Le Prophète (ﷺ), son intercession universelle et son amour particulier pour ceux qui le suivront sans l’avoir côtoyé ici-bas

   Anas Ibn Malik rapporte que le Prophète Muhammad (ﷺ) a dit 8 jours avant sa mort : « Mes frères d’Uhud (les martyrs lors de la bataille d’Uhud) me manquent ! Je veux leur rendre visite ».  Il alla les voir et leur dit : « As-Salâmu ‘alaykum martyrs d’Uhud !  Vous êtes les précurseurs et je suis, incha’Allâh, le suivant ». Sur le chemin du retour, il se mit à pleurer, et ses compagnons lui demandèrent : « Qu’est-ce qui te fait pleurer ya rassul’Allâh ? ». Il répondit : « Mes frères me manquent ! ». On lui dit alors : « Ne sommes-nous pas tes frères ? ». Il dit : « Non ! Vous êtes mes compagnons ! Mes frères sont des gens qui viendront après moi, croiront en moi (et au Message que j’ai transmis) sans même m’avoir vu (ici-bas de mon vivant) ! » » [1].

    L’amour du Prophète (ﷺ) pour toute sa communauté procure la joie du cœur et créé un lien dans le cœur de tous les croyants qui sont ainsi unis avec le Prophète (ﷺ) et dont le souvenir de son message béni et noble doit rythmer nos journées. De même, son intercession le Jour du Jugement profitera à tous les croyants.

   Le Messager d’Allâh (ﷺ) a dit : « Je suis le maître (sayyîd) des fils de Âdam au Jour du Jugement et je ne dis pas cela par vanité. L’étendard de Louange sera dans ma main, et je ne dis pas cela par vanité. Il n’y aura aucun prophète en ce Jour, ni Âdam ni personne d’autre que lui, qui ne seront sous mon étendard. Et je suis le premier pour qui la terre sera ouverte, et je ne le dis pas par vanité »[2].

   Le Messager d’Allâh (ﷺ) a dit : « Je serai prééminent parmi les descendants d’Adam au Jour de la Résurrection et je serai le premier intercesseur et le premier dont l’intercession sera acceptée (par Allâh) »[3].

   D’après Sharh Ibn Hawshab : « Des hommes ont pris la parole et ont insulté ‘Alî. La dernière personne qui a parlé était un homme des Ansars que l’on appelait Unays. Il a dit : « Je jure par Allâh que j’ai entendu le Prophète (ﷺ) dire : « Le jour de la résurrection je vais certes intercéder pour un nombre de gens plus grand que le nombre des pierres et des arbres présents sur Terre ». Puis ‘Unays a dit : « Je n’ai pas vu une personne qui liait plus ses liens de parenté que le Prophète (ﷺ). Ainsi est-ce que les autres personnes que lui peuvent espérer son intercession et il n’intercède pas pour les gens de sa famille ? »[4].

   Al-Qurtûbî dans son Tafsîr parlait également du tawassul et de l’intercession du Prophète (ﷺ) : « Il est rapporté selon Abû Sadiq selon ‘Ali qui a dit : « Un bédouin est venu après que l’on ait enterré le Prophète (ﷺ) depuis 3 jours, il s’est jeté sur la tombe du Messager d’Allâh et jetant la terre du tombeau sur la tête il a dit : « Ô Messager d’Allâh nous avons entendu les paroles et les exhortations qu’Allâh t’a révélées et parmi celles-là il y a : « Si lorsqu’ils ont fait du tort à leurs propres personnes ils venaient à toi en implorant le pardon d’Allâh et si le Messager demandait le pardon pour eux, ils trouveraient, certes Allah Très Accueillant au repentir, Miséricordieux» (Qur’ân 4, 64)  et certes j’ai été injuste envers moi-même et je suis venu à toi pour que tu demandes le pardon ». Un appel a alors retenti de la tombe disant : « Certes il t’a été pardonné » ».

   Allâh a dit en effet : « Si lorsqu’ils ont fait du tort à leurs propres personnes ils venaient à toi en implorant le pardon d’Allâh et si le Messager demandait le pardon pour eux, ils trouveraient, certes Allâh Très Accueillant au repentir, Miséricordieux » (Qur’ân 4, 64).

   Une autre forme que prend cet honneur qu’Allâh réserve à une élite parmi ses Serviteurs est l’acceptation, par Sa Permission, de l’intercession en faveur de tiers : « Qui peut intercéder auprès de Lui sans Sa Permission ? » (Qur’ân 2, 255) ; « Et ils n’intercèdent qu’en faveur de ceux qu’Il a agréés » (Qur’ân 21, 28) ; « L’intercession auprès de Lui ne profite qu’à celui en faveur duquel Il la permet » (Qur’ân 34, 23).

    Son intercession sera d’une portée immense. Abû Saîd Al-Khudrî ‏rapporte que le Messager d’Allâh (ﷺ) a dit : « Quand les gens du Paradis sont entrés au Paradis et que les gens du Feu sont entrés dans le Feu, Allâh dira : « Sortez (du Feu) quiconque possède l’équivalent d’un atome de foi en son cœur ». Ils sortiront alors du Feu. Concernant les gens de l’Enfer qui sont des vrais habitants, ils ne mourront pas et ne vivront pas. Toutefois, pour les gens qui seront châtiés par le feu à cause de leurs péchés, (ou, a-t-il dit : « à cause de leurs fautes »), Allâh les fera mourir ; et quand ils seront devenus charbon et qu’on autorisera qu’on intercède en leur faveur, on les amènera alors par groupes pour les disséminer dans des fleuves du Paradis puis on dira : « Ô habitants du Paradis, arrosez-les. Ils pousseront alors comme la graine pousse dans le limon du torrent »[5].

