Dans le monde traditionnel, même si nous trouvons des avis juridiques très durs envers les criminels, les rebelles (se révoltant contre une autorité légitime) ou ceux qui cherchent à semer la zizanie dans la communauté (les apostats de l’époque étaient souvent associés à une ambition politique et à une crainte/nuisance envers les autorités politiques ou la communauté elle-même), il faut bien se rendre compte que, d’une part, cela correspondait à la mentalité et aux coutumes de l’époque, et d’autre part, qu’ils avaient un effet dissuasif puissant, où dans la sphère publique, les gens se montraient plus responsables et décents, même si quelques crimes et délits ici et là étaient toujours possibles mais étaient plus rares qu’à l’époque du monde moderne, raison pour laquelle, dans les témoignages de l’époque, nous trouvons très peu de récits indiquant l’application des peines corporelles en plus de 1200 ans d’histoire (dans le monde musulman), à l’exception des rivalités et accusations d’ordre politique, qui sont similaires sous plus d’un aspect aux intrigues et manipulations politiques modernes (encore plus machiavéliques et pervers que par le passé, le degré de manipulation étant plus poussé, et les outils technologiques effrayants et terribles qui sont apparus ce dernier siècle rajoutent en horreur, en cruauté et en perfidie, les dérives que l’on observe concernant les affaires politiques). Les péchés et les vices existaient à cette époque, mais leurs manifestations étaient plus rares de façon générale, aussi bien en public qu’en privé. Quant aux vices et aux turpitudes personnelles, les gens faibles ou pervers ne les faisaient qu’en privé, ne troublant pas l’ordre public. Tout cela faisait que les comportements déviants ne se répandaient pas à toutes les échelles de la société, et seulement les gens qui étaient baignés dans la luxure (souvent dans la sphère politique), on observait des injustices ou des pratiques déviantes.
Le monde moderne, en ayant noyé quasiment toutes les couches de la société dans des activités ou des outils permettant d’alimenter leurs fantasmes, leurs délires et leur libido, a accentué et répandu considérablement toutes les tares et dérives humaines à une échelle encore jamais vue auparavant.
Dès lors, le monde moderne a produit une situation inédite et anormale, où le chaos général s’est étendu dans tous les domaines, ce qui doit non seulement nous pousser à redoubler d’efforts et de vigilance sur le plan personnel et individuel, mais aussi à réadapter le fiqh sur le plan collectif, – plus d’indulgence et de souplesse (dans l’application des peines notamment) comme l’indiquent des ahadiths prophétiques sur la situation qui prévaudra à la fin des temps -, un arsenal juridique qui prend en compte les besoins, réalités, faiblesses (sans les légitimer ou les banaliser pour autant comme le font beaucoup de modernistes) et coutumes de l’époque, entre laxisme et rigorisme, car le laxisme et le rigorisme sont 2 formes d’excès qui entrainent la prolifération de l’hypocrisie, de la corruption et du blâmable. Le fiqh doit s’adapter aux différents contextes, sans toutefois cautionner (ou encourager) les péchés et s’opposer aux finalités de l’islam. Au niveau des peines, il peut y avoir plus de souplesse, puisque dans une situation anormale et pénible (famine, guerre, plus de tribunaux juridiques légitimes, qualifiés et indépendants, plus d’alternative possible sur le plan économique, etc.) les gens sont en quelque sorte poussés ou contraints de ne plus suivre la voie traditionnelle (sauf des gens dont la foi est forte ou pure).
Les états modernes favorisent les vices et les fléaux les plus sombres, causant morts, fanatisme, orphelins, massacres de masse, masses abêties, consuméristes et violentes. Face à ces conséquences, certains groupes veulent répondre à ces fléaux par le fanatisme, la terreur et le chaos, – pratiques et mentalités catégoriquement condamnées par l’Islâm (Qur’ân et Sunnah).
