Biographie : Mullâh ‘Umar (né entre 1950/1962 – 2013)

Il est le Mullâh ‘Umar, le théologien, le juriste, l’érudit, l’émir des croyants en Afghanistan, l’homme politique, le chef religieux et l’ascète. Sa date de naissance fait l’objet d’une incertitude, entre 1950 et 1962, et son décès survint le 23 avril 2013 selon les communiqués officiels des Talibans.

Né près de Kandahar, dans le village de Now Deh, et appartenant à l’ethnie pashtoune de la tribu Hotak, la branche Gilzaï des Pashtounes, ‘Umar est issu d’un milieu paysan, ce qui influencera beaucoup ses idées et la mentalité à l’origine des Talibans. Selon le documentaire Le dernier calife d’Afghanistan, il aurait été orphelin de père dès l’âge de 3 ans.

Durant sa jeunesse, il étudia les sciences islamiques (Qur’ân, Hadith, ‘aqida, fiqh, sîrah, …) dans une école déobandi (maturidite en théologie et hanafite dans le droit) à la frontière pakistanaise.

Très bel homme et très charismatique, il se sentit concerner par la situation de son pays, connaissant une série successive de crises. Durant la guerre d’Afghanistan contre les Soviétiques, il s’est rallié à la résistance et aurait perdu un œil pendant un combat (une photo de lui, – ou que l’on pense l’être – avec sa blessure de guerre à l’œil, fera le tour du monde) après avoir été blessé par un éclat d’obus. Arabophone, il lira les ouvrages d’Abdallah Azzam (qui « fondera » et influencera Al Qaïda), et enseignera dans une madrassa de Quetta (Pakistan), puis à Karashi, où il rencontre Ussama Bin Laden, dont il devient proche.

Après la défaite des Soviétiques, Mullâh ‘Umar rejoindra le Parti islamique (Hezb-e-Islami Gulbuddin) de Mohammad Younes Khalis, et s’opposera au régime de Mohammad Najibullah en 1989-1992.

Il fondera également une école qurânique dans un village de la région de Kandahar, Sangesar, et prend alors le titre de Mullâh. Au printemps 1994, des villageois se plaignent auprès de lui de l’enlèvement de 2 jeunes filles par un chef local. Il réunit alors une trentaine d’étudiants (appelés talibans ; talibans signifiant étudiants), armés. Il capture le chef local à l’aide de ses étudiants et le pend au canon d’un char. Il se sent alors investi d’une mission spirituelle, et le mouvement taliban fait alors son apparition en Afghanistan en 1994 et gagne rapidement du terrain, notamment parmi les populations pashtounes, apparaissant comme une alternative à la guerre civile. Fort de leurs succès militaires, de la justice qu’ils instaurent et de la sécurité qu’ils garantissent aux populations contre les bandits et les criminels, de nombreux Afghans les soutiennent, partageant aussi la même mentalité et les mêmes coutumes qu’eux.

Le 3 avril 1996 à Kandahar, le Mullâh ‘Umar est désigné « Commandeur des croyants » (Amir al mu’minîn) par une assemblée de 1527 savants venus d’Afghanistan, du Pakistan et d’Iran. Devant l’assemblée, à Kharqa Sharif, il se drape d’une cape conservée dans une mosquée locale qui aurait été portée par le Prophète Muhammad (), – l’Afghanistan fut une terre bénie par les descendants du Prophète () et leurs héritiers spirituels parmi les Saints, se transmettant ainsi la Khirqa (Manteau) du Prophète () de génération en génération. Cette élection ne fit pas l’unanimité, – ce qui est de toute façon rarement possible -, mais les témoins l’ont décrit comme étant une « cérémonie » grandiose, incroyable et remarquable, dégageant de vives émotions.