   Abû Saîd Al-Khudrî ‏rapporte également que le Messager d’Allâh (ﷺ) a dit : « Lorsque Allâh sauvera les croyants de l’Enfer et qu’ils seront en sécurité ; la discussion que l’un de vous entreprend en faveur de son compagnon pour récupérer son droit dans ce bas-monde n’est pas plus vive que celles qui seront engagées par les croyants en faveur des autres croyants entrés en Enfer. Il dit : Ils diront Seigneur, ce sont nos frères, (et il a rapporté le sens du hadith) ; « Seigneur, ils jeûnaient avec nous, priaient et accomplissaient le pèlerinage avec nous ». Il leur sera dit : « Retirez ceux que vous reconnaîtrez et leur corps seront protégés du feu de l’Enfer ». Ils retireront alors beaucoup de gens qui auront déjà disparu dans le feu jusqu’à la moitié des jambes, et d’autres jusqu’aux genoux. Puis les croyants diront : « Il n’y reste plus aucun de ceux que Tu nous as ordonnés de sortir. Ensuite, Allâh dira : « Repartez et celui dans le cœur duquel vous trouverez le poids d’un dinar de bien, retirez-le » ; alors, ils retireront beaucoup de gens, puis, ils (les croyants) diront : « Seigneur, nous n’y avons laissé personne parmi ceux que Tu nous as ordonnés de retirer ». Puis Il dira « Retournez et celui dans le cœur duquel vous trouverez le poids de la moitié d’un dinar de bien, retirez-le ». Ils retireront un grand nombre de gens puis ils diront « Seigneur, nous n’y avons laissé personne parmi ceux que Tu nous as ordonnés de retirer ». Puis Il dira : « Retournez et celui dans le cœur duquel vous trouverez le poids d’un atome de bien, retirez-le ». Ils retireront alors un grand nombre de gens puis ils diront : « Seigneur, nous n’y avons laissé personne parmi ceux que Tu nous as ordonnés de retirer ». Allâh dira alors : « Les Anges ont intercédé, les Prophètes ont intercédé, et les croyants ont intercédé, il ne reste plus que Le Plus Miséricordieux des miséricordieux. Alors, Il prendra une poignée de l’Enfer et en fera sortir des gens n’ayant jamais fait de bien, tout calcinés ; Il les jettera dans un fleuve aux portes Paradis appelé fleuve de la vie ; ils renaîtront alors comme pousse le grain dans le limon du torrent […] »[6].

   Le Shaykh Ibn ‘Arabî a dit : « J’ai assisté dans la ville de Cordoue à une assemblée : Allâh m’a fait voir les plus éminents de Ses Envoyés, depuis Adam jusqu’à notre Prophète – la Paix soit sur lui et sur eux ! Parmi eux, Hûd m’adressa la parole et m’informa de la cause de leur rassemblement : ils s’étaient rassemblés pour intercéder en faveur de Hallâj auprès de notre Prophète Muhammad – sur lui la Paix !

En effet, (Hallâj) avait manqué de politesse en disant, alors qu’il vivait en ce monde, que l’Envoyé n’avait pas eu une aspiration à la hauteur de son rang. On l’interrogea : « Pourquoi dis-tu cela ? » Il répondit : « Parce qu’Allâh le Très-Haut a dit : « Et ton Seigneur te fera don, de sorte que tu seras satisfait » (Qur’ân 93, 5) (1). Or, il lui revenait de ne pas se satisfaire tant qu’Allâh n’aurait pas accepté son intercession pour tout (être) incroyant (kâfir) ou croyant ; au lieu de cela, il s’est borné à demander de pouvoir intercéder pour les grands pêcheurs de ma communauté ».

Quand il eut proféré ces paroles, l’Envoyé d’Allâh lui apparut et lui dit :

– Ô Mansûr (2), est-ce toi qui m’as blâmé à propos de mon intercession ?

– Ô Envoyé d’Allâh, il en fut ainsi.

– N’as-tu pas entendu que mon Seigneur – qu’Il soit glorifié et magnifié – a dit : « lorsque J’aime un serviteur, Je suis son ouie, sa vue, sa langue et sa main » ?

– Bien sûr, ô Envoyé d’Allâh.

– Si je suis moi-même le Bien-Aimé d’Allâh (habîb Allâh), c’est bien Lui qui parle par ma bouche. C’est donc Lui qui intercède et auprès de qui se fait l’intercession. Je suis un néant (‘adam) au sein de Sa Réalité (wujûdi-Hi). Quel blâme y-a-t-il donc contre moi, ô Mansûr ?

– Ô Envoyé d’Allâh, je me repens de cette parole que j’ai dite. Qu’elle sera l’expiation de ma faute ?

– Immole ton âme pour Allâh !

– Comment ferai-je ?

– Tue ton âme au moyen de l’épée de ma Loi (sayf sharî’atî) !

Il en fut de la façon que l’on sait. Hûd – sur lui la Paix ! – dit alors : « Depuis qu’il a quitté ce monde, (Hallâj) demeure voilé à l’égard de l’Envoyé d’Allâh (3). C’est pourquoi la présente assemblée a pour but d’intercéder en sa faveur auprès de lui – qu’Allâh répande sur lui Sa Grâce unitive et sa paix ! – »

Depuis le moment où il a quitté ce monde jusqu’à celui où s’est tenue l’assemblée mentionnée ici, il s’est écoulé plus de 300 ans ».

(1) Ce récit d’Ibn Arabî est inclus dans le commentaire qu’Ismâ’îl Haqqî donne de ce verset. L’allusion à la Station Louangée est indiquée, de manière plus précise encore par le verset précédent : « Et en vérité, la vie future est meilleure pour toi que la première (vie) » (Qur’ân 93, 4).

(2) Son nom est al-Hussayn ibn Mansûr al-Hallâj.

