Les limites et les contradictions des thèses orientalistes et réformistes

S’il est salutaire mieux interroger les sources et les méthodes qui président à l’élaboration du sunnisme comme du shiisme, force est de constater que cette rigueur dont les réformistes et les orientalistes se targuent, relève de l’arbitraire et de la superficialité, occultant aussi bien la complexité des facteurs en jeu tout comme écartant d’un revers de main toute une série d’éléments qu’il est pourtant nécessaire de prendre en compte et d’analyser (méthodes spirituelles, témoignages oraux, les choses communément acceptées par tous les courants de l’époque, les doctrines ou pratiques inconnues et donc non-mentionnées par tous les courants de l’époque, …), car ils constituent justement une éclatante réfutation au mieux, – et au pire une nuance et relativisation assez importantes – de leurs thèses. En fin de compte, loin de procéder à une analyse rationnelle et factuelle, ils justifient leur ignorance ou leur postulat idéologique par le « complotisme aigu », voyant des complots partout dans le passé, – sauf leur propre entreprise (coïncidant étrangement avec la volonté des politiques islamophobes ou christianophobes !) -, mais se moquant paradoxalement des personnes qui souscrivent aux idées complotistes de notre temps, là où souvent, des éléments explicites permettant d’identifier telle manœuvre politique comme relevant d’un complot.

Il suffit de discuter avec de nombreux orientalistes (ou de leurs partisans) et réformistes (qu’ils soient coranistes ou non), pour savoir que leur méthodologie est boiteuse et arbitraire, et pour se rendre compte que leur rejet de la Sunnah et/ou du Qur’ân (ou d’une partie) n’est motivé plutôt que par des contrariétés personnelles où des pratiques comme la vie sexuelle permise que dans le cadre du mariage, le jeûne, le port du voile, la pudeur, la piété, etc. leurs posent un sacré problème, et que, plutôt que de reconnaitre leurs faiblesses et leurs péchés, ils cherchent une solution pour les « accepter » et les légitimer en les désacralisant, et trouvent ainsi dans certaines thèses réformistes et orientalistes, élaborées et inventées en ce sens, un terreau fertile pour justifier leurs passions et leur rejet de la Tradition (soit totale, soit partielle, mais dans les deux cas, motivées non pas par une recherche de la Vérité suivant une méthodologie cohérente, mais par pure « passion »).

Les réformistes et orientalistes font donc souvent des raccourcis entre les positions sunnites et les manipulations/soumissions au pouvoir politique de l’époque (certains d’entre eux vont même jusqu’à dire que tout le shiisme n’est au final qu’une invention politique des omeyyades, c’est dire le niveau d’idiotie rarement atteint par des « chercheurs modernistes » contemporains).

Or, ce ne sont pourtant pas les contre-exemples qui manquent puisque l’on pourrait leur citer la voie des ahl ul bayt et de leurs soutiens (comme As-Shafi’î, Abû Hanifa, Sûfyan At-Thawrî, …) qui ont refusé de céder aux pressions politiques des gouverneurs injustes de leur temps. On pourrait cependant bien leur retourner cet argument, où l’on voit bien que les « réformistes » et orientalistes sont souvent prisés et subventionnés par les pouvoirs politiques dont l’orientation est souvent islamophobe, capitaliste et séculariste.

D’autres parmi eux gagnent beaucoup d’argent sur le dos de la religion en jouant les complotistes chevronnés dès qu’il est question de taper sur l’Islam (ou les courants majoritaires de l’Islam). Cet argument, cependant, à lui seul, n’explique pas tout, ni dans un sens ni dans l’autre, et il faut se garder de telles généralisations abusives.

Les thèses mettant en avant le complotisme comme seul « élément » visant à étayer leur thèse révèle souvent une ignorance et une carence dans l’argumentaire et dans la complexité des enjeux et des facteurs en cause des événements faisant l’objet de leur thèse. Et souvent également, les nouvelles idées défendues sont souvent inexistantes dans les traces historiques ou dans les témoignages notoires de l’époque en question, et soulèvent bien plus de problèmes et de contradictions que la vision qui était censée être réfutée au départ.

Si l’on réduit l’Islam, ou toute autre civilisation ou doctrine de pensée, qu’à l’authenticité de la transmission, il ne resterait plus rien de ce que l’on appelle l’histoire, puisque l’on pourrait remettre en cause le Qur’ân, la Sunnah, l’existence et les écrits de Platon, d’Aristote, de Socrate, de Cyrus le Grand, de Jules César, d’Alexandre le Grand, de Napoléon, et même des personnes que l’on pourrait voir en vidéo, en jetant le doute sur leur identité réelle.

