Pourquoi aimer son Shaykh (maître spirituel) plus que soi-même dans le cheminement ?

Beaucoup de personnes qui s’intéressent au Tasawwuf et pensent à rejoindre une tariqa orthodoxe se posent souvent la question relative au fait d’aimer le Shaykh plus que soi-même.

Il faut savoir que s’il ne faut idolâtrer personne – nous n’adorons qu’Allah et ne vénérons que Ses bien-aimés (parmi les Anges, les Prophètes, les Sahaba, les Ahl ul Bayt et les ‘awliya ; qui sont Ses rapprochés) et respectons ensuite chacune de Ses créatures (humaines ou non, musulmanes ou non-musulmanes) avec le désaveu qui convient par rapport aux croyances déviantes ou erronées ainsi qu’aux actes injustes, déviants et pervers -, il faut bien comprendre cependant que la Satisfaction divine et Sa Baraka se trouvent dans l’amour porté et tourné à la fois vers certaines personnes (dont les Prophètes ainsi que nos parents ou nos enfants par exemple, où sacrifier ou délaisser nos propres droits pour l’intérêt général et leur bien-être sont porteurs de Baraka et d’élévation spirituelle) et certaines actions (comme la prière, le dhikr, l’aumône, la bienfaisance, etc.) et qualités (comme l’amour bienveillant, la sincérité, l’humilité, la justice, la compassion, la bonté d’âme, la générosité, etc.). Tout cela permet d’éduquer et de purifier l’âme, d’obtenir Ses Faveurs et Bénédictions, de nous éloigner du blâmable et des attaches toxiques à ce bas-monde.

Comme nous l’enseigne l’Islam (le Qur’ân aussi bien que la Sunnah), aimer Allâh et Son Messager plus que nous-mêmes coule de source, car Allâh est la Source de la Vérité, comme de l’Amour, du Bien, de la Sagesse et de toutes les qualités, et Son Messager est le guide qui permet d’y accéder, et qu’il est notre modèle à suivre en toute circonstance.

« Dis : « Si vos pères, vos enfants, vos frères, vos épouses, vos clans, les biens que vous gagnez, le négoce dont vous craignez le déclin et les demeures qui vous sont agréables, vous sont plus chers qu’Allâh, Son messager et la lutte dans le sentier d’Allâh [fondée sur la Vérité, la Justice et la Bienfaisance], alors attendez qu’Allâh fasse venir Son ordre. Et Allâh ne guide pas les gens pervers » » (Qur’ân 9, 24).

Ainsi que les paroles prophétiques comme celles-ci : « Si 3 choses se rassemblent chez une et seule personne, alors elle goûtera à la douceur de la foi : qu’il aime Allâh et son Prophète par-dessus tout, qu’il aime son prochain pour Allâh uniquement, qu’il déteste (l’idée de) retourner à la mécréance (et à l’ingratitude), après qu’Allâh l’en ait sauvé, comme il déteste (l’idée d’) être jeté dans le feu » (Rapporté par al-Bukharî dans son Sahîh n°21 selon Anas Ibn Mâlik, Muslim dans son Sahîh n°43, Ibn Mâjah dans ses Sunân n°4033, An-Nasâ’î dans ses Sunân n°4988, At-Tirmidhî dans ses Sunân  n°2624).

« Par Celui qui a ma vie entre Ses Mains, aucun d’entre vous n’aura (réellement) la foi jusqu’à ce qu’il m’aime plus que son père et ses enfants » (Rapporté par al-Bukharî dans son Sahîh n°14).

