Avec l’avènement du monde moderne, le paradigme mécaniciste et matérialiste a privé le cosmos et le monde du vivant de leur essence qualitative et « vitaliste », éradiquant ainsi, dans la « conscience » de l’Homme « moderne », la considération éthique et spirituelle qui prévalait jusqu’à lors. L’approche littéraliste des Textes, en milieu religieux, a eu pour effet d’alimenter, même indirectement, cette approche consumériste de la vie et des animaux, car en perdant de vue la signification spirituelle des rites et du sacrifice, et la raison d’être de l’abattage rituel et traditionnel, nombreux de religieux les exécutent par héritage culturel, mais sans trop savoir pourquoi. René Guénon ne disait-il pas concernant la « Réforme de la Mentalité moderne », ceci : « Il ne faut pas se le dissimuler, ceux-là mêmes qui se croient être sincèrement religieux, n’ont pour la plupart, de la religion qu’une idée fort amoindrie ; elle n’a guère d’influence effective sur leur pensée ni sur leur façon d’agir ; elle est comme séparée de tout le reste de leur existence. Pratiquement, croyants et incroyants, se comportent à peu près de la même façon, et, ce qui est plus grave, pensent de la même façon. D’autre part, pour le plus grand nombre, la religion n’est qu’affaire de sentiment, sans aucune portée intellectuelle ; on confond la religion avec une vague religiosité, on la réduit à une morale ; on diminue le plus possible la place de la doctrine, qui est pourtant tout l’essentiel, ce dont tout le reste ne doit être logiquement qu’une conséquence. Sous ce rapport, le protestantisme, qui aboutit à n’être plus qu’un « moralisme » pur et simple, est très représentatif des tendances de l’esprit moderne ; mais on aurait grand tort de croire que le catholicisme lui-même n’est pas affecté par ces mêmes tendances, non dans son principe, certes, mais dans la façon dont il est présenté d’ordinaire : sous prétexte de le rendre acceptable à la mentalité actuelle, on fait les concessions les plus fâcheuses, et on encourage ainsi ce qu’il faudrait au contraire combattre énergiquement. N’insistons pas sur l’aveuglement de ceux qui, sous prétexte de « tolérance », se font les complices inconscients de véritables contrefaçons de la religion, dont ils sont loin de soupçonner l’intention cachée. Signalons seulement en passant, à ce propos, l’abus déplorable qui est fait trop fréquemment du mot même de « religion » : n’emploie-ton pas à tout instant des expressions comme celles de « religion de la patrie », de « religion de la science », de « religion du devoir » ? Ce ne sont pas là de simples négligences de langage, ce sont des symptômes de la confusion qui est partout dans le monde moderne, car le langage ne fait en somme que représenter fidèlement l’état des esprits ; et de telles expressions sont incompatibles avec le vrai sens religieux. Mais venons-en à ce qu’il y a de plus essentiel : nous voulons parler de l’affaiblissement de l’enseignement doctrinal, presque entièrement remplacé par de vagues considérations morales et sentimentales, qui plaisent peut-être davantage à certains, mais qui, en même temps, ne peuvent que rebuter et éloigner ceux qui ont des aspirations d’ordre intellectuel, et, malgré tout, il en est encore à notre époque. Ce qui le prouve, c’est que certains, plus nombreux même qu’on ne pourrait le croire, déplorent ce défaut de doctrine ; et nous voyons un signe favorable, en dépit des apparences, dans le fait qu’on paraît, de divers côtés, s’en rendre compte davantage aujourd’hui qu’il y a quelques années. On a certainement tort de prétendre, comme nous l’avons souvent entendu, que personne ne comprendrait un exposé de pure doctrine ; d’abord, pourquoi vouloir toujours se tenir au niveau le plus bas, sous prétexte que c’est celui du plus grand nombre, comme s’il fallait considérer la quantité plutôt que la qualité ? N’est-ce pas là une conséquence de cet esprit démocratique qui est un des aspects caractéristiques de la mentalité moderne ? Et, d’autre part, croit-on que tant de gens seraient réellement incapables de comprendre, si on les avait habitués à un enseignement doctrinal ? Ne faut-il pas penser même que ceux qui ne comprendraient pas tout en retireraient cependant un certain bénéfice peut-être plus grand qu’on ne le suppose ? »[1]. Et ce qui est dit ici vaut pour toutes les communautés « religieuses », y compris les musulmans, bien que les plus grands maîtres spirituels de l’Islam de notre temps soient préservés de ces maux « modernes ».
Est-ce que cette désacralisation et le rejet des principes métaphysiques ont rendu le monde meilleur ? Au fond, les concessions qui ont été concédées sur l’orientation spirituelle et sociétale des sociétés modernes n’ont conduit qu’à l’accélération de la déchéance à l’échelle mondiale, et à de plus grandes catastrophes encore, car l’indifférence au Sacré qui fonde de façon transcendante, la dignité des êtres, ne peut que conduire à la dégénérescence de tout un monde. N’est-ce pas le penseur, philosophe et écrivain colombien, – possédant un véritable savoir encyclopédique – Nicolás Gómez Dávila (1913 – 1994) – qui était très lucide au sujet du monde moderne – qui disait : « N’espérons aucun salut économique tant que les critères des décisions économiques seront économiques »[2].
Le littéralisme, qu’il soit « rationaliste » ou non, alimente la vision, même malgré lui, du consumérisme et du matérialisme, sachant qu’ils demeurent privés de la dimension spirituelle, à même de dissiper, par le haut, toutes sortes de frustrations ou d’errances de « l’âme ». Ainsi, le littéralisme et le sécularisme vont de pair, et forment ensemble un cercle vicieux où les gens ont du mal à sortir de cette spirale infernale. Mais sous prétexte que certains oublient les significations spirituelles des rites et de la Tradition, il faudrait alors, certains des réformistes, les désacraliser ou les abandonner, ce qui ne pourrait en fin de compte qu’accentuer le problème et renforcer l’ignorance des gens à ce sujet, alors qu’il faudrait plutôt les redécouvrir, et dont les maîtres spirituels ont toujours perpétué et renouvelé le souvenir et la signification, ce que la dimension spirituelle a préservé tout au long des générations et des siècles, confirmant ainsi ce hadith prophétique dans sa portée spirituelle : « (…) Le mérite du savant par rapport à l’adorateur est comme le mérite de la lune la nuit où elle est pleine par rapport aux autres étoiles. Et certes les savants sont les héritiers des prophètes, et les prophètes n’ont pas laissé comme héritage des dinars ou des dirhams mais ils ont laissé comme héritage la science, celui qui la prend aura certes pris la part complète »[3].
Le scientifique et métaphysicien Seyyed Hossein Nasr rappelait cela dans l’un de ses ouvrages : « Ce qui caractérise de la manière la plus évidente la vie des peuples pratiquant une religion primordiale est qu’ils voient le corps humain comme une réplique en miniature du -cosmos- donc en communion directe et permanente avec le monde naturel et détenteur d’une sagesse qui lui est propre, indépendante de l’intelligence rationnelle. Les peintures corporelles que l’on peut observer chez les Maoris, les aborigènes d’Australie, les Africains, les amérindiens et d’autres sont directement liées à leur conscience du sens cosmique dont le corps est porteur. On ne doit pas oublier que l’ornementation au sens originel signifiait un embellissement assorti de qualités cosmiques et divines (se référer à Ananda Coomaraswamy pour plus de précision, dans son ouvrage “Ornament”, édition Roger Lypsey), et que le mot cosmétique, réduit de nos jours à un sens si frivole, dérive étymologiquement du grec “kosmeticos”, “orner”, lequel appartient à la même famille que “cosmos”; l’ornementation consiste donc à se revêtir soi-même de qualités cosmiques, à devenir, en quelque sorte, “conforme à l’ordre cosmique”.
Les peuples dits “primitifs” n’ont pas seulement une notion de corps différente de celles des hommes modernes, ils ne “vivent” pas non plus dans leur corps comme les membres d’une civilisation excessivement cérébrale, telle que l’Occident moderne. Si les peuples primitifs n’ont pas produit de personnalités[4] telles que Plotin, Shankara ou Dante, ils n’en ont pas moins créé des danses sacrées qui révèlent les mêmes vérités métaphysiques avec une profondeur en tous points comparable ; il s’agit simplement d’une expression corporelle plutôt qu’intellectuelle. Il suffit d’écouter un tam-tam africain traditionnel et de voir le balancement des corps à son rythme dans les forêts du Sénégal ou du Nigeria, ou encore d’assister à une danse Peau-Rouge pour saisir, de façon spontanée, ce que veut dire vivre selon une sagesse incarnée dans le corps plutôt qu’inscrite dans l’esprit »[5].
