La Vérité ne m’a laissé aucun ami

On rapporte de plusieurs Compagnons et paroles de grands imâms cette sagesse maintes fois vérifiée : « (Je continuerai à ordonner le bien et à interdire le blâmable, jusqu’à ce que) dire la Vérité ne me laisse que très peu d’amis » (1).

La Vérité relève de la justice, et quiconque aspire à la justice se doit d’être nuancé, de ne pas être injuste dans ses jugements et dans la façon d’exposer une situation ou un conflit entre différents partis : « Ô les croyants ! Soyez stricts (dans vos devoirs) envers Allâh et soyez des témoins équitables. Et que la haine pour un peuple ne vous incite pas à être injustes. Pratiquez l’équité : cela est plus proche de la piété. Et prenez garde à Allâh. Car Allâh est certes Parfaitement Connaisseur de ce que vous faites » (Qur’ân 5, 8), « (…) n’exagérez pas dans votre religion, et ne dites d’Allâh que la vérité » (Qur’ân 4, 171), « Ô vous qui croyez ! Craignez Allâh et soyez avec les véridiques » (Qur’ân 9, 119 ), « Ô les croyants ! Observez strictement la justice et soyez des témoins véridiques comme Allâh l’ordonne, fût-ce contre vous-mêmes, contre vos père et mère ou proches parents. Qu’il s’agisse d’un riche ou d’un besogneux, Allâh a priorité sur eux deux (et Il est plus connaisseur de leur intérêt que vous). Ne suivez donc pas les mauvaises inclinaisons, afin de ne pas dévier de la justice. Si vous portez un faux témoignage ou si vous le refusez, [sachez qu’] Allâh est Parfaitement Connaisseur de ce que vous faites » (Qur’ân 4, 135) et ce jusqu’à ce que « L’inévitable [l’Heure qui montre la vérité] » (Qur’ân 69, 1) survienne.

Souvent les propos de ce genre expriment des hyperboles afin de marquer les esprits, mais le sens voulu n’est pas absolu, car évidemment, les véridiques et les vertueux s’aiment en Allâh, et manifestent la plus belle des amitiés ainsi qu’un amour fraternel véritable. Il s’agit donc d’une réalité mais dont le propos ne se veut pas absolu (tout au plus général, mais admettant des exceptions).

En effet, rares sont les personnes – y compris celles que l’on considère comme étant des ami(e)s – qui préservent leur amitié en dépit de profonds désaccords (idéologiques, politiques, théologiques ou autres). Si la fréquentation des gens humbles, pieux, bienfaisants et tournés vers l’Agrément divin est une recommandation prophétique, – dont les bienfaits sont clairement visibles -, les désaccords divers qui peuvent subsister ne doivent pas nous faire oublier notre devoir de fraternité, ainsi que le principe de dénoncer le blâmable et d’encourager le convenable. C’est même une preuve d’amour fraternel que de ne pas laisser les personnes que l’on apprécie réellement s’enfoncer dans le blâmable, l’erreur, l’égarement ou toute autre chose pouvant leur porter un quelconque préjudice. Mais les personnes dominées par leur ego, à la moindre contradiction, vont jeter tout cela aux oubliettes, et manifester beaucoup de dureté, voire même tomber dans les travers les plus sombres de leur nafs : médisance, calomnie, jalousie, rancune ou malfaisance extrême.

De même, il est rapporté de notre maître ‘Alî cette maxime pleine de vérité : « En vérité, la vérité et le mensonge ne sont pas reconnus à la mesure des êtres humains. Connaissez plutôt la vérité et vous reconnaîtrez son peuple (les gens de la Vérité). Connaissez le mensonge et vous reconnaîtrez celui qui l’apporte ».
(Al-Balâdhurî dans Ansāb al-Ashrāf p. 358).

L’Imâm ‘Alî rapporte aussi ce hadith du Messager d’Allâh (ﷺ) qui a dit : « Puisse Allâh faire miséricorde à Abû Bakr, il m’a marié à sa fille, et il m’a emmené à la terre de l’émigration, et il a libéré Bilâl avec sa richesse. Qu’Allâh fasse miséricorde à ‘Umar, il dit la vérité même si elle est aigre et désagréable (pour celui qui doit se réformer). La vérité l’a laissé sans ami. Qu’Allâh fasse miséricorde à ‘Uthmân, les anges sont pudiques en sa présence. Qu’Allâh fasse miséricorde à ‘Alî. Ô Allâh ! La vérité est avec lui partout où il se dirige » (rapporté par At-Tirmidhî dans ses Sunân n°3714).

Bénis soient ceux qui préfèrent la Vérité et la compagnie du Très-Haut, et la justice envers Ses créatures, que de suivre les mauvais penchants de leur nafs ou les caprices des insouciants.

Et comme cela est attribué au Christ, Jésus (Issâ) – que la Paix divine soit sur lui – : « vous connaîtrez la vérité, et la vérité vous affranchira et vous libérera » (Jean 8, 32).

(1) Comme nos maîtres ‘Umar ibn al-Khattâb, ‘Alî Ibn Abû Tâlib et Abû Dharr al-Ghiffarî parmi les Sahaba, et comme les célèbres ‘Uways Ibn ‘Amir al-Qarnî et Sufyân at-Thawrî parmi les Successeurs des Compagnons, pour ne citer qu’eux. Cela est mentionné aussi bien dans les sources sunnites que shiites (comme Al i’tisam 39/1 de l’imâm As-Shatibî, Kitâb aṭ-Tabaqât al-Kabîr de Ibn Sâ’d, Ansāb al-Ashrāf de Al-Balâdhurî et d’autres en milieu sunnite et al-Durr al-Manthûr 5/358 et Bihâr al-Anwar 31/180 de Al-Majlissi en milieu shiite). Concernant la parole de ‘Uways Ibn ‘Amir al-Qarnî, rapportée notamment par As-Shatibî : « Le fait d’ordonner le bien et d’interdire le blâmable ne laisse au croyant aucun ami : on leur ordonne le bien et ils nous insultent, ils trouvent de l’aide parmi les débauchés.
Et par Allâh !
Jusqu’à ce qu’ils arrivent à m’accuser de choses très graves !
Par Allâh !
Je n’arrêterais pas de leur tenir tête, pour leur montrer la vérité d’Allâh ! »
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