Le bouleversement occidental : entre admiration et catastrophe d’ampleur planétaire

L’Occident moderne, qu’on le veuille ou non, aura bouleversé le monde, choqué les peuples, renversé les valeurs, et marqué les sociétés. Mais ce choc civilisationnel aura provoqué plusieurs attitudes antagonistes ou mitigées. Néanmoins, lorsqu’un peuple se montre passif à l’égard d’une domination étrangère qui n’est pas tournée vers la spiritualité et l’éthique, et qu’il accepte aveuglément le paradigme étranger qu’on souhaite lui imposer, les malheurs ne sont jamais bien loin.

Comme le disait ‘Umar ibn al-Khattâb : « Les musulmans dorment sur la Vérité tandis que leurs opposants sont actifs dans leur égarement ».

Comme l’écrivait aussi Frithjof Schuon : « Toutes les civilisation sont déchues, mais les modes diffèrent : la déchéance orientale est passive; la déchéance occidentale, active. La faute de l’Orient déchu, c’est qu’il ne pense plus; celle de l’Occident (1) déchu, qu’il pense trop, et mal. L’Orient dort sur des vérités; l’Occident vit dans des erreurs.

(1) Par « Occident » nous n’entendons point ici le Christianisme traditionnel, mais le modernisme, « chrétien » ou non; l’« Occident » comprend, par conséquent, aussi les Orientaux — et autres non-Européens — contaminés par la psychose du soi-disant progrès ». (Frithjof Schuon, Perspectives spirituelles et faits humains, éd. Cahiers du Sud, 1953, Chap. 1 : Pensée et civilisation, p.16).

Quant à René Guénon, il disait : « L’Occident donne actuellement des signes manifestes de déséquilibre ; et cela devait arriver fatalement, au terme du développement d’une civilisation purement matérielle, véritable monstruosité dont l’histoire ne nous offre aucun autre exemple. Que certains commencent enfin à s’en apercevoir et à s’en inquiéter, c’est là, peut-être, un indice que le mal n’est pas tout à fait irrémédiable ; mais ce dont il faut bien se persuader, c’est que ce n’est pas en lui-même que l’Occident trouvera jamais les moyens d’y échapper. En effet, un changement radical de toutes les tendances constitutives de l’esprit moderne, une renonciation complète à tous les préjugés qui ont faussé la mentalité occidentale depuis plusieurs siècles, sont pour cela nécessaires, comme conditions préalables d’une restauration de la véritable intellectualité. Celle-ci, dont les Européens de nos jours sont devenus incapables de comprendre la nature et même de concevoir simplement l’existence, où pourront-ils la retrouver, sinon dans les civilisations qui la conservent encore, nous voulons dire dans les civilisations orientales ? Et nous ajouterons que, tant qu’on n’en sera pas arrivé là, aucune entente réelle et profonde ne sera possible entre l’Orient et l’Occident (…). Il ne saurait y avoir d’autre remède au désordre que nous constatons partout autour de nous ; que celui-là déplaise à ceux qui croient encore à la prétendue supériorité de l’Occident moderne, c’est fort possible, mais cela ne peut nous empêcher de voir les choses telles qu’elles sont : ou l’Occident changera dans le sens que nous venons d’indiquer, ou il périra par sa propre faute. Il ne se passe presque pas de jour où nous n’ayons l’occasion de lire quelque déclamation sur la « défense de l’Occident », que personne ne menace ; quand donc tous ces gens comprendront-ils que l’unique danger réel est celui qui vient des Occidentaux eux-mêmes ? Les Orientaux, pour le moment, ont bien assez à faire de se défendre contre l’oppression européenne ; et il est au moins curieux de voir les agresseurs se poser en victimes. Il est vrai que, suivant les circonstances, les mêmes choses sont appréciées de façons fort diverses : ainsi, quand la résistance à une invasion étrangère est le fait d’un peuple occidental, elle s’appelle “patriotisme” et est digne de tous les éloges ; quand elle est le fait d’un peuple oriental, elle s’appelle “fanatisme” et ne mérite plus que la haine ou le mépris. D’ailleurs, n’est-ce pas au nom du “Droit”, de la “Liberté”, de la “Justice” et de la “Civilisation” que les Européens prétendent imposer partout leur domination, et interdire à tout homme de vivre et de penser autrement qu’eux-mêmes ne vivent et ne pensent ? On conviendra que le “moralisme” est vraiment une chose admirable !  Mais laissons cela ; nous ne nous adressons pas à ceux que la vanité occidentale aveugle à un tel point, mais seulement à ceux qui sont capables de comprendre qu’une civilisation peut être constituée par autre chose que des inventions mécaniques et des tractations commerciales. Il en est quelques-uns, du reste, qui se tournent instinctivement vers l’Orient, ou vers ce qu’ils croient être l’Orient, pour y chercher ce qu’ils sentent que l’Occident, dans son état actuel, ne peut leur donner ; mais malheureusement, comme ils ignorent tout du véritable Orient, ils risquent fort de faire fausse route et, en dépit de leurs bonnes intentions, d’aggraver encore le mal dont ils souffrent. C’est pourquoi nous tenons à faire entendre cet avertissement : le remède ne peut être trouvé que dans des idées et des doctrines authentiquement orientales, et à la condition que celles-ci n’aient pas été falsifiées et dénaturées par l’incompréhension d’intermédiaires occidentaux. (…) Et ceci nous amène à une dernière remarque : l’obstacle le plus redoutable, pour beaucoup, c’est la philosophie ; nous voulons dire que ceux qui s’efforcent d’envisager ces doctrines à un point de vue philosophique se condamnent par là même à n’y jamais rien comprendre. Il ne s’agit point d’un vain “jeu d’idées”, non plus que d’un amusement d’érudits ; il s’agit de choses sérieuses, les plus sérieuses qui soient, et nous souhaitons que l’Occident s’en rende compte avant qu’il ne soit trop tard (…) ». (René Guénon, Orient et Occident, Première édition complète, Cahiers de l’Unité, n° 3, juillet-août-septembre, 2016).