Dans le même ouvrage, il écrit aussi que : « L’homme a été créé pour rechercher l’Absolu et l’Infini. Même quand le Principe Divin, qui est à la fois absolu et infini, est nié, ce désir et cette recherche persistent à l’intérieur de l’âme. Il en résulte que, d’une part, l’homme s’absolutise lui-même ou absolutise sa connaissance du monde sous la forme de la science ; d’autre part, il recherche l’infini dans le monde naturel qui est, par définition, fini. Plutôt que de contempler l’infini dans les miroirs sans fin du monde de la Création qui reflètent les Qualités et Attributs Divins, l’homme se tourne vers le monde matériel pour apaiser sa soif d’infini. Jamais satisfait de ce qu’il obtient sur le plan matériel, il détourne son énergie sans limites vers le monde naturel, ce qui a pour conséquence de convertir l’ordre naturel en un chaos et une laideur que nous pouvons observer si tristement aujourd’hui dans de si grandes parties du globe qui portent l’empreinte de l’avidité de l’homme moderne. La créativité spirituelle est remplacée par le génie de l’invention, qui laisse sur l’environnement les traces de son éternel bricolage avec la nature, et par la production de gadgets qui produisent des déchets et un gaspillage toujours en augmentation, ainsi que la création croissante de terrains vagues qui atteignent le seuil de tolérance de la nature »[6].
Alija Izetbegovic avait totalement raison quand il disait que : « L’homme des bois qui, il y a quinze mille ans, se complaisait à regarder des fleurs ou des profils d’animaux, et les peignait ensuite sur les parois de ses grottes, était en ce sens plus proche de l’homme authentique (plus loin de l’animal) que de l’épicurien contemporain, qui vit pour satisfaire ses besoins physiques et qui rêve tous les jours de nouveautés, ou de l’habitant moyen d’une grande ville d’aujourd’hui qui vit isolé dans ses monstres de béton, privé de sensations et de sentiments esthétiques »[7], et un peu plus loin : « Pourquoi l’homme primitif partout et toujours a-t-il réagi à sa rencontre avec le monde par la religion ? Pourquoi est-ce partout à travers elle qu’il a exprimé sa peur, sa mesquinerie, son désenchantement ? Pourquoi a-t-il recherché un salut et un salut de quoi ? Ce côté humain dont nous parlons, cette tension entre le bien et le mal, le sentiment d’exil, l’éternel dilemme entre l’intérêt et la conscience, le bien et le mal, le sens et l’absurdité de l’existence, l’impératif moral par lequel l’homme est incurablement infecté, restent sans explication rationnelle. Il est évident que l’homme de Darwin n’a pas réagi en darwinien au monde dont il est une partie »[8].
Nous voyons bien, que les peuples dits « primitifs » déployaient toute leur intelligence et capacités intellectuelles et spirituelles, afin de « se réaliser » et de se conformer à l’ordre cosmique, et étaient donc loin d’être des abrutis finis, sachant qu’ils sont encore dépositaires de sagesses, dont les modernes en sont dépourvus. Les modernes ignorent d’ailleurs la mentalité et l’aspect intérieur des rites et actes religieux des « pratiquants » vivant selon un autre mode de vie, et ils en concluent tout un tas d’absurdité, en transposant leur propre « mentalité » superficielle et biaisée sur tous les autres peuples.
Concernant l’abattage traditionnel et le sang animal, René Guénon disait : « Puisque nous avons fait allusion au sang comme support de la vitalité, nous rappellerons que, comme nous avons eu déjà l’occasion de l’expliquer dans un de nos ouvrages,(1) le sang constitue effectivement l’un des liens de l’organisme corporel avec l’état subtil de l’être vivant, lequel est proprement l’ « âme » (nephesh haiah de la Génèse), c’est-à-dire, au sens étymologique (anima), le principe animateur ou vivificateur de l’être. L’état subtil est appelé par la tradition hindoue Taijasa, par analogie avec têjas ou l’élément igné ; et, comme le feu est, quant à ses qualités propres, polarisé en lumière et chaleur, l’état subtil est lié à l’état corporel de deux façons différentes et complémentaires, par le sang quant à la qualité calorique, et par le système nerveux quant à la qualité lumineuse. En fait, le sang est, même au simple point de vue physiologique, le véhicule de la chaleur animatrice ; et ceci explique la correspondance, que nous indiquions plus haut, du tempérament sanguin avec l’élément feu. D’autre part, on peut dire que, dans le feu, la lumière représente l’aspect supérieur, et la chaleur l’aspect inférieur : la tradition islamique enseigne que les anges furent crées du « feu divin » (ou de la « lumière divine »), et que ceux qui se révoltèrent à la suite d’Iblis perdirent la luminosité de leur nature pour n’en garder qu’une chaleur obscure.(2) Par suite, on peut dire que le sang est en rapport direct avec le côté inférieur de l’état subtil ; et de là vient l’interdiction du sang comme nourriture, son absorption entraînant celle de ce qu’il y a de plus grossier dans la vitalité animale, et qui, s’assimilant et se mêlant intimement aux éléments psychiques de l’homme, peut effectivement amener de fort graves conséquences. De là aussi l’emploi fréquent du sang dans les pratiques de magie, voire de sorcellerie (comme attirant les entités « infernales » par conformité de nature) ; mais, d’autre part, ceci est aussi susceptible, dans certaines conditions, d’une transposition dans un ordre supérieur, d’où les rites, soit religieux, soit même initiatiques (comme le « taurobole » mithriaque), impliquant des sacrifices d’animaux ; comme il a été fait allusion, à cet égard, au sacrifice d’Abel opposé à celui, non sanglant, de Caïn, nous reviendrons peut-être sur ce dernier point en une prochaine occasion.
(1) L’Homme et son devenir selon le Vêdânta, chap. XIV. Cf. aussi L’Erreur spirite, p. 116 – 119.
(2) Ceci se trouve indiqué dans le rapport qui existe, en arabe, entre les mots nûr, « lumière », et nâr, « feu » (au sens de chaleur) »[9].
D’où l’importance de respecter les rites et les règles d’abattage, à la fois pour des raisons spirituelles et sanitaires. D’un point de vue « physique », cela évite des impuretés, et d’un point de vue psychique, cela diminue les risques « d’impuretés et d’altérations psychiques ». Il n’est pas anodin que beaucoup de cercles « satanistes » ou que dans des milieux chamaniques dégénérés, dans leurs « rites », boire du sang (humain ou animal) est une condition les menant à altérer leur état psychique.
Il y a bien entendu des effets physiques liés à l’abattage rituel, mais il ne faut pas excessivement se focaliser là-dessus car les plus grands « effets » se trouvent au niveau psychique (ou subtil : Latîf) et surtout spirituel comme nous le rappelait sidi Abdullatîf. Le halal bénéficie ainsi à tous.
Les effets physiques de la pensée sincère ont été observés lors de multiples expériences scientifiques, non seulement sur des sujets humains (avec l’effet placebo, la thérapie de groupe, la gentillesse, etc. par exemple) mais aussi envers les animaux ou des éléments (comme l’eau) ou des aliments (la célèbre expérience avec le riz)[10].
Comme l’écrivait un confrère (Konstantin K.) lors d’une discussion en date du 11 février 2021 : « Dans ce dossier le moderne n’est pas en avance, il a des millénaires de retard. La société moderne prend enfin conscience des monstruosités qu’elle a engendrées : l’industrialisation mécanique de la mort. Cette entreprise de cauchemar a été jusqu’au bout de l’horreur et on en revient aux considérations plus anciennes, qui avaient toujours prévalu : la mise à mort d’un animal n’est pas un acte anodin. Tellement peu anodin qu’il était qualifié de sacré, on comprend donc pourquoi les anciens parlaient de sacrifice. Des terrains de chasse du grand Wacondah aux déserts torrides d’Allâh, la notion est la même. Et il faudrait se ranger à la science des grands industriels, qui comme toujours inventent un nouveau gadget pour masquer leur gabegie ? Ici j’ai envie de faire confiance aux protocoles issus des cultures de paysans, de nomades et de bergers, ces gens qui vivaient avec leurs bêtes, les connaissaient par cœur et les aimaient ».
Ce qu’ont confirmé de nombreux experts, comme Yves-Marie Le Bourdonnec, qui affirmait d’ailleurs ceci : « Vous connaissez la vache Wagyu ? Elle est originaire du Japon, on en élève un peu en Europe. C’est l’animal le plus zen du monde. On lui fait écouter de la musique, on lui sert de la nourriture torréfiée, du vin pour ses propriétés antioxydantes, on composte la paille pour en faire un fourrage plus délicat, on change sa litière tous les dix jours pour éviter les odeurs d’ammoniaque, on la brosse dans le sens du poil… Sa viande vaut dix fois plus cher que celle de n’importe quelle autre vache, c’est un mets de luxe servi dans des restaurants gastronomiques. Un bœuf Wagyu – Cgoodwin/Wikimedia Commons/CC Avec l’éleveur avec qui je travaille, on s’est posé la question de savoir quel abattage choisir. Il n’est pas question que la bête soit stressée, sinon ce sont des semaines d’un élevage de luxe qui sont gâchées en quelques secondes. On a donc fait appel à un sophrologue animalier, pour avoir son avis. Cet homme a garanti à mon éleveur que l’abattage par égorgement est le moins douloureux (…) L’étourdissement n’est pas du tout une méthode choisie pour le bien des animaux. C’est juste pour aller plus vite, pour avoir de plus grandes cadences. Croyez-moi, les animaux mal étourdis passent un sale quart d’heure ! L’abattage par égorgement est spectaculaire, et ce n’est pas beau à voir, mais c’est une méthode nette, immédiate, le cerveau cesse tout de suite d’être irrigué, l’animal ne souffre pas. Un signe qui ne trompe pas ? Avec ce type d’abattage, il n’y a jamais de “viande fiévreuse”, cette viande couleur rouge rubis qui ne peut être consommée parce que l’animal a subi trop de stress »[11].