Un homme dit : « Ô Messager d’Allâh ! Quand l’Heure sera-t-elle établie ? ». Alors le Prophète () se leva pour accomplir la Salât (prière canonique) et quand il eut fini sa Salât, il dit : « Où est celui qui a demandé quand l’Heure sera établie ? ». L’homme a dit : « C’était moi, ô Messager d’Allâh ! ». Il a dit : « Qu’avez-vous préparé pour cela ? ». Il a dit : « Ô Messager d’Allâh ! Je n’ai pas préparé beaucoup de salât (prières canoniques) ni de jeûne pour cela, mais j’aime (sincèrement) Allâh et Son Messager (en dépit de mes faiblesses et manquements) ». Alors le Messager d’Allâh () a dit : « Un homme sera avec qui il aime, et vous serez avec qui vous aimez ». Ainsi, après l’avènement de l’islam, je n’ai pas vu que quoi que ce soit apportait plus de bonheur aux musulmans que cela ». (Rapporté par At-Tirmidhî dans ses Sunân n°2385 selon Anas Ibn Mâlik).

Le Qur’ân et la Sunnah, ensuite, nous exhortent à suivre et à nous inspirer de ceux qui cheminent sincèrement sur Sa Voie, qui bénéficient de la proximité spirituelle avec Allâh et Son Messager, qui nous rappellent Allah et qui réalisent intérieurement et extérieurement la Voie prophétique, aussi bien concernant les rites et les valeurs morales, que les états spirituels et l’adab qui caractérisent le modèle Muhammadien. Si pour un(e) simple musulman(e) nous devons déjà l’aimer autant que soi-même, que dire pour une personne qui est plus proche d’Allâh que nous le sommes, qui est plus vertueuse, savante, humble, bienfaisante et juste que nous ? Le Messager d’Allâh (ﷺ) a dit : « Aucun d’entre vous n’aura réellement la foi tant qu’il ne souhaitera pas (en termes de bonnes choses) pour son frère ce qu’il aime pour lui-même » (Rapporté par al-Bukharî dans son Sahîh n°13 selon Anas Ibn Mâlik).

Le Compagnon Ibn ‘Umar a dit : « Il fut un temps où personne n’avait plus droit à l’argent d’une personne que son frère musulman. Maintenant, les gens aiment leurs dirhams et leurs dinars plus que leur frère musulman. J’ai entendu le Prophète (ﷺ) dire : « Combien de voisins seront réunis avec son voisin le jour du soulèvement ! Il dira : « Seigneur, cet homme m’a fermé sa porte et a refusé de me montrer la bonté commune ! » ». (Rapporté par al-Bukharî dans Al Adab al-Mufrad n°111 avec une bonne chaine).

Dans un autre hadith il est dit : « Celui qui est tué en défendant ses biens, est un martyr. Celui qui est tué en défendant sa religion, est un martyr. Celui qui est tué en défendant sa vie, est un martyr. Et celui qui est tué en défendant sa famille, est un martyr » (Rapporté par At-Tirmidhî dans ses Sunân n°1421 selon Sa`îd ibn Zayd, sahîh).

Quant au rang particulier du Saint, la Sunnah en fait abondamment illusion, comme dans ce hadith : « Lorsque les Prophètes s’en allèrent alors qu’ils étaient les piliers qui maintenaient la terre, Allâh a fait naître à leur place 40 personnes de la communauté de Muhammad (ﷺ)  que l’on appelle les « Abdâl ». Aucun d’entre eux ne meurt sans que Allâh n’en créé un autre pour le remplacer. Ils sont les piliers qui maintiennent la terre. Les coeurs de 3 d’entre eux sont équivalents à la certitude (yaqîn) d’Ibrâhîm (‘alayhî Salâm). Ils ne devancent pas les gens par leur nombre de prières, ni par leur nombre de jeûnes, ni par une meilleure dévotion, ni par un meilleur tempérament, mais plutôt avec la sincérité de leur scrupule, la pureté de leurs coeurs, et leurs conseils d’un coeur doux à tous les musulmans en recherchant l’Agrément d’Allâh, avec patience, bienfaisance et humilité. Sache qu’ils ne maudissent personne, et ne font de mal à personne. Ils ne se prévalent de personne en dessous d’eux et ne les méprisent pas, de même qu’ils ne jalousent personne au-dessus d’eux. Ils ne seront pas craintifs, ni marqués par l’ascèse, ni n’inspireront de l’admiration pour leur entourage, en s’abstenant d’aimer cette vie terrestre et d’aimer les gens pour elle, et ne seront pas aujourd’hui dans la peur révérencielle, pour ensuite demain tomber dans l’insouciance » (Rapporté par Abû Bakr ibn Abî Dunya dans Al Awliya n°57, chapitre sur les caractéristiques des Abdâl, sous l’autorité de Sufyân Ibn ‘Uyayna et de Abû az Zinâd, et aussi par Al-Hakim at-Tirmidhî dans Nawâdir al Ussûl, Asl n°51 selon Abû ad-Dardâ’).