Le problème réside dans la façon dont il faudra penser et appliquer les peines pour les péchés et vices (comme la fornication, la débauche, l’adultère, l’alcool, la drogue, …) dans les sociétés qui ont été inondées par ces vices et fléaux (prostitution, familles brisées par la drogue, cas de viols et de perversions sexuelles en hausse, délinquance et criminalité en tous genres), où la réponse par une brutalité juridique mal pensée n’est pas non plus la solution, car même si cela est fait pour le bien du peuple, si celui-ci est endormi et asservi par les vices qui les rendent esclaves, se révoltera même contre ce qui constitue les moyens de leur guérison, et finissent même par chérir les causes qui les rendent malades. Le problème ne se pose pas dans les zones tribales ou éloignées qui n’ont pas connu l’industrialisation et la corruption capitaliste (médias, consumérisme, débauche sexuelle, éducation décadente et séculariste, etc.).
Par exemple aujourd’hui, de nombreuses polémiques existent autour de la peine de l’apostasie (1) dans le monde musulman, et cela est souvent très mal compris et abordé. Il faut dire qu’avant le monde moderne, l’Islam était à la fois une Civilisation (à laquelle participait et adhérait des communautés non-musulmanes), une Religion et un système politique. Dès lors, l’apostat rendant public son apostasie le faisait souvent pour des motivations politiques (guerres, troubles, séditions, révoltes, etc.), d’où les avis concernant l’emprisonnement ou l’exécution, – même si cela restait rare -. Mais certains juristes ont « gommé » la distinction, qui existe pourtant dans le Qur’ân, la Sunnah et la Sîrah comme nous l’avons déjà démontré dans notre ouvrage sur L’Islam et la peine de l’apostasie notamment. Plusieurs salafs ne préconisaient d’ailleurs pas la peine de mort pour le simple apostat. Nous avons des récits remontant à ‘Umar ibn al-Khattâb, Sufyân at-Thawrî, ‘Umar Ibn ‘Abd al-‘aziz, Abû Hanifa concernant les femmes seulement (ne devant pas être mis à mort) et d’autres qu’eux.
Sa’îd Ibn Mansûr rapporte par exemple dans ses Sunân : « La ville de Tustar fut prise par traité, puis ses habitants renièrent l’Islâm. Les Muhâjirs les combattirent alors et les firent prisonniers. Mais ‘Umar ibn al-Khattâb ordonna qu’on oblige ceux qui avaient été faits prisonniers à seulement payer la jyzia et dispersa leur chef ».
Plusieurs apostats ne représentant pas de danger politique pour la Nation et la communauté ont été pardonnés par le Prophète (ﷺ) alors sous son autorité, et ce, à la fin de la période médinoise. Al-Bukhârî et Muslim ont rapporté dans leur Sahîh le récit de Dhû-l-Khuwayssira, cet homme qui vint dire au Prophète après que celui-ci ait partagé un bien entre des personnes : « Muhammad, crains Allâh » (rapporté par al-Bukharî dans son Sahîh n°6995), « tu n’as pas fait preuve de justice » (rapporté par al-Bukharî dans son Sahîh n°4390). Le Prophète répondit : « Ne suis-je pas celui qui mérite le plus de craindre Allâh ? » (rapporté par al-Bukharî dans son Sahîh n°4094), « Et qui ferait preuve de justice si je n’en fais pas ? Si je ne suis pas juste, tu es perdu [puisque tu me suis en croyant que je suis Messager d’Allâh » (rapporté par al-Bukharî dans son Sahîh n°3414).
Ce propos était infondé, et il s’agissait là d’une critique hypocrite adressée contre le Prophète, le faisant d’ailleurs sortir de l’Islâm par ce propos. Certains compagnons voulaient d’ailleurs l’exécuter, mais le Prophète refusa catégoriquement et le laissa partir. Il dit en effet : « Je cherche la protection d’Allâh contre le fait que les gens disent que j’exécute ceux qui sont dans ma compagnie ! » (rapporté par Muslim dans son Sahîh n°1063).
Ce récit s’est passé lorsque Alî a envoyé de l’or depuis le Yémen ; c’est cet or que le Prophète avait partagé (rapporté par al-Bukharî dans son Sahîh n°3166, 4094, 6995, et Muslim n°1064) ; Alî a été envoyé au Yémen en l’an 9 (Ibn Hajar al ‘Asqalânî dans Fath ul-Bârî 12/363, ou en l’an 10 selon Ibn Taymiyya dans As-Sârim, p. 230, soit à la fin de la période médinoise).