En 1996, la ville de Kabûl est prise par les Talibans et, en 2000, ces derniers contrôlent environ 90 % du territoire afghan et 95 % des zones de production de l’opium, et éprouvée par la guerre civile, une large partie de la population se rallie à eux, souhaitant vivre en paix et en sécurité, ce que les Talibans réussissent à apporter. Il promulgue également plusieurs décrets qu’il fait appliquer, et en 1999, il interdit le lévirat (un type particulier de mariage où le frère d’un défunt épouse la veuve de son frère, afin de poursuivre la lignée de son frère et dont les enfants issus de ce remariage ont le même statut que les enfants du premier mari). En juillet 2000, il décrète une interdiction de cultiver le pavot à opium, car anti-islamique, alors que le pays était le premier producteur mondial de pavot à cette époque. Il fera aussi interdire la pédérastie (une relation particulière entre un homme adulte et un garçon beaucoup plus jeune), – pratique répandue chez les « seigneurs de guerre » qui trahiront les Talibans et se joindront aux envahisseurs américains lors de leur invasion en 2001.

Si la mentalité talibane est en phase avec les coutumes locales dans les zones rurales, certains décrets sont mal acceptés et perçus par une partie de la population, essentiellement urbaine, aussi bien du côté des groupes sunnites que shiites et « occidentalisés ». L’école déobandie étant aussi le fruit des coutumes et mentalités un peu « sèches » de la région, certaines fatawa sont très strictes, et bien qu’étant eux-mêmes sûfis, ils interdisent certaines pratiques licites (selon de nombreux juristes) qui furent très répandues dans le monde musulman, comme la musique traditionnelle. D’un autre côté, le choc entre le mode de vie traditionnel et la « modernité occidentale » de plus en plus répandue dans des villes comme Kabûl, pousse les Talibans à une certaine vision manichéenne dans le but de préserver le peuple Afghan des coutumes étrangères propagées par l’Occident, allant jusqu’à procéder à des jugements « expéditifs » et parfois trop « extrêmes », mais toujours dans une certaine forme de justice sans céder à l’arbitraire et au banditisme des mercenaires qui faisaient régner la terreur avant le règne des Talibans. Les femmes rurales sont souvent en phase avec le mode de vie culturel et traditionnel des Talibans, ce qui n’est pas le cas des femmes en milieu urbain. Face à la montée des idéologies modernes et des moyens de communication, la fracture sociétale s’intensifie entre le mode de vie « primitif » des Talibans et les aspirations ou sensibilités d’une partie des Afghans. Une gestion plus dure de la société se renforce, et le gouvernement taliban apparait alors comme étant trop « dur » et « strict », et pas assez souple et conciliant quand la situation l’exigeait.

En 1999, le Mullâh ‘Umar ordonne la protection du patrimoine historique et demande même l’inscription des Bouddhas de Bâmiyân au patrimoine mondial de l’Unesco, mais voyant que la communauté internationale ne se souciait pas de la vie des populations afghanes, et qu’elle accordait plus d’importance à des statues inertes qu’aux vies humaines, il fit volte-face, et 2 ans plus tard, il décrète la destruction des statues de Buddha dans tout le pays (dont les Bûddhas de Bâmiyân), ce qui causa un émoi intense dans la presse internationale, – se souciant plus de statues inertes que de la vie humaine, montrant ainsi l’aspect subtil de la « barbarie internationale » -.

Dans sa volonté d’instaurer un état islamique, il fit fermer les écoles jugées « occidentalisées » ou « dépravées », et les garçons et les filles devaient alors étudier à la maison ou dans des écoles islamiques (étudiant le Qur’ân, le Hadith, les mathématiques, la géographie, la littérature, le droit/fiqh, la théologie, la Sîrah, etc.), et bien que faisant déjà partie de la coutume rurale des Afghans, il entérina le décret interdisant aux femmes de se déplacer seules dans les rues sans être accompagnées par un homme, – pratique s’expliquant très bien par l’insécurité qui régnait autrefois dans ces endroits -, et déclara aussi illégales la musique, les cassettes vidéo, les photographies d’êtres vivants et la pratique du cerf-volant, bien qu’une certaine tolérance pour les photographies et cassettes vidéo semble avoir été de mise. Cela peut sembler extrême, mais au vu des nombreux dangers liés aux vidéos et aux photos, surtout quand celles-ci suivent une voie blâmable pour répandre toutes sortes de vices ou d’idéologies dangereuses, cela peut se comprendre.

