Qui fut l’enfant du Prophète Ibrâhim (Abraham) qui devait être sacrifié, Ishâq (Isaac) ou Ismâ’îl (Ismael) ?

Ces dernières années, de vaines polémiques ont beaucoup fait parler d’elles sur les réseaux dans les débats interreligieux et intra-islamiques concernant l’identité du fils du Prophète Ibrâhîm (‘alayhî salâm) qui devait être sacrifié.

Nous vous proposons ici une analyse d’un frère (Sidi A.) suite à nos discussions (avec plusieurs personnes) qui eut lieu en 2014, et qui faisait suite à une question portant sur la position d’Ibn ‘Arabî dans ses Fûsus al-Hikâm qui penchait vers Ishâq comme « victime sacrificielle ». Pour résumer ce qu’il en était ressorti, – avec quelques adaptations de notre part -, voici ce qu’il dît :

« L’opinion actuelle qui semble dominer dans le monde musulman serait plutôt celle qui désigne Ismâ’îl – ‘alayhi as-salâm – comme la victime sacrificielle, de telle sorte que certains arabes aujourd’hui portent le nom de Ismâ’îl Dhabîh Allâh. Mais il faut savoir que cette opinion n’a jamais constitué de près ou de loin « tout le fondement de l’Islam » puisqu’en vérité, c’est un point qui a fait divergence au sein des savants sunnites. En effet, le Qur’ân ne précise pas s’il s’agit d’Ishâq ou d’Ismâ’îl – ‘alayhim as-salâm -, et de célèbres commentateurs traditionnels tels que l’Imâm Ibn Kathîr, l’Imâm Fakhr ad-Dîn ar-Râzî et d’autres ont bien indiqué que la victime sacrificielle (adh-dhabîh) était Ishâq – sur lui la Paix ! Si Tabarî donne des arguments pour Ishâq, il en donne également pour Ismâ’îl, et celui-ci reste pour Ibn Taymiyya (cf. Majmû’ al Fatâwa, 4/331-336) la victime sacrificielle selon un argumentaire qui manque de solidité (réfutable) par ailleurs.

Parmi ceux qui ont indiqué Ishâq, prenons précisément l’exemple d’Ibn Kathîr dans son commentaire (tafsîr) du verset : « Ainsi ton Seigneur te choisira et t’enseignera l’interprétation des rêves, et Il parachevera (et parfaitera) Son bienfait sur toi et sur la famille de Jacob, tout comme Il l’a parfait auparavant sur tes deux ancêtres, Abraham et Isaac car ton Seigneur est Omniscient et Sage » (Qur’ân 12, 6). L’Imâm Ibn Kathir indique notamment : wa li-hâdhâ qâla : « kamâ atammahâ ‘alâ abawayka min qabl Ibrâhîm » wa huwa-l-khalîl « wa Ishâq » waladuhu wa huwa adh-dhabîh fi qawl wa laysa bi-rajîh, « C’est pour cela qu’Il dit : « comme Il l’a parfait auparavant sur tes deux ancêtres, Abraham » qui est l’Ami-intime (al-khalîl), « et Isaac » son fils le sacrifié (adh-dhabîh) selon une parole qui n’est pas l’avis prépondérant (laysa bi-r-râjih) ».    

D’ailleurs on peut citer une tradition authentique qui rapporte que le Prophète – sur lui la grâce et la paix – a dit : inna akrama-n-nâs hasaban yûsufu siddîqu-Llâh, bnu y’aqûba isrâ’îla-Llâhi, bnu ishâqa dhabîha-Llâhi, bnu ibrâhîma khalîla-Llâhi fa-mâ mana’ahu dhalika an yakûna labitha fî-l-‘ubûdiyyati bad’an wa ‘ishrîn sanah, « Le plus noble des hommes du point de vue (noblesse) de ses pères (hasaban) est Yûsuf (Joseph) le Confirmateur d’Allâh, fils de Yaqûb (Jacob) l’Israël d’Allâh, fils d’Ishâq (Isaac) la Victime sacrificielle d’Allâh, fils d’Ibrâhim (Abraham) l’Ami-intime d’Allâh. Et cela ne l’empêcha pas de rester dans la servitude 20 et quelques années ».   

