Le réformisme moderne repose sur des lacunes et des axiomes illusoires

De nombreux réformistes (qu’ils soient wahhabi ou issus de la salafiyya de la nahda – moderniste -) n’ont jamais (ou très peu) étudié l’Islam avec des shuyukhs traditionnels qualifiés dans le fiqh, les ussûl, la ‘aqida (avec des cours de ‘ilm ul kalâm), l’histoire musulmane, etc. Du coup, ils sont perdus et dépassés rapidement par le patrimoine islamique (qui compte des millions d’ouvrages en tous genres : fiqh, ‘aqida, médecine, philosophie, logique, Hadith, Tafsîr, astronomie, gastronomie, sur la sexualité, sur le café, sur le thé, sur le romantisme, etc.)., mais n’ayant aucune méthodologie intellectuelle ou historique, finissent par tout mélanger et par ne rien y comprendre, car sans connaissance du contexte ou de l’authenticité réelle ou non des récits ou des ouvrages (attribués à tel ou tel savant), cela peut embrouiller leur esprit.

Ils ignorent aussi que selon les fondements méthodologiques mêmes du fiqh traditionnel, ce dernier doit continuellement se réadapter de façon cyclique pour délaisser les avis inadaptés (soit de façon générale car la société a beaucoup changé) soit de façon spécifique (pour tel individu dans telle situation spécifique), et proposer des avis plus adaptés (soit en appliquant d’autres avis anciens qui conviennent pour notre contexte, soit en élaborant de nouveaux avis si les questions et nécessités sont nouvelles, comme ce qui peut concerner la médecine, les problèmes spatiaux, la technologie et les réseaux sociaux, etc.), bien sûr, toujours en se basant sur les fondements de la Religion et du Fiqh, les valeurs et les finalités de l’Islam qui sont universelles et qui constituent les objectifs qu’il faut toujours atteindre, peu importe le temps et l’espace.
De même, tout ce qui est consigné dans les manuels de fiqh ne doit pas être appliqué, car certains avis sont erronés ou inadaptés, d’autres doivent être reliés ou conditionnés par d’autres règles juridiques qui peuvent suspendre des avis ou donner la prééminence à d’autres avis, notamment selon les règles suivantes : le moindre mal, l’intérêt général, la préservation de la santé physique et mentale, la sécurité, ne pas propager les opinions secondaires (dans le fiqh comme dans la ‘aqida) si l’on craint des méfaits ou des troubles chez les gens, etc., le fait de toujours donner la priorité à la pratique des rites et valeurs essentiels de l’Islam et au credo musulman fondamental (les piliers de l’islam et de la foi), etc., tout en essayant de toujours préserver l’honneur des Sahaba, des Ahl ul Bayt, des croyants et des innocents en général comme nous le demandent le Qur’ân et la Sunnah.
C’est pour cela qu’il est nécessaire qu’il y ait des savants à la fois vertueux, clairvoyants, avisés et suffisamment formés dans le fiqh et le Hadith (en plus des autres sciences) qui vérifient les livres, commentent ou nuancent les avis selon les besoins de l’époque sans jamais délaisser les méthodologies rigoureuses pour extraire les jugements légaux et vérifier la pertinence des avis ou l’authenticité des récits ou avis attribués à telle ou telle personne, en plus du fait qu’au sein d’une même école, il peut y avoir plusieurs avis, mais qui tous n’ont pas le même statut et le même degré de pertinence (et que chaque école retiendra donc, à une époque donnée, l’avis prépondérant).

Les modernistes se condamnent à ne pas comprendre les choses au moins selon 3 lacunes fondamentales qui biaisent toutes leurs perceptions :
1) Leur ignorance concernant les méthodes et arguments (souvent très rationnels) du fiqh traditionnel. Ils décontextualisent les avis sans connaitre les autres règles juridiques, ce qui fausse leur compréhension.
2) Leur ignorance du patrimoine islamique et leur amateurisme dans la façon de piocher et d’analyser les sources (sans parler des falsificateurs qui mentent et déforment volontairement beaucoup de choses).
3) Leur méconnaissance de tout ce qui a trait à la métaphysique et à la spiritualité, ainsi qu’à la théologie scholastique (‘ilm ul kalam), qui permettent non seulement de réfuter les superstitions et idéologies modernes qui se fondent sur l’ignorance du Divin, du monde et de l’âme humaine, mais aussi de comprendre le caractère rationnel ou l’inanité de nombreuses thèses et opinions concernant la théologie ou la jurisprudence. Il est donc important que ces personnes se tournent vers les écrits et productions d’auteurs comme René Guénon, Martin Lings, Seyyed Hossein Nasr, Titus Burckhardt, Rogier du Pasquier, Tage Lindbom, Frithjof Schuon, Dr. Hamza al-Bakri, Dr. Ali Al-Omari, etc., car tout en étant des maîtres dans la logique, ils connaissent très bien la perspective traditionnelle et les dérives de la modernité, et savent donc très bien répondre aux enjeux et défis contemporains.