Et ailleurs il disait encore : « De tout ce qui précède, il nous semble résulter clairement déjà que les Orientaux ont pleinement raison lorsqu’ils reprochent à la civilisation occidentale moderne de n’être qu’une civilisation toute matérielle : c’est bien dans ce sens qu’elle s’est développée exclusivement, et, à quelque point de vue qu’on la considère, on se trouve toujours en présence des conséquences plus ou moins directes de cette matérialisation. (…) Du reste, en dehors de la question des rapports de l’Orient et de l’Occident, il est facile de constater qu’une des plus notables conséquences du développement industriel est le perfectionnement incessant des engins de guerre et l’augmentation de leur pouvoir destructif dans de formidables proportions. Cela seul devrait suffire à anéantir les rêveries « pacifistes » de certains admirateurs du « progrès » moderne ; mais les rêveurs et les « idéalistes » sont incorrigibles, et leur naïveté semble n’avoir pas de bornes. L’« humanitarisme » qui est si fort à la mode ne mérite assurément pas d’être pris au sérieux ; mais il est étrange qu’on parle tant de la fin des guerres à une époque où elles font plus de ravages qu’elles n’en ont jamais fait, non seulement à cause de la multiplication des moyens de destruction, mais aussi parce que, au lieu de se dérouler entre des armées peu nombreuses et composées uniquement de soldats de métier, elles jettent les uns contre les autres tous les individus indistinctement, y compris les moins qualifiés pour remplir une semblable fonction. C’est là encore un exemple frappant de la confusion moderne, et il est véritablement prodigieux, pour qui veut y réfléchir, qu’on en soit arrivé à considérer comme toute naturelle une « levée en masse » ou une « mobilisation générale », que l’idée d’une « nation armée » ait pu s’imposer à tous les esprits, à de bien rares exceptions près. On peut aussi voir là un effet de la croyance à la seule force du nombre : il est conforme au caractère quantitatif de la civilisation moderne de mettre en mouvement des masses énormes de combattants ; et, en même temps, l’« égalitarisme » y trouve son compte, aussi bien que dans des institutions comme celles de l’« instruction obligatoire » et du « suffrage universel ». Ajoutons encore que ces guerres généralisées n’ont été rendues possibles que par un autre phénomène spécifiquement moderne, qui est la constitution des « nationalités », conséquence de la destruction du régime féodal, d’une part, et, d’autre part, de la rupture simultanée de l’unité supérieure de la « Chrétienté » du moyen âge ; et, sans nous attarder à des considérations qui nous entraîneraient trop loin, notons aussi, comme circonstance aggravante, la méconnaissance d’une autorité spirituelle pouvant seule exercer normalement un arbitrage efficace, parce qu’elle est, par sa nature même, au-dessus de tous les conflits d’ordre politique. La négation de l’autorité spirituelle, c’est encore du matérialisme pratique ; et ceux mêmes qui prétendent reconnaître une telle autorité en principe lui dénient en fait toute influence réelle et tout pouvoir d’intervenir dans le domaine social, exactement de la même façon qu’ils établissent une cloison étanche entre la religion et les préoccupations ordinaires de leur existence ; qu’il s’agisse de la vie publique ou de la vie privée, c’est bien le même état d’esprit qui s’affirme dans les deux cas.