Il y a aussi le cas de l’apostat ‘Abdallâh ibn Sâd ibn Sarh, qui quitta l’Islam et rejoignit les idolâtres pour ensuite combattre le Prophète (ﷺ), les musulmans et les non-musulmans sous l’autorité du Prophète (ﷺ), et malgré ses crimes commis envers le Prophète (ﷺ), les musulmans et leurs alliés, lors du retour victorieux à la Mecque en 630 (à la fin de la période médinoise), ‘Uthmân Ibn Affân demanda au Prophète (ﷺ) de lui pardonner et de lui garantir sa sécurité, et le Prophète (ﷺ) accepta – comme le rapporte Abû Dawûd dans ses Sunân n°2683 selon Sâ’d et et An-Nasâ’î dans ses Sunân n°4069 selon Ibn ‘Abbâs – sans exiger de lui le repentir ni fixer un délai pour embrasser l’Islâm -. Par la suite, il embrassera l’Islâm et mourra en martyr. Pour d’autres récits (liste non-exhaustive) montrant que la peine de l’apostasie ne s’était pas appliquée sur des apostats ne représentant aucune menace militaire ou politique pour la communauté musulmane, voir la Sirah du Prophète, les récits du Sahîh Muslim, du Sahîh al-Bukharî, etc. On voit donc que la peine de l’apostasie n’est pas un hadd, – pas même pour les apostats combattants -, que dire donc pour l’apostat pacifique qui ne nuit d’aucune manière aux musulmans ? C’est la raison pour laquelle de nombreux juristes avant l’avènement du monde moderne (essentiellement les hanafites mais aussi les juristes sunnites versés plutôt dans le fiqh comparé et qui ne sont pas rattachés complètement à une école juridique) avaient déjà exempté la femme de la peine de mort ou de l’emprisonnement, car n’étant pas des combattantes potentielles.
L’imâm al-Sarakhsi Hanafi a dit dans Al-Mabsût (10/110) : « L’acte d’incrédulité est l’une des plus grandes offenses, mais c’est une chose intime entre le serviteur et son Seigneur. La rétribution de ce crime est reportée jusqu’à ce que la personne atteigne le lieu de rétribution (dans l’Au-delà). Car concernant les choses dans ce bas-monde, les lois sont ordonnées pour le bien des gens. La loi du représailles (qisâs) est destinée à sauver des vies. La punition pour l’adultère était pour la protection de la famille. La punition pour le vol était pour la protection des biens (appartenant aux gens). La punition pour la consommation d’alcool était pour la protection de l’intellect (et de la société). La punition pour la calomnie était pour la protection de la dignité d’autrui. Celui qui reste ferme dans l’incrédulité est celui qui combat les musulmans. La peine capitale est d’empêcher la guerre de sa part. Il est (bien) établi que la peine capitale est due à la guerre. La peine capitale n’est pas appliquée aux femmes, car elle n’est naturellement pas une combattante ».
L’imâm al-Mawsili Hanafi a dit dans Al-Ikhtiyar li Ta’lil al-Mukhtar (182) : « Quiconque n’est pas autorisé à être tué à cause de l’incrédulité originelle ne doit pas non plus être tué pour apostasie. La raison pour laquelle l’apostat [homme] doit être tué est à cause de sa capacité à faire la guerre ».
L’imâm Ibn Humam al-Hanafi a dit dans Fath al-Qadir (6/72) : « Il est nécessaire de tuer pour l’apostasie afin d’éviter le mal de la guerre, non pas comme punition pour un acte d’incrédulité. Parce que la plus grande punition pour cela est avec Allâh. Ceci (la punition de tuer) est pour ceux qui viennent avec (l’intention de faire) la guerre, et c’est l’homme (qui est potentiellement un combattant). C’est parce que le Prophète a interdit de tuer les femmes, et la raison en est qu’elles ne se battent (potentiellement) pas. En raison de ce raisonnement nous disons : « Si une femme apostate a une opinion et une incitation pour faire la guerre, alors elle est tuée (en raison du mal qu’elle commet et répand dans la guerre qu’elle favorise). Non pas pour son apostasie, mais parce qu’elle répandait la corruption et le désordre sur la terre. Cependant, (la femme apostate) est emprisonnée, parce qu’elle s’est abstenue d’exercer le droit d’Allâh après l’avoir accepté, comme on est emprisonné pour (violer) les droits d’autrui ».