Lorsque l’on garde ceci à l’esprit, les attaques réformistes ou islamophobes portées contre la Tradition et le fiqh traditionnel sont résolues et demeurent vaines.
Sans dénigrer les avis anciens (qui ne contredisent pas le Qur’ân et la Sunnah ni l’intellect), il faut reconnaitre cependant que la société moderne a opéré une telle rupture avec la Tradition, et que tout a tellement été déréglé, que beaucoup d’avis anciens ne sont plus adaptés dans bon nombre de sociétés contemporaines, tant les coutumes, règles, valeurs et modalités ont évolué (temporellement) et régressé (intellectuellement et moralement), si bien que d’autres avis doivent être adoptés pour éviter d’engendrer un plus grand mal. Un avis adapté doit correspondre aux mentalités qui sont présentes dans la société où l’on vit – sociétés assez plurielles à l’échelle mondiale -, visant à les éloigner du mal (mais sans entrainer une situation encore pire : apostasie, hérésie, guerre civile, etc.) et à les rapprocher du Bien (quitte à n’exiger d’eux au moins que le strict minimum en termes de vertus et de rites).

Pour guérir les maux modernes qui empoisonnent l’existence, nul besoin donc de se tourner vers le Salafisme wahhabite ou le modernisme prenant sa source dans le Salafisme de la Nahda. Dans les 2 cas, ils s’opposent au sunnisme traditionnel (tout comme au shiisme traditionnel).
Leurs idéologues et défenseurs restent ainsi souvent malgré eux, des gens qui sont encore affectés par les séquelles du salafisme, éloignés de toute spiritualité véritable et de toute notion même de métaphysique, qui leur aurait pourtant permis de comprendre la profondeur et la sagesse derrière de nombreux préceptes religieux, rites ou avis juridiques, tout en les rapprochant davantage du Divin et de la beauté rayonnante de l’Islam.

Mais dans un cas comme dans l’autre, ce sont les 2 faces d’une même tendance (rupture avec la Tradition). Leurs nombreux discours (superficiels et confus pour la plupart) n’ont fait que détourner davantage les gens de la piété religieuse et de la spiritualité, les poussant dans les griffes et les superstitions de la modernité, ce qui est comparable à la décision d’un capitaine de navire de jeter tous les passagers dans la mer lors d’une tempête, plutôt que d’essayer de naviguer à travers la tempête avec un navire quelque peu amoché (comme ceux qui ont une connaissance partielle et superficielle de la Religion, mais qui se raccrochent encore aux fondements et aux actes de dévotion, permettant toute de même le Salut et un certain niveau de compréhension dans une période décadente comme la nôtre). La survie, même pénible ou difficilement compréhensible, est ici préférable à la noyade proposée par les idéologues de la modernité – parfois malgré eux car agissant inconsciemment dans le mal tout en pensant bien faire -.

Cette approche moderniste ne peut que déboucher sur un sécularisme sentimentaliste qui est aux antipodes de l’islam. Le sécularisme atrophie l’intellect, empêche la spiritualité opérative, et nourrit les pires dérives et vices que l’on observe aujourd’hui. Nul besoin non plus du réformisme stérilisant pour contester ou nuancer certains avis juridiques qui ne sont pas ou plus adaptés dans une société ayant déjà opéré une rupture radicale avec la « Tradition ».

La solution ne viendra pas d’un poison idéologique dont les effets délétères sont déjà connus de tous et visibles partout. La métaphysique, la spiritualité, l’adab, les rites islamiques, les valeurs éthiques et la piété religieuse sont les seules remèdes possibles et qui ont été confirmées à maintes reprises, et ce à toutes les époques, y compris la nôtre.

En raison de ces confusions, il n’est donc pas rare de voir autant de contradictions chez les modernes, y compris ceux qui se réclament d’une manière ou d’une autre de la Religion ou même de la spiritualité.
Beaucoup parlent du Tasawwuf (soufisme) et des maîtres sûfis, mais sans les connaitre, et en tordant dans tous les sens leurs oeuvres et enseignements, alors qu’ils étaient eux-mêmes très pieux, et accordaient à la ‘aqida et au fiqh leur noblesse et leur importance, tout en se préservant des excès et du fanatisme qui peuvent exister chez certains qui en parlent.

