Le sunnisme – foyer de tous les maux ?

De nos jours, certains n’hésitent pas à imputer tous les maux de la terre au sunnisme, comme si le sunnisme ne pouvait être réduit qu’à ses tares contemporaines ou à certaines dérives de l’Histoire.

Pourtant, une étude historique de la question permet de mettre en évidence un certain nombre d’éléments intéressants.

Tout d’abord, jamais il n’y eut autant de maîtres spirituels d’envergure que dans le sunnisme (Jâ’far as-Sâdiq, Abû Hanifa, Sûfyan At-Thawrî, Hassân al-Basrî, Rabi’a al-Adawiyya, Muhammad Ibn Sirîn, Al-Junayd, Dhun l-Nûn al-Misrî, Al-Qushayrî, As-Sulâmi, Al-Ghazâlî, Al-Jilânî, Ahmad Ar-Rifâ’î, Ibn ‘Arabî, Rûmî, Attâr, Sâ’di, Hafez, Nizâmî, Najm ud-Dîn Kubra, Al-Qashânî, As-Sakandarî, etc.) qui conciliaient très bien l’orthodoxie sunnite avec la perspective métaphysique, la discipline spirituelle, la poésie, la piété religieuse, une éthique raffinée, une ouverture d’esprit appréciable, etc. Rien n’est donc plus faux que de discréditer le sunnisme sur le plan spirituel.

Ensuite, dans son apport civilisationnel, de grands poètes, scientifiques, chef d’Etat, logiciens, métaphysiciens et artistes étaient des sunnites, que ce soit sous l’empire omeyyade ou abbasside, sous les seljkûkides, les ottomans, l’Inde musulmane, ou sous les différentes dynasties du Maghreb.

Et même aujourd’hui où le sunnisme se trouve au plus bas, nous avons encore une multitude de saints en milieu sûfi, de grands intellectuels et métaphysiciens, des logiciens et des scientifiques.

Même sur le plan politique, des états sunnites (ou affiliés au sunnisme) réussissent sur un certain nombre de plans (mieux que les autres états, qu’ils soient shiites, modernistes/laïcs ou athées) comme la Turquie, l’Indonésie, la Malaisie, le Qatar et le Sultanat de Brunei, malgré leurs défauts respectifs.

Quant aux grandes tragédies modernes, comme les massacres de grande ampleur, les persécutions religieuses ou politiques, les grands pays pollueurs, etc., on y trouve essentiellement des pays non-musulmans (Etats-Unis, France, Israël, Russie, Chine, Corée du Nord, dictatures africaines fortement sécularisées, …).

Comme tout autre groupe influent, la communauté sunnite n’a pas échappé aux divergences, aux dérives, aux contradictions dans certaines approches juridiques, politiques ou exégétiques, etc. Et ce que l’on pourrait clairement contester, relève souvent des avis isolés ou faisant divergences non seulement au sein des écoles sunnites (théologiques et juridiques) mais aussi chez les shiites, les mu’tazilites et les autres. Quant à quelques avis posant de sérieux problèmes aujourd’hui, et qui étaient assez répandus en théorie légale aux époques antérieures, ils étaient partagés par les communautés non-musulmanes également, de par les éléments culturels communs à cette époque, – et qui n’ont pas une vocation universelle puisque ne relevant pas de l’obligation religieuse mais uniquement de ce qui est acceptable ou non du point de vue des mœurs dans une époque et une région données -.

Il est toujours utile d’aborder les choses de façon dépassionnée en adoptant une vision globale de la réalité et de la complexité d’un phénomène, surtout quand celui-ci est vaste et s’étend sur plus d’un millénaire. L’histoire du shiisme est tout aussi complexe d’ailleurs, et ne saurait être réduit aux préjugés actuels qui ont encore cours de nos jours.

Le Qur’ân expose, parmi les finalités que le croyant doit atteindre, la piété religieuse, la purification de l’âme, la pudeur, l’équité, la bonté, l’humilité, la sainteté et la sagesse. Historiquement, et encore de nos jours, le sunnisme répond à ces critères et permet donc d’atteindre les finalités qurâniques, pour peu que le croyant fasse preuve de sincérité et d’humilité, et ne s’encombre pas des querelles sectaires du passé et des avis nuisibles dans le cadre de son cheminement spirituel.