(3) « Cette phrase montre que, en dépit de son expiation, Hallâj n’était toujours pas « rentré en grâce » auprès de l’Envoyé d’Allâh au moment de la « vision de Cordoue ». En effet, il y a lieu d’envisager une seconde faute, consécutive à la première, qui consiste dans le fait que Hallâj a maintenu volontairement une certaine équivoque sur la raison réelle de son supplice, de telle sorte que le désordre engendré par son attitude a pris une dimension cyclique et s’est prolongée jusqu’à nos jours »[7].

   Nous disons que le Prophète Muhammad (ﷺ) a réalisé en lui toutes les vertus, les plus nobles des stations spirituelles et qu’il est le sayyîd et l’intercesseur par excellence dans la double dimension exotérique et ésotérique. Son intercession exotérique concerne tous les membres de sa communauté particulière (les croyants musulmans), tandis que son intercession ésotérique s’adresse à l’ensemble des communautés, et où le feu sera le processus de purification de leurs scléroses, et apportera aussi une forme de Miséricorde et d’apaisement, en vertu de la Parole divine : « Nous t’avons (ô Muhammad) seulement envoyé comme Miséricorde pour les mondes » (Qur’ân 21, 107), « Allâh est le meilleur gardien, et Il est Le plus Miséricordieux des miséricordieux » (Qur’ân 12, 64) et « Ma miséricorde embrasse toute chose » (Qur’ân 7, 156), personne ne peut donc limiter la Miséricorde et le Pardon d’Allâh. Sur le plan exotérique toutefois, la Grâce la plus élevée concerne ceux qui se sont consciemment et sincèrement repentis auprès de Lui et qui L’ont adoré à la lumière du Tawhîd : « Dis : « Ô Mes serviteurs qui avez commis des excès à votre propre détriment, ne désespérez pas de la miséricorde d’Allâh. Car Allâh pardonne tous les péchés. Oui, c’est Lui le Pardonneur, le Très Miséricordieux ». Et revenez repentant à votre Seigneur, et soumettez-vous à Lui, avant que ne vous vienne la correction et vous ne recevez alors aucun secours » (Qur’ân 39, 53-54). De même les Noms d’Allâh ar-Rahmân et ar-Rahîm, où l’un englobe tous les êtres (qui bénéficient ainsi de Sa Rahma) tandis que l’autre ne s’applique qu’à des êtres particuliers, – ici les croyants – comme l’explique l’imâm At-Tabarî dans son Jâmi’ ul Bayân fî Tafsîr il Qur’ân a dit sur la signification du Nom Divin Ar-Rahmân : « Allâh, en tant que « Rahmân », englobe toutes les créatures dans Sa Miséricorde universelle dans ce monde et dans l’Autre », c’est-à-dire que Sa Miséricorde embrasse la totalité des mondes.

   Néanmoins, et conformément à l’enseignement de Ibn ‘Arabî, et évidemment du Qur’ân et de la Tradition prophétique, l’Islam comporte toutes les Grâces et tout le bien, et Sa Loi abroge les dispositions légales antérieures, à l’instar du Soleil et de sa lumière qui prédominent et qui « éclipsent » celles des étoiles. Il n’est donc ainsi pas permis traditionnellement de suivre une autre voie que l’Islam pour celui qui en a été informé (de l’Islam et de ses préceptes authentiques et purs), ni de rejeter une partie du Livre, ni de mépriser ou de rejeter en connaissance de cause l’un des Prophètes ou l’une des Révélations divines antérieures. L’autorité prophétique de Muhammad (ﷺ) fait office de loi et de norme, prévalant ainsi sur celle de ses prédécesseurs, mais l’Islam ne permet cependant pas de contraindre les gens à le suivre consciemment ici-bas, ni n’ordonne qu’ils renoncent à leurs lois spécifiques ou à leur religion ici-bas. La question de l’orthodoxie dépend donc intrinsèquement, ici-bas, du rejet ou non, de la reconnaissance et du suivi (en connaissance de cause) de l’autorité du Prophète Muhammad (ﷺ), tandis que la question du Salut des âmes, dans l’Autre monde, ne dépend in fine, que de la Miséricorde divine et de Son Pardon salvateur.

Allâh dit : « Et le jour où Il les rassemblera tous : « Ô communauté des jinns, vous avez trop abusé des humains ». Et leurs alliés parmi les humains diront : « Ô notre Seigneur, nous avons profité les uns des autres, et nous avons atteint le terme que Tu avais fixé pour nous » Il leur dira : « l’Enfer est votre demeure, pour y rester indéfiniment, sauf si Allâh en décide autrement » Vraiment ton Seigneur est Sage et Omniscient » (Qur’ân 6, 128). Les versets qui suivent précisent qu’il s’agit là de jinns et humains injustes qui connaissaient la vérité manifestée par les prophètes, mais qui avaient décidé de ne pas les suivre.

« Ceux qui sont damnés seront dans le Feu où ils ont des soupirs et des sanglots. Pour y demeurer indéfiniment tant que dureront les cieux et la terre – à moins que ton Seigneur décide autrement – car ton Seigneur fait absolument tout ce qu’Il veut. Et quant aux bienheureux, ils seront au Paradis, pour y demeurer indéfiniment tant que dureront les cieux et la terre – à moins que ton Seigneur n’en décide autrement – c’est là un don qui n’est jamais interrompu » (Qur’ân 11, 106-108).

« Vraiment, la Géhenne (l’Enfer) se tiendra en embuscade, lieu de retour pour les transgresseurs (excessifs), séjournant des âges en elle (ahqâban) » (Qur’ân 78, 21-23).

   En parlant de gens qui avaient divinisé Jésus (‘alayhî salâm) et sa mère Maryam (‘alayhâ salâm), Allâh dit : « « Ô Jésus (Issâ) le fils de Marie (Maryam) ! Est-ce toi qui as dit aux humains : prenez-moi et ma mère comme deux divinités (idoles) en dehors d’Allâh ? ». Il dit : « Immersion insondable en Toi ! Je ne dis pas ce qui ne m’apparait pas être vérité ! Si je l’avais dit, Tu l’aurais su. Tu sais ce qui est en moi (en mon âme) et je ne sais pas ce qui est en Toi. Vraiment, Toi, l’infiniment Connaisseur des mystères !

