléments scripturaires, les dévoilements spirituels et positions des grands maîtres spirituels, les enseignements authentiques et transmis au sein des ahl ul bayt, force est de constater, que 3 thèses doivent être rejetées, à savoir ceux qui affirmaient qu’il était une obligation religieuse, – en vertu d’un testament prophétique supposé – de choisir Abû Bakr comme successeur politique (thèse bakrite), de choisir ‘Alî comme successeur politique (thèse alide, puis shiite), et enfin, celle qui affirmait qu’il fallait choisir obligatoirement Al-‘Abbâs – l’oncle du Prophète – (thèse abbâsside). Ces 3 thèses, Ibn ‘Arabî les a magistralement réfuté dans sa Tadhkirât, tout en démontrant l’orthodoxie traditionnelle des 4 Califes bien-guidés, à travers le Qur’ân, les paroles prophétiques authentiques et les récits les plus notoires et fiables, le tout avec une argumentation logique implacable, et avec un soutien spirituel évident, – provoquant des états spirituels (ahwâl) – et reconnaissant ainsi la Sagesse Divine derrière cet ordre traditionnel. Aussi, nous nous contenterons de citer ici ce qu’écrit Ibn ‘Arabî, en rajoutant toutefois des précisions ou récits supplémentaires que nous jugeons ici pour enrichir notre propos. Nous rappellerons que le Shaykh al-Akbar Ibn ‘Arabî avait non seulement une profonde connaissance des sciences exotériques (Qur’ân, langue arabe, logique, hadîth, Sîrah, tafsîr, fiqh, ussûl al fiqh, ‘aqida, …) mais aussi une connaissance titanesque dans les sciences ésotériques, et qu’il était gratifiés de nombreux prodiges, dévoilements spirituels, et que dans le « ghayb » il avait des entretiens avec un certain nombre de prophètes (1). Les traditions qu’il rapporte sont connues, notoires et bien établies dans les recueils et ouvrages spécialisés, sont conformes au Qur’ân, aux faits historiques et à l’attitude connue et établie des ahl ul bayt. Il en va de même pour l’imâm Farîd ud-Din Attâr qui a une très bonne connaissance du Qur’ân, du hadîth, de l’histoire, de l’exégèse, de la théologie, de l’arabe et qui argumente de façon logique, avec lui aussi, un soutien spirituel (et donc Divin) manifeste.

Ibn ‘Arabî dans sa Tadhkirât (au chapitre 4 sur l’imâma d’Abû Bakr) :

   « J’atteste avec une certitude catégorique que nos guides, nos chefs pour cette fonction (de l’lmâma) sont ceux dont Allâh nous a informés dans Sa Révélation et nous a parlé dans Sa Récitation de leur état prédestiné, alors qu‘ils étaient repliés dans le Néant, couchés dans les berceaux du Non-manifesté, comme des jeunes gens dans la caverne de la Générosité Divine (2), par ces mots : « et fais de nous un guide (imâm) pour les pieux ! » (3), c’est-à-dire : « pour que, par nous, ils trouvent la voie vers Toi ». Et ils sont les guides des hommes promis à la béatitude (ahl al-sa’âda), « ceux qui ont reçu par avance de Nous la Très Belle (Récompense) » (4), c’est-à-dire d’entrer, avec ceux qui les suivent, au Paradis dans la Foi. Nous allons parler, dans ce chapitre fondamental, de l’lmâma, de la communication de son caractère obligatoire et de ceux pour qui cette fonction est nécessaire. Sachez que les hommes « qui se tournent vers la qibla » (5) sont en désaccord sur cette question (de l’lmâma). Des gens affirment que le caractère nécessaire de cette fonction est une nécessité rationnelle (‘aqlan). D’autres disent que c’est une nécessité traditionnelle (sam’an). C’est pourquoi ils ont eu des opinions différentes sur les modes de transmission de l’lmâma. Selon certains, son mode de transmission aurait été le « texte explicite » (al-nass) et la « désignation » (al-tawqîf), émanant de l’Envoyé et concernant celui qui le remplacerait (comme chef de la communauté), qui précisaient son nom et sa personne. Selon eux, également, il devait être infaillible (ma‘sum), ce qui était admissible pour ses sujets ne l’étant pas pour lui. Il n’y a pas d’autre mode de transmission (de l’lmâma) à un homme de cette nature que la communication confirmée par la tradition du texte explicite le désignant personnellement, ou d’une action miraculeuse manifestée en sa présence. Selon d’autres, il fallait que l’lmâm ayant cette nature infaillible désignât son successeur qui aurait le même privilège, parce que le « texte explicite » lui en avait fait une obligation, et ainsi de suite pour le deuxième, le troisième, le quatrième, jusqu’à la fin des temps. Telle est l’opinion des Imâmiyya (ceux qui souscrivent à la thèse d’un testament politique formel en faveur d’une personne précise désignée par le Prophète pour occuper l’imâma) et de toutes les sectes (firaq) sur la personne de celui que le texte de l’Envoyé avait désigné explicitement. Les Râwandiyya et leurs partisans tenaient pour l’imâma d’al-‘Abbâs Ibn ‘ Abd al-Muttalib, l’oncle du Prophète, et prétendaient qu’il l’avait désigné par un texte, lui, ainsi que son fils, le fils de ce dernier, etc. jusqu’à la fin des temps. Certains ont soutenu la thèse du texte désignant ‘Ali, puis al-Hassân, puis al-Husdayn, ensuite l’lmâma sous forme consultative (shûrâ), se transmettrait jusqu’à la fin des temps du plus âgé au plus âgé. D’autres sectes des Imâmiyya ont déclaré que le Prophète avait désigné par un texte Abû Bakr le Juste (al-Siddîq). Ceux qui soutiennent cette opinion portent le nom de Bakriyya parce qu’ils sont les disciples de Bakr ibn ‘Abd Allah Ibn ‘Abd al-Wâhid, le premier qui l’ait énoncée. C’est également la thèse des Bayhasiyya, disciples de Bayhas Ibn Haysam, ainsi que d’al-Hasan ibn al-Hasan al-Basrî et de ses disciples et d’un grand nombre de « gens du Hadîth » (6). La « fraction sauve » (farîq al-salâma) des Musulmans et les grands savants de cette communauté (ummah) ont soutenu la thèse de l’« élection » (ikhtiyâr : littéralement : « choix du meilleur »), et ils ont repoussé celle de la désignation, par un texte explicite émanant du Prophète, d’une personne déterminée. Il aurait seulement dit ceci : « Je ne sais combien de temps je resterai parmi vous, suivez donc ceux qui vivront après moi : Abû Bakr et ‘Umar ! ». Il avait recommandé de les suivre, comme s’il les désignait comme ses successeurs l’un après l’autre, mais, par miséricorde de sa part envers la communauté, il ne l’avait pas dit nettement, puisqu’ensuite il devait déclarer : « Si je vous désignais mon successeur et qu’ensuite vous lui désobéissiez, le châtiment tomberait sur vous » (7). Selon eux l’lmâma est de nécessité traditionnelle (sam‘an), comme toutes les obligations religieuses, car pour ces gens la raison (‘aql) ne saurait conférer un caractère obligatoire à rien. La raison est uniquement un instrument de discernement, rien d’autre, tandis que la tradition seule, sans la raison, à force de nécessité. Les Compagnons du Prophète (al-Sahâba) étaient unanimes sur le caractère obligatoire de l’lmâma, car il fait partie des obligations communes qui sont imposées à tous, le vulgaire ou l’élite. Il faut donc à chaque époque un Imâm, qui soit le refuge de l’affligé, le recours du faible, qui protège la Communauté, applique les peines légales et fasse exécuter les lois, prélève l’impôt foncier, répartisse les butins et les aumônes, soumette les oppresseurs et prenne la défense du faible contre le puissant. Il prend en charge (wakîl) la Communauté en tout cela et représente (nâ’ib) l’ensemble des fidèles. Il doit être bon musulman, et parmi ceux qui savent parfaitement commander et diriger seuls. Il doit être de pure et de bonne ascendance qurayshite et non d’une autre ascendance (8) Mais il ne lui est pas demandé d’être infaillible (ma‘sûm) dont on n’admettrait pas la moindre négligence ni la moindre erreur ; il lui est permis, comme aux autres hommes, de se tromper et de faire des fautes, de poser des questions en cas de difficulté, de consulter sur les affaires à régler, et de s’en remettre à l’avis de quelqu’un d’autre dont il connaît le jugement sain et la loyauté. Il lui est permis aussi de prendre une décision et de revenir sur celle-ci pour une autre qu’il estime plus convenable. En tout cela la Communauté et lui sont égaux. La preuve sur laquelle s’appuient ceux-ci (les Musulmans de saine opinion), pour affirmer le caractère obligatoire de la fonction de l’Imâm, est Sa parole : « Le voleur et la voleuse, tranchez-leur les mains ! » (9) et : « La fornicatrice et le fornicateur, flagellez chacun d’eux … ! » (10) et d’autres cas semblables pour lesquels le Livre et la Tradition du Prophète exigent l’application des peines légales (hudûd). La preuve (scripturaire ou traditionnelle ; dalîl) suppose qu’il n’appartient pas au commun (al-‘awâmm) d’appliquer les peines, car cela mènerait aux contestations et à la sédition. La nécessité réclamait donc que quelqu’un fût chargé de cela pour la Communauté et qu’il entendît les témoignages nécessaires pour faire appliquer les lois comme elles l’exigent, et pour qu’il ne fût pas possible d’entraver les peines légales et les lois dans leur force contraignante. Le Prophète est mort sans avoir installé un Imâm pour la Communauté, ni avoir désigné personne par un texte explicite.       Selon eux (les Musulmans de saine opinion), la preuve qu’il n’avait désigné personne est le fait que l’Imâma a été installé après lui par élection (ikhtiyâr), et qu’il y eut à son sujet discussion entre Abû Bakr et les Ansârs le « jour de la Saqîfa », où il leur montra leur erreur dans les prétentions qu’ils lui opposaient (11). C’est lui qui, le premier, discuta avec eux (pour leur montrer) la nécessité de l’lmâma et (leur dit) que c’était un devoir obligatoire (fard wâjib) et qu’il était réservé uniquement aux Qurayshites. Ils se rangèrent alors à son avis et à sa décision. Leur revirement est dû à ce que leur dit alors ‘Umar au milieu du tumulte : « Ô assemblée des Ansârs ! Je vais vous poser une question. Répondez-moi, et, après cela, vous déciderez si vous avez raison ou tort ! — Parle ! lui dirent-ils. — Je vous adjure de me dire, au nom d’Allâh, vous saviez que l’Envoyé d’Allâh avait confié la direction de la Prière à Abû Bakr, de préférence à vous et à tous les autres, et qu’Abû Bakr avait dirigé la Prière à sa place pendant 9 jours, alors que l’Envoyé d’Allâh était encore en vie ? — Par Allâh, assurément ! répondirent-ils — Qui donc accepterait de bon coeur qu’Abû Bakr soit mis à l’arrière et qu’on lui passe devant ? — Tous s’écrièrent : Personne d’entre nous n’accepterait cela de bon coeur, et nous demandons pardon à Allâh ! ». Après s’être ainsi repentis, tous s’avancèrent vers Abû Bakr en lui demandant pardon et en s’excusant, et lui confièrent le soin de choisir un Imâm. « Tu es le remplaçant (khalîfa) de l’Envoyé d’Allâh pour nous dans la Prière (Salât), lui dirent-ils, choisis donc pour nous et pour la communauté ! ». Il leur répondit : « Vous avez le choix entre 2 hommes : Abû ‘Ubayda, car il est « l’homme sûr de cette Communauté » (12), ou bien ‘Umar car « La Vérité est dans sa bouche et dans sa main » (13), allez donc vers celui que vous voulez choisir ! ». Mais Abû ‘Ubayda et ‘Umar refusèrent d’être élus, estimant qu’Abû Bakr en était plus digne qu’eux, puisque l’Envoyé d’Allâh l’avait préféré pour diriger la Prière, à eux et à tous les autres membres de la Communauté. Ils le reconnurent donc comme chef de la Communauté, par une sorte « d’interprétation et d’opinion personnelles » (bi-darb min al-ijtihâd wa-l-ra’y).