L’imâm al-Marghinani Hanafi a dit dans Al-Hidayah (1/406) : « Cette punition est appliquée aux hommes pour neutraliser leur préjudice, ce qui est une guerre [potentielle]. Ce n’est pas le cas des femmes, car la constitution de la femme n’est pas naturellement faite pour se battre, contrairement aux hommes ».
L’opinion des imâms comme Ibrâhîm an-Nakhâ’î (m. 96 H/714) et Sufyân al-Thawrî (m. 161 H/778) et d’autres qu’eux, qui font partie des grands juristes musulmans des premières générations, est que les apostats ne doivent pas être tués, mais qu’ils peuvent se repentir à tout moment sans leur fixer un quelconque délai, car le repentir est possible et accepté par Allâh jusqu’à leur dernier souffle, tant qu’ils ne lèvent pas les armes contre les musulmans. ‘Abd ar-Razzâq a rapporté dans son Musannaf n°18084 concernant leur opinion sur l’apostat : « Ibrâhîm an-Nakhâ’î a dit à propos de l’apostat : « Il a continuellement la possibilité de se repentir (pour toujours) ».
Sufyân al-Thawrî a ensuite déclaré : « C’est sur quoi nous sommes également » ». Notons qu’An-Nakhâ’î a rencontré 2 Compagnons du Prophète (Anâs Ibn Mâlik et ‘Aîsha bint Abû Bakr, – que la Paix divine soit sur eux 2 ! -).
Le célèbre juriste Ibn Qudama a dit à propos de l’avis de An-Nakhâ’î dans Al-Mughni (12/268) : « Cela implique que l’apostat ne sera jamais exécuté (car il n’y a pas de limite dans le délai de repentir qui est fixée) et cela va à l’encontre du consensus [ndt : selon sa définition et les juristes de son groupe] ».
Or, il ne saurait y avoir de consensus réel sans ‘Umar ibn al-Khattâb (dont l’avis était de ne pas exécuter les apostats non-combattants), de ‘Umar ibn ‘Abd al-‘Aziz (de replacer la jyzia sur les apostats pacifiques et de les laisser en paix), de Sufyân at-Thawrî (un grand juriste, une immense autorité dans le Hadîth, le fiqh, le Tasawwuf, le Qur’ân et la langue arabe, un savant reconnu à l’unanimité par les grandes autorités sunnites, compagnon de l’imâm Hassân al-Basrî et de Muhammad Ibn Sirîn, et élève de l’imâm Jâ’far), par Ibrâhim an-Nakhâ’î, Ibn Shubrumah (selon certains récits), etc. Par ailleurs, l’avis qui se concilie le mieux avec le Qur’ân, la Sunnah, la Sirah et les finalités de l’Islâm, est celui de laisser en paix l’apostat pacifique, car c’est la pratique du Messager d’Allâh (ﷺ), aussi bien durant la période mecquoise que vers la fin de la période médinoise, – quand les apostats étaient sous son autorité politique -, et le Qur’ân confirme qu’il faut laisser en paix ceux qui ne menacent pas les croyants.