Le Messager d’Allâh (ﷺ) a dit : « Les Élus (Akhyar) de ma communauté sont au nombre de 500 pour chaque siècle (ou : génération), et les Abdâl sont au nombre de 40. Jamais ils ne sont en dessous de 500 ou de 40. À chaque fois que l’un d’eux meurt, Allâh le remplace et l’un des 500 remplace celui des 40 ». Il lui dit alors : « Ô Messager, parle-nous de leurs oeuvres ». Il dit : Ils pardonnent à ceux qui sont injustes envers eux, et ils se comportent bien avec ceux qui se comportent mal avec eux et ils font largesses avec ce qu’Allâh leur accorde » (Rapporté par At-Tabarânî, Abû Nu’aym dans Hilyat al-awliyâ’, Ibn ‘Asâkir dans son Târîkh Dimasqh et d’autres selon Ibn ‘Umar. Un autre hadîth similaire rapporte le nombre de 300 au lieu de 500, mais dont le sens est le même).

  Il a été rapporté également ceci : « Les Prophètes (Paix sur eux) étaient des piliers (Awtad) de la terre, lorsque la prophétie s’interrompit, Allâh les remplaça par des gens de la communauté de Muhammad (Paix sur lui) que l’on appelle les Abdal, ils ne sont pas meilleurs que les autres par l’abondance de jeûnes, de prières, ni de glorifications, mais en raison de la perfection de leur caractère, par l’authenticité de leur scrupule, par une intention saine et la pureté de leur cœur vis-à-vis de tous les musulmans, leurs prodiguant les bons conseils » (Rapporté par Al-Hakîm At-Tirmidhî dans Nawâdir al Ussûl, Asl n°51 selon Hudhayfa et Abû ad-Dardâ’. Un hadîth similaire a été rapporté par Ad-Daylamî dans Al-Firdaws 2/344, par Ibn ‘Asakir dans son Târîkh Dimashq 1/292 selon Anas, par Ibn Abî al-Dunya dans Kitâb al-Awliyâ’ n°8 selon l’imâm ‘Alî).

   Le Qur’ân les évoque sous différents qualificatifs, selon leur degré. Allâh a dit : « Les premiers (à suivre les ordres d’Allâh sur la terre) ce sont eux qui seront les premiers (dans l’au-delà). Ce sont ceux-là les plus rapprochés d’Allâh, dans les Jardins des délices, une multitude d’élus parmi les premières [générations], et un petit nombre parmi les dernières [générations] » (Qur’ân 56, 10-14).


« Si celui-ci est du nombre des rapprochés (d’Allâh), alors (il aura) du repos, de la grâce et un Jardin de délices. Et s’il est du nombre des gens de la droite, il sera [accueilli par ces mots] : « Paix sur toi » de la part des gens de la droite » (Qur’ân 56, 88-91).

« Qu’ils prennent garde ! Le livre des bons sera dans l’Illiyûn – et qui te dira ce qu’est l’Illiyûn ? – un livre cacheté ! Les rapprochés (d’Allâh) en témoignent. Les bons seront dans [un jardin] de délice, sur les divans, ils regardent. Tu reconnaîtras sur leurs visages, l’éclat de la félicité. On leur sert à boire un nectar pur, cacheté, laissant un arrière-goût de musc. Que ceux qui la convoitent entrent en compétition [pour l’acquérir]. Il est mélangé à la boisson de Tasnim, source dont les rapprochés (d’Allâh) boivent » (Qur’ân 83, 18-28).