Alors qu’Al Qaîda menait des opérations militaires contre les installations américaines immorales en Afrique et dans le monde arabe, certains membres et partisans se réfugièrent en Iran, au Pakistan et en Afghanistan pour échapper aux traques américaines. Alors qu’Al Qaïda exige des Etats-Unis qu’ils cessent leurs massacres de civils dans le monde arabe et africain, et qu’ils retirent leurs troupes du monde musulman, les Etats-Unis refusent et persistent dans des massacres de grande ampleur, – des centaines de milliers de civils sont massacrés ! – et des opérations illégales pour soutenir des dictatures et des tyrans dans toute la région. Comme chez Al-Qaïda, les Talibans étaient divisés en 2 tendances concernant la permission de cibler les civils du camp ennemi s’ils ciblaient les civils musulmans, – adhérant à la loi du talion (mais pas dans sa compréhension islamique, puisque l’Islam interdit de tuer les civils ennemis même en temps de guerre) -. Bien qu’Al Qaïda trouve refuge en Afghanistan, les Talibans interdisent que des attentats soient planifiés et menés depuis leur sol contre des pays étrangers. Le 11 septembre 2001, les attentats de New York « horrifient » et « étonnent » le monde entier. Les Etats-Unis trouvent alors un bon prétexte pour envahir l’Afghanistan, et somment les Talibans de leur livrer Ussama Bin Laden. Le gouvernement taliban annonce alors que si les Etats-Unis ont une preuve de son implication, les Talibans le jugera eux-mêmes selon les lois du pays, mais le gouvernement américain n’a jamais pu fournir les preuves et durant des années, même le site officiel du FBI n’avait pas la preuve de son imputabilité à Ussama Bin Laden, et dont ce dernier lui-même niera en être l’auteur durant un bon moment, avant de le reconnaitre (mais peut-être dans l’optique d’attirer plus de sympathisants anti-impérialistes pour sa cause ?), mais désobéissant alors aux lois talibanes. Cependant, dans le code d’honneur des Afghans, ils se doivent de protéger jusqu’au bout toute personne à qui l’hospitalité a été donnée, refusant alors de trahir leur parole même s’ils doivent subir la colère des Etats-Unis. Entre Georges W. Bush Junior et le Mullâh ‘Umar, une série de critiques et de « punchlines » par voie interposée s’enchaina, et le « temps » (Allâh, pour nous les musulmans, étant l’Agent causateur de toute chose) donna raison au Mullâh ‘Umar, et même après sa mort, le 16 août 2021, les Talibans firent leur retour triomphal dans la capitale du pays au sein du Palais présidentiel.

Ceux qui ont connu le Mullâh ‘Umar, sont unanimes pour le décrire comme étant une personne qui dégageait beaucoup de charisme et d’aura spirituel, qui fut gratifiée de karamat (prodiges) et qui plaça sous sa protection de nombreux sûfis, interdisant à quiconque de leur faire du mal, et menant une vie très simple, discrète et ascétique, et échappant à toutes les armes et technologies modernes de surveillance, d’espionnage et d’assassinat, « véritable miracle » contre la « superpuissance mondiale ».

En prenant la peine de rencontrer d’autres talibans, beaucoup furent frappés par le fait qu’ils étaient très pieux et sincères, démentant ainsi une telle caricature telle qu’elle est brossée dans de nombreux médias, et cela, sans pour autant être « pro » ou « anti-taliban » primaire, ce qui n’empêche pas que beaucoup parmi eux ont une vision quand même assez superficielle et rigide de l’Islam, loin de la profondeur et de la spiritualité des grands maîtres, même si cela a changé avec le temps. Il faut donc vraiment faire attention à ne pas tomber dans la haine et la calomnie. Aucun mouvement n’est exempt de défauts et de dérives, mais il ne faut pas être injuste et les mettre tous dans le même sac. Certains font partie des plus belles âmes qui soient : très généreux, sincères, pieux, courageux et déterminés, et c’est justement là-bas que des occidentaux laïcs comme des salafistes, ont changé de mentalité et ont décidé d’adopter un autre regard, plus nuancé et profond, sur les Talibans comme sur l’Humanité et la vie en général. Pour beaucoup, ils ont un amour de Dieu, de la religion, de la liberté (face aux envahisseurs injustes) et de la communauté bien plus intense que ce que l’on peut imaginer, et souvent bien plus fort que celui de leurs détracteurs.

