Biographie : Nizâmî (+- 1141 – 1209)

Il est Nizâmî, dit aussi Nizâm ud-Dîn Abû Muhammad Elyas Ibn Yûsuf Ibn Zaki Ibn Mu’ayyad Nîzamî Ganjavi, né vers 1141 et mort vers 1209, d’ascendance irano-kurde. Il est l’un des plus grands poètes musulmans et même de l’Humanité, l’un des maîtres de la poésie persane, le théologien, le juriste, l’exégète du Qur’ân, le linguiste, le logicien, le muhaddîth, le maître spirituel et sûfi, l’illustre savant dont la connaissance encyclopédique englobait la médecine, la philosophie, les mathématiques, l’astronomie, la chimie, la physique, la botanique, l’histoire, la littérature arabe et persane, et les autres sciences de son temps, afin d’en scruter les moindres secrets. Il naquît à Qôm (actuel Iran), mais vécut à Ganja (actuel Azerbaïdjan), comme il le dit lui-même dans son Eskandar-Nâmé (le Livre d’Alexandre) :

« Même si je suis perdu à Ganja comme une perle,

Je suis de Ghahestan de Qôm ».

Les membres de sa famille étaient déjà réputés pour être des lettrés et des savants, et c’est dans ce milieu que sa formation intellectuelle débuta, et dès son plus jeune âge, il commença à étudier toutes les sciences islamiques et les sciences diverses (médicales, naturelles, littéraires, …), à tel point qu’il écrit :

« Tout ce qu’il y a en astronomie,

ou les détails dans toutes les sciences,

Je les ai appris, et j’ai cherché dans toutes leurs pages, leurs mystères ».

Selon Seyyed Mohammad Ali Oraizi, dans son Essai sur Nizami de Gandja, ses œuvres sont notamment caractérisées par :

  • universalité, en ce qu’il réunit toutes les figures ;
  • force infinie ;
  • usage de métaphores, d’allégories, etc. ;
  • imagination et innovation ;
  • éloquence ;
  • primauté.

« Son œuvre harmonique, est remplie de synecdoques. Il emploie sans cesse ses savoirs minutieux et infinis en astronomie, chimie, histoire, mythologie, religion, mysticisme, médecine… Finalement, son œuvre est un tableau parfait, une topographie des mots et des choses, un mélange de conglobations et d’antanaclases ».

Le Khamsé, son œuvre majeure, se compose de 5 œuvres distinctes :

 – Le Trésor des mystères (Makhzan-ol-Asrâr ; composé en 1165) ;

 – Khosrow et Chirine (Khosrow o Chirine ; 1180) ;

 – Leïli et Madjnoun (Leïli o Madjnoun ; 1188) ;

 – Les Sept Beautés (Haft-Peïkar, aussi traduit par « Les Sept Figures [de beauté] ») ou le Livre de Bahram (Bahrâm-Nâmé ; 1191) ;

  – Le Livre d’Alexandre (Eskandar-Nâmé ; 1198).

(Mohammad Javad Kamali, Bibliographie française de la littérature persane, Mashhad, Sokhangostar, 2014, p. 65).

   Des auteurs occidentaux furent éblouis par son œuvre :

« Ce n’est pas son génie, j’en suis convaincu, qui est incapable de se mesurer à notre époque ; tout au contraire, c’est notre époque qui est incapable de se mesurer à lui. Le phénix devient cendre, mais de la cendre naît le phénix. Le fait qu’il soit méconnu n’enlève rien à sa valeur. Par sa grandeur, Nezâmî dépasse tous les autres, car il fut à la fois le maître de l’épopée et de la poésie lyrique, de la pensée et de la forme. Ce fut un mystique qui jamais ne cessa de comprendre les hommes et de sentir comme eux, un profond philosophe, et ainsi le plus fidèle serviteur d’Allâh, un solitaire isolé du monde. Depuis les temps les plus reculés jusqu’à nos jours, aucun littérateur persan n’a su exprimer plus passionnément le terrible tabou musulman (1), les rapports de l’homme envers la femme. Il est donc notre poète préféré, malgré l’obscurité (2) et difficulté de ses œuvres qui, sept cents ans après lui, n’ont rien perdu de leur fraîcheur ni de leur originalité » (3).

Selon le Dr Rudolf Gelpke : « De nombreux poètes ultérieurs ont imité l’œuvre de Nizâmî, même s’ils ne pouvaient l’égaler et certainement pas le surpasser ; Perses, Turcs, Indiens, pour ne citer que les plus importants. Le savant persan Hekmat a répertorié pas moins de quarante Persans et treize versions turques de Layli et Majnun » (4).