Le célèbre maître sûfi, poète, théologien et juriste, Shaykh al-Akbar Ibn ‘Arabî disait dans son Rûh al-Quds : « Qu’Allâh te garde, mon frère, des pensées mauvaises en t’imaginant que je blâme les juristes en tant que tels ou pour leur travail de jurisprudence, car une telle attitude n’est pas permise à un Musulman et la noblesse du fiqh n’est pas à mettre en doute. Toutefois, je blâme cette sorte de juristes qui, avides des biens de ce monde, étudient le fiqh par vanité, pour qu’on les remarque et que l’on parle d’eux, et qui se complaisent dans les arguties et les controverses stériles. Ce sont de tels gens qui s’attaquent aux hommes de l’Au-delà, à ceux qui craignent Allâh et reçoivent une science de chez Lui. Ces juristes cherchent à réfuter une science qu’ils ne connaissent pas et dont ils ignorent les fondements ».

Citons aussi le maître spirituel et l’océan de la poésie persane, l’imâm Jalâl ud-Dîn Rûmî – qui était aussi une autorité dans le fiqh hanafite et dans l’exégèse qurânique – dans son Kitâb fîhi mâ fîhi : « L’origine de la jurisprudence (fiqh) est la Révélation (wahî) ; mais quand elle se mélange aux idées, aux sens et aux apports personnels, sa pureté disparaît ; elle n’a plus rien de cette pureté de la Révélation. De même, l’eau qui coule du Tarut sur la ville : regarde combien elle est pure et limpide à sa source ! Mais quand elle parvient à la ville et passe dans les enclos, les quartiers et les maisons ; après que beaucoup de personnes y ont plongé les mains, le visage, les pieds, les membres, les habits, les tapis ; après que les saletés du quartier, celles des chevaux et des mulets s’y sont mêlées : arrivée en aval à la ville, bien qu’elle soit la même eau, qui arrose la poussière, désaltère les assoiffés et fait reverdir la plaine, il faut un discernateur pour déceler que cette eau n’a plus la même pureté et qu’elle est mélangée à beaucoup de saleté ».

Avant eux, les autres maîtres du Tasawwuf étaient aussi des autorités dans le fiqh et la ‘aqida, comme les imâms Junayd, Al-Qushayrî, As-Sulâmî, Abû Hâmid al-Ghazâlî (qui tout en écrivant des ouvrages axés totalement sur le fiqh, ses ussûl et ses maqasid, a aussi synthétisé la quintessence du fiqh, de la ‘aqida, de l’éthique et de la spiritualité dans son Ihyâ’ ulûm ud-Dîn), le Shaykh ‘Abd al-Qâdir al-Jilânî, l’imâm Ahmad Ar-Rifâ’î et tant d’autres, y compris les maîtres sûfis de l’époque moderne comme les imâms Ahmad Al-Alawî, l’émir ‘Abd al-Qâdir et les autres. Sans renier le fiqh ni en minimiser l’importance, ils donnaient la précellence au Tasawwuf et à l’adab, à pratiquer et prendre en compte tout ce qui pouvait élever l’âme et la purifier, se conformer à la piété religieuse, à se prémunir contre les vices et l’injustice, à répondre au mal par le bien ou l’absence de mal réciproque, et demandaient aux disciples de ne mettre en oeuvre que les avis fondés sur la piété, la licéité et l’apaisement du coeur, et ce qui pouvait être bénéfique à la société, sans se torturer l’esprit avec des détails inutiles, des avis étranges, car il faut être en accord avec son temps tant que cela n’implique ni de cautionner ou de se conformer à ce qui est clairement illicite, ni à délaisser les obligations et recommandations religieuses, ni de s’éloigner des vertus et de la sagesse.