   Si donc le Prophète avait désigné quelqu’un par un texte explicite, il n’y aurait pas eu de divergences après lui, et Abû Bakr, ni personne d’autre, n’aurait pu indiquer quelqu’un d’autre que la personne désignée par le texte en question, car cela aurait été — à Allâh ne plaise ! — de la rébellion contre Allâh et Son Envoyé, une preuve de désaccord vis-à-vis d’eux, et cela aurait été outrepasser leurs ordres. Mais Allâh les a protégés ; Il a placé tellement haut leurs mérites et II les a rendus tellement purs qu’on saurait leur attribuer ce qui est indigne de leurs vertus, car ils sont, après l’Envoyé d’Allâh, les Elus parmi Ses Saints (khawâss awliyâ’ Allâh) et « la meilleure Communauté apparue pour les êtres humains » (14). Allâh a fait leur éloge en de nombreux endroits de Son Livre. Il est ainsi bien établi, par ce que nous avons expliqué et montré, que l’lmâma, après l’Envoyé d’Allâh, a été établi par élection, non par un texte, et que le texte n’a aucune réalité.

   Il faut noter également que les Ansârs étaient nombreux et occupaient un rang élevé dans l’Islam ; Allâh dans Son Livre, avait révélé leur gloire et avait fait leur éloge. Si donc le (prétendu) texte avait eu quelque réaiité pour eux, il ne leur aurait pas été possible de ne pas tenir compte de celui qu’il aurait désigné, car ils étaient trop haut et trop nobles pour faire une pareille chose. Mais comme le texte n’avait aucun fondement pour eux, ils crurent à la possibilité que l’un des leurs fût investi de l’lmâma. Ils mirent à leur tête Sa‘d et le reconnurent comme chef en disant : « Un chef de chez nous, et un chez de (chez vous) les Qurayshites ! » (15).  Lorsqu’on leur eut rappelé les paroles de l’Envoyé d’Allâh et sa désignation explicite de la tribu de Quraysh, ils surent quelle était la vérité, à savoir que l’lmâma appartenait aux Qurayshites et non à eux, ni à tous les autres (membres de la Communauté). Ils se rendirent alors à la vérité avec soumission, ce qui était tout à fait digne d’eux et concordait parfaitement avec leurs vertus.

    Ce qui confirme ce que nous venons de dire concernant la fausseté de la thèse du texte désignant nommément une personne, c’est la tradition suivante. Al-Abbâs avait dit a ‘Alî, au cours de la maladie où l’Envoyé d’Allâh devait trouver la mort : « Mon neveu ! Je vois sur le visage de l’Envoyé d’Allâh les signes précurseurs de la mort, allons ensemble l’interroger sur cette question (de la direction suprême de la Communauté) après lui ». Mais ‘Alî s’y était montré réfractaire et avait répondu : « Puissè-je ne pas être celui qui entrera auprès de l’Envoyé d’Allâh pour lui annoncer qu’il va mourir ! ». Si (la théorie du) « texte » avait quelque fondement, al-‘Abbâs n’aurait pas dit à ‘Alî ce qu’il lui a dit. On rapporte également qu’al-‘Abbâs alla seul chez le Prophète pour l’interroger sur cette fonction (de l’lmâma), et que le Prophète se tut et ne lui répondit rien, puis sortit ayant trouvé un peu de la fermeté qu’il avait avant l’aggravation de son mal et il fit ses dernières recommandations aux Muhâjirûn et aux Ansâr ensuite. Al-‘Abbâs demanda alors à un homme de dire au Prophète : « O Envoyé d’Allâh ! adresse tes recommandations aux Qurayshites ! ». C’est ce que fit l’homme, et le Prophète déclara : « Je commande seulement aux Qurayshites les Musulmans ; les Musulmans suivront fidèlement les Qurayshites dans cette direction (suprême de la Communauté) » (16). Voilà qui réfute (la thèse) du texte désignant une personne déterminée ! Toujours à propos d’al-‘Abbâs, on rapporte qu’après le départ d’Abû Bakr, ‘Umar et Abû ‘Ubayda, se rendant auprès des « gens de la Saqifa », tandis que ‘Alî et lui étaient occupés à laver le corps de l’Envoyé d’Allâh, il dit à ‘Alî : « Etends la main ! pour que je te fasse serment d’allégeance et que je sois le premier oncle qui ait fait acte d’obédience à son neveu, et qu’ainsi personne ne s’oppose à toi ». ‘Alî répondit : « Nous sommes occupés à faire quelque chose de plus important que régler la question de la succession de l’Envoyé d’Allâh, pour son enterrement ». Si le « texte » avait eu une base réelle, il n’en aurait pas été ainsi. Une autre preuve de la fausseté (de la thèse) du texte explicite, est que la question de l’Imâma est une question très importante, dont l’information a dû être répandue et rendue publique tout autant que celle de la Nubuwwa (fonction, ou nature, prophétique). Si donc le Prophète avait désigné dans un texte explicite une personne déterminée, cela se serait passé au grand jour, car le cas de l’Imâma est comme celui de la Nubuwwa, puisque la fonction d’Imâm remplace (khilâfa) celle de Prophète. Les raisons d’en transmettre l’information étaient multiples comme celles motivant qu’on transmette les marques de la Prophétie et les dispositions de la Loi, selon une transmission de commune renommée (mustafîd), de notoriété confirmée (mutawàtir) et répandue (shâ’ï ) sur laquelle il y a accord (i’tilâf) et qui ne donne pas prise aux divergences (ikhtilâf), que connaissent également le commun et l’élite sans distinction, comme les dispositions de la Loi, telles que la Prière, l’Aumône légale (zakât), le Pèlerinage (hajj) et le jihâd (17), ainsi que toutes les autres dispositions religieuses et les paroles du Prophète, sur lesquelles s’est réalisée l’unanimité (ijmâ’ ) et que connaissent également l’élite des Musulmans et le commun sans distinction. Il n’est pas possible d’admettre qu’une telle information ait été tenue secrète, comme cela était impossible pour les obligations religieuses, sans qu’il y ait eu contestations et querelles. Or nous avons vu qu’il y a eu divergence au sujet de l’Imâma, et que chaque groupe de la Communauté y prétendait selon son point de vue propre et sa tendance ; nous savons donc que la thèse de la désignation par le texte explicite est fausse et totalement inexacte.

Si les Compagnons avaient été liés par cette prétendue résignation, il n’y aurait pas eu désaccord à ce sujet et aucun ne se serait permis de passer outre, de la même façon qu’il n’y avait pas eu désaccord sur la désignation, reconnue à l’unanimité, de ‘ Umar par Abû Bakr, et ensuite celle des « Hommes du Conseil » (ahl al-Shûrâ) par ‘Umar, au nombre de 6 : ‘Uthmân, ‘Alî, Talha, Al-Zubayr, ‘Abd al-Rahmân Ibn ‘Awf et Sa‘d Ibn Mâlik.

Chacun était d’un mérite trop grand et d’un rang trop élevé, et la désignation était trop claire et trop manifeste pour qu’il y eût désaccord et contestation). Et il est indiscutable que le Prophète était d’un rang plus élevé et plus grand qu’Abû Bakr, ‘Umar et les Hommes du Conseil, que dis-je ? il les surpassait tous, et s’il avait désigné quelqu’un, cette désignation aurait été nécessairement tout aussi manifeste et transmise tout aussi bien que sa résignation de la tribu de Quraysh d’une façon formelle : pour assumer l’Imâma en ces termes : « Les Imâms seront de Quraysh » et « Cette fonction de commandement (amr) ne sera exercée que par Quraïsh » et « Ce commandement ne cessera pas (d’être exercé) par Quraysh » et « Les Musulmans (devront suivre) fidèlement Quraysh » (18). De la même façon que nous ont été transmises ses désignations ie gouverneurs et de juges, tels que Jâ‘far ibn Abî Tâlib, Zayd ibn Hâritha, Mu‘âdh ibn Jabal, Usâma ibn Zayd

‘Abd Allâh ibn Rawâha, entre autres. Il en va de même pour le caractère manifeste de cette désignation personnelle, il aurait été semblable à celui de la désignation de ‘Umar par Abû Bakr et celle des Hommes du Conseil par ‘Umar. L’élite de cette Communauté et les grands savants repoussent la thèse selon laquelle le Prophète aurait désigné explicitement une personne déterminée ; il a désigné seulement la tribu de Quraysh dans son ensemble et sans précision. Puisqu’il en est ainsi, on sait que cette désignation personnelle d’une personne déterminée est sans le moindre fondement. Celui qui prétendrait malgré tout qu’elle avait été faite en faveur de quelqu’un, a tort, et il doit être sévèrement traité, réprimandé et blâmé, pour avoir attribué aux Compagnons le fait d’être de connivence pour cacher cette nomination, dans l’intention de faire passer le commandement de la Communauté à quelqu’un d’autre que celui qui était désigné. Celui qui soutient une pareille chose à l’égard des Compagnons, suit une voie qui n’est pas celle des Croyants, et il fait preuve de rébellion envers ceux qui, après l’Envoyé d’Allâh, le Sceau des Prophètes, sont les Elus du Seigneur des Mondes !

   Il est donc bien établi, par ce que nous avons montré, qu’il n’a pas fait de désignation par un texte explicite, bien qu’il eût pu le faire. Cependant il a accompli certains actes et il a prononcé certaines paroles qui ne sont pas loin d’être une désignation, s’ils n’en sont point une, et par lesquels il a attiré l’attention sur celui qui était digne de cette fonction de commandement. Il s’agit du fait qu’il avait préposé Abû Bakr à la direction de la Prière et qu’il l’avait placé devant la qibla (« l’orientation rituelle vers la Mecque »), ainsi que de ses paroles : « Allâh et Son Envoyé refusent, sauf à Abû Bakr ». Il y a également le fait qu’il lui donnait la préférence sur tous les compagnons pour lui servir de témoin dans ses alliances, ses engagements, sa correspondance et ses traités. Il y a aussi le fait que sa place était à la droite du Prophète, et qu’elle restait vide, que personne d’autre ne l’occupait, quand il était absent. Il restait seul avec lui dans les délibérations.

