Conseils aux musulmans dans leur cheminement spirituel et leur quête intellectuelle

La Communauté subit et traverse de nombreuses crises, et se fatigue et s’épuise dans des polémiques interminables qui ne l’honorent pas. Mais face à tant de divergences, de savants et de penseurs (ou de Youtubeurs), dont les fitan (troubles, discordes) prédominent, où est la spiritualité là-dedans, et où est l’adab ?

L’intelligent est aussi celui qui se pose les bonnes questions ; il n’y a pas que dans le patrimoine pré-moderne où on trouve des avis erronés ou inutiles (pour le croyant), mais aussi et surtout, dans le « corpus moderniste », où les avis peuvent même aller jusqu’à détruire les fondements de la foi et de l’éthique, et empêcher l’éclosion de toute spiritualité, comme on peut le voir de nos jours, notamment chez eux qui ont pignon sur rue dans ce milieu. Les seuls objectifs qu’ils réalisent sont ceux des islamophobes : attaquer le symbole de l’identité musulmane de la croyante (le voile en tant que tel, et la piété et la pudeur en tant que valeurs notamment), faire perdre du temps à la Communauté, épuiser les musulmans dans des débats sans queue ni tête ou stériles (où leurs arguments ont été réfutés déjà qui plus est), les détourner de la piété, et les éloigner de l’injonction divine : « Nous avons écouté et obéi ».

Quant à d’autres, prétendument attachés à la Tradition, beaucoup manquent d’adab et s’accrochent à défendre des avis qui n’ont ni utilité ni autorité à être propagés, imposés ou recommandés chez les croyants (de la masse essentiellement), car cela ne leur bénéficiera en rien, et pire même, cela les troublera inutilement, et se détournent même des principes et finalités de la Tradition ; tout dans la forme, rien dans le fond, ce qui reste toutefois mieux que la perspective moderniste, où ni la forme ni le fond ne respectent le Discours qurânique et ses principes.

Beaucoup sont victimes, malgré eux, du paradigme moderniste, qui conditionnera toute leur approche biaisée et superficielle de l’Islam, au point de le rendre méconnaissable et inopérant. La spiritualité, chez eux, devient « lettre morte », et tout n’est plus réduit qu’à une vision « culturelle » et hybride entre idéologies modernes et fidéisme relativiste, alors qu’ils auraient dû commencer par interroger la pertinence et la validité épistémologique des croyances modernistes, avant de plier la Loi divine à leurs caprices ou aux superstitions modernes. L’Islam, chez eux, devient « tout » sauf l’Islam ; on ne cherche plus à s’élever spirituellement et à se rapprocher d’Allâh, ni à naviguer dans les eaux troubles de la modernité et de l’ignorance humaine, on se laisse finalement noyer par les vagues empoisonnées jusqu’à les prendre pour la vérité. Or, le paradigme moderniste est islamiquement et logiquement erroné et illégitime, – les nombreuses crises et catastrophes alarmistes mondiales en sont les preuves les plus éclatantes – et après autant de temps à se braquer sur les mêmes sujets polémiques (où ils ne convaincront pas les doués d’intelligence et les pieux), il serait temps pour eux de se remettre en question et de tourner la page.

Sur la modernité, il suffit de lire des auteurs comme Seyyed Hossein Nasr, René Guénon, Martin Lings, Titus Burckhardt, Frithjof Schuon, Tayeb Chouiref, Malek Bennabi, Sofiane Meziani, Alija Izetbegovic ou Hamza Benaïssa, pour comprendre que le problème fondamental est épistémologique concernant la mentalité moderniste/réformiste, avec un amoindrissement palpable de la piété et de la perspective spirituelle, – sauf exceptions évidemment, mais il y en a (presque) toujours -. Car la faiblesse argumentative que les modernistes proposent, il n’y a aucun débat de fond, rien d’élévateur, rien qui nous rapproche d’Allâh, et au contraire, tout ce qui peut nous en éloigner (dont la piété). Les faits sont là et observables pour tout le monde.

Nous sommes tous constamment invités à nous remettre en question et à nous reposer les bonnes questions, – comme chacun doit le faire peu importe son courant -, et à revoir nos priorités et nos intentions, – la Sûrah al-Fatiha nous le rappelle quotidiennement -, mais ceux qui sèment la discorde, – qu’elle soit idéologique, politique, familiale ou sociale -, doivent cesser d’embêter les croyants et ne doivent pas leur imposer des polémiques polluant leur âme et leur esprit, car c’est s’opposer aux injonctions divines. Si on ne propose pas de contenu bénéfique et utile aux croyants, la sagesse et la pudeur nous imposent de nous en abstenir.