En admettant que le développement matériel ait quelques avantages, d’ailleurs à un point de vue très relatif, on peut, lorsqu’on envisage des conséquences comme celles que nous venons de signaler, se demander si ces avantages ne sont pas dépassés de beaucoup par les inconvénients. Nous ne parlons même pas de tout ce qui a été sacrifié à ce développement exclusif, et qui valait incomparablement plus ; nous ne parlons pas des connaissances supérieures oubliées, de l’intellectualité détruite, de la spiritualité disparue ; nous prenons simplement la civilisation moderne en elle-même, et nous disons que, si l’on mettait en parallèle les avantages et les inconvénients de ce qu’elle a produit, le résultat risquerait fort d’être négatif. Les inventions qui vont en se multipliant actuellement avec une rapidité toujours croissante sont d’autant plus dangereuses qu’elles mettent en jeu des forces dont la véritable nature est entièrement inconnue de ceux mêmes qui les utilisent ; et cette ignorance est la meilleure preuve de la nullité de la science moderne sous le rapport de la valeur explicative, donc en tant que connaissance, même bornée au seul domaine physique ; en même temps, le fait que les applications pratiques ne sont nullement empêchées par là montre que cette science est bien orientée uniquement dans un sens intéressé, que c’est l’industrie qui est le seul but réel de toutes ses recherches. Comme le danger des inventions, même de celles qui ne sont pas expressément destinées à jouer un rôle funeste à l’humanité, et qui n’en causent pas moins tant de catastrophes, sans parler des troubles insoupçonnés qu’elles provoquent dans l’ambiance terrestre, comme ce danger, disons-nous, ne fera sans doute qu’augmenter encore dans des proportions difficiles à déterminer, il est permis de penser, sans trop d’invraisemblance, ainsi que nous l’indiquions déjà précédemment, que c’est peut-être par là que le monde moderne en arrivera à se détruire lui-même, s’il est incapable de s’arrêter dans cette voie pendant qu’il en est encore temps. (…). Mais, si l’on considère l’ensemble de l’humanité au lieu de se borner au monde occidental, la question change d’aspect : la majorité de tout à l’heure ne va-t-elle pas devenir une minorité ? Aussi n’est-ce plus le même argument qu’on fait valoir dans ce cas, et, par une étrange contradiction, c’est au nom de leur « supériorité » que ces « égalitaires » veulent imposer leur civilisation au reste du monde, et qu’ils vont porter le trouble chez des gens qui ne leur demandaient rien ; et, comme cette « supériorité » n’existe qu’au point de vue matériel, il est tout naturel qu’elle s’impose par les moyens les plus brutaux. Qu’on ne s’y méprenne pas d’ailleurs : si le grand public admet de bonne foi ces prétextes de « civilisation », il en est certains pour qui ce n’est qu’une simple hypocrisie « moraliste », un masque de l’esprit de conquête et des intérêts économiques ; mais quelle singulière époque que celle où tant d’hommes se laissent persuader qu’on fait le bonheur d’un peuple en l’asservissant, en lui enlevant ce qu’il a de plus précieux, c’est-à-dire sa propre civilisation, en l’obligeant à adopter des mœurs et des institutions qui sont faites pour une autre race, et en l’astreignant aux travaux les plus pénibles pour lui faire acquérir des choses qui lui sont de la plus parfaite inutilité ! Car c’est ainsi : l’Occident moderne ne peut tolérer que des hommes préfèrent travailler moins et se contenter de peu pour vivre ; comme la quantité seule compte, et comme ce qui ne tombe pas sous les sens est d’ailleurs tenu pour inexistant, il est admis que celui qui ne s’agite pas et qui ne produit pas matériellement ne peut être qu’un « paresseux » ; sans même parler à cet égard des appréciations portées couramment sur les peuples orientaux, il n’y a qu’à voir comment sont jugés les ordres contemplatifs, et cela jusque dans des milieux soi-disant religieux. Dans un tel monde, il n’y a plus aucune place pour l’intelligence ni pour tout ce qui est purement intérieur, car ce sont là des choses qui ne se voient ni ne se touchent, qui ne se comptent ni ne se pèsent ; il n’y a de place que pour l’action extérieure sous toutes ses formes, y compris les plus dépourvues de toute signification. Aussi ne faut-il pas s’étonner que la manie anglo-saxonne du « sport » gagne chaque jour du terrain : l’idéal de ce monde, c’est l’« animal humain » qui a développé au maximum sa force musculaire ; ses héros, ce sont les athlètes, fussent-ils des brutes ; ce sont ceux-là qui suscitent l’enthousiasme populaire, c’est pour leurs exploits que les foules se passionnent ; un monde où l’on voit de telles choses est vraiment tombé bien bas et semble bien près de sa fin (…) ». (René Guénon, La crise du monde moderne, chap. 7 : Une civilisation matérielle, éd. Folio, 1994).