Par conséquent, le Shaykh al-Akbar – qu’Allâh soit satisfait de lui et nous fasse profiter de sa barakah -, en commentant les versets relatifs au sacrifice dans le chapitre relatif à Ishâq ne contredit en rien et ne peut en aucun cas contredire les « fondements de l’Islam »*. Dire qu’un écrit authentique du Shaykh al-Akbar est « contraire au Qur’ân et à la Sunnah », résulte le plus souvent d’un manque de compréhension ainsi que l’avait expliqué le Shaykh Muhammad Alawî al-Mâlikî (cf. mafâhîm yajib an tusahhah) (1).   

* Le Livre des chatons a été transmis à Ibn ul-‘Arabî – radiyallâh ‘anhu wa ardâh – « intérieurement par le Prophète Muhammad – salawâtullâh wa salâmuhu ‘alayh – au moyen de l’ordre : « prends-le ! » (khudh-hu), qui l’a intimé aussi de sortir le livre en direction des Hommes (khruj bi-hi ilâ-n-nâs) en lui donnant une forme intelligible mais en restant dans les limites tracées par l’Envoyé d’Allâh – sur lui la grâce et la paix ! – « sans rien ajouter, ni retrancher ».


Notes :

(1) Dans une vidéo extraite d’une émission (mafâhîm yajib an tusahhah, « Des (in)compréhensions (que l’on doit) corriger ») et intitulée kashfu-l-bâtil lladhî dassa ‘alâ-l-imâmayn al-sha’rânî wa bni ‘arabî « Dévoilement des erreurs commises contre les Imâm al-Sha’rânî et Ibn ‘Arabî », on retrouve l’excellent Shaykh Muhammad Alawî al-Mâlikî – radiyallâh ‘anh –, qui prend deux exemples et montre en quelques minutes que les accusations d’hétérodoxie et erreurs attribuées à ces maîtres ne viennent que de fausses allégations ou bien de mauvaise compréhension des accusateurs qui « se bornent à réfuter les erreurs qu’ils ont eux-mêmes conçues (tasawwarû bâtilan wa raddû bâtilan) » (1). Il dit de l’Imâm al-Sha’rânî (2) – radiyallâh ‘anh – : « …Il avait écrit d’excellents livres. A cette époque, il n’y avait pas d’imprimeries, lorsque le Shaykh écrivait un livre, il le donnait aux warrâqîn (3) qui l’enregistraient et le copiaient, en faisaient des livres qui se diffusaient auprès des gens. Un jour, l’un des élèves du Shaykh parti au souk des warraqîn (4) où il entendit un homme crier « qui veut le livre d’al-Sha’rânî ? ». L’élève demanda au vendeur : « as-tu le livre du Shaykh al-Sha’rânî ? », il lui répondit : « oui. », – « lequel ? », – « son livre intitulé tanbîh al-mu’tarrîn » – « d’où cela te vient-il ? », – « par Allâh, il me vient de l’ustâdh Majdî et de l’ustâdh M’hammed Halawî. L’un de ces frères m’avait demandé de faire une copie. Je lui en ai fait une et en même temps une autre pour moi. Et maintenant, je veux la vendre ». L’élève acheta donc ce livre et l’emporta chez lui, il commença à le lire et y trouva – lui qui connaissait les enseignements et la pensée d’al-Sha’rânî – des paroles étranges, que le maître n’aurait pas pu dire. Il s’en alla donc voir son Shaykh et lui demanda : « Regardez ô maitre, ceci est-il votre livre ? Avez-vous dit ces paroles ? ». Le Shaykh prit le livre, le lut et y trouva dix pages qu’il n’avait jamais dites ; il s’attrista fortement et dit : « Je demande le pardon à Allâh ! Je m’en remets à Allâh contre ses paroles ! Par Allâh, mon fils, je n’ai jamais proféré ses paroles. Voici la copie originale (an-nuskhah al-asliyyah) manuscrite (makhtûtah) ». Bien sûr cela provient d’un des ennemis de l’Islam sans aucun doute. Il lui montra les parties rajoutées dans lesquels se trouvent les mensonges, les falsifications, le faux et les fausses allégations. Lorsqu’il compara les deux copies, il trouva une grande différence entre l’original et la copie. Le Shaykh al-Sha’rânî a publié alors une épitre dans laquelle il affirme dans son introduction : « je suis un humain qui peut se tromper. Dans tout ce que je publie, si cela est conforme au Livre (Qur’ân) et à la Sunnah, ce sont mes paroles. Si vous voyez quelque chose dans mes livres qui diffère du Livre et de la Sunnah, … », véritablement en dehors de ce qui demande interprétation ésotérique (ta’wîl), pas par la compréhension du vulgaire mais celle traditionnelle … Il se peut aussi que quelqu’un dise « ceci est contraire au Qur’ân et à la Sunnah » par manque de compréhension. Comme disent nos maîtres les mashâyîkh : wa kam min ‘âibin qawlan sahîhan wa afathu mina-l-fahmi as-saqîmi, « Que de paroles déformées sont authentiques et ne résultent que d’une compréhension pathologique ». Il dit donc : « Je suis un humain, mes ennemis sont nombreux et les ennemis de l’Islam sont nombreux. Si vous voyez un de mes livres, évaluez-le par la balance de la Loi (zînûhu bi-mîzân ash-shar’). S’il est véritablement en contradiction avec le Livre et la Sunnah, ou s’il n’accepte pas d’interprétation ésotérique (ta’wîl) ou d’explication, alors je n’en suis pas responsable ».