« Quiconque obéit à Allâh et au Messager… ceux-là seront avec ceux qu’Allâh a comblés de Ses bienfaits : les prophètes, les véridiques, les martyrs, et les vertueux. Et quels bons compagnons que ceux-là ! » (Qur’ân 4, 69).


« Ceux qui, de la crainte de leur Seigneur, sont pénétrés, qui croient aux versets de leur Seigneur, qui n’associent rien à leur Seigneur, qui donnent ce qu’ils donnent, tandis que leurs coeurs sont pleins de crainte [à la pensée] qu’ils doivent retourner à leur Seigneur. Ceux-là se précipitent vers les bonnes actions et sont les premiers à les accomplir » (Qur’ân 23, 57-61), ils sont les « Sabiqûn » (les « avancés » ou les « devanciers »).


« Certes mon Maître, c’est Allâh qui a fait descendre le Livre (le Qur’ân). C’est Lui qui se charge (de la protection) des vertueux » (Qur’ân 7, 196).


« Nous élevons en rang qui Nous voulons. Et au-delà de chaque détenteur de connaissance il est un connaissant » (Qur’ân 12, 76).

Ainsi, le maître spirituel qu’Allah nous a choisi dans la voie, étant le successeur du Prophète pour nous en particulier – et l’un des nombreux successeurs du Prophète en général -, il est donc notre moyen pour nous rapprocher d’Allâh, et suivre la voie prophétique, loin des dérives ou négligences en tous genres qui affectent ceux qui se limitent à une approche sectaire, superficielle ou historicisante de l’Islam (avec toutes les altérations et étrangetés de l’histoire humaine que cela comporte).

A partir du moment où l’on estime que notre Shaykh est bien-guidé, bien-inspiré, qualifié, orthodoxe et en quelque sorte immunisé par la Grâce divine contre les bassesses et les illusions de la nafs – il est tout entier absorbé dans le Souvenir divin et les bonnes œuvres, effaçant son individualité et n’appelant qu’au Bien et donc à Allah et à ce qu’Il commande -, il est important de l’aimer plus que nous-mêmes, car nous sommes encore qu’au début du cheminement, soumis à notre nafs, et voilé à l’égard de nombreux mystères, de nombreuses merveilles et de Ses Bénédictions dans tous les aspects de notre vie.

On doit aussi penser que notre Shaykh est le meilleur de tous – mais seulement pour nous – car c’est Allâh qui nous l’a envoyé et choisi, sans rabaisser les autres maîtres, car tous ont leur rôle particulier dans le Plan divin, et tous sont les meilleurs maîtres spirituels pour leurs propres disciples. Cela évite ainsi la dispersion des disciples, favorise l’amour et l’éducation de la nafs.

Cela abolit ainsi que le culte de l’ego, et nous accordons un amour sincère et véritable à ceux qui nous élèvent spirituellement et nous inspirent les meilleures pensées, les plus nobles aspirations et les plus belles actions : tout d’abord Allâh, puis les Prophètes, les nobles Sahaba, les membres purifiés de la demeure prophétique, et ensuite les Saint(e)s et les Vertueux (et Vertueuses) de toutes les générations, ainsi que nos parents, nos épouses (ou époux) et nos enfants, et même nos frères et sœurs dans le Dîn, où sacrifier notre vie pour les protéger ou sacrifier notre confort pour les sortir de la misère, sont autant de signes d’amour et de sincérité, où cet amour dépasse notre propre individualité.

