Jalâl ud-Dîn Rûmî et l’Au-delà

Un texte de Jalâl Ad-Din Rûmî montrant l’intelligibilité de l’Au-delà :

« Si quelqu’un disait à l’embryon dans le sein maternel:

« En dehors d’ici se trouve un monde très bien ordonné,

Une terre agréable, longue et large, remplie de délices et de choses à manger,

Des montagnes, des mers, des plaines, des vergers embaumés, des jardins et des champs semés,

Un ciel très élevé et plein de lumière, le soleil, les rayons de la lune et de 100 étoiles ;

Le vent du sud, le vent du nord, le vent de l’ouest, donnant aux jardins l’apparence de banquets de noces et de fêtes.

Ces merveilles sont au-delà de toute description:  Pourquoi restes-tu misérable dans cette obscurité?

Pourquoi bois-tu du sang dans cette place étroite au sein de l’emprisonnement, de l’ordure et de la souffrance ? ».

L’embryon, en raison de son état présent, serait incrédule, s’écarterait de ce message et ne le croirait pas.

Disant : « Ceci est absurde, c’est une tromperie et une illusion ». Car le jugement des aveugles est dépourvu d’imagination.

Etant donné que l’embryon n’a rien perçue de cette sorte, son incrédulité n’écouterait pas (la vérité).

De même en ce monde, le Saint parle aux hommes ordinaires de cet autre monde, disant : « Ce monde-ci est une fosse extrêmement sombre et étroite; au dehors est un monde sans odeur ni couleur ».

Aucune de leurs paroles n’est entrée dans l’oreille d’un seul d’entre eux, car le désir sensuel constitue une barrière énorme et solide.

Le désir ferme l’oreille et l’empêche d’entendre; l’attachement à soi-même ferme l’oeil et l’empêche de contempler.

De même que dans le cas de l’embryon le désir de sang qui est sa nourriture dans cette vile demeure l’empêchait de prêter l’oreille aux nouvelles de ce monde »[1].

Cette joie de l’au-delà, Rûmî ne cesse d’en parler. Elle est pour lui l’aboutissement et nous n’avons été créé que pour la connaitre un jour. Il ne cesse de s’émerveiller et ses méditations le conduisent parfois sur d’étranges chemins.

   Frithjof Schuon écrivait : « La preuve téléologique englobe également la preuve « esthétique » au sens le plus profond du mot : sous cet aspect, elle peut être moins accessible encore que sous son aspect cosmologique ou moral ; car être sensible à la transparence métaphysique de la beauté, du rayonnement des formes et des sons, c’est déjà posséder, comme Rûmi et Râmakrishnan une intuition visuelle et auditive qui remonte, à travers les phénomènes, jusqu’aux essences et jusqu’aux mélodies éternelles »[2].

   Même les particules possèdent un certain degré de conscience, aucun être ne disparait totalement dans le « néant », mais se réintègre dans un autre état existentiel. Ainsi, passer d’un état existentiel à un autre ne signifie pas la fin de l’existence, mais le changement des modalités et des limites par rapport à notre ancien état, tout comme le fœtus qui était limité et conditionné par son environnement, ayant l’intuition d’un monde plus vaste au-delà de ce qu’il percevait (l’utérus), il est ensuite projeté dans un monde bien plus vaste, riche, beau et diversifié, aux merveilles indescriptibles lorsqu’il était encore enfermé dans sa condition de fœtus, c’était des réalités inconnues pour lui, dépassant tout ce qu’il connaissait et entendait. Et ainsi est-il de la différence entre le monde matériel et le monde spirituel, de notre condition terrestre et de notre condition dans le monde céleste.

   Le fœtus ne voit pas non plus l’essence de sa génitrice (sa mère), mais il ressent sa présence, sait qu’elle veille sur lui, qu’elle lui procure sa subsistance et lui témoigne son amour, et que par intuition et par déduction, il se sait dépendant d’elle, et que c’est le signe et la trace de son existence indépendante et objective de sa propre condition existentielle à lui, qu’il sait relatif, fini et limité.

   René Guénon disait dans Études sur l’hindouisme : « Tous les efforts hostiles se briseront finalement contre la seule force de la vérité, comme les nuages se dissipent devant le soleil, même s’ils sont parvenus à l’obscurcir momentanément à nos regards. L’action destructrice du temps ne laisse subsister que ce qui est supérieur au temps : elle dévorera tous ceux qui ont borné leur horizon au monde du changement et placé toute réalité dans le devenir, ceux qui se sont fait une religion du contingent et du transitoire, car « celui qui sacrifie à un dieu deviendra la nourriture de ce dieu » ; mais que pourrait-elle contre ceux qui portent en eux-mêmes la conscience de l’éternité ? ».

    Allâh a dit : « Nous leur montrerons Nos signes (ayat) dans les mondes et en eux-mêmes, jusqu’à ce qu’il leur devienne évident que c’est cela, la vérité » (Qur’ân 51, 21).

« La Vérité est venue et l’Erreur a disparu. Car l’Erreur est, par nature, évanescente » (Qur’ân 81, 17).


[1] Cité aussi dans Islam, l’autre visage : Entretiens avec Rachel et Jean-Pierre Cartier de Eva de Vitray-Meyerovitch, éd. Albin Michel, 2016.

[2] Frithjof Schuon, Logique et Transcendance, au chapitre « Les preuves de Dieu », éd. Sulliver, 2007.


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