Alors que l’Orient perdait la flamme spirituelle de la Tradition, qui se transformait et dégénérait en simple tradition culturelle, l’Orient fut bouleversé par la colonisation occidentale, – un choc planétaire d’un nouveau genre -, signant la fin d’une ère (traditionnelle, mais décadente) et marquant le début d’une ère qui transformera le monde de façon singulière, – et même anormale – de façon radicale autant que spectaculaire. Le drame étant que ce bouleversement a conduit à l’éradication de nombreuses cultures, de plusieurs peuples, au renversement des clartés et des valeurs, et à soumettre l’Humanité au règne de la technique et des machines dépourvues de conscience et d’humanité. Cela suscita alors 2 attitudes biaisées et extrêmes :

– En voyant la supériorité technique de l’Occident et son impitoyable cruauté face aux nations « faibles », certains ont été séduit par la croyance darwiniste affirmant que seuls les plus forts survivent, et que les faibles doivent être exploités et sacrifiés (le cas échéant) au profit des plus forts. C’est le système capitaliste qui continue de reposer sur cette croyance, mais en la saupoudrant d’illusions pour continuer d’alimenter ce système par des populations dominées, soumises et exploitées, en leur vendant du rêve et en flattant leur ego. Les “faibles” se sont alors mis à imiter les « puissants » pour mieux les contrer, mais ont développé ce faisant leur maladie de l’esprit et leur cruauté (comme on peut le voir dans les rapports de force qui s’engagent en Asie et en Afrique).

– Ceux qui sont bercés d’illusions naïves autour d’une paix utopique, sans jamais se préparer au pire ni à développer une certaine conscience politique et défense militaire pour dissuader les nations ennemies ou impérialistes, qui sont des prédateurs attendant le moment où leurs proies (pays faibles) se montrent vulnérables, pour mieux les attaquer ou les mettre à leur merci. Ayant oublié cette dure réalité, ils ont été pris au dépourvu, et leur société a été détruite, humiliée et renversée. En se laissant bercer d’illusions et ayant cru naïvement aux beaux discours humanistes des puissants, ils ont fini par baisser leur garde jusqu’à ce qu’ils s’aperçoivent que tout cela n’était que ruse et tromperie pour mieux les réduire en esclavage et spolier leurs richesses.

Or, l’Islam s’inscrit en porte-à-faux contre ces 2 attitudes, que notre maître ‘Umar ibn al-Khattâb (‘alayhî salâm) a bien résumé : « La plus grande victoire est celle où le sang a été le moins versé des deux côtés. Notre but n’est pas de pousser les musulmans vers leurs ruines, ni d’écraser avec arrogance les autres. Si nous gagnons par de telles méthodes, les gens n’entreront dans l’islam que pour des motifs inavoués (hypocrites, pour des raisons mondaines), tout en gardant une rancoeur contre nous. Ils ne seront alors jamais honnêtes avec nous. Nous sommes sortis pour prêcher l’islam, pour les délivrer de l’étroitesse (et des illusions) de ce bas-monde et leur apporter en échange, les largesses et bienfaits de ce bas-monde et de l’Au-delà (par la Grâce d’Allâh) ». (Voir notamment par Ibn Qutayba ad-Dînawarî dans al-Imâma wa as-siyâsa, At-Tabarî dans Târikh al-umam wa al-mûluk, As-Suyûtî dans Târikh al-khulafâ’, Abû Yûsuf dans al-Kharâj, Ibn Sâ’d dans at-Tabaqât al-kubrâ, etc., où de nombreux récits sur les Califes bien-guidés sont cités afin de codifier les devoirs et vertus qui incombent aux dirigeants, aux juges, aux savants et aux soldats).