Bien sûr, cet amour, pour ne pas être toxique ou mal placé, doit suivre la hiérarchie établie par Allâh, à savoir aimer Allâh de tout son coeur, et n’aimer qu’en Lui, où notre amour envers autre que Lui ne doit pas nous pousser à nous éloigner de Lui, à délaisser ce qu’Il nous a enjoint (comme les bonnes œuvres par exemple), et donc, tout amour absolu n’est que pour Lui et qu’en Lui, tandis que l’amour que l’on porte pour autre que Lui, ne peut se faire que par Lui et en vue de réaliser Son commandement, à savoir aimer ce qu’Il a créé dans le respect de Sa Loi.

En résumé, en plus du fait d’être un Rapproché d’Allâh, si on le pensee véridique et qualifié, le suivre et l’aimer – en tant qu’héritier spirituel du Prophète et rapproché d’Allâh – favorisera l’Amour d’Allâh pour le cheminant comme il est dit dans le Qur’ân : « Dis : Si vous aimez vraiment Allâh, suivez-moi, Allâh vous aimera alors et vous pardonnera vos péchés. Allah est Pardonneur et Miséricordieux » (Qur’ân 3, 31).

« En effet, vous avez dans le Messager d’Allâh un excellent modèle [à suivre], pour quiconque espère en Allâh et au Jour dernier et invoque Allâh fréquemment » (Qur’ân 33, 21),

« Seigneur, accorde-moi sagesse (et savoir) et fais-moi rejoindre les gens de bien » (Qur’ân 26, 83).

« « Ceux qui ont cru et n’ont point troublé la pureté de leur foi par quelque iniquité, ceux-là ont la sécurité; et ce sont eux les bien-guidés ». Tel est l’argument que Nous inspirâmes à Abraham contre son peuple. Nous élevons en haut rang qui Nous voulons. Ton Seigneur est Sage et Omniscient. Et Nous lui avons donné Ishâq (Isaac) et Yaqub (Jacob) et Nous les avons guidés tous les 2. Et Nûh (Noé), Nous l’avons guidé auparavant, et parmi la descendance [d’Ibrâhîm (Abraham) ou de Nûh (Noé)], Dawûd (David), Sulaymân (Salomon), Ayyûb (Job), Yusuf (Joseph), Mûsâ (Moïse) et Hârûn (Aaron). Et c’est ainsi que Nous récompensons les bienfaisants. De même, Zakariyya (Zacharie), Yahya (Jean-Baptiste), Issâ (Jésus) et Ilyâs (Elie), tous étant du nombre des gens de bien. De même, Ismâîl (Ismaël), Al-Yâs`a (Elisée), Yunus (Jonas) et Lût (Lot). Chacun d’eux Nous l’avons favorisé par-dessus le reste du monde. De même une partie de leurs ancêtres, de leurs descendants et de leurs frères et Nous les avons choisis et guidés vers un chemin droit. Telle est la direction par laquelle Allâh guide qui Il veut parmi Ses serviteurs. Mais s’ils avaient donné à Allah des associés, alors, tout ce qu’ils auraient fait eût certainement été vain. C’est à eux Nous avons apporté le Livre, la sagesse et la prophétie. Si ces autres-là n’y croient pas, du moins Nous avons confié ces choses à des gens qui ne les nient pas. Voilà ceux qu’Allâh a guidés : suis donc leur direction. Dis : « Je ne vous demande pas pour cela de salaire ». Ce n’est qu’un rappel à l’intention de tout l’univers » (Qur’ân 6, 82-90).

Dans le Qur’ân, les « savants » et les « gens du Rappel » sont en lien avec le savoir, la sagesse, la piété, le scrupule, la méditation et la connaissance enracinée en Allâh, et non pas seulement une certaine forme « d’érudition » (basée sur une accumulation d’informations diverses – vraies comme fausses -, basée ou non sur certaines méthodes).