Je ne leur ai dit que ce que Tu m’as ordonné à ce sujet : « Adorez Allâh, mon Enseigneur et votre Enseigneur !

Or, je me suis trouvé témoin à leur égard tant que j’ai continué à être parmi eux. Alors, quand Tu m’as rappelé, Tu as été leur Vigile. Toi, Témoin sur toute chose !

Si Tu les corriges (châties), ce sont Tes serviteurs. Et si Tu leur pardonnes, Tu es, en vérité, le Tout-Puissant, le Sage ! ».

Voici le Jour où, aux véridiques profite leur véridicité. A eux des Jardins sous lesquels coulent des ruisseaux. Ils y demeurent pour toujours. Allâh est satisfait d’eux et ils sont satisfaits de Lui. Voilà la réussite sans commune mesure ! ». A Allâh la Royauté des cieux et sur la terre, et ce qui est en eux ! Lui, Puissant sur toute chose » (Qur’ân 5, 116-120). C’est ainsi que la Sûrate 5 se clôture. Il est question ici de ceux qui ont commis le shirk (idolâtrie), et de ceux qui ont été véridiques, Allâh affirme que ceux qui ont commis l’idolâtrie alors qu’ils n’avaient pas d’excuse pourront être corrigés comme être pardonnés, car Allâh est Puissant et Maître de et sur toute chose. Quant aux véridiques, Il leur promet le Paradis et Ses « trésors célestes » sans interruption. Il n’est pas non plus question ici, même dans le cadre d’une correction post-mortem, d’un « temps indéfini » dans la correction.

« Ils prétendent : Le feu ne nous touchera qu’un nombre limité de jours. Réponds : Auriez-vous donc passé un pacte avec Allâh ? Or, Allâh ne violera jamais Son pacte ! Ou bien dites-vous d’Allâh ce dont vous n’avez aucune connaissance ? Il n’en est point ainsi, bien au contraire, et celui qui aura commis un mal et que ses fautes cerneront… ceux-là sont les hôtes du Feu et ils y demeureront indéfiniment. Et quant à ceux qui auront cru et œuvré en bien… ceux-là sont les hôtes du Paradis et ils y demeureront indéfiniment » (Qur’ân 2, 80-82).


   Rejeter la Vérité quand elle se manifeste, c’est être privé d’une partie de Ses Bénédictions et de Ses Grâces, et c’est manquer d’adab envers Allâh et Ses Bienfaits envers nous, car la Vérité libère, et elle comporte lumières et grâces sanctifiantes pour l’âme. Concernant l’argumentation d’Ibn Taymiyya, et reprise en partie par son disciple Ibn al-Qayyim[8], il y a l’idée de « fanâ’ an-nâr » qui va dans le sens des ahadîths enseignant  que le Paradis est le lieu de la manifestation de la Miséricorde Divine (comme Don ininterrompu) en lien avec l’essence, et le Feu (lieu de la manifestation de) la Rigueur Divine en lien avec « l’accident », ainsi que le hadîth authentique « Ma Miséricorde dépasse/surpasse/englobe/domine/précède Ma Rigueur » et conforme au verset « Ma miséricorde englobe toute chose » (Qur’ân 7, 156), le verset suivant parle ensuite d’un degré supérieur de la Miséricorde accordé aux croyants, et qui ont la priorité pour en bénéficier. Par ailleurs, l’homme est bon par « essence » (dhâtî) en raison de sa « fitra » (conscience naturelle/innée), alors que le Kufr Akbar (grande mécréance faisant sortir de l’Islam) est « accidentel » (‘âridh). Ibn al Qayyim cite aussi dans Al-Wâbil us-sayyib par ailleurs des ahadiths prophétiques et propos de compagnons comme Abû Hurayra, Abû Miljaz, Ibn Zayd, ‘Umar ibn al-Khattâb (bien que la chaine soit faible), Abdullâh ibn ‘Amr Ibn il-‘As (la chaine est faible aussi).

Ibn al Qayyim dans Hâdi-l-arwâh (p. 528) conclut en disant : « Si on me demande : « Où donc vous arrêtez-vous au sujet de cette question, qui est plus importante que ce monde lui-même ?

Je dirai : « Je m’arrête à ce sujet à (ce que contient) la Parole d’Allâh, Béni et Elevé : « Ton Seigneur est faiseur de ce qu’Il veut ». C’est là que s’est arrêté le Chef des Croyants Alî ibn Abî Tâlib (qu’Allâh l’agrée) : il a parlé de l’admission des Gens du Paradis au Paradis, et des Gens de l’Enfer en Enfer, ainsi que ce que ceux-ci et ceux-là y vivront, puis a dit : « Ensuite Allâh fera ce qu’Il veut ». C’est même plutôt là que toutes les créatures s’arrêtent. Ce que nous avons dit au sujet de cette question, et même au sujet de tout ce que contient (mon) livre (que voici), et qui est correct, cela provient de la faveur d’Allâh, Pur et Elevé, et c’est Lui qui m’en a fait la faveur. Et ce que nous avons dit d’erroné, cela provient de moi et du Shaytan ; Allâh et Son Messager en sont innocents. Et Allâh est auprès de la langue, du coeur et de l’intention de chaque personne qui prononce des paroles. Allâh sait mieux ».

  De même, selon une parole attribuée à l’imâm ‘Alî : « Quand bien même les gens du feu seront pardonnés, n’auraient-ils par raté le privilège de faire le bien ici-bas ? »[9].