   Souvent le Prophète disait : « Je rends hommage à l’avis d’Abû Bakr dans tout ce qu’il me soumet ». Quand il consultait les Compagnons sur une affaire en son absence et qu’ils le conseillaient, il leur répondait : « Pas avant qu’Abû Bakr ne soit là et que j’aie entendu son avis ; s’il me conseille cela, je l’écouterai ». Il y a aussi le fait qu’il se rendait quotidiennement chez lui, sans manquer un jour, ou presque, tout le temps qu’il était resté à la Mecque jusqu’au moment de son émigration à Médine. Le fait également qu’il n’y avait qu’Abû Bakr auprès du Prophète, sans les autres Compagnons, dans des circonstances graves, qu’il était seul avec lui dans le dais le jour de la bataille de Badr et au cours d’autres expéditions, ce qui fît dire aux Arabes, au moment où la bataille faisait rage : « Tu tiens beaucoup à ton compagnon ! ». Le Prophète avait répondu : « Allâh m’a ordonné de le prendre comme ministre et conseiller, comme intime et compagnon, et si j’avais à choisir un ami (khalîl) c’est lui que je choisirais, mais il est mon frère (akh) en religion et il reste avec moi, et il est mon confident attaché » (19). Il faut citer également ce qu’il répondit à une femme venue le trouver pour lui demander un don : « Reviens me voir à un autre moment ! — Et si je ne te trouve pas ! lui dit-elle — Si tu ne me trouves pas, tu trouveras Abû Bakr ». Il avait acheté à un bédouin des jeunes chamelles en paiement différé, et le bédouin lui avait demandé : « Et si je ne te trouve pas, au cas où tu serais mort, qui me réglera mon dû ? — Le Prophète lui avait répondu :  Celui-ci ! » en frappant de la main sur la cuisse d’Abû Bakr. Entre autres faits du même genre, que nous mentionnerons, si Allâh le veut, à propos de l’excellence de l’Imâma d’Abû Bakr. Tous ces éléments tiennent lieu de texte explicite ; même s’ils n’en constituent pas un véritablement, du moins ont-ils éclairé ceux qui étaient partisans de son élection et qui se sont appuyés sur eux pour lui donner la préférence et faire l’unanimité sur sa personne.

   Selon une tradition, le Prophète ne serait pas mort sans avoir attiré l’attention sur (ceux qui devaient être) ses 4 premiers successeurs et sur leur ordre de succession. Il aurait commencé par nommer Abû Bakr, puis ‘Umar en second, ‘Uthmân en troisième, puis ‘Ali en quatrième. C’est ainsi qu’il aurait dit : « Si vous confiez : cette charge à Abû Bakr, vous trouverez en lui un homme physiquement faible mais fort dans la religion d’Allâh. Si vous la confiez à ‘Umar, vous trouverez en lui un homme fort, physiquement et dans la religion d’Allâh. Si vous la confiez à ‘ Uthmân, vous trouverez en lui un homme compatissant et miséricordieux. Et si vous la confiez à ‘Alî, vous trouverez en lui un « guide bien guidé » (hâdî mahdî) » (20).

Si quelqu’un fait l’objection suivante à ce hadîth : « Si cette tradition est authentique, ‘Umar devait être nécessairement plus digne de l’lmâma qu’Abû Bakr, puisque l’Envoyé a fait savoir que ‘Umar avait à la fois la force physique et la force dans sa religion, alors qu’Abû Bakr était faible physiquement. Et celui qui possède ensemble les deux forces est plus digne que celui qui n’en possède qu’une. De même pour le compatissant miséricordieux et le « guide bien guidé », on lui répondra que cette remarque n’est pas un bon argument, car la force dans la religion d’Allâh totalise toutes ces qualités (21).

   De même, si est exacte cette tradition qui dit que l’Envoyé d’Allâh a mentionné Abû Bakr en premier, sa prééminence en découle nécessairement, parce que, de la part de l’Envoyé, le mentionner en premier, c’était ainsi faire savoir quel était le rang de chacun, et attirer l’attention sur leur choix de préférence aux autres, en montrant clairement leur supériorité sur tous les autres Compagnons et leur prééminence sur tous ceux qui croyaient en lui. Ainsi est bien établie leur supériorité et bien reconnu qu’ils étaient les meilleurs de ses Compagnons, et que leur hiérarchie dans le mérite correspondait au rang qu’ils devaient occuper (dans la succession du Prophète à la tête de la Communauté). Sachez que la précellence de celui qui a le plus de mérite (al-fadl li-l-fâdil) dans cette Communauté ne résulte que du fait des qualités et non du lignage ou de la parenté. N’entendez-vous pas Sa Parole : « Ceux qui ont eu la foi et qui ont accompli les oeuvres pies, ceux-là sont les meilleurs de l’humanité » (22), et : « Le plus noble d’entre vous, aux yeux d’Allâh, est le plus pieux » (23), et : « Les proches (awliyâ’) d’Allâh sont uniquement les Pieux » (24). Ces versets (25), et d’autres semblables, vous montrent que la précellence de celui qui a le plus de mérite ne résulte que du fait des qualités et non du lignage ou de la parenté, car la foi est une qualité pour le croyant et les oeuvres pies sont les qualités de ceux qui les accomplissent. La différence entre les hommes de mérite (al-fudalâ’) correspond à la différence de leurs qualités méritoires. Celui qui a davantage de qualités, grâce à son observance (des devoirs religieux) et au nombre de ses actions pieuses et bonnes, est grandement considéré, sa valeur et son rang sont élevés, et il est supérieur aux autres. Il y a des degrés (darajât) entre les êtres de mérite, entre les Anges, les Prophètes et ceux qui sont au-dessous d’eux. Allâh a dit : « Le Messie ne trouve certes pas indigne d’être un serviteur d’Allâh, non plus que les Anges rapprochés (de Lui) » (26), et : « Ceux qui portent le Trône et ceux qui sont autour de Lui » (27), et : « Allâh choisit, parmi les Anges, des Envoyés, et parmi les Hommes » (28). Les Anges « rapprochés », les Porteurs du Trône, et ceux qui sont « choisis », sont supérieurs aux autres. Allâh a dit aussi au sujet des Prophètes : « Ces Envoyés, Nous en avons préféré les uns aux autres. Parmi eux, il en est à qui Allâh a parlé, et II en a élevé d’autres en degrés » (29). Parmi les Prophètes, ceux qui sont Envoyés (mursalûn) sont supérieurs à ceux qui ne le sont pas, et parmi les Envoyés, ceux à qui Allâh a parlé (al-mukallamün) sont supérieurs aux autres. Et au sujet des Compagnons de notre Prophète, qui sont les « meilleurs des nations » (afdalu-l-umâm) après les prophètes, Allâh a dit : « Ils ne sont point égaux aux autres ceux d’entre vous qui auront dépensé (dans le chemin d’Allâh) avant la Victoire et qui auront combattu. Ceux-là sont d’un degré plus considérable que ceux qui auront dépensé et combattu après (la Victoire) » (30). Il nous a ainsi fait savoir que celui qui a dépensé et combattu avant la Victoire est d’un degré plus considérable que celui qui a dépensé et combattu après celle-ci. Le fait de dépenser dans le chemin d’Allâh et d’avoir combattu sont donc deux qualités distinctives attribuées à celui qui dépense et qui combat. On avait demandé au Prophète : « Quels sont les « proches d’Allâh (awliyâ’ Allâh) » et les « proches » de Son Envoyé ! » (31) et il avait répondu : « Les Pieux (al-muttaqûn) ». La piété est donc elle aussi une qualité distinctive – attribuée au croyant pieux. Il est ainsi bien établi, par ce que nous avons expliqué et montré, que la précellence de celui qui a le plus de mérite ne résulte que du fait des qualités et de rien d’autre, et qu’il y a une hiérarchie des êtres de mérite, entre les Anges, les Prophètes et ceux qui sont au-dessous d’eux. Considérez cela attentivement !

   Et maintenant que le principe de l’objet de la discussion a été reconnu, par cet exposé résumé et qu’a débordé le flot de ces renforts au secours de la victoire malgré ses limites imposées, revenons à notre propos ! Nous dirons donc ceci : après la mort de l’Envoyé d’Allâh, les Musulmans eux-mêmes n’envisageaient personne qui fût considéré comme digne d’assurer sa succession à la tête de la Communauté, parmi tous les Compagnons les plus éminents et dans sa pure lignée, à l’exception de 3 personnes : Abû Bakr, ‘Alî et al-‘Abbâs. Et c’est au sujet de ces 3 hommes que les Musulmans étaient en désaccord. La thèse des Alides Imâmites, des Bakriyya et des ‘Abbâssiyya, qui prétend que le Prophète avait désigné par un texte explicite l’un de ces 3 hommes est fausse. L’argumentation décisive (hujja) qui la réfute est la suivante. On répondra d’abord aux Bakriyya : que le fait qu’Abû Bakr ait indiqué quelqu’un d’autre que lui-même le Jour de la Saqîfa montre bien qu’il n’avait pas été désigné par le Prophète, car autrement il ne lui aurait pas été possible d’indiquer quelqu’un d’autre (32), sinon il aurait été en opposition avec la volonté du Prophète, et son mérite est bien trop haut et son rang bien trop illustre pour qu’on lui attribue pareille chose, lui qui était le confident du Prophète et son homme de confiance (amîn) dans toutes les affaires importantes et les décisions qu’il prenait, et qui avait été son remplaçant (khalîfa) pour diriger la Prière de la communauté ! On répondra ensuite à la fois aux Alides et aux ‘Abbâssiyya : que le fait que ‘Alî et al-‘Abbâs aient reconnu fidèlement Abû Bakr montre bien qu’il n’y avait eu aucun texte désignant explicitement l’un des 2, car autrement il n’aurait absolument pas pu s’enlever à lui-même la direction de la Communauté et prêté serment d’allégeance à quelqu’un d’autre, sinon il aurait été alors en opposition avec l’Envoyé d’Allâh, montrant qu’il s’écartait des limites que lui avait tracées le Prophète en lui donnant ses ordres, en lui confiant cette charge et en le désignant. Et même si cela devait entraîner sa perte, il lui était impossible de se dégager de cette charge et de l’abandonner, comme ce fut le cas de ‘Uthmân qui ne pouvait abdiquer (littéralement : « se destituer lui-même », an yakhla’a nafsahu), car l’Envoyé lui avait dit : « Ô Uthmân ! Allâh te revêtira d’une tunique ; si quelqu’un se presse de l’enlever ou te la conteste, ne l’enlève pas ! » (33). Et ‘Uthmân resta fermement fidèle à l’ordre de l’Envoyé d’Allâh jusqu’à se faire tuer pour lui — qu’Allâh soit satisfait de lui !