Et puis concernant le Shaykh al-Akbar – radiyallâh ‘anh – : « Et de même avec l’Imâm Ibn ‘Arabî l’auteur des Futûhât. On n’a cessé de l’anathémiser (dhâmati ad-dunyâ wa lam taq’ud fî takfîri-hi), de l’accuser de kâfir mécréant), de mushrik (associassioniste), qu’il aurait parlé d’al-hulûl ; et que signifie al-hulûl, c’est qu’Allâh se « localiserait » en toi, en moi, dans la table, dans le livre, dans l’arbre, voilà ce que cela signifie. Et on dit qu’il aurait parlé d’al-ittihâd, ce serait la « fusion » du Créateur (al-Khâliq) avec la créature (al-makhlûq), astaghfiru-Llâh… On lui a attribué beaucoup de paroles, et sans évoquer ce sujet en lui-même (5) qui n’est pris qu’en exemple. Ce même Imâm Ibn ‘Arabî a dit : anâ abra’u ilâ-Llâh min kulli mâ yukhâlifu Kitâba-Llâh wa sunnati rasûli-Llâh sallallâh ‘alayhi wa sallam, « Je suis innocent devant Allâh de tout ce qui pourrait différer du Livre d’Allâh et de la Sunnah de l’Envoyé d’Allâh – sur lui la grâce et la paix ! ». Et cet Ibn ‘Arabî que l’on accuse de ceci ou de cela dit par lui-même : innanî anâ harîssun ‘alâ ittibâ’i ar-rasûl sallallâh ‘alayhi wa sallam fî kulli shay’ bi-harakâtihi wa sakanâtî wa aqwâlî wa af’âlî wa lam yanqus ‘annî shay’in illâ wâhid shay’, « Je suis par moi-même vigilant dans le suivi de l’Envoyé d’Allâh – sur lui la grâce et la paix ! » par mes mouvements, mes silences, mes paroles, mes actes et il ne me manque qu’une seule chose », On lui demanda : « quelle est cette chose, la prophétie et la risala ? » Il leur répondit : « Je ne suis pas un Prophète ni un Envoyé évidemment, mais il existe des choses dans les états de l’Envoyé et dans ses attributs dans ce bas-monde que je ne possède pas ». On lui demanda : « quelles sont-elles ? ». Il leur répondit : « Je n’ai pas une fille qui s’appelle Fâtima et qui aurait un mari s’appelant ‘Alî, c’est ce qu’il me manque… mais concernant les traditions prophétiques, leur préservation, les convenances à leurs égards … je n’ai rien omis dans tout cela al-hamdu li-Llâh » ».