Certains ne sont maladivement que dans la contestation et la destruction de tout notre patrimoine, pour ne proposer qu’une vision sèche, superficielle et naturaliste du Dîn, délaissant totalement l’approche intellectuelle du Dîn (prenant en compte non seulement la littéralité des Textes, mais aussi l’esprit qui s’en dégage et ses finalités) et sa dimension éminemment spirituelle, pour ne se conformer finalement qu’aux superstitions en vogue à notre époque. Ils sont tantôt falsificateurs du Texte tant dans sa littéralité que dans son esprit, tantôt ultra-littéralistes sans corréler leurs avis par la logique et les finalités du Dîn, tantôt délaissent les méthodes et textes qurâniques pour ne parler que de « finalités », mais cette fois-ci déconnectées des fondements du droit. Plutôt que d’admettre le caractère blâmable ou explicitement illicite (péché) de telle pratique, ils vont jusqu’à falsifier ou délaisser des textes explicites ou implicites (mais en rapport avec les principes généraux), pour justifier leurs passions et les propager en tant que normes religieusement acceptables, sans même parler des conséquences néfastes qui sont observables, détruisant société, environnement, vie spirituelle et famille. Ils s’engouffrent dans des considérations spécieuses et superficielles, pensent tout connaitre, perturbent les gens, les éloignent de la piété et de la modestie, et sèment la zizanie partout où ils prospèrent. La sagesse ne peut donc pas éclore dans ce genre de milieu. Le discours moderniste pousse à délaisser la piété religieuse, à contester tous les ahadiths qui encouragent les actes d’adoration, à amoindrir l’importance de la spiritualité, etc. On le voit bien, en général, les modernistes sont éloignés de la piété religieuse dans ses activités spirituelles et religieuses. Combien de personnes sont devenues pieuses après avoir suivi les penseurs modernistes ? Combien de personnes ont cultivé leur spiritualité et le respect (avec esprit critique) de l’héritage spirituel et culturel du monde musulman ? Il y a des avis que l’on doit garder pour soi ou dans un cercle restreint surtout si cet avis n’est pas ce qu’il y a de plus solide et de bénéfique aux gens, et non pas de les divulguer comme ça en public alors que cela pourrait semer la fitna et causer des problèmes familiaux, politiques ou autres, il faut toujours garder cela en vue. Les dérapages et problèmes causés par certains modernistes ou salafistes (qui partagent leur volonté de réforme superficielle et du rejet de la perspective métaphysique et de la transmission de la Tradition dans son rapport à la Révélation) sont déjà visibles à ce niveau-là, à l’instar des avis propagés et défendus par un certain nombre de wahhabis. C’est là que l’on aperçoit la sagesse ou non d’une personne. Tout propager sans clairvoyance, ni rigueur, ni pudeur, ni humilité est un signe clairement négatif. A force de vouloir contester toutes les interprétations et les éléments explicites de la religion, et même le “bon sens”, il ne restera rien, ce sera la porte ouverte à l’anarchie, aux opinions fondées sur l’ego, au conformisme aveugle des idéologies en vogue à notre temps, et un affaiblissement des mœurs et de la conscience spirituelle, c’est un constat que l’on peut clairement faire aujourd’hui. De facto, cette mentalité est opposée au Discours qurânique et à ses finalités.

La Religion, ce n’est pas la polémique et le dégoût, mais la sincérité et la pratique, le bon comportement et la conscience tournée vers le Sacré, et enraciner son mode de vie dans le Souvenir du Divin, le bon comportement et les actes d’adoration qui vivifient l’âme et l’esprit, or que propose en général ceux qui veulent éradiquer tout cela ? Rien de sérieux, car au mieux, ils n’ont qu’une certaine forme d’érudition, – ce que les autres ont aussi -, mais pas grand-chose quand on parle de spiritualité, de sagesse et de pratique religieuse, – et en cela nos awliyâ leurs sont éminemment supérieurs en termes d’adab, de doctrine, de pratique et de dhikr -. Si on reconnait un arbre à ses fruits (parmi les adeptes sérieux et sincères), on saisira plus facilement l’imposture de certains, et les lacunes des autres.


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