   Quand nous voyons 2 hommes (al-‘Abbâs et ‘Alî) faire acte d’obédience à un troisième (Abû Bakr), et cela sans que ce dernier ait brandi le sabre sur eux, ni leur ait distribué de l’argent, ni gagné leur coeur par quelque don que ce fût, nous concluons nécessairement à sa supériorité en mérite vis-à-vis d’eux, bien établie à leurs yeux et unique raison de leur allégeance, convaincus qu’il était plus digne qu’eux de la charge qu’on lui avait confiée et de la confiance qu’on avait mise en ses capacités. Des traditions (34), dont la garantie est solide par plus d’un côté, ont rapporté que l’acte d’obédience (bay’a) de ‘Alî et al-‘ Abbâs à Abû Bakr avait déjà été fait alors que l’Envoyé d’Allâh n’était pas encore enseveli. Abû. Bakr en avait terminé avec l’affaire de la Saqîfa ; il avait obtenu la caution des Ansârs, avait reçu le serment d’allégeance et avait fait l’unanimité sur sa personne. Accompagné de ‘Umar et d’Abû ‘Ubayda, il était alors revenu. Ils entrèrent dans la maison de l’Envoyé d’Allâh pour assister aux derniers préparatifs en vue de son enterrement. Ce fut al-‘Abbâs qui rencontra le premier Abû Bakr sur le seuil. Il avait été informé de la discussion qu’il avait eue avec les Ansârs et des paroles qui avaient été échangées, des arguments décisifs qu’il avait établi contre eux, des indications et des preuves qui les avaient convaincus, telles que le fait que cette fonction de commandement était réservée aux Qurayshites et a nuls autres et que les Musulmans devaient se soumettre à eux fidèlement. Il avait appris aussi que les gens avaient fait l’unanimité sur sa personne et lui avaient prêté le serment d’allégeance. C’est donc au retour d’Abû Bakr à la maison de l’Envoyé d’Allâh qu’al-‘Abbâs lui serra la main et lui dit : « Nous avons appris toutes tes difficultés, et louange à Allâh qui a apaisé la haine grâce à toi et pour toi qui a éteint les feux de la sédition (fitna) grâce à l’excellence de ton jugement et à ta bonne foi, qui a maintenu ce commandement de la Communauté chez les Qurayshites grâce à toi, sans qu’un élément étranger s’y introduist – grâce à ton influence bénéfique (yumn) et à ta bénédiction (baraka), car tu n’as cessé d’être béni et favorisé, assisté et dirigé (vers ce qui est juste), et la façon dont tu as agi n’est pas étonnante de ta part pour ceux qui te sont proches et elle fait indéniablement partie de tes efforts pour te concilier les bonnes grâces d’Allâh, qu’Allâh te récompense bien pour ta belle conduite, qu’il assiste cette communauté par tes soins vigilants et qu’Il t’aide, par Sa grâce et Sa générosité, pour les affaires de la Communauté dont il a fait de toi le gardien ! ». ‘ AIî s’avança vers Abû Bakr, quand son oncle eut fini de lui présenter ses voeux, et lui dit à son tour : « Les Ansârs s’étaient conté à eux-mêmes des histoires (se trompant eux-mêmes), par Allâh ! s’ils nous avaient frustré de ce commandement, la terre se serait refermée sur eux et les montagnes les auraient engloutis dans leur sein ! Mais Allâh veillait sur eux et leur a fait accepter ce qui était véridique, et Il leur a concilié nos cœurs en les faisant revenir à la vérité. Serait-il possible de porter atteinte à l’Envoyé d’Allâh dans son jugement et de contrevenir à son ordre, en tenant à l’écart sa tribu et ses proches (Qurayshites) qui sont les hommes les plus élevés en dignité et qui tirent à eux les pans de son mérite et de son lignage ? Par Allâh, cela ne saurait arriver, tant qu’il nous restera le plus léger souffle de vie et assez de force littéralement : « et un œil qui clignote ») ! Mais, Allâh soit loué, qui nous a défendus parfaitement, qui a fait rentrer dans le fourreau le sabre de la sédition, qui a réalisé la concorde et a maintenu le commandement de la Communauté là où se trouvent son origine et sa source pour qu’il ne fût pas écarté de ceux qui en étaient dignes et puis y étaient destinés, qu’Il soit loué par d’abondantes louanges bénies !

   Ces paroles de ‘Alî et d’al-‘Abbâs sont un parfait et authentique acte d’obédience (envers Abû Bakr) et expriment leur satisfaction de la façon dont il avait mené l’affaire avec les Ansârs, satisfaction également que le pouvoir lui ait été reconnu. Il n’y a dans cet acte d’obédience aucun défaut ni rien de caché. Il faut ajouter à cela qu’Abû Bakr ne s’est pas précipité sur la succession du Prophète (al-Khilâfa : le Califat), mais au contraire qu’il l’a fuie, selon ses propres paroles : « Si je n’étais pas “cerné” — il voulait dire : contraint — au sujet de ce commandement, je ne l’accepterais pas », puis il devait dire : « Relevez-moi (de cette charge), relevez-moi (aqîlùnî) ! ». Et ce fut ‘ Alî qui fut le premier à lui dire « Non ! par Allâh ! nous te ne relèverons pas de ta charge et nous ne te demanderons pas de démissionner. L’Envoyé d’Allâh t’a proposé pour diriger notre Prière, qui donc te révoquerait (littéralement : « te mettrait à l’arrière ») de la charge de succession (au Prophète) sur nous ? Tu as été confirmé (uthbitta), qu’Allâh te rende ferme (thabbata-ka) et nous soit propice grâce à toi et par toi ! ». Abû Bakr répondit : « Alors ne m’imposez pas de voir juste dans toutes mes décisions, comme l’Envoyé d’Allâh voyait juste (isâba) dans les décisions qu’il prenait, car l’Envoyé d’Allâh était infaillible (ma’sûm), il ne se trompait pas, préservé de toute erreur, soutenu par la Révélation venant d’Allâh, tandis que moi, je ne suis que l’un d’entre vous, parfois je vois juste et parfois je me trompe. Si j’ai raison glorifiez Allâh, et si je me trompe, alors conseillez-moi ! ». ‘Alî lui dit alors : « Ton renoncement, ta piété et tes scrupules religieux sont admirables ! Admirable aussi ce à quoi t’a conduit ton jugement (ijtihâd) et où t’ont amené l’assistance (tawfîq) – qu’Allâh accorde à tes actions – et ta justesse de vue (sadâd) ! Personne ne peut dire du mal de toi ou te prendre en défaut (littéralement : « personne n’a d’aiguillon, ni d’éperon contre toi ») et tu n’as pour les hommes, quand il ne s’agit pas d’Allâh, ni complaisance ni convoitise. L’homme faible et humble est à tes yeux si puissant que tu te charges de ses droits, l’homme puissant et honoré est à tes yeux si faible que tu te charges de ses obligations. Tu ne crains qu’Allâh, et tu n’espères qu’en Lui, et, quand il s’agit de Lui, tu n’as pas peur du blâme de qui que ce soit. Qu’Allâh, au nom de la Religion, te donne une récompense parfaite, que, par la Vérité, Il maintienne ta bannière dressée, et que, grâce à toi et pour toi, Il réalise ce qui est le mieux, car II est Celui qui détient la faveur de Sa Miséricorde ».

   L’indication traditionnelle (dalil) claire et évidente (littéralement : « sans voile ») en faveur de l’Imâma d‘Abû Bakr est la Parole Divine : « Dis à ceux des Bédouins laissés en arrière : Vous serez appelés contre un peuple d’une redoutable vaillance. Vous les combattrez ou bien ils se convertiront à l’Islam. Si vous obéissez, Allâh vous donnera une belle rétribution, alors que si vous tournez dos, comme vous avez tourné le dos antérieurement, Il vous infligera une correction douloureuse » (35). La lettre du texte du Qur’ân exige formellement que celui qui les appellerait au combat serait quelqu’un d’autre que l’Envoyé d’Allâh, d’après Son autre Parole : « Dis : Vous ne partirez plus jamais avec moi en campagne et vous ne combattrez plus aucun ennemi avec moi … » (36). Après la révélation de ce verset, ceux qui étaient « restés en arrière » (al-mukhallafûna) attendaient qu’on les appelât contre « le peuple d’une redoutable vaillance » (ûlû-l-ba’s) pour laver de leurs âmes le péché de leur première abstention, et leur attente était pour quelqu’un qui viendrait les appeler après le Prophète, tout espoir d’une campagne avec l’Envoyé leur étant fermé par ce que le Qur’ân avait révélé à leur sujet. Ce qui le confirme c’est la particule de « remise à plus tard » (sîn al-isti’nâf) de Sa parole : sa-tud’ awna – vous serez appelés ; et cette particule ne concerne que le futur et rien d’autre. Aussi, lorsque Abû Bakr les a appelés pour combattre les Arabes qui avaient apostasié (Ahl al-ridda) (37), ils lui ont répondu avec empressement en se précipitant dans la bataille, et c’est là où ils firent preuve d’un grand courage (bâla’ al-‘azhîm) (38).Selon certains exégètes, « le peuple d’une redoutable vaillance » serait les Yéménites, or, parmi les Califes, seul Abû Bakr les a combattus. Sachez donc cela !

   Les esprits clairs et les intelligences pénétrantes ne sauraient ignorer que le titre de « successeur » (exactement : « le titre de la succession » : laqab al-khilâfa) n’est attribué qu’à quelqu’un dont l’influence a été grande, dont l’autorité a été efficace et dont la parole a été obéie, comme celle de celui dont il est le « successeur » (khalîfa : calife), qu’il a remplacé, et dont il est le représentant (nâ’ib). Dès qu’il n’est pas ainsi, il ne convient pas qu’il soit « successeur », ni qu’il porte le titre de « successeur ». Or ne voyez-vous pas que, lorsque Abû Bakr a succédé à l’Envoyé d’Allâh pour diriger la Prière, il l’a remplacé exactement, se tenant à la même place que lui, sans que personne ne s’interpose ni ne fasse obstacle, accomplissant la Prière de la même façon que l’Envoyé l’accomplissait et la dirigeait devant ses Compagnons ? Il méritait donc qu’on l’appelât « successeur à la Prière » (khalîfa ‘alà-l-Salât) en raison de son aptitude à cette fonction. Ce nom lui était resté et les gens le lui donnaient en s’adressant à lui, alors même que l’Envoyé d’Allâh était encore en vie, pendant toute la durée qu’il dirigea la Prière jusqu’à la mort de l’Envoyé d’Allâh. Et le Jour de la Saqîfa quand il était là, discutant avec les Ansârs et les convainquant d’une façon décisive par la nécessité que l’Imâma appartînt aux Qurayshites et non à eux, ni à tous les autres membres de la Communauté, c’est en ces termes qu’ils lui répondirent : « Ô successeur de l’Envoyé d’Allâh pour nous diriger dans la Prière ! Choisis pour nous avec ta justesse de jugement celui qui convient pour ce commandement, pour que nous lui fassions acte d’allégeance ! ». Il avait alors indiqué le choix entre l’un des deux hommes : Abû ‘Ubayda et ‘Umar, qui refusèrent cette charge. Mais ils avaient remarqué que les Ansârs l’appelaient « successeur de l’Envoyé d’Allâh » ; alors ils lui confièrent le commandement et le reconnurent pour chef, et tous deux le désignèrent aussitôt par le titre de « successeur de l’Envoyé d’Allâh » (khalifat Rassûl Allâh) (39).

   Abû Bakr fut donc le premier de cette Communauté à être appelé ainsi. Et il porta ce titre du vivant de I’Envoyé d’Allâh et après sa mort. La première succession est la succession à la Prière, la seconde est la succession à la tête de la Communauté (khilâfat al-Bayda) et le commandement (al-Imâra). Le nom de khalifa n’avait été donné auparavant qu’à un Prophète, comme Adam et Dawûd (40), et Abû Bakr est donc le troisième. C’est lui aussi qui, dans cette Communauté, fut le premier à être appelé « le Juste » (al-Siddîq), et ce nom n’avait été donné avant lui qu’à un prophète, comme Idrîss, Ibrahîm et Yûsuf (41), et Abû Bakr est donc le quatrième. Il est aussi le plus ancien des premiers convertis à l’Islâm littéralement : « le plus devançant des devançants (dans la course) à l’Islâm » (asbaqu-s-sâbiqîna ilâ-l-Islâmi) à la Foi, et à la conviction (tasdîq) en l’Envoyé. Le Messager d’Allâh l’avait appelé « Juste/Véridique » (littéralement : « Véridique » : Siddîq (42)) au moment où, l’ayant appelé à se convertir à l’Islam, Abû Bakr avait eu confiance en lui et avait cru (en son message et) en lui immédiatement. Le Prophète a dit en effet : « Il n’est personne de ceux que j’ai appelés à Allâh qui n’ait bronché (kabwa) — c’est-à-dire : marqué une hésitation (waqfa) — excepté Abû Bakr ; je lui ai dit : j’ai été envoyé ; et il m’a répondu : tu as dit la vérité (sadaqta). En vérité, chaque Prophète a des justes, et le plus digne de lui, le plus proche de lui et qui a le plus ses faveurs, c’est celui qui a été le plus empressé à croire en lui, et ensuite les autres (par ordre d’ancienneté). En vérité, chaque prophète a son mérite (dans la hiérarchie des prophètes), qu’obtient ensuite celui qui a été le plus empressé à croire en lui. En vérité, le mérite que je possède, c’est Abû Bakr qui l’a obtenu. C’est à son sujet et au sujet de l’Envoyé d’Allâh qu’a été révélé le verset : « Et celui qui est venu avec la Vérité (sidq) » — c’est-à-dire – l’Envoyé d’Allâh —, « et celui qui l’a déclaré véridique — c’est-à-dire Abû Bakr —, « ceux-là sont les Pieux » (43). Et il a été appelé « très véridique » en raison de la fréquence de ses témoignages de véridicité à l’égard de l’Envoyé d’Allâh pour tout ce qu’il lui disait (44). En tant que céleste (littéralement : « préexistant » : sâbiq), ce nom (de siddîq) qui lui a été donné est une faveur immense. En tant qu’il lui vient de l’Envoyé d’Allâh, c’est, de sa part, indiquer son mérite et sa grandeur. En tant qu’il lui a été donné par la Communauté qui, unanimement, l’appelait ainsi, c’est uniquement la preuve de la très grande considération dont il était l’objet et du très haut rang où on le plaçait.