‘Umar avait tenu aussi ce sublime propos : « Nous sommes responsables de ce qu’Allâh a placé sous notre autorité. Nous devons donc en profiter (dans le bien) et en faire bénéficier les gens (qui en ont besoin) ». (Ibid).

   Les compagnons se réjouissaient lorsque des affrontements étaient vite réglés, où le sang avait été peu versé, et où les gens en ressortaient satisfaits et meilleurs (en termes de Vérité, de prospérité, de justice, etc.). Comme l’a indiqué le Prophète (ﷺ) dans un hadîth, il ne faut pas souhaiter la guerre, mais préférer la paix, mais lorsque le combat nous est imposé sans que l’on ait le choix, il faut la mener, mais bien et selon les règles islamiques fixées (ne pas se montrer cruels, injustes, iniques, ne pas toucher les innocents, ne pas polluer ni tuer le bétail par plaisir ou par vengeance, ne pas détruire l’environnement ou les lieux de culte) : « Ô gens ! Ne souhaitez pas la rencontre de l’ennemi ! Demandez plutôt à Allâh la paix (et le salut). Cependant, soyez patients une fois que vous le rencontrez ! Et sachez que le Paradis est sous l’ombre des sabres. Ô Allâh ! Toi qui as fait descendre le Livre et qui fais courir les nuages, vaincs-les et accorde-nous la victoire contre eux ! » » (Rapporté par al-Bukharî dans son Sahîh n°3025).

Même quand le combat leur était imposé, Ils privilégiaient la paix ou l’ardeur au combat accompagnée de justice et de bienveillance, c’est-à-dire celle où le sang était préservé le plus possible pour éviter le prolongement de la guerre, des meurtres d’innocents, des combats, etc.

‘Umar ibn al-Khattâb exigeait aussi chez le gouverneur la bonté et la compassion, et démettait de leurs fonctions ceux qui ne possédaient pas ces qualités. Ainsi il ordonna qu’on rédige un ordre de mission à un homme qu’il voulait nommer. Tandis que le scribe écrivait, un enfant vint s’asseoir sur les genoux de ‘Umar qui le câlina. L’homme dit : « Commandeur des croyants, j’ai 10 enfants comme lui et aucun ne s’est ainsi approché de moi ». ‘Umar répondit : « Quelle est ma faute si Allâh a ôté la compassion de ton coeur ? Allâh n’accorde Sa Miséricorde qu’à ceux de Ses serviteurs qui montrent de la compassion ». Puis il poursuivit : « Déchire la lettre ; car s’il n’a pas de compassion pour ses enfants, comment en aurait-il pour le peuple ? ». (Cité par Ibn Al-Jawzî dans Târikh ‘Umar, pp.104-105 ; par Farûk Majadalawî dans al-Idâra al-islâmiyya fî ‘ahd ‘Umar ibn al-Khattâb, pp.212-213 ; par le Dr. Ragheb El Serjanî dans L’apport des musulmans à la civilisation humaine, éd. Bayane, 2014, tome 2, p.20).

‘Umar ibn al-Khattâb disait aussi ceci : « Le gouverneur ne peut être bon que s’il possède 4 qualités, et s’il lui en manque une il ne peut assumer sa charge : la force nécessaire pour collecter l’argent là où il est dû, l’aptitude à en disposer comme il se doit, une rigueur et une force exemptes de tyrannie, et une douceur et une bienveillance exemptes de faiblesse » (cité par le Dr. Ragheb El Serjany dans L’apport des musulmans à la civilisation humaine, éd. Bayane, 2014, tome 2, pp. 19-20 ; par At-Tartûshî dans Sirâj al-mulûk, p.50 et par d’autres).