Dans un autre article, il y disait ceci : « Moi, je suis pour le tout-égorgement et on n’aura plus de problèmes. Tous les animaux. L’abattage par égorgement est le plus efficace pour éviter le stress de l’animal. Et je le constate tous les jours. Donc je suis pour l’abattage par égorgement. Je pense que l’étourdissement est une erreur. Quand on a instauré l’étourdissement, on l’a fait pour les cadences infernales des abattoirs. C’est pas du tout pour le bien-être animal. Il faut arrêter de penser ça. » « Depuis 1964, il y a l’abattage par étourdissement. On n’étourdit pas gentiment l’animal. Il faut savoir qu’un bœuf, on lui fracasse le crâne et qu’un petit animal on l’électrocute. Qui peut nous dire qu’égorger, c’est moins bien que fracasser le crâne d’un animal ? »[12].
De nombreuses vidéos circulent sur Internet, où l’on peut voir la violence produite par la méthode d’étourdissement, qui non seulement rajoute a minima une souffrance violente inutile dans l’étape d’abattage, mais qui dans un certain nombre de cas, ne parvient pas à assommer directement les animaux devant être abattus, surtout pour les bovins. Ce que confirme aussi le Pr. Jean-Michel Guérit, neurologue à l’Institut Edtih Cavell, qui rejette l’accusation de barbarie concernant l’abattage rituel : « une interruption du flux sanguin au sein des artères carotides interrompt l’activité des circuits cérébraux indispensables à la perception de la douleur endéans les 30 secondes au maximum ». Par contre, « aucun élément ne permet d’affirmer qu’un étourdissement interrompt l’activité de la matrice de la douleur ; au contraire, des arguments suggèrent qu’un étourdissement peut rester associé à une perception douloureuse et même associé à une amnésie, il n’empêche pas la constitution de traces pénibles responsables d’un syndrome de stress post-traumatique (…). Les bénéfices escomptés d’un étourdissement préalable à l’abattage rituel en termes de souffrance sont virtuellement nuls. Pire : il accroît la souffrance »[13].
L’abattage par égorgement est donc la méthode la plus sûre et la moins douloureuse. Nous avons pu le constater de nos propres yeux également, où l’accompagnement lors de l’élevage traditionnel en plein air, puis de l’abattage, en prononçant les formules traditionnelles (inspirées du Qur’ân et de la Sunnah) procuraient un effet tranquillisant et apaisant pour les bêtes qui allaient être égorgées, comme s’ils se soumettaient à la Parole divine, et comprenaient la finalité sacrée d’un tel geste, accomplissant ainsi leur destinée. Or, l’abattage industriel avec sa cadence infernale et l’absence de liberté, de relations humaines bienveillantes et de pâturage, rend impossible, – ou pratiquement impossible -, l’épanouissement qui va de pair avec le respect de la dignité animale.
Du début de l’élevage, en passant par l’abattage jusqu’à la consommation de la viande (et de tout autre plat), il faut invoquer le Nom Divin, afin que tout se fasse dans Son Souvenir pour en recueillir ensuite la Baraka. Etant Celui qui a donné la vie tout en fixant les modalités physiques et pratiques, ainsi que les règles à respecter en la matière, c’est donc en Son Nom seul, qu’une vie peut être prise pour des raisons relevant de la nécessité vitale ou de la justice. Or, l’industrie moderne maltraite les animaux, pousse les consommateurs à perdre le sens des sacrifices, à se nourrir par nécessité, et à ne plus envisager la sacralité des animaux. Le « halal » est donc par essence incompatible avec cette monstruosité moderne. Pour autant, un grand nombre de personnes se révèle incapable de s’en priver, et il faut donc les inciter graduellement à se responsabiliser, à diminuer leur consommation de viande ou d’autres aliments, n’étant soit pas très sains, ou dont les conditions et traitements ne respectaient ni l’environnement, ni la dignité animale ou humaine.
Ce qui a été consommé sans conscience et sans souvenir du Divin, qui donne vie (intérieure ou extérieure) à toute chose, rend cette action vaine et « impure », sans Baraka (Bénédictions Divines) et donc sans « vitalité purificatrice » pour celui qui consomme ce plat. En principe, la conscience spirituelle des rites et des règles est là pour actualiser les vérités métaphysiques et le Souvenir divin, empêchant le gaspillage, la maltraitance, l’avidité, la gloutonnerie, etc. D’ailleurs, ceux qui vivent encore de façon traditionnelle, savent souvent se contenter de peu tout en restant en bonne santé, et sont ceux qui entretiennent des rapports bienveillants avec les animaux, et les respectant tout au long de leur élevage jusqu’à l’abattage, et sont conscients de leur « sacrifice ». Tous les êtres créés ici-bas sont destinés à mourir un jour ou l’autre, mais l’Homme a la responsabilité de les préserver des souffrances inutiles, et de n’en jouir qu’à la condition d’en respecter leur dignité et de n’en profiter que pour des nécessités liées au déplacement, à la confection de vêtements chauds, d’outils utiles ou de s’en nourrir à certaines occasions ou pour éviter de mourir de faim. La Sunnah regorge de ahadiths interdisant la maltraitance animale, le gaspillage ou la surconsommation.
Concernant le symbolisme et leur méconnaissance par les « modernes », René Guénon écrivait : « Une telle opinion ne résulte que de l’ignorance de la loi de correspondance qui est le fondement même de tout symbolisme, et en vertu de laquelle chaque chose, procédant essentiellement d’un principe métaphysique dont elle détient toute sa réalité, traduit ou exprime ce principe à sa manière et selon son ordre d’existence, de telle sorte que, d’un ordre à l’autre, toutes choses s’enchaînent et se correspondent pour concourir à l’harmonie universelle et totale, qui est, dans la multiplicité de la manifestation, comme un reflet de l’unité principielle elle-même. C’est pourquoi les lois d’un domaine inférieur peuvent toujours être prises pour symboliser les réalités d’un ordre supérieur, où elles ont leur raison profonde, qui est à la fois leur principe et leur fin (…) Une autre conséquence de la loi de correspondance, c’est la pluralité des sens inclus en tout symbole : une chose quelconque, en effet, peut être considérée comme représentant non seulement les principes métaphysiques, mais aussi les réalités de tous les ordres qui sont supérieurs au sien, bien qu’encore contingents, car ces réalités, dont elle dépend aussi plus ou moins directement, jouent par rapport à elle le rôle de « causes secondes » ; et l’effet peut toujours être pris comme un symbole de la cause, à quelque degré que ce soit, parce que tout ce qu’il est n’est que l’expression de quelque chose qui est inhérent à la nature de cette cause. Ces sens symboliques multiples et hiérarchiquement superposés ne s’excluent nullement les uns les autres, pas plus qu’ils n’excluent le sens littéral ; ils sont au contraire parfaitement concordants entre eux, parce qu’ils expriment en réalité les applications d’un même principe à des ordres divers ; et ainsi ils se complètent et se corroborent en s’intégrant dans l’harmonie de la synthèse totale. C’est d’ailleurs là ce qui fait du symbolisme un langage beaucoup moins étroitement limité que le langage ordinaire, et ce qui rend seul apte à l’expression et à la communication de certaines vérités ; c’est par là qu’il ouvre des possibilités de conception vraiment illimitées ; c’est pourquoi il constitue le langage initiatique par excellence, le véhicule indispensable de tout enseignement traditionnel »[14].
Avant Guénon, l’imâm Abû Hâmid al-Ghazâlî disait à peu près la même chose dans son Mishkât al-anwâr : « La Miséricorde Divine a fait qu’il y a une relation d’homologie entre le monde visible et celui du Royaume Céleste. En conséquence, il n’y a aucune chose du premier qui ne soit un symbole (mithâl) de quelque chose du second ».