Il faut donc dissocier leurs qualités humaines, – beaucoup possèdent un sens de la justice, de la foi, de la patience, de l’humilité et de la générosité à toute épreuve -, de leurs conceptions politiques ou juridiques des choses, qui peuvent être contestées, erronées, relativisées ou inadaptées pour une partie du peuple afghan.

Si le bilan politique des Talibans est mitigé, – avec des tâches noires mais aussi d’étonnantes et nombreuses bonnes réalisations -, leurs prouesses militaires (entre 30 000 et 80 000 combattants très peu armés contre plusieurs centaines de milliers de soldats très bien équipés et dotés d’une technologie de pointe et d’une force aérienne conséquente), leur détermination et leur bravoure, au Nom d’Allâh et pour la libération de leur peuple face à des envahisseurs criminels ayant ruiné le pays et massacré des dizaines de milliers de femmes et d’enfants, marqueront l’Histoire à tout jamais, et leur vaudront la sympathie et l’admiration de nombreuses personnes à travers le monde. On leur reprochera toutefois d’avoir eu recours, pour certains d’entre eux du moins, à des actes abominables (se rabaissant ainsi aux mêmes pratiques anti-islamiques que leurs ennemis) comme les attentats dans les marchés, une certaine dureté par moment, et une vision n’intégrant pas la profondeur spirituelle de l’Islam et une adaptation « clairvoyante » du fiqh (dans ses branches, celles qui évoluent selon le temps, le lieu et la coutume) selon les lieux et les individus, – ce que l’on pourrait reprocher aussi à des états actuels pourtant soutenus par l’Occident -.

Les Afghans sont eux-mêmes très divisés, beaucoup ne voulaient pas du gouvernement corrompu (qui n’existe désormais plus) tandis que d’autres voulaient les Talibans, et la majorité des Afghans n’est ni fondamentalement pro-taliban ni anti-taliban, ils veulent juste vivre en paix et en sécurité. Ceux qui angélisent les Talibans en pensant qu’ils sont tous pieux, clairvoyants, orthodoxes et justes, tout comme ceux qui idéalisent tous leurs opposants (pourtant corrompus, sanguinaires et injustes pour nombre d’entre eux) sont dans l’erreur.

Mais quoi qu’il en soit, les Talibans sont aujourd’hui au pouvoir, et la stabilité comme la sécurité pour tous les citoyens sont désormais la priorité, et multiplier les dialogues et les échanges pour s’assurer que le gouvernement soit juste et souple, – en conformité avec les valeurs islamiques et les bonnes coutumes afghanes – doivent être encouragés de façon permanente, plutôt que d’alimenter un nouveau conflit. Le pays ne doit pas servir non plus de « base » pour Daesh (que les Talibans combattent) ni pour d’autres groupes terroristes, ni pour nuire aux pays voisins. En ce sens, les Talibans, après avoir été eux-mêmes en partie pollués par la mentalité wahhabite, ont décidé d’interdire aux imâms, écoles et administrations toute promotion du salafisme/wahhabisme, qui n’est pas l’Islam authentique et qui cause souvent bien des ennuis aux musulmans eux-mêmes. Espérons que l’Afghanistan renoue avec son héritage spirituel (les grands maîtres de la spiritualité sunnite et de la poésie « mystique »), assure la paix, la sécurité et les vivres de première nécessité à l’ensemble de la population.


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