   S’il en est ainsi, quel rang pourrait être proche du sien ou s’en approcher ? « C’est là la Grande Faveur » (45). Il a été le premier à croire en l’Envoyé d’Allâh et à témoigner de sa véridicité (saddaqa). Il est resté attaché à le servir en tout lieu et en toute circonstance, dans ses voyages, dans ses séjours, dans sa retraite (khalwa ; au Mont Hirâ’) et dans son émigration (hijra). C’est à son sujet que fut révélé le verset : « Le second des deux quand ils étaient dans la grotte », où Allâh apaisa son esprit par la bouche de Son Envoyé en lui disant : « Ne t’attriste pas ! Allâh est avec nous ! » (46). Et Allâh fit descendre sur lui la Sérénité (al-Sakina) et la quiétude (al-Tuma’nîna) (47). Le Prophète lui demanda : « Que penses-tu, Abû-Bakr, de 2 dont Allâh est le troisième ? » (48). Il lui avait dit aussi : « Eh bien ! je t’annonce la bonne nouvelle de la Satisfaction Divine la plus grande pour toi ». Abû Bakr s’exclama : « Assurément ? (bâlâ), ô Envoyé d’Allâh ! » et il lui répondit « Allâh se révélera (yatajallâ) aux hommes d’une façon universelle (‘âmma) et II se révélera à toi d’une façon particulière (khâssa) ». Le Prophète prit la parole au cours du Pèlerinage d’Adieu (Hajjat al- Wadâ‘) et il mentionna les Compagnons en ces termes : « Musulmans ! Abû Bakr est le meilleur des hommes pour moi, dans ses relations avec moi et comme compagnon, et il ne m’a jamais fait de mal. Sachez cela de lui ! ». C’est donc par Abû Bakr qu’il a commencé. Ensuite il dit : « En vérité ! je suis satisfait de ‘Umar ibn al-Khattâb, de ‘Uthmân ibn ‘ Affân, de ‘Alî ibn Abî Tâlib, de Talha ibn ‘Abdallâh, d’al-Zubayr ibn al-‘Awâmm, le fils de ma tante paternelle, de Sa‘d ibn Abî Waqqâs, de Sa’-îd ibn Zayd, de ‘Abd al-Rahmân ibn ‘Awf, et de Abû ‘Ubayda ibn al-Jarrâh » (49). Et Abû Bakr avait un grand avantage (daraja) sur les autres, c’est que les plus illustres des premiers Musulmans (al-sâbiqa) s’étaient convertis à l’Islam par son intermédiaire, comme ‘Umar, Talha, al-Zubayr et ‘Abd al- Rahmân Ibn ‘Awf. Il avait notamment rencontré ‘Umar ibn al-Khattâb et lui avait reproché de tarder à se convertir ; il lui avait démontré (barhana) l’authenticité de la qualité de Prophète de Muhammad et de sa qualité d’Envoyé divin, et il lui avait montré la vérité, si bien que ‘Umar s’était soumis et s’était rendu auprès du Prophète. Du temps même de l’Envoyé d’Allâh, les Compagnons avaient des égards particuliers pour les premiers Musulmans, pour le plus méritant d’entre eux (al-afdal) et pour les autres (selon leurs mérites), en raison de l’abondance des louanges d’Allâh et de Son Envoyé à leur endroit et de la protection que leur présence assurait à la Religion d’Allâh.

   Par les indications et les preuves évidentes que nous avons exposées, d’une manière résumée et brièvement, il est clair pour vous qu’Abû Bakr a la précellence sur les plus éminents des Compagnons, qu’il est le meilleur d’entre eux d’une façon absolue, et qu’il est, après les prophètes et les envoyés d’Allâh, le meilleur des premiers et des derniers (de toute l’histoire de l’humanité).

   Si sa supériorité, son autorité, son rang spirituel, la considération de l’Envoyé d’Allâh à son égard, n’avaient pas été bien ancrés dans l’esprit des Compagnons, ils ne se seraient pas empressés à lui faire acte d’allégeance (bay’a), sans avoir eu besoin de réfléchir et ils n’auraient pas été unanimes sur la parfaite sincérité de son intention et sur les qualités (que nous venons de mentionner) entre beaucoup d’autres semblables, telles que : sa science des secrets de la Prophétie (nubuwwa) et de la Mission (risâla) de Muhammad et du Livre (Qur’ân) qui apporte la Lumière (al-kitâb al-munir), le degré de l’état spirituel de « Servitude » (al-ubudiyya) qui lui était indissolublement attaché (luzûmuhu) et au sommet duquel il se tenait, sommet qui est « l’ombre de la Prophétie » (zhill al-nubuwwa). Il y a aussi, rappelons-le, le fait que l’Envoyé d’Allâh l’avait nommé son remplaçant pour diriger la Communauté à la Prière (50), et cela à juste titre. Il avait dit à son sujet : « Une assemblée au milieu de laquelle se trouve Abû Bahr ne doit pas placer à sa tête pour diriger la Prière quelqu’un d’autre que lui ». Et il avait confirmé cela par une autre de ses paroles : « Quiconque place à la tête d’une assemblée (qawm) un homme, alors qu’il sait qu’il y a au milieu d’elle quelqu’un de meilleur, commet une injustice et une iniquité ». Également lorsqu’il a dit au Pèlerinage d’Adieu : « Musulmans prenez comme imâm le meilleur d’entre vous, car il est votre intercesseur (shafî‘), considérez donc qui vous choisirez comme intercesseur ! ». Ce qu’il y a derrière toutes ces paroles suffit à indiquer la faveur que représente sa désignation pour la direction de la Prière ! C’est à lui que le Prophète donna l’ordre de diriger la Prière, malgré les interventions de l’une de ses femmes, qui l’avaient fait s’emporter et s’écrier : « Vous êtes comme les « petites femmes » (suwayhibât) de (l’histoire de) Yûsuf (51) ! Allâh et Son Envoyé refusent sauf à Abû Bakr ». Ensuite il dit : « Versez de l’eau pour m’asperger, afin que je puisse sortir et faire connaître au peuple celui que je leur recommande ». On lui versa donc de l’eau et il sortit, appuyé sur ‘Alî et al-Fadl Ibn al-‘Abbâs, en se traînant (littéralement : « ses pieds rayaient la terre ») sous l’effet de la faiblesse. Lorsque les Musulmans, qui étaient en train de prier, le virent s’avancer vers la mosquée, ils s’écrièrent : « Gloire à Allâh ! » (sabbahû). Cela attira l’attention d’Abû Bakr qui aperçut alors l’Envoyé d’Allâh. Celui-ci s’assit à sa droite, et Abû Bakr termina la Prière en la dirigeant pour lui et le peuple. Quand la Prière eut été achevée, le Prophète tourna son visage vers les fidèles, et sa recommandation (‘ahd) fut la suivante : « Musulmans ! Nul prophète ne meurt sans avoir mis à sa place le meilleur de sa communauté qui devient ainsi son imâm et celui de sa communauté (littéralement « qui le dirige en se plaçant devant lui ») ». Mais quand il sortit pour désigner au peuple celui qu’il leur recommandait, cette désignation n’était pas autre que celle de son remplacement pour la Prière par Abû Bakr, et il n’y avait dans ses paroles rien d’autre que ce qu’il a dit. S’il a agi ainsi uniquement de son propre avis, de sa propre décision et de son propre jugement, c’est déjà une chose d’une importance considérable, et si c’est sous l’effet d’une inspiration venue d’Allâh, qui lui en aurait donné l’ordre, c’est encore bien plus extraordinaire, voire même s’il n’est pas établi que c’était une inspiration divine, car il a fait savoir que la coutume des prophètes qui l’ont précédé était de ne pas mourir sans avoir mis à leur place le meilleur de leur communauté qui devenait ainsi leur imâm, or tous les prophètes ne disent rien concernant les questions religieuses (diyànàt) sans une inspiration venant d’Allâh et une instruction (tawqîf) divine. C’est là un degré extraordinaire dans la précellence (fadl), pour lequel personne ne peut rivaliser avec Abû Bakr et que personne ne peut lui disputer ! C’est aussi le dernier acte accompli par l’Envoyé d’Allâh, son ultime commandement en matière de religion et son « testament » (implicite). C’est là-dessus que se sont basé les Compagnons, pour donner la préférence à Abû Bakr et l’élire à la direction de la Communauté, puisque le dernier acte accompli par l’Envoyé d’Allâh avait été de le préférer à eux et de le choisir pour diriger la Prière. Ils ne pouvaient pas passer outre à la décision de l’Envoyé d’Allâh ni préférer (à Abû Bakr) quelqu’un d’autre, en aucune façon et pour aucune raison. Et ils proclamèrent : « La Prière est la base de la religion (iimàd al-dîn), et celui que le Prophète a agréé pour notre religion, nous l’agréons pour nos affaires temporelles (dunyâ) » (52).

Celui qui prétend, après cet exposé et ces éclaircissements sous une forme abrégée, qu’un autre qu’Abû Bakr était plus digne que lui d’être préposé (taqdima) à l’Imâma, porte dans son for intérieur un jugement défavorable sur l’acte de l’Envoyé d’Allâh et sur son ultime recommandation (‘ahd), il conteste sa décision et sa prescription (‘aqd), et se permet de tourner en dérision l’opinion des Compagnons et de discréditer (littéralement : « affaiblir » : îhân) leur jugement (ijtihâd), quand il s’est agi de lui prêter serment d’allégeance et de le suivre fidèlement. Allâh a placé trop haut leurs mérites pour qu’ils aient pu, en matière de religion, se laisser aller à des opinions subjectives et passionnelles (hawâ), et II a mis trop haut leur dignité pour qu’ils aient été de connivence dans des machinations, alors que ce sont des hommes dont la gloire et les louanges ont été proclamées (dans le Qur’ân et la Sunnah), « la meilleure Communauté apparue pour les Hommes » (53), qui ont agi sainement et unanimement quand ils ont mis à leur tête Abû Bakr, en le choisissant librement (ikhtiyâran) et non pas sous l’effet de la contrainte (idtirâran) (54). Nous savons que les premiers Musulmans (Ahl al-sâbiqa), Muhâjirûn aussi bien que Ansâr, ne l’ont placé à leur tête qu’en raison de sa supériorité sur eux en mérites et parce qu’ils étaient convaincus qu’il était plus digne qu’eux de commander. Je témoigne formellement (ashhadu) que l’homme égaré (al-dâll) est celui qui se sépare d’eux, qui attaque leurs opinions et prétend qu’un autre était plus digne que lui d’être préposé à l’lmâma.