Dans l’introduction, il dit : « Nizâmî préserve l’atmosphère bédouine, les tentes des nomades dans le désert et les coutumes tribales des habitants, tout en transposant l’histoire dans le monde iranien beaucoup plus civilisé … Majnun parle aux planètes en langage symbolique d’un sage persan du XIIe siècle, les rencontres de petits raids arabes deviennent de gigantesques batailles d’armées royales perses et la plupart des Bédouins parlent comme des héros, des courtisans et des savants de la civilisation iranienne raffinée » (5).

Pour Peter Chelkowski : « La mémorisation et la récitation de leur héritage littéraire ont toujours été vitales pour les Iraniens, dont l’attitude envers le pouvoir de l’écrit et de l’oral est révérencielle. Même aujourd’hui, la passion nationale pour la poésie s’exprime constamment à la radio et à la télévision, les salons de thé, dans les sociétés littéraires, dans la conversation quotidienne, et dans le Musha’areh, le concours de récitation de poésie. L’œuvre de Nizami sert de véhicule et de symbole de cette tradition, car elle unit l’universalité à un effort artistique profondément enraciné, un sens de la justice et la passion pour les arts et les sciences avec une spiritualité et une piété authentique. Pour la richesse et la finesse de la métaphore, l’exactitude et la profondeur de l’observation psychologique, et la virtuosité pure de la narration, Nizami est sans égal » (6).


Le poète et savant allemand Johann Wolfgang von Goethe lui rendait également hommage :

« Ô Nezâmi ! – en fin de piste,

As-tu trouvé la bonne voie ;

L’irrésolu, qui le résout ?

Les amants qui se trouvent ».

Goethe, West-Östlicher Divan (1814 – 1827).

Les grands poètes persans ne furent pas en reste sur leurs éloges à son égard :

« Nezâmi – sur lui soit la Miséricorde d’Allâh ! -, est né à Gandjeh. Ses vertus et mérites sont manifestes, se passent de commentaire. Il a enchâssé tant de beautés, de subtilités, de vérités dans son livre des 5 Trésors, que personne d’autre n’y réussirait. Non ! Car cela dépasse ce que peut faire le genre humain ».

Jâmî, Bahârestân (Le Verger printanier), Hérât, 1487.

« Toi,

Pareil,

A Celle en en vers chantée,

Par Nezâmî :

Que Ton Courroux ne m’accable !

Ton Courroux –

Ne m’en est l’endurance ! ».

Rûmî, Diwân-é Shams-é Tabrîz, Konya, 1246.

Nizâmî s’enracinait dans la pure tradition sunnite et sûfie, comme la plupart des poètes persans (Rûmî, Sâ’adi, Attâr, Hafez, Shirazî, ‘Umar Khayyâm, Shams Tabrizî, Jâmî, Qutb ad-Dîn Shirazî, …) (7).




Notes :

(1) En lisant les traités spirituels aussi bien qu’éthiques, que juridiques et poétiques du patrimoine musulman, on s’aperçoit qu’il n’y a pas vraiment eu de « tabou » en la matière, en tout cas pas de façon généralisée.

(2) Pour ceux qui ne sont pas familiers à la terminologie sûfie et aux doctrines ésotériques de l’Islam. Car les autres poètes persans, comme Rûmî, Jâmî et d’autres, qui parlaient le même langage, et qui expérimentaient les mêmes états et stations d’ordre spirituel, saisirent bien les sens subtils de ces vers. Jâmî par exemple, dans son Nafahatol Uns remarque que : « Bien que la plupart des travaux de Nizâmî en surface semblent être de la romance, en réalité ils sont un masque pour les vérités essentielles (ésotériques) et pour l’explication de la Connaissance divine ».

(3) Jan Rypka, L’âme de l’Iran, p.119.

(4) Nizami (Translated Dr. Rudolf. Gelpke in collaboration with E. Mattin and G. Hill), The Story of Layla and Majnun, éd. Omega, 1966.

(5) Ibid. Introduction.

(6) Peter J. Chelkowski, Mirror of the Invisible World, New York: Metropolitan Museum of Art, 1975.

(7) E.E. Bertels, Selected Works, Nizami and Fizuli, Oriental Literature, 1962 : « Le fait que contrairement aux Iraniens shiites « Nizami était un sunnite vertueux » ».


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