   Dans un autre registre, concernant le salut post-mortem, mais qui concerne aussi les gens excusés au niveau de la Loi ici-bas, il y a différents ahadîths, comme ceux-ci : « 4 (catégories) feront l’objet d’un examen au Jour du Jugement : le sourd, l’aliéné, le vieillard sénile et celui décédé durant la Fatra. Le sourd dira : « Seigneur, certes l’Islam est venu, mais je n’entendais absolument rien ». L’aliéné dira : « Seigneur, certes l’Islam est venu, mais les enfants se jouaient de moi en me souillant avec de la fiente ». Le vieillard dira : « Seigneur, certes l’Islam est venu, mais je ne comprenais plus rien ». Celui qui est décédé durant la Fatra dira : « Seigneur, aucun de Tes Messagers n’est venu à moi ». Chacun devra alors jurer qu’il obéira à tout ce qu’il lui sera ordonné. Allâh leur fera alors savoir qu’Il leur ordonne d’entrer en Enfer ! À ceux qui auront obéi, ses flammes seront fraîches et salutaires. Quant à ceux qui s’y seront refusés, ils y seront conduits de force »[10].  Et dans un autre hadîth : « Au Jour du Jugement, Allâh réunira les gens nés dans la Fatra, l’aliéné, le sourd-muet et les vieillards décédés avant l’avènement de l’Islam. Un émissaire leur sera envoyé et leur dira : « Entrez dans le Feu ! ». Ils diront : « Comment pourrait-il en être ainsi alors qu’aucun messager n’est venu à nous ?». Le Prophète Muhammad a dit : « Par Allâh ! S’ils y étaient entrés, ses flammes auraient été fraîches et salutaires ». Un (second) émissaire leur sera envoyé. Il sera alors obéi par ceux d’entre eux (prédestinés) à le faire »[11].

  Ici-bas, tous les non-musulmans (qu’ils soient religieux, spirites ou non-religieux) sont mécréants selon l’islam (car n’adhérant pas à l’Islam et n’abandonnant pas leur adhésion/pratique de leur religion ou idéologie). Si leur statut implique le kufr akbar (mécréance), cela n’implique pas forcément leur damnation perpétuelle/indéfinie dans le Feu post-mortem. Il faut bien distinguer cela, et seul Allâh est Juge concernant leur situation/destination post-mortem. En outre, le fait qu’il existe encore des vérités doctrinales, bonnes valeurs morales et vertus spirituelles (où les sages enracinés dans leur tradition, – tout en se préservant du shirk présent dans certaines conceptions religieuses répandues dans leur communauté -, peuvent atteindre un certain degré de spiritualité), montre aussi que tout le Bien n’a pas encore disparu dans leur religion, bien qu’elle soit défaillante ou déviante sur certains rapports (absence de Langue Sacrée, Textes fondamentaux qui ont été altérés ou radicalement mal interprétés, absence de Loi Divine concernant le droit, absence d’initiation spirituelle, etc.), contrairement à l’Islam qui synthétise et récapitule l’ensemble des lois et enseignements prophétiques antérieurs, tout en abrogeant certaines dispositions juridiques devenues obsolètes en raison des nouvelles conditions cycliques. La position qui affirme que les non-musulmans, du point de vue islamique, auraient le droit de ne pas adhérer à l’islam tout en gardant leur religion/idéologie, est du kufr, puisque le Qur’ân dit qu’il faut suivre Le Message prêché par le Prophète Muhammad, le dernier en date, et dont la raison d’être est de rétablir la pureté et de prévaloir sur ses prédécesseurs, et donc, pour l’Humanité, de le suivre. Cela dit, les personnes qui ne sont pas convaincues par son message, ne doivent pas être converties de force à l’islam (il est interdit, du point de vue qûranique, de forcer les gens à embrasser l’islam contre leur gré) et doivent être laissées en paix. Néanmoins, pour les personnes n’ayant pas connu l’islam dans ce qui est nécessairement connu et dans sa forme « globale et pure », elles seront excusées et éprouvées (du point de vue exotérique) au Jour du Jugement. En effet, les véridiques et sincères parmi les non-musulmans, lorsqu’ils reconnaissent sincèrement la vérité de l’Islam et du Prophète, doivent logiquement et par amour, suivre ce qu’Allâh a décrété et agréé pour Ses serviteurs. Donc qu’ils reconnaissent ou non la véracité de la prophétie de Muhammad, ils se doivent de suivre le Message qu’il a transmis, sinon ils resteront dans une sorte de « kufr subtil », puisque ne suivant pas l’Ordre Divin du point de vue religieux et normatif.

Pour ce qui est attribué à l’Imâm al-Ghazâlî dans son épître Faysal al-tafriqah concernant certains chrétiens vivant éloignés des terres musulmanes et donc n’ayant aucune interaction avec les musulmans, et parvenant à obtenir la paix car n’ayant pas reçu le message correct de l’Islâm, l’Imâm Abû `Abd Allâh al-Sanûsî dans son Sharḥ al-Muqaddimah d’al-Sanûsî a commenté : « Ce que je crois c’est qu’al-Ghazâlî a simplement mentionné dans al-Tafriqah une excuse pour les femmes, les simplets et la vie de ceux dont les terres sont éloignées des terres d’Islâm et de ceux dont l’invitation du Prophète n’a pas du tout atteint, ou bien d’une manière distordue ; tandis que ceux dont les terres sont proches de celles des musulmans ou pour qui l’invitation du Prophète leur a été transmis dans sa forme correcte et sont capables d’accéder à ses connaissances par le biais des musulmans, al-Ghazâlî témoigne de leur mécréance et le fait qu’ils n’aient aucune excuse légitime lors du Jugement de l’au-delà. Al-Ghazâlî est ainsi loin des opinions des innovateurs qui s’opposent au consensus des gens de vérité et Allâh le plus grand, sait mieux ».