Le pseudo-salafisme avait fait beaucoup de mal aux croyants pour ces raisons, et les modernistes/réformistes en rajoutent une nouvelle couche depuis quelques années, cette fois-ci en véhiculant les clichés et propagandes orientalistes et islamophobes les plus nocifs pour la foi et la spiritualité.

Dans le domaine religieux, les symboles sont importants et l’identité fondée sur la spiritualité tout autant, comme l’ont montré des intellectuels et maîtres spirituels comme le Shaykh Ahmad Al-Alawî, l’émir Abd al Qadîr, Martin Lings ou Hamza Benaïssa, ainsi que des intellectuels non-musulmans comme Ananda Kentish Coomaraswamy, Julius Evola ou Pierre-Yves Lenoble. En effet, quand on détruit les symboles religieux, on prive la communauté d’une perspective spirituelle, car ce sont les symboles qui nourrissent l’intellectualité et qui mènent vers l’opérativité sur le plan spirituel, dès lors, on tue la spiritualité et on laisse un vide qui ne sera comblé que par l’identité culturelle/politique/idéologique imposée par l’ennemi/dominateur.

Sur le plan spirituel, le monde musulman a été éminemment béni, avec des figures comme Abû Hâmid al-Ghazâlî et son frère Ahmad, Al-Hakim at-Tirmidhî et Sahl al-Tustârî, Farîd ud-Dîn Attâr et Rûmi, Ibn ‘Arabî et Al-Qashânî, Al-Junayd et Al-Qushayrî, Al-Kalabadhî et Al-Hujwirî, Al-Jilânî et Ahmad Ar-Rifâ’î, Al-Darqawî et Ibn Ajiba, l’émir Abd al-Qadîr et le Shaykh Ahmad Al-Alawî, Hafez et Jamî’, Sâ’adi,  Najm ud-Dîn Kubrâ et la famille Ba’aliwa des Haddâd, pour ne citer qu’eux, ainsi que les sagesses qu’ils rapportaient des imâms des Ahl ul Bayt et des Saints parmi nos prédécesseurs.

En lisant les modernes ou les auteurs qui ne sont pas nourris à la spiritualité et à la métaphysique, on ne peut que constater la superficialité des raisonnements et le nivellement par le bas qu’ils opèrent, ainsi qu’une sévère atrophie, sur les différentes dimensions de l’être : l’esprit et l’intelligence ainsi que la foi et la piété, ce qui exerce un impact régressif et nocif sur notre mode de vie. A ce titre, les auteurs mentionnés auparavant sont bénéfiques et profitables, et montrent le fossé qui existe entre eux et les « modernes », si bien que la « littérature » moderne parait bien insipide, maigre, vide et fade, ne parvenant pas à éclairer et à élever l’esprit, à nourrir spirituellement l’âme et la soif d’Absolu qui nous habite.

Si les croyants cherchent donc à s’élever, qu’ils s’abreuvent constamment du Qur’ân et de l’exemplarité prophétique, et qu’ils suivent ensuite ceux qui manifestent, en privé comme en public, un bel adab, une belle sagesse, une vision spirituelle et profonde des choses, une lucidité globale quant aux enjeux et dangers de notre temps, et qui s’adonnent aux actes d’adoration et de bienfaisance. Or, parmi ceux qui aiment la polémique et qui l’alimentent sur les réseaux sociaux, peu sont ceux qui se conforment aux qualités qurâniques évoquées précédemment, ce qui devrait nous alerter.

La langue arabe qurânique dégage et possède une telle puissance de langage, une beauté à la fois apaisante et percutante, une richesse de sens qui rend la lecture du Qur’ân propice à la méditation, au renouvellement des sens, à une profondeur dont la limite est sans cesse repoussée, un amour du Verbe et de l’éloquence, et un langage qui comporte les différentes strates de l’existence qui s’imbriquent ensemble et qui s’interpénètrent mutuellement. La voie qui nous mène à cette compréhension unifiée, apaisée et perspicace de toutes les dimensions de l’être et de l’existence, est celle qui manifeste le mieux la Sagesse divine et le Soutien divin à travers cette compréhension bénie du Livre.

Ainsi, tout ce que peuvent bien proposer les modernes comme les autres acteurs qui mettent de côté la spiritualité et l’adab au profit d’une vision culturelle ou juridique indigeste et déconnectée des principes et des finalités de la Révélation, est superficiel et insipide à l’égard des amoureux d’Allâh et de la Sagesse.

Pour résumer, un auteur ou une voie qui mènent à la vanité, à l’orgueil, à la médiocrité, à la pensée unique, à un éloignement de la piété et à une absence de spiritualité, ne sauraient être suivis selon le Qur’ân et la sagesse.