Méditez donc ce que je vous ai rapporté et expliqué : concernant sa précellence, et prenez-le comme base ! Que la paix la plus complète soit sur celui qui s’est amélioré, qui est devenu bon, et à qui il a été donné de comprendre ce qu’on lui dit ! » (55).

L’imâm Farîd ud-Dîn Attâr dans son Mantiq at-Tayr (La conférence des oiseaux) au poème intitulé Contre le fanatisme :

« Ô toi qui es enfermé dans ton fanatisme
Prisonnier de tes haines et de tes amitiés

Si tu prétends à la raison et à l’esprit
Pourquoi tiens-tu alors des discours fanatiques ?

Le califat n’est pas un désir personnel
Ô ignorant ! Les califes (bien-guidés) sont bien au-delà

Si Abû Bakr ou ‘Umar avaient eu ce désir
C’est de leur fils qu’ils auraient fait leurs successeurs.

S’ils avaient pris leurs droits aux détenteurs de droits
Toute la communauté aurait dû contester

Car ne pas contester une injustice patente
C’est agir en injuste contre les lois données

Puisque personne n’a contesté leur califat (56)
Ou tu les rejettes tous ou bien tu les acceptes.

Mais si tu rejettes les Compagnons du Prophète
Alors c’est que tu nies la parole prophétique : « Mes (nobles) Compagnons sont tous des étoiles lumineuses. Et ce siècle où je suis est le meilleur des siècles Les meilleurs parmi les hommes sont mes Compagnons Et ceux-là sont mes proches, ceux-là sont ceux qui m’aiment » (57).

Si à tes yeux les meilleurs sont les pires, alors
Comment peux-tu prétendre être clairvoyant ?

Crois-tu qu’ils auraient pu, Compagnons du Prophète
Accepter de tout cœur un usurpateur

Et le faire asseoir à la place de Muhammad ?
Non, ils n’auraient jamais accepté l’imposture !

Si tu crois que leurs choix ont pu être fautifs
Rassembler le Qur’ân était donc une erreur !

Non, tout ce qu’ils ont fait, ils l’ont fait en justice
Et en vertu du Droit, sans spolier personne

Nier l’authenticité d’un seul compagnon (véridique)
C‘est les récuser tous, les 33 000 autres (58)

Celui qui n’a jamais agi autrement que par la justice
Qui n’est jamais sorti des pas de Muhammad

Et qui fut pointilleux, toujours, en toute affaire
Comment croire, dis-moi, qu’il usurpe son rang ?

Si Abû Bakr avait agi pour se servir
N’aurait-il jamais dit de renoncer à lui (59) ?

Et si ‘Umar avait pensé à ses envies
Aurait-il fait mourir son fils par le fouet (60) ?

Non, toujours Abû Bakr fut l’homme du Chemin
Libre de toute attache, serviteur de son Roi

Il donna ses biens, sa fille, sa propre vie au Prophète
N’as-tu pas honte de croire qu’il eût pu être injuste ?

Il était pur de l’écorce des illusions
Car il était au cœur de la compréhension

Celui qui sur la chaire n’oublie pas qui il est
Reste une marche en dessous, tout seigneur qu’il est

Qui est si pointilleux en toute chose qu’il fait
Comment l’imaginer commettant l’injustice ?

Quant à ‘Umar qui n’avait que justice en tête
Qui fabriquait des briques ou bien cueillait des ronces

Lui qui allait loin de la ville chercher du bois
Et puis qui revenait en cherchant son chemin

Ne mangeait chaque jour que 7 bouchées de pain
En ce monde terrestre, prison de nos passions.

Sur sa nappe il y avait du vinaigre et du sel,
Il ne se servait pas sur le trésor public

S’il dormait, c’est le sable qui lui servait de lit
Et son fouet servait d’oreiller pour sa tête

Tel un porteur d’eau, il portait à boire, la nuit
A une vielle veuve (61) au moment du sommeil.

Il allait dans la nuit, détaché de lui-même
Veillant en sentinelle sur les troupes de l’Islam

Il dit à Hudhayfâ (62) : « Ô toi qui sais les choses
Dis-moi, vois-tu en moi la moindre hypocrisie ?

Quelqu’un me fera-t-il un jour le beau présent
De ne pas me cacher mes défauts devant moi ? »

Et si son califat était une imposture
Pourquoi s’habillait-il de vieux haillons grossiers ?

Il ne possédait rien (pour lui-même) : ni robe, ni tapis
Il rapiéçait sans cesse son habit rapiécé

Celui qui exerça une telle royauté
Ne peut avoir été avide ou envieux

Celui qui travaillait la brique ou bien la boue
N’a pas souffert ainsi pour que ce soit en vain

S’il avait gouverné en suivant ses caprices
Il se serait assis sur le trône des rois

Tant de villes habitées d’infidèles immatures
Furent en son temps purifiées de l’incroyance

Si tu portes sur ces choses un regard fanatique
Sache que tu es inique. Meurs de ta propre rage (63) !

Lui qui n’est pas mort par le poison (64), mais toi pourtant
Sans poison tu te meurs du poison de la haine ?

Ne juge pas, ignorant de toute justice
Le califat, à l’aune de ton jugement

Car si t’était échue cette charge si lourde
Tu serais consumé de 1000 feux brûlants

Si quelqu’un leur avait repris le califat
Il aurait aussi pris les maux qui vont avec

En effet tant que l’âme habite le corps
Comment peut-on porter le poids de tout un peuple ? »
.

Notes :

(1) Comme il le dit lui-même dans ses Futuhât (3/323) : « J’ai contemplé tous les prophètes, d’Adam à Muhammad, et Allâh m’a fait contempler aussi tous ceux qui croient en eux, afin qu’il n’y ait personne que je n’ai vu de ceux qui ont vécu ou vivront jusqu’au Jour de la Résurrection, qu’ils appartiennent à l’élite ou au corps commun des croyants. Et j’observais les degrés de cette assemblée et connaissais le rang de tous ceux qui y étaient ». N’étant ni fou ni charlatan, étant cohérent et profond dans son œuvre, ne s’écartant nullement du Qur’ân, et vivant comme un ascète et sans chercher des honneurs politiques ou de l’argent, tout cela ne peut que renforcer son charisme et sa crédibilité.

(2) Allusion symbolique aux Sept Dormants de la Caverne, Qur’ân 18, 9-14 : « Penses-tu que les gens de la Caverne et d’ar-Raqîm ont constitué une chose extraordinaire d’entre Nos prodiges ?

Quand les jeunes gens se furent réfugiés dans la caverne, ils dirent : « Ô notre Seigneur, donne-nous de Ta part une miséricorde ; et assure-nous la droiture dans tout ce qui nous concerne ».

Alors, Nous avons assourdi leurs oreilles, dans la caverne pendant de nombreuses années. Ensuite, Nous les avons ressuscités, afin de savoir lequel des deux groupes saurait le mieux calculer la durée exacte de leur séjour. Nous allons te raconter leur récit en toute vérité. Ce sont des jeunes gens qui croyaient en leur Seigneur ; et Nous leur avons accordé les plus grands moyens de se diriger [dans la bonne voie]. Nous avons fortifié leurs cœurs lorsqu’ils s’étaient levés pour dire : « Notre Seigneur est le Seigneur des cieux et de la terre : jamais nous n’invoquerons de divinité en dehors de Lui, sans quoi, nous transgresserions dans nos paroles » ».

(3) Qur’ân 25, 74.

(4) Qur’ân 21, 101.

(5) Expression courante utilisée par de nombreux savants musulmans pour désigner les Musulmans de toutes les obédiences restant dans le cadre islamique, parce que la Prière en direction de La Mecque symbolise bien ce qui les unit en dépit de leurs divergences, et la reconnaissance (ainsi que la pratique) de la Salât est une preuve extérieure de leur rattachement à l’Islâm.

(6) Sur les Râwandiyya, les Bakriyya et les Bayhasiyya, voir par exemple Abû al-Hassân al- Ash‘arî dans Maqâlât, 1/94, 317-8, 177-182 ; Ibn Taymiyya dans Minhâj as-Sunnah, 1/8 p. 348 et 341 et notes.

(7) Rapportés notamment par At-Tirmidhî dans ses Sunân, Kitâb al-manâqib, bâb 16, 37 et 38.

(8) Cela fait l’objet de divergence. Il va de soi qu’à l’époque des Sahâba, les qurayshites représentaient l’élite spirituelle aussi bien que politique, car ils étaient les plus proches du Prophète, – à l’exception de certains grands Compagnons comme Bilâl Ibn Rabâh al-Habashi et Salmân al-Farisî -, et qu’ils étaient donc les plus légitimes pour succéder au Prophète, tant qu’ils étaient justes et pieux, et car beaucoup d’arabes n’auraient pas accepté d’être dirigés par des dirigeants issus d’une autre « ascendance ». Mais après l’époque des Compagnons et de leurs disciples, cette condition ne fait plus l’unanimité, sans parler de ceux qui prétendent être qurayshite et même hashémite, alors qu’ils ne le sont pas réellement. Parmi ceux qui n’en font pas une condition obligatoire, il y a un avis attribué à Abû Hanifa, à Al-Baqillânî, à Al-Juwaynî, à Ibn Khaldûn et à d’autres, ainsi qu’aux ibadites. Mais même parmi ceux qui affirment son caractère obligatoire comme condition, reconnaissent la légitimité d’un dirigeant non-qurayshite s’il était juste, pieux et compétent, en l’absence d’un imâm juste, pieux et apte dont l’ascendance est qurayshite.

(9) Qur’ân 5, 38.

(10) Qur’ân 24, 2.

(11) Rapporté par At-Tabarî dans son Târîkh 1/1840-1842. Rappelons qu’une édition « falsifiée » par un érudit samanide shiite du nom de Abû Ali Mohammed Balami (m. quelques années avant l’an 1000) continue de circuler – en vérité l’auteur a repris l’œuvre de At-Tabarî puis l’a remanié selon ses propres tendances et opinions -, et que dans la version originale, At-Tabarî lui-même indique qu’il a intégré des récits qu’il n’a lui-même pas authentifié et qu’il savait lui-même qu’un certain nombre était apocryphe ou faible et déformé. Par soucis d’honnêteté intellectuelle, il a précisé tout cela dans l’introduction, et son recueil se voulait une compilation de tous les récits qu’il avait entendu ou lu, mais sans avoir eu le temps de tout trier et authentifier. Ici nous ne citerons donc que les récits authentifiés et/ou ne contredisant pas le Qur’ân et les ahadiths authentiques.

(12) Titre donné à Abû ‘Ubayda par le Prophète lui-même, hadîth rapporté par Al-Bukhâri dans son Sahîh 5/32.

(13) Rapporté par Ahmad dans son Musnad 2/53-95-401, par At-Tirmidhî dans ses Sunân, Kitâb al-Manâqib, 17.

(14) Qur’ân 3, 110.

(15) Il s’agit de Sa‘d Ibn Ubâda. Rapporté par al-Bukhârî dans son Sahîh 5/8 par Ibn Sa’d dans ses Tabaqât, 3/2, 142 et sq.