Ainsi que : « Il doit être assez ferme pour effrayer l’oppresseur et assez bon pour que les faibles recherchent son aide. Il doit être triste de voir son peuple désuni et être pris pour cibles par d’autres. S’il semble cruel en apparence, c’est seulement pour dissuader et arranger les choses. Un leader ferme peut traiter un homme bienveillant avec dureté, une punition (juste et proportionnée) peut conduire à une amélioration, des représailles peuvent faire cesser les injustices, et la mort (affligée à des criminels) peut donner (sauver) la vie à de nombreuses personnes innocentes qui la « méritent », telles sont certaines attitudes qu’un chef doit avoir ». (Voir les différents ouvrages biographiques déjà cités, propos repris aussi dans la série Omar dans l’épisode 5, série produite et diffusée par MBC 1 et réalisée par Hatem Ali en 2012, qui se base sur les récits historiques et chroniques fiables de l’époque).

Comme ‘Umar le rappelait également : « Nous étions le plus égaré, faible (et méprisé) des peuples, et Allâh nous a donné la force (et l’élévation) grâce à l’Islam. Mais si nous recherchons la force par d’autres voies que celle par laquelle Allâh nous l’a conférée, Allâh nous rabaissera » (Rapporté notamment par Al-Hâkim dans Al-Mustadrak 1/130). Alors que la plupart des pays musulmans furent pillés, humiliés, dominés et massacrés lorsqu’ils délaissèrent les vertus et principes de l’Islam, pour suivre leurs passions ou les idéologies occidentales, ceux qui reviennent sur le devant de la scène, et ce en dépit de leurs imperfections et problèmes éventuels, sont les pays qui renouent avec leur identité islamique dans leur vision des choses, au niveau des valeurs et de leur attachement civilisationnel à l’Islam malgré l’emprise, – encore très forte – du modernisme. Des pays comme la Turquie, l’Iran, le Pakistan, la Malaisie, l’Indonésie, le Qatar et le Sultanat d’Oman retrouvent leur indépendance petit à petit sur tous les plans, sont actifs dans la recherche scientifique, préservent leur identité islamique, développent et produisent leur propre arsenal militaire et technologique, fabriquent leurs propres équipements et produits électroménagers et moyens de transport, jouissent de très grands intellectuels, osent critiquer les puissances injustes et iniques tout en leur tenant tête, élaborent leur propre agenda politique malgré les alliances fragiles et les pressions très fortes exercées par les superpuissances actuelles, etc.

L’écrivain, historien, psychologue, sociologue et médecin français Gustave Le Bon, disait à propos de la civilisation musulmane dans son ouvrage La civilisation des Arabes (p.8) : « A mesure qu’on pénètre dans l’étude de cette civilisation, on voit les faits nouveaux surgir et les horizons s’étendre. On constate bientôt que le Moyen âge ne connut l’Antiquité classique que par les Arabes ; que pendant 500 ans, les universités de l’Occident vécurent exclusivement de leurs livres, et qu’au triple point de vue matériel, intellectuel et moral, ce sont eux qui ont civilisé l’Europe. Quand on étudie leurs travaux scientifiques et leurs découvertes, on voit qu’aucun peuple n’en produisit d’aussi grands dans un temps aussi court ». Mais plutôt « qu’arabes » il faudrait parler des musulmans (arabes, persans, turcs, kurdes, berbères, africains ayant aussi maîtrisé la langue arabe), et si la transmission de la philosophie grecque est passée essentiellement par la civilisation musulmane, comme l’atteste le mouvement massif et continu de traduction de l’arabe et du persan vers le latin jusqu’aux 14e et 15e siècles principalement, – après la tendance commence à s’inverser progressivement -, il y a aussi quelques petits centres de savoir en Europe, mais rien de comparable avec le monde musulman, qui comptait bien plus d’universités (et de grande envergure) et de bibliothèques (avec des millions de manuscrits, contre quelques milliers de manuscrits au même moment  en Europe dans les plus grandes bibliothèques).

La parole du Calife ‘Umar ibn al-Khattâb est d’une grande perspicacité, et n’est, plus que jamais, d’actualité : « Soyez forts sans être injustes, et soyez bienveillants (et doux) sans être faibles ».

En effet, la force est nécessaire mais ne doit pas être mise au service de l’injustice ou du mensonge sous peine de tomber dans la tyrannie et l’égarement, et la bienveillance ne doit pas se transformer en faiblesse, car les criminels ou les gens avides exploiteront cette faiblesse pour exploiter leur semblable et leur causer inutilement du tort pour leurs intérêts individuels.