Le Messager d’Allâh (ﷺ) a dit : « Celui qui porte les armes contre nous n’est pas des nôtres et celui qui nous trompe (nous arnaque et ruse contre nous) non plus ». (Rapporté par l’imâm An-Nawawî dans son Riyâd as-Salihîn n°1579 selon Abû Hurayra, et aussi par Muslim dans son Sahîh et par Ibn Hajar dans Bulugh al-Maram 7/n°45).

Ce hadîth montre le danger que représentent ceux qui portent les armes (physiques, idéologiques, politiques et sociétales) contre les musulmans, et qui cherchent volontairement à les tromper, les éloignant d’Allâh, de la justice, de la piété et de la bienfaisance, et les appâtant aux biens illusoires de ce bas-monde, et à se faire domine par leurs ennemis extérieurs et leurs ennemis intérieurs (les passions et les vices).


Par rapport aux débats, il ne faut pas chercher à imposer son point de vue, mais à soulever les contradictions, les lacunes et les limites d’une approche que l’on pourrait qualifier de problématique, de lacunaire ou de dangereuse, tout en amenant l’autre à cogiter, et en prenant en compte aussi les propos de l’autre personne, – et d’en tirer les éventuelles sagesses ou informations utiles contenues dans son discours -.

Un frère, – qu’Allâh le bénisse -, nous rappelait aussi que parmi les sciences islamiques, il existe une discipline qui s’appelle « science du débat et de l’argumentation » (ʿilm al-munazara, ou bien ʿilm al-jadal, ou ʿilm al-bahṯ). Cette science peut être définie comme étant « un examen intellectuel , dialogique ou monologique, dont l’objectif est la quête de vérité ».

Cette discipline repose sur 2 fondements qui sont le fondement scientifique/épistémologique et le fondement éthique. Parmi les théoriciens de cette science, il y a l’imâm Abû Ḥâmid al-Ghazâlî, qui dans son iḥyâ’, pose 8 conditions qui sont nécessaires pour qu’un débat puisse avoir lieu. En ce qui concerne le volet éthique, la 6ème condition stipule que le sujet du débat doit considérer son interlocuteur comme un alter-égo et non comme un rival. Le sujet doit chercher la vérité comme une personne à la recherche d’un objet perdu. Il doit remercier son interlocuteur s’il lui montre ses erreurs et lui fait apparaitre la vérité (wa azhara lahu al-haqq).

L’imâm As-Shafi’î illustre bien cette science du débat dans les paroles suivantes :

« Si tu fais partie de ceux qui détiennent une vertu, ainsi que la science des divergences des anciens et des contemporains,

Alors débats posément avec celui qui est en face de toi, n’insistant pas et n’imposant rien, sois indulgent.

Tu prendras de lui des sciences utiles sans faveur de sa part, parmi les anecdotes ainsi que les raretés.

Et prends garde à celui qui s’impose et à celui qui aime se montrer, comme celui qui a vaincu ainsi que celui qui se gonfle d’orgueil.

Car le mal de ce dernier se dégage de tout son être, annonçant la dispute ainsi que la discorde ». (Recueil de sagesses de l’imâm Shafi’i).

Quant au virtuel, beaucoup se disaient aussi « plus tranquilles » quand ils restaient dans leurs coins, se sentant « bien » dans leur « grotte », mais c’est aussi une perte et un manquement, car on passe à côté de nombreuses infos et sagesses, et que l’on ne participe pas non plus à améliorer l’état de la communauté, sans parler du fait que l’on passe à côté aussi de magnifiques rencontres, même si les dangers et les effets pervers sont prédominants aussi d’un autre côté. Comme toujours, il faut s’imposer des limites, redéfinir nos priorités, nous imposer le silence tous les X temps durant une période, faire une retraite spirituelle (seul ou en comité restreint) afin de couper court aux « parasites » et de se retrouver en Sa pleine Présence.

Nous pouvons résumer tout cela par le propos de Sidi Ibrahim (Titus Burckhardt) : « Dès lors que presque toutes les formes de vie traditionnelle sont désormais détruites, il est rarement accordé à l’homme de s’engager dans une activité pleinement utile et sensée. Mais toute perte comporte un gain : la disparition des formes traditionnelles exige que nous fassions preuve de jugement et de discernement ; la confusion régnant dans le monde ambiant est une injonction à revenir, par-delà les accidents, à l’essentiel ». (Titus Burckhardt, What is conservatism, dans The essential Titus Burckhardt, éd. William Stoddart, 2003, p. 186).


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