(16) Rapporté par al-Bukharî dans son Sahîh 4/217.

(17) Le Jihâd signifie un effort sacré, ici sous-entendu dans la Voie Divine. En Islâm, le « grand jihâd » est celui que tout croyant doit faire contre son ego et ses mauvais penchants, – il est le « grand jihâd » car il doit être mené de façon permanente jusqu’à son dernier souffle -, tandis que le « petit jihâd » mais grand par son mérite, est circonstanciel et non pas constant, et consiste soit à mener des expéditions militaires contre des nations injustes et hostiles au dâr al-islâm (ce que l’on nomme le « Jihâd offensif »), soit à défendre les terres musulmanes (ou non-musulmanes pour honorer des accords conclus avec des nations non-musulmanes « alliées ») en cas d’agressions ennemies, tout comme le Jihâd est global : dire la vérité à un dirigeant injuste, dénoncer les injustices, être au service de sa famille, honorer sa femme, être consciencieux au travail, dépenser de son énergie, de son temps et de son argent, – tout en faisant preuve de bon comportement – envers les pauvres, les voyageurs dans le besoin, les orphelins, les veuves, les malades, etc. Les preuves scripturaires de ces notions islamiques ont été abordées dans 2 de nos ouvrages ; Soufisme, Lumière d’Islam (éd. Hanif, 2019 ; ré-édité en 2020) et Guerre et Politique en Islâm – Jihâd, tolérance, conquêtes et société (éd. 2021).

(18) Rapporté par al-Bukharî dans son Sahîh 2/77-78, par Ahmad dans son Musnad 2/29-93-128-261.

(19) Rapporté par al-Bukharî dans son Sahîh au Kitâb fadâ’il Ashâb an-Nabî 5/5-12, par Muslim dans son Sahîh au Kitâb fadâ’il as-Sahâba.

(20) Rapporté selon une autre version par l’imâm Abdal Qâdir al-Jilânî, – descendant du Prophète par l’imâm Hassân d’un côté et par l’imâm Hussayn de l’autre -, dans son Al-Ghunya li-talibi tariq al-haqq wa ad-Dîn.

(21) De même, la force dans la Religion possède plusieurs degrés. Et nos maîtres ‘Umar et ‘Alî en avaient témoigné, lorsqu’ils évoquaient les mérites particuliers de notre maître Abû Bakr.

(22) Qur’ân 98, 7.

(23) Qur’ân 49, 13.

(24) Qur’ân 8, 34.

(25) Ces versets parlent donc notamment des mérites des Compagnons qui ont combattu avant la Victoire des musulmans lors de leur retour à la Mecque, et qui ont dépensé de leurs biens pour Sa Voie, ce qui inclut donc Abû Bakr, ‘Umar et ‘Uthmân, dont Allâh Lui-même fait l’éloge.

(26) Qur’ân 4, 172.

(27) Qur’ân 40, 7.

(28) Qur’ân 22, 75.

(29) Qur’ân 2, 253.

(30) Qur’ân 57, 10.

(31) Le terme walî (plur. awliyâ’) peut signifier « proche », « ami rapproché », « saint », « allié », « gardien », etc.

(32) C’est-à-dire Abû ‘Ubayda et ‘Umar, voir son paragraphe 93.

(33) Rapporté par Ahmad dans son Musnad 6/75-87-149, par Ibn Majâh dans ses Sunân, Muqaddima bâb 11 ; par At-Tirmidhî dans ses Sunân, manâqib bâb 18 ; ainsi que par d’autres.

(34) Al-Bayhaqî et Ibn Kathîr rapportent notamment des traditions authentiques et bonnes montrant que l’imâm ‘Alî prêta allégeance à Abû Bakr très tôt, soit, bien avant les 6 mois relatés par certains rapporteurs qui étaient absents lors de son allégeance à Abû Bakr à la fin de l’enterrement du noble corps du Prophète. La confusion venait peut-être du fait que l’imâm ‘Alî ne fut pas très publiquement actif durant quelques mois pour s’occuper de son épouse Fatîma dont le Prophète avait prédit sa mort dans les 6 mois suivant celle de son père (le Prophète). Ce n’est qu’après son décès, que l’imâm ‘Alî s’occupa à plein temps des affaires de la Communauté, et sans doute, – si les récits de son acte d’allégeance 6 mois après sont exacts – a-t-il réitéré son serment d’allégeance en public pour montrer aux gens qu’Abû Bakr était bien le calife légitime et qu’il avait tout son soutien, sinon cela n’aurait strictement aucun sens, si ce n’est de faire passer ‘Alî comme un lâche, un hypocrite, un dissimulateur et un menteur, ce qui est inadmissible (rationnellement, historiquement, spirituellement et textuellement parlant), – et même blasphématoire -, et c’est pourtant la conséquence logique des thèses et arguments avancés par les imâmites qui calomnient Abû Bakr et ‘Umar. Cela contredit aussi un récit apocryphe souvent cité par des shiites, où Abû Bakr aurait ordonné à ‘Umar de brûler la maison d’Alî et de Fatima s’ils refusaient de prêter allégeance. Outre les éléments anachroniques du récit (des détails sur la maison, alors que ces éléments n’existaient pas à cette époque dans cette région du monde), ‘Umar aurait selon ce récit, frapper Fatima et qui à la suite de ce coup, aurait perdu son enfant puisqu’elle aurait été enceinte, et tout cela, sans que l’imâm ‘Alî réagisse, et qu’il accepta ensuite de prêter allégeance, sans même chercher à appliquer la loi du talion pour exiger le meurtre de son enfant (fœtus à un stade avancé). Ce récit contredit le Qur’ân, les faits historiques, les récits mutawatîr, les mérites de l’imâm ‘Alî, les nombreux éloges des ahl ul bayt à l’égard de Abû Bakr et de ‘Umar, les dévoilements spirituels des plus grands saints, les propos élogieux d’Abû Bakr et de ‘Umar sur les Ahl ul Kissâ, la sincérité et la bravoure de l’imâm ‘Alî. De plus, ce récit ruine aussi tout l’édifice de la croyance imamîte sur les « super pouvoirs » de l’imâm ‘Alî qui aurait été totalement impuissant face à quelques hommes, – tout comme les proches de l’imâm ‘Alî qui étaient témoins de la scène – et remettant ainsi en cause sa connaissance de l’avenir.

(35) Qur’ân 48,16.

(36) Qur’ân 9, 83.

(37) Il s’agit ici d’une apostasie avant tout d’ordre politique, avec sa double dimension socio-économique et religieuse liée à leur refus de verser la zakâh (2ème pilier de l’Islam) et leur transgression contre l’Etat légitime et juste, menaçant ainsi l’union, l’unité, la prospérité, la sécurité et la stabilité de l’Etat et donc de la Communauté musulmane.

(38) Comme l’indique Roger Ladrière dans ses notes de la Tadhkirât (note 31 du chapitre 4 sur l’imâma de Abû Bakr), il faut l’entendre dans le sens d’un combat mené avec héroïsme, comme épreuve de la foi. L’expression balâ’un lazhîm est qurânique et y a précisément le sens de « grande épreuve ».

(39) Rapporté par At-Tabarî dans son Târîkh 1/1842.

(40) Qur’ân 2, 30 : « Quand ion Seigneur dit aux Anges : Je vais placer, sur la terre, un représentant (khalîfatan) » et 38, 26 : « Ô Dawûd ! Nous t’avons fait représentant sur la terre ».

(41) Pour Idriss (Qur’ân 19. 56), pour Ibrâhîm (Qur’ân 19, 41), pour Yûsuf (Qur’ân 12, 46), et pour les femmes, Maryam est qualifiée de Siddiqâ (Qur’ân 5, 75).

(42) « La racine commune à siddîq (« juste ») et à tasdiq (« conviction ») exprime l’idée de véridicité. D’où littéralement : siddîq — « véridique » et tasdîq — « témoignage de véridicité » » selon les linguistes.

(43) Qur’ân 39 ,33.

(44) « L’adjectif siddîq (de la forme fi ‘îl) appartient en effet à la catégorie des intensifs exprimant généralement l’idée de fréquence (kathra), que le français rend par le superlatif absolu » (Roger Ladrière, note 37, chap. 4).

(45) Expression tirée du Qur’ân (cf. Qur’ân 35, 32 et 42, 22

(46) Cf. Qur’ân 9, 40 qui relate l’événement de l’émigration du Prophète Muhammad en compagnie d’Abû Bakr, et qui trouvèrent refuge dans la grotte, pour échapper aux persécutions (ici tentatives de meurtre) orchestrées par les dirigeants idolâtres de la Mecque.

(47) La « descente de la Sakîna » est évoquée 5 fois dans le Qur’ân (3 fois dans la Sûrah 48 aux versets 4, 18, et 26, et 2 fois dans la Sûrah 9 aux versets 26 et 40, où il est fait mention des « légions célestes » comme dans 48, 4). Selon plusieurs maîtres spirituels, et y compris d’après René Guénon, la Sakîna est identifiée à la Shekinah hébraïque, exprimant la « Présence Divine », qui apporte la paix, la quiétude et la sérénité (pour le terme arabe de Sakîna). Voir René Guénon, Le Roi du Monde, Chap. 3 La Shekinah et Metatron, éd. Gallimard 1958, pp.23-24 : « (…) La Shekinah se présente sous des aspects multiples, parmi lesquels il en est deux principaux, l’un interne et l’autre externe ; or il y a d’autre part, dans la tradition chrétienne, une phrase qui désigne aussi clairement que possible ces deux aspects : « Gloria in excelsis Deo, et in terra Pax hominibus bonæ voluntatis. » Les mots Gloria et Pax se réfèrent respectivement à l’aspect interne, par rapport au Principe, et à l’aspect externe, par rapport au monde manifesté ; et, si l’on considère ainsi ces paroles, on peut comprendre immédiatement pourquoi elles sont prononcées par les Anges (Malakim) pour annoncer la naissance du « Dieu avec nous » ou « en nous » (Emmanuel). On pourrait aussi, pour le premier aspect, rappeler les théories des théologiens sur la « lumière de gloire » dans et par laquelle s’opère la vision béatifique (in excelsis) ; et, quant au second, nous retrouvons ici la « Paix », à laquelle nous faisions allusion tout à l’heure, et qui, en son sens ésotérique, est indiquée partout comme l’un des attributs fondamentaux des centres spirituels établis en ce monde (in terra). D’ailleurs, le terme arabe Sakînah, qui est évidemment identique à l’hébreu Shekinah, se traduit par « Grande Paix », ce qui est l’exact équivalent de la Pax Profunda des Rose-Croix ; et, par là, on pourrait sans doute expliquer ce que ceux-ci entendaient par le « Temple du Saint-Esprit », comme on pourrait aussi interpréter d’une façon précise les nombreux textes évangéliques dans lesquels il est parlé de la « Paix » (…) ».

(48) Rapporté par al-Bukharî dans son Sahîh 5/4.