   Al-Ghazâlî dit en effet dans son Faysal al-tafriqa bayna al-islâm wa-l-zandaqa (pp.39-41) : « J’affirme donc l’incroyance, c’est taxer de mensonge le Messager (takdibu al-rasul), qu’Allâh le bénisse, au sujet de quelque chose qu’il a révélé (fi shay’in mimma ja’a bihi) ; au contraire, la foi est l’attestation de véridicité au sujet de tout ce qu’il a révélé (al-imân tasdiquhu fi jami’i ma ja’a bihi). Par conséquent, le Juif et le Chrétien sont incroyants parce qu’ils accusent le Messager, qu’Allâh le bénisse, de mensonge (…) L’incroyance est définie par un statut légal (hukm shar`i) comme l’esclavage et la liberté, par exemple ; statut dont la signification est de rendre licite la mise à mort du coupable (ibahatu al-dami) ; elle expose aussi au châtiment du feu indéfiniment. La définition de l’incroyance est donc légale ; soit à l’aide d’un texte juridique, soit par raisonnement analogique à partir d’un texte. Or, des textes juridiques concernant les Juifs et les Chrétiens existent (sur leur mécréance) ». Et dans son Kitâb at-Tawba (4/30) : « (…) il s’agit probablement (yushbihu) des aliénés (majanîn), des jeunes enfants de mécréants/non-musulmans (al-sabyan min al-kuffâr), des invalides (ma`tuhin) et de ceux à qui n’est pas parvenu l’appel à l’Islâm (ad-da`wa) dans les contrées reculées, ayant vécu « simplement » (comme des simplets), incultes, n’ayant ni connaissance (ma`rifa), ni reniement (juhud), ni acte d’obéissance (ta`a), ni acte de désobéissance (jinayya) qui les éloigne. Ils ne sont ni des gens du Paradis, ni des gens de l’Enfer. Au contraire, ils se situent entre le Paradis et l’Enfer, à une station placée entre les 2 stations que la Loi désigne par al-A`raf ».

   Nous terminerons ce point en citant la position de l’Emir ‘Abd al Qadîr, qui était un maître spirituel et un savant exotérique (théologien, muhhadîth, juriste et exégète du Qur’ân) descendant du Prophète Muhammad (ﷺ), dans son Kitâb al-Mawâqif au Mawqîf 205 « Nous t’avons accordé une victoire éclatante » :

« Sache donc qu’en définitive, les pécheurs de cette communauté obtiendront le pardon et la félicité tant convoitée et parviendront au but final. Sans doute nombre d’entre eux auront-ils encore besoin d’une purification et d’un polissage [douloureux] ; mais cela n’enlève rien à la rémission qui leur sera finalement consentie, surtout si l’on considère le sort des membres des autres communautés ayant commis des fautes similaires. Il est possible cependant que cette victoire soit à entendre dans un sens plus large et qu’elle ait une portée universelle ; auquel cas son annonce serait non seulement destinée au Prophète – sur lui la grâce et la paix – mais encore à tous les autres envoyés qui, du premier au dernier d’entre eux, sont tous ses substituts et ses lieutenants. L’Envoyé d’Allâh – sur lui la grâce et la paix – n’a-t-il pas dit en effet : « Je n’ai été envoyé que pour parfaire la noblesse des mœurs », les mœurs désignant en fait les Lois divines. Il est donc venu tout d’abord révéler les Lois antérieures sous la forme de l’entité spirituelle des prophètes, et c’est encore lui qui a achevé [le cycle] de la Révélation en se manifestant sous sa propre forme corporelle – sur lui la grâce et la paix. Abû Nu’aym rapporte ainsi dans sa Hulya que le Prophète « était déjà Prophète alors qu’Adam était entre l’eau et l’argile ».

Quant aux héritiers achevés (al-waratha al-kummal), ils ont part eux aussi à cette victoire éclatante qu’Allâh – exalté soit-Il – a accordée à son Envoyé – sur lui la grâce et la paix. Certains (dont Muhyî al-Dîn al-Hâtimî, ‘Abd al-Karîm al-Jîlî, le pôle ‘Ali Wafâ et d’autres – qu’Allâh accorde à tous Son Agrément) ont parlé de l’universalité de la Miséricorde [divine] et de la félicité éternelle qui finira par englober même ceux qui ont été précipités dans le feu (lequel n’est qu’un support de manifestation de la Science divine). Et qu’on n’aille pas s’imaginer que cette doctrine est exclusivement professée par les « gens du dévoilement » (ahl al-kashf), et que de tels propos viennent contredire le consensus de la communauté [sur la perpétuité du châtiment], car nous allons le voir, [même chez les docteurs de la Loi] il n’y a pas unanimité en la matière.

Sharaf al-Dîn al-Munâwî, rapporte ces propos du traditionniste et shaykh al-Islâm Ibn Taymiyya : « Certaines traditions prophétiques venant de transmetteurs [aussi fiables] qu’Ibn ‘Umar, Ibn Mas’ûd, Abû Sa’îd [al-Khudrî] et bien d’autres encore tendent à indiquer qu’en dernier ressort, toutes les créatures seront sauvées du feu, que celui-ci serait anéanti et avec lui, les tourments qui y sont infligés.

De son côté, ‘Abd ibn Hamîd nous rapporte la tradition suivante par 2 chaînes de transmetteurs tous fiables : « Quand bien même les gens du feu y demeureraient aussi longtemps qu’il y a de grains de sable dans un tas immense, viendra cependant un jour où ils en sortiront ». De nombreux imâms ont fait usage de ce hadîth sans jamais remettre en cause sa validité.