Tout le Qur’ân est symbole, et constitue une source inépuisable de méditations en vertu notamment des versets suivants où Allâh dit : « Il est le Premier (al-Awwal) et le Dernier (al-Akhir), l’Extérieur (al-Zâhir) et l’Intérieur (al-Bâtin). Il est informé de toute chose » (Qur’ân 57, 3) et « Dis : Si la mer se faisait d’encre pour écrire le langage de mon Seigneur, elle s’y épuiserait, même si Nous en doublions l’étendue, avant que ne s’épuisât le langage » (Qur’ân 18, 109). Et plus spécifiquement, la Sürate 24 (An-Nûr ; La Lumière) : « Nous avons effectivement fait descendre vers vous des versets clairs, donnant une parabole de ceux qui ont vécu avant vous, et une exhortation pour les pieux ! Allâh est la Lumière des cieux et de la terre. Sa lumière est semblable à une niche où se trouve une lampe. La lampe est dans un (récipient de) cristal et celui-ci ressemble à un astre de grand éclat ; son combustible vient d’un arbre béni : un olivier ni oriental ni occidental dont l’huile semble éclairer sans même que le feu la touche. Lumière sur lumière. Allâh guide vers Sa lumière qui Il veut. Allâh propose aux hommes des paraboles et Allâh est Omniscient » (Qur’ân 24, 34-35).
Ibn Hibbân rapporte d’ailleurs dans son Sahîh (1/75) rapporte le hadîth prophétique disant que : « Le Qur’ân est descendu suivant 7 sens (a’rufin) et chaque verset possède un sens intérieur et un sens extérieur (zahîr wa batîn) ».
Cet autre hadîth prophétique est aussi très explicite : « Le Qur’ân possède un extérieur, un intérieur, [Il] détermine des principes et ouvre sur l’universel » (Hadîth rapporté par At-Tabarânî, ainsi que par l’auteur du Tâj al-tafâsîr, cf. Kanz Ummal n°3086).
Dans un hadîth prophétique rapporté par al-Bukharî dans son Sahîh il est dit que : « Et qu’aucun d’entre vous ne mange jamais par le moyen de sa main gauche. Car le shaytan mange par le moyen de sa main gauche » (rapporté par al-Bukhârî). La ‘illa (motivation, cause) de la règle a ici été donnée par le Prophète. Nous avons alors ceci : Manger par la main gauche est le fait du shaytan ; or il est interdit de faire comme fait le shaytan (le diable) ; donc manger avec sa main gauche est interdit. Ici la ‘illa (être une imitation du Diable) de la règle (l’interdiction) est toujours présente dans l’action (manger par le biais de sa main gauche), car cette présence relève d’une information de l’invisible, donnée par le Prophète Muhammad (‘alayhî salât wa salâm). A savoir que la main gauche doit servir pour toutes les choses de nature impure, quand cela est possible, et la main droite pour toutes les choses licites et propres, et la droite est associée à la « Barakâh », car elle devient alors le support des bonnes choses (symboliquement et même concrètement, ce que chaque musulman(e) sincère et pieux peut vérifier dans sa propre expérience de vie). Du point de vue juridique, manger ou boire de la main droite est soit obligatoire, soit fortement recommandé selon les juristes musulmans. Le fait d’accomplir des actes bénéfiques avec la main droite exerce ainsi une sacralisation de ces actes, – exigeant une présence d’esprit et une bonne intention -, et possède aussi une portée sanitaire et hygiénique, surtout dans l’impossibilité immédiate de se nettoyer les mains ou le corps, et évitant de transmettre des maladies ou des impuretés. En effet, garder sa main gauche pour ce qui relève des choses impures ou sales, et manger ou boire de la main droite, permet de renforcer la propreté et de diminuer les risques d’infections ou de transmissions d’éléments et de substances nuisibles. Quant à ceux qui ont perdu une main (ou les 2), la présence d’esprit et l’intention suffiront.
La main droite c’est la main de la barakah, c’est la main bénissante ou de miséricorde. Ces notions sont universelles. La main gauche est la main de justice. La main droite symbolise l’ « Autorité spirituelle » et la main gauche le « pouvoir temporel ». Le principe de la « Miséricorde qui l’emporte sur la Rigueur » (wa wassi’at rahmatî kullu shay’) symbolise le principe de soumission du pouvoir temporel à l’ « Autorité spirituelle ».
A ce sujet, René Guénon donne l’équivalence de ces notions dans de nombreuses traditions : « A un autre point de vue, la Shekinah est la synthèse des Sephiroth; or, dans l’arbre séphirothique, la « colonne de droite » est le côté de la Miséricorde, et la « colonne de gauche » est le côté de la Rigueur (5); nous devons donc aussi retrouver ces deux aspects dans la Shekinah, et nous pouvons remarquer tout de suite, pour rattacher ceci à ce qui précède, que, sous un certain rapport tout au moins, la Rigueur s’identifie à la Justice et la Miséricorde à la Paix (6). « Si l’homme pèche et s’éloigne de la Shekinah, il tombe sous le pouvoir des puissances (Sârim) qui dépendent de la Rigueur (7) », et alors la Shekinah est appelée « main de rigueur », ce qui rappelle immédiatement le symbole bien connu de la « main de justice »; mais, au contraire, « si l’homme se rapproche de la Shekinah, il se libère », et la Shekinah est la « main droite » de Dieu, c’est-à-dire que la « main de justice » devient alors la « main bénissante » (8). Ce sont là les mystères de la a Maison de Justice » (Beith-Din), ce qui est encore une autre désignation du centre spirituel suprême (9) ; et il est à peine besoin de faire remarquer que les deux côtés que nous venons d’envisager sont ceux où se répartissent les élus et les damnés dans les représentations chrétiennes du « Jugement dernier ». On pourrait également établir un rapprochement avec les deux voies que les Pythagoriciens figuraient par la lettre Y, et que représentait sous une forme exotérique le mythe d’Hercule entre la Vertu et le Vice ; avec les deux portes céleste et infernale qui, chez les Latins, étaient associées au symbolisme de Janus ; avec les deux phases cycliques ascendante et descendante (10) qui, chez les Hindous, se rattachent pareillement au symbolisme de Ganêsha (11). Enfin, il est facile de comprendre par là ce que veulent dire véritablement des expressions comme celles d’« intention droite », que nous retrouverons dans la suite, et de « bonne volonté » (« Pax hominibus bonae voluntatis », et ceux qui ont quelque connaissance des divers symboles auxquels nous venons de faire allusion verront que ce n’est pas sans raison que la fête de Noël coïncide avec l’époque du solstice d’hiver), quand on a soin de laisser de côté toutes les interprétations extérieures, philosophiques et morales, auxquelles elles ont donné lieu depuis les Stoïciens jusqu’à Kant.
(5) Un symbolisme tout à fait comparable est exprimé par la figure médiévale de l’ « arbre des vifs et des mort s», qui a en outre un rapport très net avec l’idée de « postérité spirituelle »; il faut remarquer que l’arbre séphirothique est aussi considéré comme s’identifiant à l’ « Arbre de Vie ».
(6) D’après le Talmud, Dieu a deux sièges, celui de la Justice et celui de la Miséricorde ; ces deux sièges correspondent aussi au « Trône » et à la « Chaise » de la tradition islamique. Celle-ci divise d’autre part les noms divins çifâtiyah, c’est-à-dire ceux qui expriment des attributs proprement dits d’Allâh, en « noms de majesté » (jalâliyah) et « noms de beauté » (jamâliyah), ce qui répond encore à une distinction du même ordre.
(7) La Kabbale juive, t. I, p. 507.
(8) D’après saint Augustin et divers autres Pères de l’Église, la main droite représente de même la Miséricorde ou la Bonté, tandis que la main gauche, en Dieu surtout, est le symbole de la Justice. La « main de justice » est un des attributs ordinaires de la royauté ; la « main bénissante » est un signe de l’autorité sacerdotale, et elle a été parfois prise comme symbole du Christ. -Cette figure de la « main bénissante » se trouve sur certaines monnaies gauloises, de même que le swastika, parfois à branches courbes.
(9) Ce centre, ou l’un quelconque de ceux qui sont constitués à son image, peut être décrit symboliquement à la fois comme un temple (aspect sacerdotal, correspondant à la Paix) et comme un palais ou un tribunal (aspect royal, correspondant à la Justice).
(10) Il s’agit des deux moitiés du cycle zodiacal, que l’on trouve fréquemment représenté au portail des églises du moyen âge avec une disposition qui lui donne manifestement la même signification.
(11) Tous les symboles que nous énumérons ici demanderaient à être longuement expliqués ; nous le ferons peut-être quelque jour dans une autre étude »[15].
René Guénon avait d’ailleurs souvent fait allusion à la « théorie du geste » : « On pourrait dire encore que les rites sont des symboles « mis en action », que tout geste rituel est un symbole « agi » (1) ; ce n’est en somme qu’une autre façon d’exprimer la même chose, mettant seulement plus spécialement en évidence le caractère que présente le rite d’être, comme toute action, quelque chose qui s’accomplit forcément dans le temps (2), tandis que le symbole comme tel peut être envisagé d’un point de vue « intemporel ». En ce sens, on pourrait parler d’une certaine prééminence du symbole par rapport au rite ; mais rite et symbole ne sont au fond que deux aspects d’une même réalité ; et celle-ci n’est autre, en définitive, que la correspondance qui relie entre eux tous les degrés de l’Existence universelle, de telle sorte que, par elle, notre état humain peut être mis en communication avec les états supérieurs de l’être.