Ce qui est intéressant à savoir du point de vue historique, c’est si nous disposons ou non d’éléments d’époque (témoignages fiables et concordant, manuscrits) indiquant l’existence d’un Prophète et/ou d’un Livre Sacré lui étant associé. Et dans le cas de l’Islam, c’est bien le cas, et les plus anciens manuscrits du Qur’ân montrent leur conformité avec celui que tous les musulmans d’aujourd’hui utilisent comme référence. Que l’on trouve des manuscrits comportant des différences, ou que certains modes de lecture souffrent finalement de transmissions historiques incertaines n’y changent pas grand chose, – aussi peut-on logiquement se méfier des témoignages isolés de l’époque qui parlent d’une décision de brûler différentes versions/recensions de l’époque et d’autres récits du même genre car en appliquant la critique historique on ne saurait se fier à cela -,

De plus, il y a aussi la pratique massive et continue qui est parallèle à l’existence des corpus, et qui montre comment était perçue et vécue la pratique religieuse, se basant donc parfois de façon légitime sur des éléments dont les corpus (en dehors du Qur’ân) ne nous informent pas textuellement. Aussi le fait que certains rapporteurs et compilateurs aient rapporté des récits dans leur recueil qu’ils n’ont pas appliqué dans la pratique ou dans leur théorie légale peut s’expliquer de différentes façons : ils l’ont rapporté par soucis d’honnêteté mais sans le prendre en compte car abrogé, accessoire, étrange, contredit par la pratique répandue ou par une preuve plus solide, ou encore car très contextuel ou par faiblesse du rapporteur (qui sait par exemple que telle pratique est louable mais qu’il ne l’a pas mis en pratique pour telle ou telle raison).

Ainsi donc, une critique purement historique ne peut mener à aucune certitude ou vision fiable d’aucune sorte, tant que l’on ne cherche pas à comprendre le contexte de l’époque et sans connaitre les pratiques répandues, et leurs liens avec le Qur’ân (transmis également par une transmission orale abondante et diverse, où une fois la transmission opérée, il n’est plus possible de revenir en arrière), l’intellect et la transmission des rites commune à toutes les générations et courants des musulmans depuis le début. De même, les principes universels et la fitra permettent de guider notre quête de savoir, puisqu’ils instituent et objectivisent la recherche du Vrai, le sens de la justice, la réalisation du bien et de la sagesse.

Dès lors, au-delà de la question du support et de la transmission, – où le doute sur le plan horizontal (historique) sera toujours possible -, c’est la pertinence et la conformité au Réel que nous devons confronter le Qur’ân comme tout autre type de livres et de doctrines.

Et le Qur’ân dont nous disposons, ainsi que de nombreux ahadiths (remis en question aussi bien par des orientalistes peu compétents ou clairement malhonnêtes, tout comme de nombreux réformistes comportant les mêmes défauts), après des études approfondies et des méditations diverses, se montrent totalement conformes au Réel, étant corroborés, selon la portée des versets et des ahadiths, par les données scientifiques, la connaissance psychologique, l’expérience (ou les dévoilements) d’ordre spirituel, la sagesse et les vertus qui en découlent, la stabilité et l’ordre dans la société, etc.

Les pratiques communément admises par les sunnites, les shiites et les mutazilites possèdent ainsi des bases solides, ce qui n’est pas le cas d’un certain nombre d’éléments isolés aussi bien dans les corpus shiites que sunnites, et dont les liens avec le Qur’ân, la sagesse ou l’histoire (basée sur des données un tant soit peu établie) sont inexistantes, ou au mieux, très floues.

Prenant en considérations tous ses éléments, on se rend compte des limites et des contradictions des thèses orientalistes et ultra-réformistes, soit étant influencées ou mandatées par des pouvoirs politiques corrompues, soit étant eux-mêmes aveuglées par leur propre paradigme biaisé, mais qu’ils ne vont jamais appliquer jusqu’au bout ou pour d’autres questions, car ils devraient alors remettre d’abord en cause leur propre théorie, et s’apercevoir de la documentation très lacunaire et tardive sur laquelle ils se basent pour construire leur théorie.

Quant aux ahadiths, au-delà de la chaine de transmission, pour savoir si ou non il y a une certaine traçabilité historique et donc une certaine fiabilité, chez beaucoup de traditionnistes anciens, cela n’était pas primordial, car c’est avant tout le contenu transmis qui importait, pour savoir ce que l’on en pouvait en tirer comme sagesse, utilité, savoir, etc. Ce qui importe en effet, que le Prophète l’ait réellement dit ou non, c’est de l’accepter s’il y a un lien évident avec le Qur’ân, si son application (selon le contexte et les conditions) apporte une chose utile ou louable pour la société ou notre cheminement personnel, etc. sachant que le Qur’ân enjoint tout ce qui est bon, utile, beau, bénéfique, moral, et qui participe de et à la sagesse. La question se pose toutefois de savoir si oui non, nous pourrions attribuer ces récits au Prophète. Le mieux est de les qualifier de récits prophétiques si cela correspond aux qualités et à la description du Prophète évoquées dans le Qur’ân et transmises par ses proches et confirmées par de nombreux dévoilements et songes spirituels, car de lui émane sagesse, bonté et savoir, et c’est lui qui éduqua ses compagnons à la sagesse, qui soit l’ont retransmise telle quelle, soit l’ont méditée et transmise selon leurs propres mots ou compréhensions. Quant à ce qui est indigne ou douteux le concernant, car contredisant le Qur’ân et ses qualités bien connues, que la chaine ou non semble bonne ou authentique, la prudence est de mise et on ne saurait l’accepter pour argent comptant.


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