Le Pôle spirituel, l’ascète, le Sûfi, le Saint et le maître Abû al-Hassân al-Kharaqâni a dit à ce sujet : « Les érudits prétendent être les héritiers des prophètes. Mais aujourd’hui ce sont les initiés, ces authentiques « hommes » d’Allâh, qui sont les héritiers. Heureux dans le dénuement, généreux envers les êtres, ne les trompant jamais et les éclairant sans rien attendre en retour (de leur part), ils considèrent le bien et le « mal » comme l’expression de la Volonté divine. Ils ne cultivent pas la haine. Ils ne sont pas prisonniers du temps. Les phénomènes qui terrorisent les autres les laissent impassibles ».

« En vérité, les bien-aimés d’Allâh [awliyâ] seront à l’abri de toute crainte, et ils ne seront point affligés » (Qur’ân 10, 62).

Dans un hadith prophétique nous apprenons ceci : « En vérité, les savants (ulamas) sont les héritiers des prophètes. Les prophètes n’ont pas laissé en héritage des monnaies d’or ou d’argent, mais le savoir (ʿilm). Quiconque l’acquiert gagne une grande fortune (spirituelle et intellectuelle) » (Rapporté par Abû Dawûd, al-Tirmidhî et Ibn Mâjah dans leur Sunân). Dans le hadîth rapporté dans le Jâmi‘ d’al-Tirmidhî (Kitâb al-‘ilm, bâb mâ jâ’ fî fadl al-fiqh ‘alâ al-ʿibâda, n°2682) on y lit : « En vérité – raconte le Compagnon Abû l-Dardâ’ – j’ai entendu l’Envoyé d’Allâh dire ainsi : « Celui qui part à la recherche du savoir (utile), Allâh lui ouvrira un chemin qui mène au Paradis. Les anges baissent leurs ailes par agrément de celui qui recherche le savoir. Tous ceux qui sont dans les cieux et sur la terre, et jusqu’aux animaux marins, demandent pardon en sa faveur. La supériorité du savant sur l’adorateur est comme la supériorité de la lune par rapport aux autres corps célestes. En vérité, les (véritables) savants sont les héritiers des prophètes. Les prophètes n’ont pas laissé en héritage des monnaies d’or ou d’argent, mais le savoir. Et quiconque l’acquiert gagne une grande fortune (spirituelle et intellectuelle) » ».

L’imâm Abû Hamîd al-Ghazâlî a dit à ce sujet dans son Ihyâ ‘ulûm ad-Dîn : « (…) Tel était l’engagement des savants : ordonner le convenable et interdire le blâmable. Ils ne souciaient guère de la puissance des dirigeants, ils comptaient sur Allâh pour les soutenir et raffermir leurs pas, afin de remplir cette lourde responsabilité : le témoignage. Quand les intentions étaient sincères, leurs paroles adoucissaient les cœurs les plus durs. Mais aujourd’hui, la convoitise a lié leurs langues et les a rendus muets. Même s’ils parlent, leurs discours demeurent sans utilité et donc ils échouent (…). La corruption des individus est due à la corruption des dirigeants qui est due elle-même à la corruption des savants ; car ces derniers ne sont intéressés que par l’argent et le pouvoir ».

Le Shaykh Ahmad al-Alawî rapporte dans son Commentaire (Sharh) des aphorismes de Sîdî Abû Madyan) : « « Farqad Al Sabakhi raconte qu’il consulta une fois Hassân al Basri sur une disposition de la Loi ; ce dernier lui répondit, mais Farqad lui rétorqua que sa réponse contredisait la position dominante des experts de la Loi (fuqaha). Hassân le rabroua alors, lui disant : « Sais-tu seulement ce qu’est un faqih ? Le faqih, c’est celui qui ne se laisse pas séduire par ce bas-monde et désire l’autre monde ; il comprend très clairement les principes de sa religion et se met toujours au service d’Allâh ; il s’abstient scrupuleusement de s’en prendre à l’honneur des musulmans ou à leurs biens, les conseille sincèrement et fait porter son effort sur le service d’Allâh. S’en tenant à la tradition du Prophète (), il ne rejette pas avec dédain ceux qui lui sont supérieurs ni ne se moque de ceux qui lui sont inférieurs ; enfin, il ne monnaie pas la science dont Allâh l’a gratifié » ».