(1) Nous noterons particulièrement, à ce point de vue, le rôle joué dans les rites par les gestes que la tradition hindoue appelle mudrâs, et qui constituent un véritable langage de mouvements et d’attitudes ; les « attouchements » (en anglais grips) employés comme « moyens de reconnaissance » dans les organisations initiatiques, tant en Occident qu’en Orient, ne sont pas autre chose en réalité qu’un cas particulier des mudrâs.
(2) En sanskrit, le mot karma, qui signifie tout d’abord action en général, s’emploie d’une façon « technique » pour désigner en particulier l’« action rituelle » ; ce qu’il exprime alors directement est ce même caractère du rite que nous indiquons ici »[16].
L’Islam, comme toute tradition véritable du passé, n’admet pas qu’un geste soit fait en dehors du souvenir d’Allâh et de la soumission à Allâh. Tout est sacré et rien ne peut être profane. Il faut savoir qu’en « toute rigueur, il n’existe pas réellement de domaine profane, mais seulement un point de vue profane » comme le disait René Guénon : « L’attitude matérialiste, qu’il s’agisse de matérialisme explicite et formel ou de simple matérialisme « pratique », apporte nécessairement, dans toute la constitution « psycho-physiologique » de l’être humain, une modification réelle et fort importante ; cela est facile à comprendre, et, en fait, il n’y a qu’à regarder autour de soi pour constater que l’homme moderne est devenu véritablement imperméable à toute influence autre que celle de ce qui tombe sous ses sens ; non seulement ses facultés de compréhension sont devenues de plus en plus bornées, mais le champ même de sa perception s’est également restreint. Il en résulte une sorte de renforcement du point de vu profane, puisque, si ce point de vue est né tout d’abord d’un défaut de compréhension, donc d’une limitation des facultés humaines, cette même limitation, en s’accentuant et en s’étendant à tous les domaines, semble ensuite le justifier, du moins aux yeux de ceux qui en sont affectés ; quelle raison pourraient-ils bien avoir encore, en effet, d’admettre l’existence de ce qu’ils ne peuvent plus réellement ni concevoir ni percevoir, c’est-à-dire de tout ce qui pourrait leur montrer l’insuffisance et la fausseté du point de vue profane lui-même ?
De là provient l’idée de ce qu’on désigne communément comme la « vie ordinaire » ou la « vie courante », ce qu’on entend par là, en effet, c’est bien, avant tout, quelque chose où, par l’exclusion de tout caractère sacré, rituel ou symbolique (qu’on l’envisage au sens spécialement religieux ou suivant toute autre modalité traditionnelle, peu importe ici, puisque c’est également d’une action effective des « influences spirituelles » qu’ils s’agit dans tous les cas), rien qui ne soit purement humain ne saurait intervenir en aucune façon ; et ces désignations mêmes impliquent en outre que tout ce qui dépasse une telle conception, même quand il n’est pas encore nié expressément, est tout moins relégué dans une domaine « extraordinaire » , exceptionnel, étrange et inaccoutumé ; il y a donc là, à proprement parler, un renversement de l’ordre normal, tel qu’il est représenté par les civilisations intégralement traditionnelles où le point de vue profane n’existe en aucune façon, et ce renversement ne peut aboutir logiquement qu’à l’ignorance ou à la négation complète du « supra-humain ».
Aussi certains vont-ils jusqu’à employer également, dans le même sens, l’expression de « vie réelle », ce qui, au fond, est d’une singulière ironie, car la vérité est que ce qu’ils nomment ainsi n’est au contraire que la pire des illusions ; nous ne voulons pas dire par là que les choses dont il s’agit soient, en elles-mêmes, dépourvues de toutes réalité, encore que cette réalité, qui est en somme celle même de l’ordre sensible, soit au degré le plus bas de tous, et qu’au-dessous d’elle il n’y ait plus que ce qui est proprement au-dessous même de toute existence manifestée ; mais c’est la façon dont elles sont envisagées qui est entièrement fausse, et qui, en les séparant de tout principe supérieur, leur dénie précisément ce qui fait toute leur réalité ; c’est pourquoi, en toute rigueur, il n’existe pas réellement de domaine profane, mais seulement un point de vue profane, qui se fait de plus en plus envahissant, jusqu’à englober finalement l’existence humaine tout entière.
On voit aisément par la comment, dans cette conception de la « vie ordinaire », on passe presque d’un stade à un autre, la dégénérescence allant en s’accentuant progressivement : on commence par admettre que certaines choses soient soustraites à toute influence traditionnelle, puis ce sont ces choses qu’on en vient à considérer comme normales ; de là, on n’arrive que trop facilement à les considérer comme les seules « réelles », ce qui revient à écarter comme « irréel » tout le « supra-humain », et même, le domaine de l’humain étant conçu d’une façon de plus en plus étroitement limitée, jusqu’à le réduire à la seule modalité corporelle, tout ce qui est simplement d’ordre suprasensible ; il n’y a qu’à remarquer comment nos contemporains emploient constamment, et sans même y penser, le mot de « réel » comme synonyme de « sensible », pour se rendre compte que c’est bien à ce dernier point qu’ils en sont effectivement, et que cette manière de voir s’est tellement incorporée à leur nature même, si l’on peut dire, qu’elle est devenue chez eux comme instinctive »[17].
Toutes nos actions ont une répercussion dans les mondes (actions et réactions concordantes) … « C’est « écrit sur les murs », le monde moderne est convoqué au tribunal de Dieu et Il lui réglera bientôt son compte en appliquant Sa Justice et en rétablissant l’équilibre » disait Sidi Abdullatîf…
Le Shaykh Mustafâ ‘Abd al-Azîz (Michel Vâlsan) disait quant à lui que : « On ne saurait exagérer l’importance pratique de l’adab dans la vie spirituelle en général. Dans le cas présent, on en trouvera la marque profonde et savante non seulement dans la louange divine et la sollicitation des grâces, mais dans le mode même de conception des vérités initiatiques fondamentales. Celles-ci, bien qu’affirmées avec toute la netteté doctrinale voulue, épousent ici d’une façon impeccable les canons sacrés de cette Servitude absolue qui, loin d’être la rançon d’un exotérisme « anti-intellectuel », mais faite de Science, de Contemplation et de Vertu, apparaît comme une forme originale et complète en soi, de la Sagesse universelle. Nous y trouvons les traits providentiels de la « Sainteté muhammadienne ». En réponse à la question de savoir par quelle disposition est justifiée la qualité de « Sceau de la Sainteté Muhammadienne » (Khâtam al-Wilâyah al-Muhammadiyyah) – titre qui appartient à Muhy-d-Dîn lui-même –, ce maître spirituel a précisé : « Par la perfection des Vertus les plus nobles dans les rapports avec Allâh (bi-tamâm Makârim al-Akhlâq ma’ Allâh) ! » Et on remarquera qu’il y a en cela une référence précise au type spirituel de Sayyidnâ Muhammad, le « Sceau de la Prophétie » qui a dit : « j’ai reçu les Sommes des paroles et j’ai été envoyé pour parfaire les Vertus les plus Nobles » »[18].
Chaque rite ou règle possède un bienfait, – il ne faut pas les voir comme des contraintes -, nous permettant de recueillir la baraka (influence spirituelle/bénédiction) afin de s’élever des contraintes matérielles et d’être immergé dans la Présence Divine. Dieu a fait en sorte que chaque chose puisse être positive et bonne pour celui qui le désire. Certains actes ne sont cependant pas obligatoires, car tout le monde n’a pas forcément l’envie ou la capacité d’accomplir tous les rites surérogatoires.
Comme le rappelait encore Michel Vâlsan (Shaykh Mustafâ ‘Abd al-Azîz) : « La Loi (Shar’) en Islam n’a pas le sens restreint qu’elle a dans la civilisation chrétienne où elle s’oppose même d’une façon spéciale aux idées de Foi et de Grâce ; elle se rapporte, au contraire à l’institution révélée dans toute sa généralité, car la Loi islamique est totale et inclut tous les domaines et tous les degrés de la vie spirituelle et temporelle, y compris les principes et les méthodes de la connaissance métaphysique. La différence que nous signalons est en rapport avec la question très spéciale et sur laquelle nous ne pouvons pas insister ici, du mode de constitution de la forme traditionnelle du Christianisme dans laquelle interviennent, à côté du message originel christique repris par la mission du Saint-Esprit, l’élément législatif impérial occidental à part l’élément doctrinal des Grecs »[19].