Les sûfis sont unanimes ainsi sur les principes fondamentaux de l’Islam en général et du sunnisme originel en particulier : respect scrupuleux du Qur’ân et de la Sunnah purifiée, importance et nécessité de la piété religieuse et de l’acquisition des sciences utiles et bénéfiques, nécessité de l’éducation de l’âme et de la pratique du Dhikr, respect des nobles Sahaba, des Ahl ul Bayt, des croyants en général, et ne pas nuire aux créatures (humaines ou non-humaines, musulmanes ou non-musulmanes) par respect à l’égard du Droit divin dans Ses décrets concernant les droits qu’Il a accordés aux créatures. Il ne peut y avoir de véritable sûfisme (Tasawwuf) en dehors du cadre métaphysique, théologique et juridique qu’ils ont défini, car tout manquement ou transgression impliquera nécessairement des lacunes, des déviances ou des dérives, or l’Islam se définit comme la Voie du juste milieu et de l’équilibre, et englobe tous les aspects de l’existence. Les maîtres spirituels authentiques sont ainsi les héritiers légitimes des Prophètes (selon le célèbre hadith sahîh), et mettent en application de façon intègre et scrupuleuse, tant intérieurement qu’extérieurement, les enseignements du Qur’ân et ceux du Prophète (ﷺ), se fondant ainsi totalement sur la Forme traditionnelle islamique (dans son double aspect exotérique et ésotérique) et dans le Modèle Muhammadien, se conforment ainsi à la Parole divine : « Dis : Si vous aimez vraiment Allâh, suivez-moi, Allâh vous aimera alors et vous pardonnera vos péchés. Allah est Pardonneur et Miséricordieux » (Qur’ân 3, 31) et « En effet, vous avez dans le Messager d’Allâh un excellent modèle [à suivre], pour quiconque espère en Allâh et au Jour dernier et invoque Allah fréquemment » (Qur’ân 33, 21),

Le Sûfi, l’ascète, le savant musulman et le Saint de la génération des Salafs Yahya Ibn Mu’âdh Ar-Râzi (m. 258 H/871) disait : « Que ton attitude envers le croyant consiste en 3 choses : Si tu ne peux lui être utile, ne lui cause pas de tort. Si tu ne peux le rendre heureux, ne le rend pas triste. Si tu ne peux dire du bien de lui, ne dis pas du mal de lui ». (Rapporté par Shaykh Aref Chaker, Shaykh Abdallah Adhami et d’autres : https://seekersguidance.org/articles/general-artices/let-the-believer-have-three-things-from-you-yahya-ibn-muadh-al-razi/).

Il s’agit là de 3 principes généraux qui, s’ils étaient appliqués au quotidien, rendraient le monde meilleur. On ne demande pas grand chose aux gens ; soit de faire le bien (pour les meilleurs d’entre eux), soit de s’abstenir de faire du mal (qui exige en plus des efforts inutiles de leur part), afin d’éviter de rendre le monde malheureux ou de compliquer inutilement la vie des gens ou de provoquer de terribles ravages.

Il est aussi rapporté de lui ceci : « Le renoncement se trouve dans ces 3 éléments : faire preuve de patience quand on est victime du mal, donner la préférence à la pauvreté, et ne jamais rechercher (en tant que désir) les biens matériels de ce bas-monde » (rapporté par Al-Bayhaqî dans Kitâb az-Zuhd n°58).

Il dit aussi : « Pour l’ascète (sûfi), la nourriture est ce qu’il trouve, le logis est l’endroit qu’il atteint, le vêtement est ce qui est décent. Ce bas monde est sa prison, la pauvreté est sa compagne de nuit (variante textuelle : la tombe est sa couche), la retraite est ce qui lui tient lieu de séance. Le Démon est son ennemi, et le Qur’ân son ami. Allâh est toute son aspiration, l’évocation est son acolyte, et le renoncement est son compagnon inséparable. La sagesse est son arme, le silence est son langage, la claire vision (du caractère périssable de ce monde) est sa pensée, le savoir traditionnel est ce qui le mène. La patience est son soutien, le repentir est sa couche. La certitude est son amie, le bon conseil est son besoin constant. Les justes sont ses frères, l’intelligence est son guide, la remise confiante (en Lui) est son moyen d’existence, l’œuvre pie est son occupation, le culte est sa profession. La dévotion est son viatique, la piété est sa monture. La connaissance est son ministre, et l’Assistance divine régit sa personne. La vie est son voyage, et les jours en sont les étapes. Le Paradis est sa dernière demeure, et Allah est son unique appui (permanent et infaillible) ».Rapporté par Al-Bayhaqî dans Kitâb az-Zuhd n°75, par Al-Ghazâlî dans son Ihyâ’4/246 avec une version proche.

Et enfin : « Quiconque n’a pas délaissé ce bas monde de son plein gré, celui-ci l’abandonnera contre son gré, et pour quiconque a vécu constamment dans le bien-être, ce dernier cessera après sa mort ». (Rapporté par Al-Bayhaqî dans Kitâb az-Zuhd n°485 et dans Shû’ab al-Imân n°10793).


Aussi, ceux qui sont privés de la piété, de la lumière de la spiritualité et de la connaissance métaphysique, ne peuvent pas goûter aux merveilles et subtilités intellectuelles et spirituelles qu’Allâh accorde à ceux qui cheminent vers Lui à travers la Voie spirituelle et la piété religieuse, ni déceler facilement les superstitions et manipulations véhiculées par certains auteurs ou courants.


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