Ainsi, le savant authentique, en Islâm, est celui qui est savant et connaissant de l’héritage spirituel et religieux des prophètes, et qui suivent leur voie, c’est-à-dire, ceux qui se sont détachés de la gloire politique, des attraits matériels de ce bas-monde, de l’hypocrisie, de l’orgueil, de la vanité, de la sottise, de l’injustice, de la tyrannie et de l’idolâtrie sous toutes ses formes, et qui par contre, sont acquis à la justice, à la gnose spirituelle, au Tawhîd dans toutes ses dimensions, à la sagesse, à la sincérité, à la modestie, à la compassion et à la générosité. En effet, la symbolique de l’argent (ici des monnaies d’or et d’argent) est associée aux passions, à l’asservissement et à la tyrannie des plaisirs mondains.

« Tout le chemin initiatique vers la haqīqa muhammadiyya, la Ka’ba, cœur de l’univers, se déroule à l’intérieur même de l’homme. Le Sheikh déclare : « J’ai réalisé que la Maison habitée, visitée [une expression qui désigne la Ka’ba] est mon cœur, et que mon voyage n’était qu’en moi, et signe de moi (dalâla ‘alayy (1049). » A propos de ce cœur, origine de la fitra (nature primordiale de l’esprit) et du dhikrâ (rappel) (1050), il dit : « Dieu a choisi [ou élu (’istafā)] pour lui, de toi, ton cœur. Il l’a illuminé par la lumière de la foi. Ainsi est-il devenu digne de Sa majesté (1051) ».

Dans le choix du mot istafâ que le Sheikh emploie, on pourrait croire qu’il nous renvoie au verset 42 de la sourate La Famille de Imrân, à propos de Marie : « Ô Marie, certes Allah t’a élue (istafâki) et t’a purifiée, et II t’a élue au-dessus des femmes des mondes. »

Toutes les difficultés qu’un murïd (celui qui désire Dieu) affronte sont considérées comme la dot (mahr) à payer afin de réaliser, dans la présence du ’ihsân 1052, l’union (wisâl) avec l’Essence divine, la Ka’ba 1053, car l’union avec Elle a des conditions mentionnées dans « le Livre écrit (al-kitâb al-mastür) sur le Parchemin déployé » (al-riqq al-manshûr) 1054, à ses règles tout comme la hasnâ’ a une dot. Notre Sheikh, dans la doxologie et dans le chapitre premier des Futûhât, lui rend de grands éloges. Il l’appelle « la vierge khalifa » (al-‘adrâ’ al-khalifa) 1055, « la beauté de la Ka’ba » (Al-Ka’bat al-hasnà’)1056, la tendre houri (nl-gadda alhawra) 1057. Elle est le repos des itinérants et l’entrée des gnostiques (1058). C’est surtout dans le chapitre 72 des Futûhât, sur le pèlerinage, que le Sheikh nous parle des dévoilements des secrets de la Ka’ba, qu’il a vécus dans une nuit claire, froide, sous une bruine. Il était seul avec Elle, il l’a vue à l’image d’une très belle femme, d’une beauté singulière qu’il n’avait jamais vue auparavant, et que personne ne peut imaginer : au début, elle était en colère après lui, elle ne voulait pas qu’il effectue le tawâf autour d’Elle, car Elle considérait qu’il n’était pas digne de la servir. Elle lui reprocha de ne pas avoir compris sa station. Notre Sheikh réalisa sa faute et, pour se réconcilier avec Elle, la loua en une poésie qu’il improvisa, jusqu’à ce qu’il perçoive ses signes d’agrément et de contentement . Elle l’autorisa alors à effectuer le tawâf (1059). L’histoire de la futuwwa, en résumé, est l’histoire de l’homme qui, à l’aide de son valet (le fatâ, esprit), va au combat pour affranchir son âme de l’esclavage de l’ego. Il mène son combat tantôt sur le territoire du zâhir, tantôt sur celui du bâtin. Il va tantôt vers son Occident, tantôt vers son Orient. Il est tantôt chevalier, tantôt chamelier, jusqu’à ce qu’il arrive auprès de la Ka’ba, al-bayt al-‘atîq 1060 (la Maison noble), le haram (sanctuaire d’Allah), nafs qudsiyya, apaisée (muthna’inna). Il abandonne alors toute monture, il va à pied. Il se met à son service, en toute dévotion et adoration jusqu’à ce qu’Elle lui fasse un signe. Son valet réapparaît alors, et le guide à l’intérieur même de la Ka’ba, où il sera initié et goûtera à l’unicité de son être. Il se rendra compte alors que le Gardien, le coffre-fort et le Trésor ne sont qu’une seule et même chose. Il devient lui-même fatâ. Il atteint le secret et accède à la station des fidèles (’umanâ’) d’amour (‘amïn sirr Laila), qui ne dévoilent le secret que selon un décret divin. Ainsi Hallâj était-il tombé dans l’ivresse et Qays dans la folie (majnûn). Et l’on pourrait bien se demander : n’est-ce pas ’amr Allâh aussi ?