Dans le même écrit, il rappelait que : « Le symbole de l’Etendard (al-Liwâ’) est mentionné dans le hadith suivant : « Adam et aussi ceux qui lui sont subordonnées se trouvent sous mon Etendard ». Dans les Futûhât (Cf. 73, quest. 76-77), Muhyu-d-Dîn Ibn Arabî explique qu’il s’agit de l’Étendard de la Louange divine (Liwâ’u-l-Hamd). Adam a eu cet attribut devant les Anges en raison de la connaissance de « tous les Noms divins » qu’il avait reçue mais il le détenait néanmoins comme lieutenant (nâib) du Prophète Muhammad qui, considéré dans son aspect universel et primordial « était Prophète alors qu’Adam était encore entre l’eau et l’argile », selon les termes d’un autre hadith, et qui est le titulaire de cette enseigne initiatique en raison de sa connaissance des Paroles Synthétiques qui englobe celle des Noms divins. C’est aussi par l’attribut du Coran, expression des Paroles Synthétiques, que le Prophète a droit à l’Étendard, car le Coran est considéré comme renfermant toutes les Louanges ».
La couronne de la gnose sûfie est le verset : « En vérité, nous appartenons à Allâh et c’est à Lui que nous retournerons » (Qur’ân 24, 35 ; 57, 3 ; 2, 156).
Comme nous l’avait relaté Sidi Abdullatîf lors d’une discussion : « Dans une société traditionnelle l’enseignement initiatique se vivait à chaque instant par notre relation avec Allâh grâce aux symboles qu’Il nous a transmis : qu’ils soient sonores (Paroles du Qur’ân), géométrique (architecture) ou inscrits dans notre vie (ablutions, prière, positions assises, debout, façon de marcher, façon de se nourrir, de se vêtir, de se chausser, chansons, dhikr, …). Notre point de vue sur toute chose que nous faisions dans la vie était sacré. Quelques remarques sur les positions assises en rapport avec la Baraka.
La posture assise en carré s’appelle au Maroc la tarbi’a (venant de arba’a = quatre) : on dit raba’ rajlik = mets tes jambes au carré ; c’est d’ailleurs la position du dhikr.
On raconte qu’un Shaykh aurait dit qu’il y a le tasawwuf al-awrâq (sûfisme des livres) et le tasawwuf al-adwâq (sûfisme des goûts). A la question : qu’est-ce que le sûfisme des goûts ? Il aurait répondu : Raba’ rajlik ou jarr al qanba (plie tes jambes et tire sur la corde : tarbi’a + faire tourner le chapelet).
La meilleure posture traditionnelle pour manger est la posture de la baraka (difficile à réaliser quand on n’est pas habitué) : on dit au Maroc brak al-ard tghadda = asseyez-vous par terre selon la posture de la baraka pour déjeuner ».
‘Abdullàh Ibn Bûsr rapporte le hadîth suivant : « Le Prophète avait un plateau surnommé « le blanc à la blancheur éclatante ». Il fallait 4 hommes pour le soulever. Une fois que le soleil se leva et dépassa nettement la ligne de l’horizon et qu’ils firent la prière du Doha, on apporta ce plateau (sans doute plein de panade). Les gens se groupèrent autour de lui. Comme ils étaient bien nombreux, le Messager d’Allâh s’accroupit sur ses genoux (pour prendre le moins de place possible). Un Bédouin lui dit : « Quelle est cette façon de t’asseoir ? » Le Messager d’Allâh lui dit : « Allâh a fait de moi un serviteur généreux et n’a pas fait de moi un tyran despotique ». Puis il ajouta : « Mangez des bords du plateau et laissez-en le sommet afin que votre repas vous soit béni » »[20].
Le Shaykh Abû Bakr Sirâj ad-Dîn (Martin Lings) faisait remarquer que : « Dans les rites d’ablution, l’élément eau, avec lequel celui qui accomplit le rite s’identifie pour ainsi dire lui-même, peut symboliser la pureté originelle de la nature humaine telle qu’elle a été créée ; le rite remet alors en mémoire l’état de perfection humaine. En même temps, il symbolise l’identification avec la pure bénédiction qui est l’essence de la mer d’eau douce des eaux supérieures ; à un niveau encore supérieur, il symbolise l’identification avec la substance de tout l’Univers créé ; mais son sens le plus élevé est l’Identité suprême, l’immersion ou l’extinction de l’être dans les eaux de l’infinie Vérité Une. Elles sont vraiment les Eaux réelles, et l’élément terrestre n’en est qu’une ombre lointaine. Il ne faudrait d’ailleurs pas s’imaginer que c’est l’homme qui a choisi l’élément eau comme symbole, sous prétexte qu’elle purifie et désaltère ; c’est l’inverse qui est vrai, c’est-à-dire que l’eau apaise la soif et purifie parce que, indépendamment de tout choix humain, elle est, et a toujours été, un symbole de l’Essence pure qui satisfait éternellement la soif de tous les désirs. En tant que tel, l’élément possède en lui-même le pouvoir de réveiller la mémoire de l’homme, et jusqu’à un certain point sans même que l’homme en ait consciemment l’intention »[21].
Martin Lings, toujours, écrivait dans un autre ouvrage, ceci : « Les arabesques qui remplissent les palmettes, les rosaces et autres ornements marginaux sont reliés de plusieurs façons à l’arbre, et servent souvent de cadre qui entourent l’ensemble de la page. Par nature l’arabesque, qui tient davantage de la vigne que de l’arbre, n’indique pas de direction, bien qu’elle puisse donner l’indication claire d’une tendance, et ceci est de toute évidence l’une de ses fonctions principales dans l’enluminure coranique. En même temps, et en vertu de sa nature insaisissable, elle constitue par elle-même une présence mystérieuse et supra-formelle. Elle est aussi, comme l’arbre, une présence de la vie et, là où elle sert d’arrière-fond au texte, elle rehausse l’effet des lettres en tant que véhicules du Verbe vivant. En outre, par son rythme, par sa répétition constante, à intervalles réguliers, des mêmes motifs, en particulier de la petite palmette, elle fait penser aux récitations rythmiques du Coran qui ont lieu, selon la tradition, non seulement sur terre, mais à tous les échelons de l’univers »[22].
L’islamologue, anthropologue et ethnologue marocain Faouzi Skali écrivait que : « … Sur le plan de la réalisation spirituelle, les différents mouvements de la prière décrivent le passage graduel de l’état d’une conscience égocentrée, représentée par la station debout, à l’effacement progressif de celle-ci et finalement son annihilation symbolisée par l’attitude de la prosternation. Dans cette perspective, une connaissance théorique du symbolisme de la prière est loin d’être suffisante. L’initiation implique un processus de transformation qui passe, au-delà d’une conception théorique, par la participation effective du corps à une expérience vécue. Les attitudes rituelles du corps contiennent potentiellement les réalisations spirituelles correspondant à chacune d’elles.
Il appartient cependant au pratiquant de rendre cette réalisation effective par une « présence d’esprit « continue dans chaque parole et chaque geste de la prière. C’est alors que la prière est « orientée », l’orientation extérieure vers le temple n’étant qu’un support à l’orientation intérieure vers Dieu. De plus, comme le temps de la prière est sacré, l’orant ne doit ni interrompre celle-ci, ni se laisser distraire, ne serait-ce que d’un simple regard, par ce qui l’entoure. Plusieurs ahadîth insistent sur la nécessité de cette concentration : « Nombreux sont ceux qui passent des veillées en prière pour ne récolter que fatigue », dit l’un d’eux. On retrouve également la participation du corps comme support symbolique dans le rite des ablutions qui précède la prière. Le support corporel est là encore fondamental puisque le renouvellement des ablutions est prescrit au regard de notre rythme biologique. Partant de ce support, le rite des ablutions revêt alors la signification vécue d’un changement d’état, d’une régénération spirituelle, l’eau étant un symbole de la vie. Mais l’eau naturelle n’est-elle pas de surcroît le symbole sensible de l’ « eau de l’invisible », eau spirituelle, par laquelle s’opère la véritable purification intérieure ?
Décrivant la signification spirituelle de la prosternation rituelle, le soufi Ahmad al ‘Alawi écrit : « Avant sa prosternation, le gnostique se tenait debout dans la position de l’existence, mais après sa prosternation, il est anéanti, disparu, effacé en lui-même et éternel en son Seigneur ». Donnant ensuite l’indication d’un degré encore plus élevé, symbolisé par la deuxième prosternation qui vient, dans la prière rituelle, immédiatement après la première, il ajoute : « Quand l’orant est parvenu au degré de prosternation, anéanti à l’égard de l’existence, il se prosterne une deuxième fois afin d’anéantir son premier anéantissement. Cette prosternation est donc en fait un redressement intérieur ».
La réalisation complète est alors celle de l’attitude assise qui suit l’accomplissement des deux prosternation précédentes, position intermédiaire où le gnostique rétablit le contact avec le monde des hommes tout en étant intérieurement « noyé » dans la contemplation de la Réalité divine. … »[23].