Concernant les opinions d’Ibrahîm al-Nakhâ’î et de Sufyân al-Thawrî, cela est bien connu et a été rapporté par l’Imâm as-Shawkânnî dans son Nayl ul-Awtâr. Le hadith sahîh (rapporté par An-Nasâ’î dans ses Sunân n°4743 et par Abû Dawûd dans ses Sunân n°4353) qui est plus complet que la version courte (résumée), et qui précise bien l’apostat qui quitte l’Islam (en tant que Communauté) pour combattre ensuite les musulmans et faire la guerre contre Allâh et Son Messager, il y a 3 possibilités : l’exécuter, le crucifier et l’exiler, et cela, pour l’apostat combattant qui sème la terreur et s’engage dans la guerre. En effet, le hadîth prophétique, rapporté par ‘Aîsha (‘alayha salâm) dit : « Il n’est pas permis de tuer un musulman sauf dans l’un des 3 cas suivants : un adultère alors qu’il était marié [et qui l’a commis en public en toute connaissance de cause], qui doit être lapidé [si les conditions ont été réunies] ; une personne qui tue un musulman délibérément ; et celui qui quitte l’Islam et fait la guerre à Allâh, le Puissant et Sublime, et à Son Messager, qui doit être tué, crucifié ou banni du pays ». On comprend dès lors qu’il s’agit ici plus d’un acte politique et militaire, que de la simple liberté de culte et de conscience, – que le Qur’ân institue clairement même si celui qui renonce à la Vérité et à la justice fait alors partie des grands « perdants qui se sont égarés » -.
Que dire donc pour l’apostat pacifique, où dans le pire des cas, aura quand même un statut moins grave que l’apostat combattant, et pourra donc être banni de la Nation, – dans le pire des cas – ou laisser tout simplement en paix (tout en résidant dans le dâr al-islâm). Pour l’apostat combattant, le célèbre salaf At-Tahawî a jugé valable ces 3 possibilités dans son Sharh Mushkil ul-Athâr (voir l’édition de Shuayb Arna’ût). Signalons aussi que la transmission (chaine) authentique du récit de ‘Umar Ibn al-Khattâb concernant le fait d’emprisonner les apostats combattants dans l’espoir qu’ils se repentissent plutôt que de les exécuter ne mentionne pas le délai de 3 jours, et donc demeure indéfini (conformément au Qur’ân et à la Sunnah qui ne fixent aucun délai précis, donc jusqu’au dernier souffle de l’apostat ; ainsi plusieurs apostats sont redevenus musulmans plusieurs mois ou années après leur apostasie au temps du Prophète ou des Compagnons). La version rapportée par al-Bayhaqî (indiquant les 3 jours) est faible selon Ad-Dhahâbî dans ses notes du Sunân d’Al-Bayhaqî).
C’était également le point de vue d’Umar Ibn Abd al-‘Azîz, comme cela est bien documenté concernant le retour des apostats pour donner Jizya, rapporté par ‘Abd ar-Razzâq dans son Musannaf. Ibn Hazm dans son Muhalla montre bien aussi qu’il n’y avait aucunement consensus sur la question, même s’il semble adopter l’avis de l’exécution en invoquant une abrogation inexistante, – puisque l’avis de ne pas tuer ou emprisonner les apostats appliqué par le Prophète eut lieu à la fin de la période médinoise et n’a jamais été abrogée, et que les versets mecquois et médinois du Qur’ân sur la liberté de conscience et l’absence de contrainte (conversion forcée) n’ont jamais été abrogés (contrairement à l’avis de certains juristes qui se sont clairement trompés à ce sujet, puisqu’il faut une preuve claire du Qur’ân, – et il n’y en a pas, ni même dans la Sunnah mutawatir -, pour spécifier une quelconque abrogation). Et étant donné leurs contradictions, pour justifier leur avis (de l’exécution de l’apostat), ils ont dû faire appel à la théorie de l’abrogation (qui a justifié parfois des absurdités juridiques, sans doute en fonction de certains contextes sociopolitiques).
Au-delà de l’aspect juridique, – l’Islam fournissant un système juridique et politique complet -, la Tradition islamique comporte aussi une dimension spirituelle et des conseils éthiques visant à empêcher la propagation des maux et des fléaux, – or une bonne éducation saine empêche l’apparition ou la propagation de nombreux comportements déviants, évitant ainsi « l’activation » et l’application des sanctions pénales -.