Et lorsque ‘Umar devint Calife il disait : « Auparavant j’étais sévère, mais je suis devenu responsable de vos affaires, ô gens. Sachez donc que cette sévérité s’est affaiblit, sauf avec les injustes et les criminels agressifs. Quant aux gens de la paix et de la religion, je suis plus doux envers eux qu’ils ne le sont envers eux-mêmes ».
(Voir notamment par Ibn Qutayba ad-Dînawarî dans al-Imâma wa as-siyâsa, At-Tabarî dans Târikh al-umam wa al-mûluk, As-Suyûtî dans Târikh al-khulafâ’, Abû Yûsuf dans al-Kharâj, Ibn Sâ’d dans at-Tabaqât al-kubrâ, etc., où de nombreux récits sur les Califes bien-guidés sont cités afin de codifier les devoirs et vertus qui incombent aux dirigeants, aux juges, aux savants et aux soldats).

‘Umar, en tant que calife, sortait le jour et la nuit pour s’assurer que les citoyens allaient bien et ne manquaient de rien. Il leur apportait à manger, les aidait dans leurs affaires, était au service des personnes faibles, âgées ou malades, et priait la nuit. Un jour, ‘Umar reçut en cadeau (venant d’Azerbaïdjan) une nourriture précieuse. L’émissaire qui transportait le cadeau entra dans la ville la nuit et ne voulut pas réveiller l’émir des croyants ‘Umar. Il se dirigea alors vers la mosquée du Prophète (à Médine) et vit un homme qui pleurait dans sa prière et sollicita Allâh en ces termes : « Ô mon Seigneur, as-Tu accepté mon repentir pour que je me félicite, ou bien l’as-Tu rejeté pour que je me fasse des condoléances ? ». L’émissaire s’approcha de lui et demanda : « Qui es-tu, qu’Allâh te pardonne ? ». L’homme (‘Umar) lui répondit : « Je suis ‘Umar (ibn al-Khattâb) ». L’émissaire dit : « Gloire à Allâh, tu ne dors pas la nuit ? ». ‘Umar lui répondit : « Si je dors la nuit, je perdrai mon âme devant mon Seigneur (car dans le silence et le repos de la nuit, je me retrouve seul avec Lui), et si je dors dans la journée, je perdrai (la confiance et le soutien de) mes sujets (citoyens) ». (Ibid.).

Il accordait aussi des moments pour que les citoyens lui fassent des demandes ou se plaignent des soucis qui les tracassaient, ou des injustices dont ils étaient victimes, afin que le calife ‘Umar les soulage et les aide. Un jour, un homme vint et critiqua injustement ‘Umar devant l’assemblée et lui disait : « Crains Allâh », alors un membre de l’assistance voulut se jeter sur cet homme mais ‘Umar l’en empêcha et dit : « Laisse-le (tranquille). Il n’y a aucun bien en eux s’ils ne nous le disent pas (leurs plaintes, critiques et difficultés), et il n’y a aucun bien en nous si nous ne l’acceptons pas » (Rapporté par Abû Yûsuf dans al-Kharâj, p.12).

Même envers ses soldats, sa compassion et son empathie étaient perceptibles. Lors d’une expédition (contre-offensive) il dit dans une lettre adressée à An-Nu’mân Ibn Muqarrin : « (…) Quand tu recevras cette lettre, avance selon l’Ordre d’Allâh et avec l’Aide d’Allâh et le Secours d’Allâh grâce aux musulmans qui t’accompagnent. Ne les fais pas passer par des lieux difficiles (sans nécessité) ce qui les ferait souffrir (inutilement), ne les prive pas de leurs droits ce qui les pousserait à te renier (et à te désobéir par rancœur et manque de confiance), et ne leur fais pas traverser (sans nécessité) de marais (si cela met leur vie en péril) : la vie d’un seul musulman m’est plus chère que 100 000 dinars (énorme quantité d’argent pour l’époque). Que la Paix divine soit sur toi ! ». (Rapporté notamment par At-Tabarî dans son Târîkh 2/365).

Revenir aux principes islamiques universels, intérioriser et extérioriser ses nobles valeurs, et assumer intelligemment et avec authenticité notre identité islamique, tout en avançant dans notre propre agenda (politique, scientifique, spirituel, social, humanitaire, etc.) constituent la solution pour diminuer l’emprise des idéologies mortifères qui empoisonnent et détruisent le monde.


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