La nécessité de renouveler l’instruction des imams

Auparavant, sous certains empires musulmans, les imams devaient se former à la théologie, au droit musulman (étudiant au moins une école juridique), à la langue arabe, à l’exégèse qurânique, à la logique, aux fondements du droit (ussul al fiqh) et devaient au moins avoir de bonnes notions en médecine, histoire, géographie, astronomie et dans les mathématiques. Il n’était pas rare ainsi de voir des imams-savants au savoir encyclopédique et polymathes.

En 972 de l’hégire – 1565 de l’ère chrétienne -, un décret impérial imposait l’étude de certains ouvrages aux élèves souhaitant entrer dans les écoles officielles. Sur les 39 titres retenus, 3 étaient des ouvrages de langue arabe, 5 des livres sur les fondements du droit (ussûl al fiqh), 7 des livres sur les branches du droit (furû’ al fiqh), 12 ouvrages étaient des ouvrages de hadith et 12 autres des exégèses (Tafassir) du Qur’ân. Parmi les oeuvres à apprendre pour espérer devenir juge (qadi), les juges, gouverneurs et muftis de Jérusalem, Damas ou Istanbul de demain figuraient ceux-ci : Le Qamus du lexicographe al Fairuzabadi (m.816H/1414), ouvrage majeur en langue arabe ; Al Kashshâf du perse al Zamakhshari (m.1144), exégèse aux relans mu’tazilites dont les commentaires imposés, notamment celui de Sharaf al din al Tibi (m.743 H/1342), servaient à corriger certains points de vue ; les Sahihayn de Muslim et Bukhari, avec les commentaires d’Ibn Hajar al ‘Asqalâni (m.853 H/1449) et Badr al-Din al Ayni (m.857 H/1453) ; le classique du fiqh hanafite qu’est Al Hidayah, de Burhan al-Din al-Farghani al-Marghinani (m.593 H/1197), accompagné lui encore de plusieurs de ses commentaires ; Al Jami fi Ahkam al Qurʾân, célèbre exégèse d’al Qurtubî (m.671 H/1273) ; le recueil d’avis juridiques, Al fatawa al Khaniyya, de l’imâm Hassan ibn Mansur Qadi Khan (m.592 H/1196) ; Al Durr Al-Manthur, une autre célèbre exégèse du Qur’ân de Jalâl ad-Dîn As-Suyûtî (m.911 H/1505) ; ou encore Masabih al Sunnah, recueil de hadith du savant shafiite al Baghawi (m.515 H/1122). An Nawawi et Ibn al Athir comptaient encore parmi les autres savants dont les ouvrages étaient souvent étudiés dans un cursus imposé par les autorités politiques (1).

Les exigences pour être imâm sous le règne du Sultan ottoman Sulaymân en l’an 1560 (2) :

– Avoir maîtrisé les langues arabe, latine, turque et persane.

– Avoir maîtrisé le Qur’ân, la Bible et la Torah.

– Être érudit en Sharî’ah (théologie, hadîth, sîrah, exégèse qurânique, logique, rhétorique) et fiqh (droit et fondements du droit).

– Avoir maîtrisé la physique et les mathématiques jusqu’au niveau requis pour enseigner.

– Maîtriser la chevalerie, le tir à l’arc, le combat à l’épée et les arts de la guerre.

– Avoir une belle apparence.

– Avoir une voix forte et mélodieuse.

 

 

Mais depuis un siècle environ, les carences en matière de formation des imams engendrent beaucoup de confusions, d’incompétence et de mainmise du pouvoir politique sur les imams, ne leur garantissant plus d’indépendance intellectuelle et politique.

Il ne faut pas être dupe, car en général les imams dépêchés par les régimes dictatoriaux et imposés par les puissances néocoloniales ne veulent pas d’imâms cultivés, libres et clairvoyants, mais uniquement des pantins à la solde de la corruption politique.

Face à cette immense situation lacunaire, beaucoup de fidèles ne trouvent plus de réponses satisfaisantes chez nombre d’imâms mal formés, et se tournent donc vers Internet, pour le meilleur comme pour le pire.

Etant donné que les imâms doivent souvent répondre à des questions théologiques, juridiques ou historiques, qui font intervenir des disciplines comme la médecine, la psychologie, le calcul, l’astronomie, la biologie, l’anthropologie, l’économie, etc., il faut être exigeant et proposer un programme complet, enseignant non seulement les sciences islamiques de façon traditionnelle mais aussi des cours sur l’adab et le tasawwuf, une synthèse des données scientifiques et psychologiques, l’histoire du pays comme du monde musulman, des cours sur l’épistémologie et la philosophie des sciences, les sciences de la communication et de la technologie, l’état actuel de la recherche en islamologie, etc.

De même, il faut que les imâms puissent avoir un aperçu des avis juridiques et théologiques qui existent dans les autres écoles (avec une synthèse des arguments qui les soutient) afin de donner une vision globale aux fidèles et de leur faire assimiler l’éthique et la connaissance de la divergence, et ne pas les entrainer dans des processus mentaux débouchant sur une sorte de schizophrénie ou de fanatisme.

Il est primordial de proposer aux musulmans des imâms qualifiés qui soient également pieux et conscients des enjeux contemporains, des besoins et des mentalités de l’époque et de leur région. Cela leur permettra également de mieux faire face aux mensonges ou dangers des idéologies et superstitions modernes.

Quant à leur indépendance financière, afin de ne pas les habituer à vivre dans le luxe des aides de l’Etat (sauf un strict minimum), il faudrait les initier également dans un commerce licite à mi-temps, ayant ainsi moins peur de professer la vérité face à certaines injustices ou dérives de l’Etat par qui ils sont mandatés.

Notes :

(1)   Voir notamment Ahmad Shahab et Nenad Filipovic, “The Sultan’s Syllabus: A Curriculum for the Ottoman Imperial medreses Prescribed in a fermān of Qānūnī I Süleymān”, 973 H (1565 de l’ère chrétienne).

(2)   Journal Al Ahram du 22 septembre 1986 (Egypte).


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