Il est rapporté du noble Compagnon du Prophète (ﷺ) et pieux Calife, ‘Umar Ibn al-Khattâb al-Farûq (‘alayhî salâm) : « J’ai regardé tous les amis, et je n’ai pas trouvé de meilleur ami que de préserver sa langue.
J’ai pensé à toutes sortes de vêtements, mais je n’ai pas trouvé de meilleur vêtement que la piété.
J’ai pensé à tous les types de richesse, mais je n’ai pas trouvé une meilleure richesse que le contentement de ce qui suffit (l’essentiel) pour vivre.
J’ai pensé à tous les types de bonnes actions, mais je n’ai pas trouvé de meilleure action que de donner de bons conseils aux gens.
J’ai regardé tous les types de subsistance, mais je n’ai pas trouvé de meilleure subsistance que la patience et l’endurance ».
C’est aussi le sens d’un hadîth prophétique rapporté par al-Bayhaqî selon l’imâm ‘Alî (‘alayhî salâm) : « Quand une personne se contente de peu concernant la subsistance qu’Allâh lui accorde, Allâh se contentera de peu de ses actes (sincères) ».
Allâh a dit : « La bonne action et la mauvaise ne sont pas pareilles. Repousse (le mal) par ce qui est meilleur (par le bien); et voilà que celui avec qui tu avais une animosité devient tel un ami chaleureux. Mais (ce privilège) n’est donné qu’à ceux qui endurent et il n’est donné qu’au possesseur d’une grâce immense. Et si jamais le Shaytan t’incite (à agir autrement), alors cherche refuge auprès Allâh ; c’est Lui, vraiment l’Audient, l’Omniscient » (Qur’ân 41, 34-36).
Ici, l’ennemi est général, pouvant désigner aussi bien le non-musulman hostile et injuste que le musulman ignorant et injuste.
Ibn ‘Abbâs a dit, en guise de commentaire de ce passage qurânique : « Allâh ordonne aux croyants d’être patients lorsqu’ils se sentent en colère, d’être indulgents lorsqu’ils sont confrontés à l’ignorance et de pardonner lorsqu’ils sont maltraités. S’ils font cela, Allâh les sauvera de Shaytan et leur soumettra leurs ennemis jusqu’à ce qu’ils deviennent comme des amis proches » (Rapporté par Ibn Kathîr dans son Tafsiîr al-Qur’ân al-‘Āzîm 41/34).
Le Messager d’Allâh (ﷺ) a dit : « Enseignez, facilitez et ne rendez pas les choses difficiles, annoncez de bonnes nouvelles et ne faites pas fuir et lorsque l’un d’entre vous s’énerve qu’il se taise » (Rapporté par Ahmad dans son Musnad n°2137 selon Ibn ‘Abbâs et dans une forme similaire par al-Bukhari dans son Sahîh n°6125 selon Anâs Ibn Mâlik).
Il faut donc inciter au bien sans commettre de mal, et interdire ou réprouver le blâmable sans commettre de nuisance ou de mal aux gens, sinon le faux et le mal se mêlent au Vrai et au Bien, et les résultats seront mauvais.
Le Prophète Muhammad (ﷺ) a dit aussi : « Celui qui aspire vraiment à l’Au-delà, Allâh rendra son coeur indépendant des autres, lui rassemblera ses affaires, et le monde viendra à lui, soumis. Mais celui qui ne pense qu’à ce bas-monde (et aux richesses matérielles), Allâh lui fera voir constamment ses besoins entre les yeux, dispersera ses affaires, et il n’obtiendra de ce bas-monde que ce qui lui a déjà été destiné » (Rapporté par At-Tirmidhî dans ses Sunân n°2465).
Ibn Abi Ad-Dunya rapporte dans son livre du silence ce hadith prophétique : « Il arrive au serviteur de prononcer sans en mesurer les conséquences une parole agréée d’Allâh et grâce à laquelle Allâh lui inscrira Son agrément jusqu’au jour où il Le rencontrera. Et il se peut aussi qu’il prononce, sans en mesurer les conséquences, une parole qui courrouce Allâh et à cause de laquelle Allâh inscrira Sa Rigueur contre lui jusqu’au jour où il Le rencontrera ».