« Par « gens du feu », poursuit Ibn Taymiyya, il faut comprendre ceux qui [en vertu de leur constitution] en sont les habitants « naturels ». Quant à ceux qui n’y séjourneront qu’en raison de leurs péchés, il leur a été assuré qu’ils n’y demeureront pas aussi longtemps qu’il y a de grains de sable dans un tas immense, ni même une durée qui se rapproche de celle-ci ; au reste, l’emploi du mot « gens » [du feu] exclut qu’il puisse s’agit là de croyants [même si ces derniers peuvent y faire un séjour temporaire], ainsi que cela est confirmé par de nombreuses traditions. Cela ne contredit cependant en rien l’affirmation contenue dans des versets tels que : ils y demeureront indéfiniment [ndt : souvent traduit, à tort pensons-nous, par « à jamais » qui est parfois une expression signifiant une très longue durée], ou : on ne les en fera pas sortir (Qur’ân 15, 48) ; ce dont Allâh nous a informés [dans le Qur’ân] est une vérité indiscutable !

Cela signifie simplement que lorsque le feu aura atteint le terme qui lui a été imparti, et qu’il aura été anéanti comme ce monde lui-même, il n’en restera rien, ni par conséquent du châtiment. Il a été rapporté par diverses chaînes de transmission ces paroles d’Ibn ‘Umar : « Viendra un jour où les portes de l’Enfer claqueront [au vent] alors qu’il sera vidé [de ses habitants]. » Cela ne se produira qu’après que les gens y soient demeurés durant des siècles. Ibn Mas’ûd a tenu des propos analogues. ‘Abd Ibn Hamîd rapporte, quant à lui, de transmetteurs fiables : « Des deux demeures [de l’au-delà] la Géhenne est la plus rapidement construite et la plus rapidement détruite… ». Ibn Maradwayhi tient pour sa part de Jâbir cette tradition qu’il fait remonter au Prophète (yarfa’uhu) commentant le verset qurânique Quant aux réprouvés, ils seront dans le feu (Qur’ân 11, 106) : « Si Allâh veut faire sortir des réprouvés du feu et les introduire en Paradis, Il le fera ».

Où est donc le consensus ? Il faut vraiment tout ignorer des clauses de la discussion et de l’argumentation pour s’imaginer qu’il y a à ce sujet un consensus quelconque. Ibn al Qayyim – un des chefs de file de l’école hanbalite, connu pour sa science et sa piété – a par ailleurs mentionné toutes ces traditions, en confirmant la validité de leurs chaînes de transmission et en réfutant les arguments de ceux qui les mettaient en cause.

Et te guide sur une Voie droite : qu’Il te fasse parvenir au but, par une guidance qui conduit à l’Union, au dévoilement, et à une victoire éclatante, afin que tu connaisses le destin de ta communauté et que tu contemples son aboutissement (litt : son lieu de retour) ; afin aussi que tu constates qu’il s’agit bien d’une Voie droite dont le début coïncide avec sa fin : la rectitude (istiqâma) d’une chose n’est-elle pas fonction de ce que l’on attend d’elle ? La régularité (litt : la rectitude) du cercle, par exemple, veut en effet que le premier des points de sa circonférence coïncide avec le dernier. Aussi, un cercle qui décrirait une ligne droite serait-il dépourvu de toute régularité ; de même, si cette Voie suivait une ligne droite, elle se priverait de l’existence en tombant dans le néant. Sa régularité exige donc de ramener [chaque être] à son point de départ, tout comme un cercle fait se rejoindre ses deux extrémités ».

   Et au Mawqif n°76 sur « Qui mérite donc la Correction (divine) » il dit : « Tandis que je me trouvais dans la Mosquée sacrée (Ka’aba), je fus ravi à moi-même et reçus cette inspiration sous forme de question : La foi dans le Paradis et l’Enfer, ainsi que la doctrine en un châtiment sensible sont des éléments fondamentaux de notre religion ; comme tels, ils sont connus de l’ensemble des musulmans, à tel point que quiconque remettrait en cause ces dogmes serait unanimement considéré comme un mécréant. D’autre part, il est établi que l’être humain est composé des éléments suivants :

– une forme [sûrah] corporelle constituée d’os, de chair, de sens externes et internes, de membres tels que les mains, les pieds, les yeux, les oreilles, [une langue] etc.

– une âme animale soumise à des passions inférieures (rûh hayawâniyyah safliyyah). Elle est le siège du désir et ses attributs nous sont communs avec les animaux.

– un esprit saint et supérieur (rûh qudsiyyah ‘ulwiyyah), qui est le siège de la science au sein de cette forme corporelle. C’est à lui que s’adresse le discours divin [al-khitâb] : l’esprit le saisit et doit y donner une réponse.

Laquelle de ces 3 modalités de l’être humain doit subir le châtiment divin ? Les membres corporels et les sens ? Allâh dit pourtant dans le Qur’ân : Le Jour où leurs langues, leurs mains et leurs pieds témoigneront à leur encontre des œuvres qu’ils ont accomplies (Qur’ân 24, 24). Et aussi : Leur ouïe, leur vue et leur peau témoigneront contre eux (Qur’ân 41, 20).

Or, un témoin véridique doit être traité avec égard, et ne pas être victime de l’opprobre : comment donc ces membres pourraient-ils subir le châtiment du feu. On dira alors que c’est l’âme animale, brute et concupiscente qui sera châtiée. Mais comment cela est-il possible ? Dépourvue de perception [intellectuelle], cette âme ignore les ordres d’une Loi qui ne s’adresse pas à elle. Du reste, si cette modalité de l’homme était soumise aux impératifs de la Loi, les bêtes de somme y seraient également soumises. Or, il n’est aucun savant, quelle que soit son orientation au sein de l’Islam, pour soutenir cela : l’âme animale ne peut faire autrement que d’exiger ce qui est conforme à sa nature et elle n’a aucune connaissance de ce qui est au-delà !

Soutiendra-t-on dans ce cas que c’est l’Esprit [de l’homme] saint et supérieur, saisissant le discours divin et qui est tenu de lui répondre qui aura à subir un châtiment. Comment cela serait-il possible, alors qu’Allâh affirme dans le Qur’ân : Et Je lui ai insufflé Mon Esprit (Qur’ân 38, 72). Et aussi : Dis : L’Esprit procède du Commandement de mon Seigneur (Qur’ân 17, 85).