(1) Paroles de l’Émir Abd El-Kader – qu’Allâh soit satifait de lui – dans le Kitâb al-Mawâqif, Mawqif 63.
(2) Le Shaykh Abd al-Wahhâb al-Sha’rânî – qu’Allâh soit satifait de lui – vécut au 10ème siècle de l’Hégire (16e siècle de l’ère chrétienne) en Egypte.
(3) Les warrâqîn (plur. de warrâq) étaient des sortes d’éditeurs qui tenaient des boutiques dans des souks urbains (souk des warraqîn), en relation avec les nassâkh (copistes) et autres artisans du livre.
(4) Cf. note 1.
(5) A ce propos, l’Émir Abdal Qadîr – qu’Allâh soit satisfait de lui – avait commenté le verset (Qur’ân 19, 17) : fa-tamaththala lahâ basharan sawiyyâ, « Et il lui apparut sous la forme d’un jeune homme bien fait » en affirmant : « On trouve d’ailleurs dans le Sahîh de Muslim cette parole du Prophète – sur lui la grâce et la paix – : tajallâ al-Haqq – ta’âlâ – li-ahl al-mahshar, wa tahawwalahu fî-s-suwar « Allâh se manifestera aux gens assemblés pour le Jugement et Se revêtira de formes diverses ». Une autre tradition, largement répandue (mutawâtir), rapporte que le Prophète – sur lui la grâce et la paix – voyait Jibrîl sous les traits de Dihya et qu’il savait qu’il s’agissait de Jibrîl, alors que les Compagnons étaient persuadés d’avoir affaire à Dihya. Mais les savants exotéristes contestent ce type d’épiphanie ; voilés à l’égard des connaissants – qu’Allâh soit satisfait d’eux –, ils les accusent de professer la fusion (de la Divinité avec une forme sensible) (ittihâd) et Sa localisation (hulûl) (wa hadhâ huwa at-tajallî lladhî ankarahu ‘ulamâ’ ar-rusûm al-mahjûbûn ‘alâ-l-ârifîn – radiyallâh ‘anhum – wa ramûhum bi-l-hulûl wal-ittihâd). S’ils étaient honnêtes cependant, ils ne contesteraient pas ce qu’ils ignorent ; car pour statuer sur la vérité ou sur l’erreur d’une affirmation, il faut pouvoir au préalable s’en faire une idée juste. Or, jamais ces savants n’ont pu concevoir la nature de l’épiphanie et de la contemplation telles qu’elles sont comprises par les initiés – qu’Allâh leur consente Son Agrément – (wa hum mâ tasawwarû at-tajallî wa-sh-shuhûd ‘alâ mâ huwa ‘inda-l-qawm – ridwânu-Llâh ‘alayhim) si bien qu’en fin de compte, ces mêmes savants se bornent à réfuter les erreurs qu’ils ont eux-mêmes conçues (tasawwarû bâtilan wa raddû bâtilan) » (Cf. Kitâb al-Mawâqif, Mawqif 63, traduit et annoté par Abdallah Penot dans Le Livre des Haltes, éd. Dervy, p.209-214, les translitérations ont été faites à partir du texte arabe). 


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