La fonction de Jésus, le fatâ rühâni dans cette perspective, peut s’envisager à la fois comme Gardien, détenteur du secret de la haqîqa muhammadienne et comme valet, serviteur du voyageur, qui le guidera vers cette haqîqa muhammadiyya, sa propre vérité.

D’après la célèbre vision du Sheikh, principal sujet de la doxologie des Futûhât, Jésus apparaît en face du Prophète dans l’assemblée des prophètes et des califes, présidée par le Prophète lui-même, en présence de la ’umma et des anges. Agenouillé entre ses mains, Jésus lui raconte l’histoire du secret de la unthâ 1061, « hadïth al-’unthâ ». Cette’unthâ est la nafs apaisée, commente Qâshânï (1062). Le Sheikh fait référence aux paroles de la mère de Marie, qui avait voué l’enfant qu’elle portait en son sein au service de Dieu ; et voilà qu’elle met au monde une fille : « Mon Seigneur, j’ai mis au monde une fille (’unthâ) (1063) ». Jésus (parole de vérité) 1064 est le seul qui dispose du secret de la virginité de cette ’unthâ, sa mère. C’est lui qui témoigne de son innocence devant les accusations portées contre elle : « O Marie, tu as fait une chose monstrueuse.1065 ». Enfant au berceau, Jésus répondit : « Je suis vraiment le serviteur d’Allah, Il m’a donné le Livre et m’a désigné Prophète ».

1049 Fut., III, p. 350.

1050 Conformément au verset « Il y a bien là un rappel pour quiconque a un cœur » auquel le Sheikh ne manque pas de faire référence.

1051 Fut., III, p .257.

1052 Traduit par « charité », « bienfaisance », « philanthropie ». Dérive du verbe hasana qui implique beauté et bonté.

1053 Fut., I, p. 50.

1054 ’lsrâ’, p. 100.

1055 Fut., I, p. 5.

1056 Fut, I, p. 6.

1057 Fut., 1, p. 7.

1058 Fut., I, p. 51.

1059 Fut., I, p. 701.

1060 Une notion qui contient les sens de : être libérée, n’avoir jamais connu la servitude, noblesse, ancienneté, être bonifiée.

1061 Littéralement, femelle. L’expression « femme ’unthâ », signifie « femme ‘féminine’ ».

1062 Qâshânï, Tafsïr, I, p. 183.

1063 Cor., 3 :36 (trad. Masson).

I0 Cor., 19:34 ».

Laïla Khalifa, Ibn Arabi – L’initiation à la Futuwwa, éd. Albouraq, 2001, pp. 315-317.


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