« L’Esprit d’Allâh » et Son Commandement, pourraient-ils réellement être châtiés alors qu’ils sont attribués à Allâh – avec toute la noblesse qu’une telle attribution nous fait assentir ? Répondez-moi donc, vous en serez récompensés, et mettez un terme à notre perplexité !

Je reçus alors pour toute réponse : Une telle question ne saurait être élucidée par écrit. Sa réponse se transmet uniquement de bouche à oreille (litt : de bouche à bouche) et de cœur à cœur (anna jawâbu hazâ as-su’âl lâ yajrî bihi qalam wa innamâ yakûnu min qalbin ilâ qalb wa min famin ilâ fam) ».

   Allâh dit : « Ma miséricorde embrasse (et englobe) toute chose (wa-rahmatî wasiʿat kulla shay’) » (Qur’ân 7, 156) Le Shaykh al-Akbar Ibn ‘Arabî avait rapporté que : « La dernière chose qu’Iblîs déclara à Sahl fut celle-ci : « Allâh a dit : « Ma Miséricorde embrasse toute chose » (Rahmatî wasi’at kulla shay’in : Cor.7.156), ce qui est une affirmation de portée générale. Or il ne t’échappe que je suis une de ces choses, sans le moindre doute. Le mot « tout » implique l’universalité (de cet énoncé) et le mot « chose » représente ce qu’il y a de plus indéterminé. Sa Miséricorde m’embrasse donc » »[12].

   Le Messager d’Allâh ﷺ a dit : « Lorsque Allâh eut terminé l’œuvre de la Création, II écrivit sur son Livre, qui se trouve par-devers Lui, au-dessus du Trône : « Certes, Ma miséricorde l’emporte (englobe, dépasse) sur Ma Rigueur ! »[13].
   Il n’y a donc pas de consensus à ce sujet, et les uns et les autres ont argumenté pour justifier leur point de vue, sans renier les versets du Qur’ân ni les ahadiths authentiques, ce qui exclut de considérer l’autre partie comme étant « mécréante, hérétique ou égarée », et Allâh sait mieux !


[1] Rapporté par l’imam Ahmad dans son Musnad n°12579 et par le Shaykh Shuayb Arna’ut dans sa vérification du Musnad Ahmad.

[2] Rapporté sous plusieurs variantes plus ou moins longues, par Ibn Mâjah dans ses Sunân n°4308 selon Abû Sâ’îd al-Khudrî, sahîh, par At-Tirmidhî dans ses Sunân n°3441 selon Abû Sâ’îd avec une bonne chaine et un récit plus complet et n°3615 avec une partie seulement.

[3] Rapporté par Muslim dans son Sahîh n°2278 selon Abû Hurayra.

[4] Rapporté par Al-Bazzâr dans son Musnad, par Ibn Hajar dans son Mukhtassar Zawâ’îd Al Bazzâr n°1968 avec une chaîne sahîh.

[5] Rapporté avec des variantes, voir par exemple Muslim dans son Sahîh n°184, al-Bukharî dans son Sahîh n°6560.

[6] Rapporté par Muslim dans son Sahîh n°183 et Ahmad dans son Musnad, par Ibn Mâjah qui rapporte toute la première partie dans ses Sunân n°63, sahîh, voir aussi Ibn Mâjah dans ses Sunân n°4312 qui rapporte un autre récit similaire avec une chaîne sahîh selon Anas Ibn Mâlik, ainsi que par et par al-Bukharî dans son Sahîh n°7440 et d’autres.

[7] Rapporté notamment par Ismaïl Haqqi dans Rûh al-Bayân, 10/456, voir aussi Charles-André Gilis dans Les Sept Etendards du Califat, Etudes traditionnelles, 1993, pp.298-299.

[8] Voir qâla bi fanâ’ il-janna wa an-nâr, wa Bayân ul-aqwâl fî dhâlik p. 52, Mukhtassar as-Sawâ’iq il-mursala p. 364, Hâdi-l-arwâh p. 504 et pp.643-646, Shifâ’ ul-‘alîl pp. 646-654 où leur argumentation est évoquée.

[9] Propos rapporté entre autres par l’imâm Al-Haddâd dans an-Nasaih al-Diniyyah wal-Wasaya al-Imaniyyah.

[10] Rapporté par As-Suyûtî dans Masalik al-Hunafa, Ahmad dans son Musnad, Al-Bayhaqî dans Al I’tiqad, Ibn Kathîr dans son Tafsîr 5/58 qui dit que plusieurs ahadiths à ce sujet sont sahîh et bons et que les faibles sont soutenus par les sahîh, par Ishaq ibn Rahwiyah et d’autres, sous l’autorité de Aswad Ibn Sarî’ notamment. Al-Bazzâr dans son Musnad en cite aussi d’après Anas et Abû Sâ’îd, et At-Tabarânî d’après Mû’adh Ibn Jabal.

[11] Rapporté par ‘Abd ar-Razzâq dans son Musannaf, Ibn Jarîr, Ibn Abî Hâtim et Ibn Al Mundhir sous l’autorité Abû Hurayra.

[12] Voir Michel Chodkiewicz, Un Océan sans rivage. Ibn ‘Arabî, le Livre et la Loi, éd. Seuil, 1992, chap.2, pp.63-64.

[13] Rapporté par Muslim dans son Sahîh n°2751, par At-Tirmidhî dans ses Sunân n°3543, par al-Bukharî dans son Sahîh n°7404 et 7422, par An-Nasâ’î dans ses Sunân, par Ibn Mâjah dans ses Sunân n°4295, par Al-Baghawî dans Mishkat al-Masabih n°2364 selon Abû Hurayra.


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