Frithjof Schuon, quant à lui, écrivait ceci à propos des ablutions : « Il faut dire à nos frères que tout devrait se faire dans la concentration : les ablutions, la prière rituelle, le rosaire, l’invocation, la prière individuelle, la lecture du Koran. Au cours des pratiques régulières en particulier – ablutions, prière rituelle, rosaire -, on doit savoir ce qu’on est en train de faire et ce qu’on est en train de dire. En ce qui concerne l’invocation, la nécessité de se concentrer va de soi. Dans les ablutions, les mains renvoient aux actions profanes, la bouche aux impuretés contractées en connaissance de cause, le nez aux impuretés contractées involontairement et inconsciemment, le visage à la honte du péché, les avant-bras à l’intention pure, les oreilles à la surdité en ce qui concerne le Mot divin, la tête à la fierté, les pieds au vagabondage. Ou en termes positifs : les mains purifiées renvoient aux actions rituelles, la bouche à la pureté active, le nez à la pureté passive et inconsciente, le visage à l’état de grâce, les avant-bras à la pureté d’intention, les oreilles à la réceptivité à l’égard du Mot divin ou des inspirations spirituelles ou angéliques, la tête à l’humilité devant Dieu, partant la conscience de notre nullité, les pieds à notre aptitude à suivre la voie de la contemplation »[24].
Et à propos du symbolisme de la Ka’aba il dit : « La Kaabah est notre propre cœur, réceptacle de la Présence divine. Le tawâf c’est la tawbah, c’est s’éloigner du monde ou de l’extériorité, pour demeurer auprès du Centre. Le tawâf est par conséquent le mouvement centripète, la « vie intérieure ». Baiser la Pierre Noire, c’est baiser la Présence divine. Elle est une parcelle du Paradis. Quant à la course rituelle entre les collines de Çafâ et Marwah, elle se réfère à la confiance en Dieu (tawakkul), puisqu’elle répète la course de Hagar dans le désert. D’une manière analogue, boire de l’eau de Zemzem, c’est boire la Miséricorde (Rahmah). L’intérieur de la Kaabah est le Secret spirituel (as-sirr). Ici, on est au-delà de toutes les formes »[25].
Quant à Ibn Arabî, sur la prosternation dans la Salât, dit dans ses Futûhât al-Makkiyya : « Le corps se prosterne vers la terre dont il est fait, l’esprit devant l’Esprit universel dont il procède, le secret devant son Seigneur. […] La face [de l’orant] ne persiste pas dans la prosternation et se relève car la qibla [direction] devant laquelle elle se prosterne ne persiste pas non plus […] mais le coeur ne se relève jamais car sa qibla, c’est son Seigneur et son Seigneur demeure éternellement ».
L’Imâm Sufyân at-Thawri (97 H/716 – 161 H/778) rapporte qu’il rencontra l’imâm Jâ’far (83 H/702 – 148 H/765) alors qu’il faisait halte à Al-Abtah (endroit à l’extérieur de Makkah, sur la route de Mina). Il dit : « Je lui posai la question suivante : « Ô petit-fils du Prophète, pourquoi [Allâh] at-Il placé la station (‘Arafat) à l’extérieur du périmètre sacré et ne l’a pas placée à l’intérieur ? ». Il répondit : « La Ka’aba est la Maison d’Allâh, la limite sacrée est son entrée, et la station est sa porte. Les pèlerins ont pris [la Ka’aba] pour destination, et Il les a stoppés à sa porte pour L’implorer. Après leur avoir permis l’entrée, Il les a rapprochés de la deuxième porte, c’est-à-dire Muzdalifa. Lorsqu’Il a vu leurs nombreuses supplications et leurs efforts soutenus, Il leur a envoyé Sa miséricorde. Après les avoir enveloppés de Sa miséricorde, Il leur a demandé de présenter leurs offrandes (le sacrifice). Lorsqu’ils ont présenté leurs offrandes et après s’être lavés et purifiés des péchés (lapidation des stèles) qui constituaient un obstacle entre eux et Lui, Il leur a ensuite demandé de visiter Sa Maison Sacrée en état de pureté ». Je lui dis alors : « Pourquoi Allâh a-t-Il recommandé de ne pas jeûner ces jours-là (du 10 au 13 de Dhul Ḥijjah) ? ». Il répondit : « Parce qu’ils sont les invités d’Allâh, et l’invité ne saurait jeûner chez son hôte »[26].
Un autre symbole encore fort et déterminant, est le sacrifice du fils du Prophète Ibrâhîm (qui fut « sauvé » par intervention Divine) qui symbolise également le sacrifice de l’ego face à la Volonté Divine. En effet, notre ego a du mal à se débarrasser de ses vices et de ses préjugés. Or, croyant que ce sacrifice conduira à la fin d’une chose, ce sacrifice (pour et au nom du Divin) ne conduira en réalité qu’à la fin d’un vice, d’une passion, d’une illusion ou d’une mauvaise chose, pour se purifier et renaitre ainsi dans un état plus élevé, meilleur et plus « lumineux ». L’islamologue et épistémologie Eric Geoffroy écrivit un article sur le symbolisme en rapport avec le Prophète Ibrâhîm (Abraham) et le sacrifice : « Selon l’islam, le Coran est le point terminal de la Révélation pour cette humanité. Il se présente de fait comme la récapitulation et la synthèse des messages antérieurs, et maints récits bibliques y sont relatés de façon condensée et allusive. Le caractère sibyllin du « Livre », on va s’en rendre compte, apparaît nettement dans l’épisode du sacrifice d’Abraham.
Cet épisode, évoqué dans la sourate 37, ressort au thème coranique de l’épreuve (balâ’), qui agit comme une véritable pédagogie spirituelle à l’adresse des croyants et à fortiori des prophètes : l’élection et l’investiture ont pour passage obligé la purification. Abraham (Ibrâhîm en arabe) a été choisi comme « ami intime de Dieu » (khalîl Allâh) parce qu’il a subi avec succès maintes épreuves (voir Cor. 2 : 124). L’une des plus intenses fut sans doute ce songe au cours duquel le patriarche se vit en train d’immoler son fils :
– « Ô mon fils, je vois en rêve que je t’égorge. Qu’en penses-tu ? »
– « Père, répondit le fils, fais ce qui t’est ordonné. Tu me trouveras, si Dieu veut, parmi ceux qui supportent [l’épreuve] » (Cor. 37 : 102).
Tous les traducteurs rendent ce passage au temps passé (« Ô mon fils, j’ai vu en rêve que… »), mais il importe de restituer le présent employé dans le texte arabe, car celui-ci a pour fonction de susciter l’instantanéité de la vision d’Abraham. Si l’on nous permet l’image, celui-ci vit la vision en direct, non en différé.
Les commentateurs insistent sur la dimension onirique de la scène – absente du récit biblique -, et Ibn ‘Arabî, le grand maître du soufisme souligne que c’est en fait un bélier qui est apparu à Abraham durant son sommeil, mais sous les traits de son fils. Cependant, Abraham n’a pas interprété, « transposé » dit l’arabe, cette vision car, selon l’avis des commentateurs, le songe ou la vision des prophètes relève de la révélation (wahy), et est perçu par eux comme une réalité immédiate.
En effet : « Lorsqu’ils se furent tous deux abandonnés à la volonté divine (aslamâ) et qu’Abraham eut couché son fils le front contre terre, Nous l’appelâmes : « Ô Abraham, tu as ajouté foi à la vision ! » C’est ainsi que nous rétribuons les êtres doués d’excellence (103-105) ». En réalité, la vision qu’a reçue Abraham ne lui intimait pas d’immoler matériellement son fils, mais de le consacrer à Dieu. Nous rejoignons ici la tradition judaïque (voir par exemple Exode 13 : 2).
– « Voici certes l’épreuve évidente » (106) : épreuve suprême de soumission à Dieu que de se croire contraint d’égorger son fils ! Selon certains soufis, l’épreuve consistait à donner son vrai sens à la vision. Ils font remarquer que l’enfant est le symbole de l’âme. C’est donc son « moi » que Dieu demande à Abraham d’immoler, cette âme prophétique élevée, certes, mais encore capable d’amour pour un autre que Dieu. Or, afin d’être investi pleinement de l’intimité divine, Abraham doit vider son coeur de tout attachement aux créatures. D’ailleurs, l’épisode du sacrifice suit immédiatement un passage où l’on voit Abraham détruire les idoles adorées par son peuple (84-98). Dans son cas, la réalisation ultime de l’Unicité (tawhîd) supposait la destruction de tout penchant naturel, de tout résidu égotique, forme subtile d’idolâtrie.