(49) La « satisfaction » (rida) du Prophète ou d’Allâh implique également la promesse du Paradis concernant Ses fidèles serviteurs et ses nobles compagnons pour qui il avait beaucoup d’estime. C’est pourquoi les 10 Compagnons cités par le Prophète au cours du Pèlerinage d’Adieu sont souvent désignés comme « les 10 qui auront reçu la bonne nouvelle du Paradis assuré » (al-‘Asharatu al-mubashsharûna bi-l-jannati). Il s’agit d’un hadîth notoire, et rapporté (avec parfois des variantes minimes : « Je suis satisfait de… » ou « Abû Bakr est promis au Paradis, ‘Umar est promis au Paradis (….) » dont le sens est similaire. Rapporté par Ahmad dans son Musnad au n°1675 At-Tirmidhî dans ses Sunân n°3747, par Ibn Mâjah dans ses Sunân n°133, par At-Tabarânî dans Al Mu’jam Al Kabir n°13823, par Abû Dawûd dans ses Sunân n°4649,

(50) Le fait que le Prophète, se sachant proche de quitter ce bas-monde, désigna, à la fin, Abû Bakr, pour guider la prière en présence d’une multitude de Compagnons, – dont l’imâm ‘Alî – revêt une importance cruciale sur le plan symbolique et donc spirituel, et ici, aussi politique. Il ne s’agissait donc pas d’une quelconque prière, et cela présageait donc la question de la succession temporelle et spirituelle du Prophète.

(51) Ou encore sawâhib Yûsuf selon les traditions rapportées par al-Bukharî dans son Sahîh 1/169, 172 à 174, 182-183. Les femmes auxquelles Ibn ‘Arabî ne fait qu’une allusion étaient ‘Aîsha et Hafsa, celle-ci poussée par ‘Aîsha. Elle craignait qu’Abû Bakr, trop sensible et trop ému, ne puisse remplacer le Prophète. Quant à la comparaison avec les « petites femmes » ou les « compagnes » du Prophète Yûsuf, elle fait allusion à la Sûrah Yûsuf (cf. passage 12, 23-3), par l’insistance de femmes suivant leurs caprices pour détourner un homme de ce qu’il a décidé et de la piété.

(52) Cet argument fut utilisé par l’imâm ‘Alî pour confirmer l’excellence et la prééminence d’Abû Bakr en tant que Calife : « Le Messager d’Allâh a ordonné qu’Abû Bakr conduise les prières ! J’étais présent, j’étais parmi eux ! Je n’étais pas malade, j’étais bien portant. S’il avait souhaité que je conduise la prière, il l’aurait ordonné ainsi. D’un point de vue religieux (spirituel), Allâh et Son Messager étaient satisfaits de lui, et d’un point de vue temporel nous devons aussi être satisfaits de lui » (At-Tabarî dans Ar-Riyadû’n-Nadrat 2/177). ‘Alî prêta ainsi publiquement allégeance à Abû Bakr. Selon une autre parole voisine, l’imâm ‘Alî (‘alayhî salâm) a dit : « Lorsque le Messager d’Allâh (‘alayhî salât wa salâm) fut décédé, nous avons étudié notre affaire et nous avons trouvé que le Prophète (‘alayhî salât wa salâm) a mis en avant Abû Bakr pour la prière ; alors nous avons accepté pour le temporel (pouvoir politique) celui dont le Messager (‘alayhî salât wa salâm) fut satisfait pour le religieux (spirituel, cultuel, …), et nous avons mis Abû Bakr en avant » (Ibn Sa’d dans ses Tabaqat, 3/167 ; rappelons que son maître al-Waqidî était un « shiite » au sens politique, partisan de l’imâm ‘Alî).

(53) Qur’ân 3, 110.

(54) L’imâm Zayd ibn ‘Alî, le petit-fils de l’imâm Hussayn, a témoigné publiquement et en privé, qu’Abû Bakr et ‘Umar étaient des califes justes et élus sans aucune forme de contrainte, et qui appliquaient le Qur’ân et la Sunnah. Des gens posèrent ainsi des questions à l’imâm Zayd qui répondit à la question « Que penses-tu d’Abû Bakr et de ‘Umar ? » : « Allâh leur pardonne. Je n’ai entendu personne de ma famille dire du mal d’eux. Et moi aussi, je ne dirai aucun mal d’eux ! ».

« Mais alors pourquoi demandes-tu de venger le sang de la famille alide ? ».

« L’imâm Zayd répondit : « Tout ce que je peux dire concernant ces deux compagnons est qu’Alî était plus en droit d’être élu calife. Mais la population les a choisis et nous a « éloignés » du califat, pour cause d’utilité publique. Et tout ceci est très loin de la mécréance. Ils ont été choisis, ils ont gouverné et ont été équitables. Ils ont mis en pratique le Qur’ân et la Sunnah ! ».

Ils lui dirent : « Pourquoi combats-tu donc alors ? ».

Il répondit : « Ceux-ci (les omeyyades) ne sont pas comme ceux-là (Abû Bakr et ‘Umar). Ceux-ci (les omeyyades) ont été injustes envers les gens, comme ils l’ont été envers leurs propres personnes. Et je vous convie au Livre d’Allâh et à la Sunnah de Son Prophète (‘alayhî salât wa salâm) ; et je vous convie à la revivification de la voie prophétique, et à l’anéantissement des innovations blâmables. Si vous m’obéissez, ce sera préférable pour vous, et si vous refusez, je ne suis alors point votre garant (devant Allâh) » (Ibn Kathîr, Al-Bidâya wa al-Nihâya, p. 330).

(55) Une partie des notes est inspirée de l’excellent travail de Roger Ladrière, que nous avons ensuite enrichi et complété.

(56) D’entre les compagnons « légitimes » et éduqués par le Prophète.


(57) Hadîth rapporté par Ibn ‘Abdal Barr dans Jâmi’û al-bayân al-‘ilm (2/91 et par Ibn Hazm dans al-ihkâm (6/82) notamment. Même si la chaine est faible, – en tout cas dans la version où il y a al-Hârith ibn Ghassîn -, le hadîth a toutefois été authentifié par kashf (dévoilement spirituel), comme le relate l’imâm As-Sha’rânî dans al-mîzân (1/28) : « Même si les savants spécialistes dans la science du hadith ont parlé sur ce hadith, il demeure authentique pour les gens qui utilisent le pouvoir du Kashf ». L’imâm Abd al-Wahhâb al-Sha’rânî (+- 898 H/1492 – 973 H/1566) était un théologien asharite, juriste shafiite, sûfi, ascète, grammairien, historien, exégète du Qur’ân, connaisseur de l’œuvre de Ibn ‘Arabî et un descendant de l’imâm ‘Alî via son fils Muhammad ibn al-Hanafiyyah. Il s’agit probablement ici des véritables compagnons du Prophète, c’est-à-dire ceux qui l’ont vu, côtoyé, soutenu et ont été éduqués globalement par lui, et non pas simplement de gens qui l’ont vu à quelques occasions seulement, sans avoir défendu sa cause, ni s’être imprégnés des valeurs islamiques. Dans ce sens, le contenu de ce hadîth ne pose donc aucun problème et rejoint d’autres ahadiths sur le fait de ne pas insulter ou rabaisser les compagnons du Prophète comme ce hadîth d’après ‘Abdallâh Ibn Mas’ûd : « Lorsque mes compagnons sont mentionnés abstenez-vous (…) » (rapporté par At-Tabarânî selon une bonne chaîne, et rapporté et commenté aussi par le Shaykh Al-Munawî dans Fayd Al Qadir 1/347-348, n°615), wa Allâhu a’lam.

(58) Attâr accepte une définition large des compagnons, mais sans inclure tous ceux qui ont vu le Prophète, et qui dit-on, dépassait les 120 000 personnes. On peut estimer en effet, si l’on recoupe toutes les informations fiables et plausibles, que 33 000 compagnons sincères et pieux furent au service du Prophète et de ses successeurs immédiats (les califes bien-guidés), contrairement à d’autres, wa Allâhu a’lam.

(59) Allusion à une parole rapportée aussi bien par les sources sunnites et shiites, où Abû Bakr, par modestie, disait ne pas être le meilleur d’entre eux (une parole similaire fut dite par l’imâm ‘Alî à son fils Muhammad ibn al-Hanafiyyah, cf. Sahîh al-Bukharî) : « Ô gens ! J’ai été élu comme chef sans être le meilleur parmi vous. Si vous trouvez que j’agis avec justesse, assistez-moi et si vous trouvez que je m’abuse, corrigez-moi. Le faible parmi vous est fort à mes yeux, jusqu’à ce que j’obtienne pour lui son droit ; et le fort parmi vous est faible à mes yeux, jusqu’à ce que je lui arrache ce qui n’est pas son droit. Ô gens, sachez qu’aucun peuple n’a abandonné la lutte dans le Sentier d’Allâh sans qu’il soit humilié. Sachez aussi que l’immoralité ne se répand au sein d’un peuple sans qu’Allâh ne l’afflige d’une calamité. Obéissez-moi, tant que j’obéis à Allâh, et à Son Messager. Si je désobéis à Allâh et à Son Messager, vous ne me devez aucune obéissance. Levez-vous pour la prière ; qu’Allâh vous fasse miséricorde ! ». Cela a été rapporté dans plusieurs sources, voir notamment Ibn Hisham dans as-Siratu’n-Nabawiyya 6/82, par At-Tabarî dans son Târîkh, par As-Suyûtî dans son Târîkh al-khulafâ al-râshidûn et d’autres.

(60) Un récit, mais dont l’authenticité ne fait pas l’unanimité, dit que l’un de ses fils reçut des coups de fouet pour avoir bu du vin. Peut-être Attâr fait également référence au fait qu’il est comme une mort, que de savoir et de voir que son fils reçoit une peine corporelle sévère en tant que père aimant. Toujours est-il que ‘Umar plaçait la justice avant tout, quitte à devoir sanctionner ses propres enfants en cas de faute grave.

(61) Histoire bien connue rapportée par de nombreux historiens, chroniqueurs et biographes, où le calife ‘Umar sortait la nuit pour s’assurer que personne ne manquait de rien sous son califat, et en une occasion, il vit une vieille dame, et lui apporta ce dont elle avait besoin.

(62) Il s’agit d’un compagnon du Prophète, qui fut informé par le Prophète lui-même, du nom de plusieurs hypocrites.

(63) Allusion au verset du Qur’ân qui se rapproche de cette idée : « Vous, (Musulmans) vous les aimez, alors qu’ils ne vous aiment pas ; et vous avez foi dans le Livre tout entier. Et lorsqu’ils vous rencontrent, ils disent « Nous croyons » ; et une fois seuls, de rage contre vous, ils se mordent les bouts des doigts. Dis : « mourez de votre rage » ; en vérité, Allâh connaît fort bien le contenu des coeurs » (Qur’ân 3, 119).

(64) Allusion à un récit où ‘Umar aurait bu du poison en prononçant le Nom d’Allâh et n’en serait pas mort.

N.B : Certains, – comme le spécialiste Denis Gril – contestent son attribution à Ibn ‘Arabî, et l’attribueraient plutôt à un Shaykh hanbalite. Cf. Le compte rendu de Denis Gril dans le bulletin critique des Annales islamologiques, Vol. 20, 1984, pp. 337-339. Cependant, Roger Ladrière et d’autres spécialistes l’attribuent cependant à Ibn ‘Arabî et ont fourni des éléments soutenant cette position. Quoi qu’il en soit, ce qui est dit dans la Tadhkirat s’inscrit dans la perspective akbarienne, et certains passages sont des paraphrases que l’on retrouve dans nombres d’ouvrages du Shaykh al-Akbar, de même que le « ton », le « style » et le « soutien spirituel » que l’on retrouve chez Ibn ‘Arabî. Ce qui est dit ici sur Abû Bakr rejoint aussi ce que le Shaykh al-Akbar disait dans ses Futûhât sur la « Station de la pure servitude » concernant Abû Bakr. Quant à l’argumentation, elle parle d’elle-même tant par sa clarté que par sa profondeur et sa pertinence.


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