« Ô messager d’Allâh, nous tiendra t-on rigueur de nos propos ? ».
– Puisse ta mère te perdre ô fils de Jabal ! Y a t-il une raison pour laquelle les gens seront précipités dans l’enfer les narines en premier si ce n’est la conséquence de leurs propos ? ».
Il rapporte aussi la parole du sûfi et salaf Ibrâhîm Ibn Adham : « La parole est de 4 sortes. Il y a celle dont tu espères l’utilité mais dont tu crains les conséquences. Dans ce cas il vaut mieux s’abstenir. Il y a celle dont tu n’espères aucune utilité et dont tu ne crains aucune conséquence. Et le moindre profit que tu obtiens en évitant ce genre de propos consiste à en dispenser ton corps et ta langue (…) ».
Il rapporte également ceci : « Nous avons rencontré les salafs et ils considéraient tous que l’adoration ne consiste pas à jeûner ou à prier mais à s’abstenir de porter atteinte à l’honneur des gens ».
Et enfin, il relate la parole du Compagnon ‘Umar Ibn al-Khattâb : « N’occupez point vos esprits à évoquer les gens (s’il n’y a aucune nécessité à le faire), c’est une calamité. Occupez-les plutôt à évoquer Allâh, car c’est une miséricorde (et une lumière) ».
Et quelle perspicacité dans cette parole, car s’y trouve presque tout le bien (la Mention d’Allâh qui dissipe les soucis et chasse les pensées troubles et malsaines) et préserve la personne du mal et du blâmable (la médisance, l’orgueil, l’ostentation, la calomnie, l’hypocrisie envers les autres, la méchanceté, les mauvaises paroles, etc.).
Pour expliquer les dérives du fanatisme contemporain, des explications sont fournies concernant la sociologie, la politique et la psychologie. Des chercheurs américains (2) ont montré ainsi que les « jihadistes » les plus radicaux viennent de France en général car la laïcité y est la plus hypocrite et la plus agressive, ce qui nourrit de nombreuses crispations et radicalisations (de « musulmans culturels », de gauchistes comme des identitaires).
La pauvreté intellectuelle qui prévaut en France, la misère sociale pour les populations immigrées et le contexte mondial (régimes sécularisés très répressifs, l’impérialisme occidental qui cause souffrances et millions de morts dans le monde musulman), sont des facteurs qui ont pour conséquence de favoriser la radicalisation des masses (quelle que soit l’idéologie). Même chose en Afrique où le salafisme/jihadisme gagne du terrain en raison de la politique injuste et irresponsable de la France, la tyrannie et/ou l’incompétence des régimes africains en place, et l’absence d’une tradition spirituelle vivante (régulière) dans les zones africaines où la politique coloniale a été la plus brutale (détruisant tout le système éducatif et massacrant de nombreux savants et intellectuels).
En somme, la Tradition est ce qui demeure immuable et universel en termes de valeurs, de principes et de finalités, au-delà des contingences, divergences et déviations historiques, philosophiques, culturelles, juridiques et politiques comme l’ont si bien exprimé des auteurs comme René Guénon, Seyyed Hossein Nasr, Titus Burckhardt ou Ananda Kentish Coomaraswamy : « La Tradition n’a rien à voir avec les « âges », qu’ils soient « obscurs », « primitifs » ou autres. La Tradition représente des doctrines sur des principes premiers, qui ne changent pas ».
Notes :
(1) On retrouve aussi la peine de l’apostasie, envisagée comme une trahison, dans la Torah, la Bible, les textes sacrés du Zoroastrisme, dans les constitutions modernes (athées, capitalistes/communistes, etc.) de nombreux pays également, soit concernant l’apostasie/trahison politique et/ou militaire et/ou idéologique, comme aux Etats-Unis, en Israël, en Chine, en Corée du Nord, à l’époque de l’ex-URSS, etc.
(2) Voir l’étude intitulé The French connection: Explaining Sunni militancy around the world publiée le 25 mars 2016 par William McCants et Christopher Meserole : https://www.strategicstudyindia.com/2016/03/the-french-connection-explaining-sunni.html