– « Nous le rachetâmes par un sacrifice solennel » (107), car l’enjeu est immense. Un bélier venant, selon la tradition, du paradis, et conduit sur terre par l’ange Gabriel pour le sacrifice, se substitue au fils : grâce à ce transfert, Dieu rachète à Abraham toute sa descendance, prophétique et autre, afin de mieux la préserver et la bénir. Ainsi, « Nous perpétuâmes [le souvenir d’Abraham] parmi les générations postérieures (108). Paix sur Abraham ! » (109) : après la soumission (islâm) vient la paix (salâm). L’animal, être pur parce qu’il connaît par intuition directe son Créateur, à l’instar des règnes minéral et végétal (Ibn ‘Arabî), peut en effet prendre la place d’un humain pur, prophète et fils de prophète. Par son sacrifice consenti, il permet aux « fils d’Adam » – et pas seulement d’Abraham – de régénérer leurs énergies vitale et spirituelle.
En aucun endroit de ce récit, le Coran ne mentionne si le fils offert en oblation est Ismaël, père des Arabes, fils de la servante Agar jalousée par Sara, ou Isaac, son frère cadet, père des Juifs. Cette imprécision a partagé les auteurs musulmans, chacun tirant argument de façon opposée des mêmes passages coraniques en faveur d’Isaac ou d’Ismaël. Dans une perspective islamique, il était tentant d’identifier la victime du sacrifice à Ismaël.
En effet, celui-ci a aidé Abraham à bâtir la Kaaba de La Mecque (Cor. 2 : 125-127), et certains rites actuels du Pèlerinage (Hajj), tels que la lapidation de Satan, trouvent leur fondement dans le sacrifice qui aurait eu lieu à Mina, un des sites du Hajj. Pourtant, la plupart des commentateurs ne cèdent pas à cette tentation, et étalent au grand jour les divergences d’opinion. Voici un bel exemple du pluralisme régnant au sein de la pensée musulmane médiévale.
Il n’empêche que la commémoration du sacrifice d’Abraham, actualisée chaque année par le sacrifice d’animaux, est devenue la « grande fête » (al-‘îd al-kabîr) des musulmans, célébrée le 10 de Dhû l-Hijja, mois du Pèlerinage. Le Hajj, ceux qui l’ont accompli le savent bien, est une épreuve : répétition du Jugement dernier, il est mort à ce monde et résurrection.
À l’instar de la bête, le pèlerin est l’offrande sacrificielle dont le parcours rituel permet à la communauté musulmane, et au-delà à l’humanité, de se régénérer. Si le sacrifice animal garde aujourd’hui toute sa pertinence, et si le partage et le don de la viande perpétuent « l’hospitalité sacrée » d’Abraham, il importe de ne pas perdre de vue le sens premier du sacrifice : la purification intérieure.
Pour qui connaît le Coran, l’ambiguïté du discours divin à propos d’Isaac et d’Ismaël est délibérée. Elle rappelle celle qui plane sur le récit coranique de la crucifixion ou la non-crucifixion du Christ (Cf. Cor. 4 : 157), lequel, selon les chrétiens, s’est sacrifié sur la croix pour le rachat de l’humanité. Enfin, le silence coranique sur l’identité du fils sacrifié – ou sanctifié -, au regard du contexte actuel, peut être perçu comme une source tantôt de rivalité et d’inimitié, tantôt de proximité voire d’intimité entre juifs et musulmans. Ne serait-ce pas dans le dépassement de l’ego, vrai sens du sacrifice abrahamique, que les uns et les autres parviendront à restaurer une harmonie séculaire mise à mal par des développements politiques récents ? »[27].
D’autres exemples symboliques qui sont au cœur du Discours qurânique, comme le Jour et la Nuit, dans le Qur’ân, dans leur dimension symbolique, représentent l’aspect actif (pour le Jour), et l’aspect passif (pour la Nuit), ce qui se rapporterait également au couple de l’homme (actif) et de la femme (passif). La lune est aussi le symbole de la nuit (transcendance, non-manifesté et « polaire »). Ibn Arabî explique aussi certains versets eschatologiques d’un point de vue initiatique, à propos du soleil qui se lève à l’occident, comme le « lever du Soleil intérieur » durant la tombée de la nuit. Ce Soleil est celui de la Lumière principielle qui illumine les deux luminaires (soleil et lune). Dans celles de masculin et féminin ou actif et passif, il n’y a aucune conception de « bien » ou de « mal ». Par principe « passif » il faut entendre notamment la nature de réceptivité de la femme à l’égard de la Lumière, qu’elle réfléchira et dont elle « nourrira » les êtres qui en bénéficieront, ainsi que le fait que le principe « féminin » permet de manifester le principe masculin également (comme le miracle de la naissance humaine). La transcendance est l’aspect actif du Principe et l’immanence son aspect passif. L’être est un serviteur « passif » à l’égard du premier et un vicaire « actif » à l’égard du second. Le Soleil symbolise également l’esprit, tandis que la lune symbolise l’âme.
Du point de vue scientifique, la lune réfléchit la lumière du soleil, car la lune n’émet pas sa propre lumière. Sur le plan spirituel, l’esprit (soleil) influence l’âme (lune), et dont celle-ci, selon la nature de l’influence qu’elle reçoit (élévatrice ou régressive), reflétera l’influence de l’esprit qui affectera le « coeur ». C’est pour cela que les anciennes civilisations symbolisaient souvent l’esprit (ou la puissance de l’esprit) par le soleil.
Les eaux symbolisent l’océan primordial (la substance primordiale qui contient potentiellement toutes les possibilités universelles), ce qui correspond aux réalités évoquées dans le verset : « Et nous avons fait à partir de l’Eau toute chose vivante » (Qur’ân 21, 30).
Tout signe dans le Qur’ân est un symbole, renvoyant à la fois à la réalité physique (ainsi que dans ses aspects historiques, politiques, éthiques, militaires, etc.) mais également métaphysique et spirituelle. Les versets sur la légitime défense, la prudence, la vigilance et le combat contre les envahisseurs et les injustes, sont valables non seulement pour les ennemis extérieurs, mais aussi contre sa propre âme rebelle (nafs ; ego) et ses vices.
Pour avoir une lecture profonde du Qur’ân, – sauf exceptions (dévoilements spirituels ou inspirations) -, la connaissance de la langue arabe est nécessaire, comme l’indiquait René Guénon : « La lecture répétée du Qorân peut très certainement “ouvrir” beaucoup de choses, mais, bien entendu, à la condition d’être faite dans le texte arabe et non pas dans des traductions. Remarquez d’ailleurs que, pour cela et aussi pour certains écrits ésotériques, il s’agit là de quelque chose qui n’a aucun rapport avec la connaissance extérieure et grammaticale de la langue ; on me citait encore l’autre jour le cas d’un Turc qui comprenait admirablement Mohyid-din [Ibn Arabi], alors que de sa vie il n’a été capable d’apprendre convenablement l’arabe même courant ; par contre, je connais des professeurs d’El-Azhar qui ne peuvent pas en comprendre une seule phrase ! »[28].
La Lumière intelligible est l’essence (dhât) de l’« Esprit » (Ar-Rûh), et celui-ci, lorsqu’il est envisagé au sens universel, s’identifie à la Lumière elle-même ; c’est pourquoi les expressions An-Nûr al-muhammadî et Ar-Rûh al-muhammadiyya sont équivalentes, l’une et l’autre désignant la forme principielle et totale de l’« Homme Universel », qui est awwalu khalqi’Llah, « le premier de la création divine ».
« Il est d’ailleurs évident que les phénomènes ne prouvent rien mais ils frappent la généralité des gens et c’est en cela qu’ils peuvent être utiles ou nuisibles suivant les cas et suivant l’intention dans laquelle ils sont dirigés : il ne faut jamais oublier en effet qu’il existe fréquemment une similitude extérieure entre les saints et les sorciers et que le diable est le singe de Dieu et que « diabolos est sima Dei » dans ce domaine « phénoménique » »[29].
L’ouvrage de René Guenon Symboles de la Science sacrée est particulièrement éloquent à ce sujet. Pour ce qui est de la lumière divine, au chapitre 69 : « Le coeur rayonnant et le coeur enflammé », il expose comment dans toutes les traditions le soleil est le symbole de l’Esprit, assimilé au coeur -ou Intellect- lequel doit normalement être refléter par le mental, comme la lune reflète la lumière du soleil. D’autres symboles sont aussi présents, comme :
– la nuit correspond à l’âme ;
– la lune au coeur ;
– le soleil à l’esprit.
Et pour Martin Lings : « De même que la lune est le dernier éclat de la lumière diurne dans l’obscurité de la nuit, de même le coeur est l’ultime reflet de la lumière divine – c’est-à-dire de la connaissance immédiate (gnose) – dans l’obscurité de l’âme ; même dans sa forme la plus intellectuelle, la science propre à l’âme est tout mentale et n’a pas le caractère immédiat de la connaissance »[30].
Symbolisé par l’oeil du coeur, l’intellect est l’organe de la vision transcendante. Le coeur est le point où s’active le soi humain et où commence le soi transcendent. Le mot « gnose » correspond au terme arabe ma’rifah. Le mot « gnostique », désignant l’homme qui parvient à cette connaissance, correspond au terme arabe (‘ârif).
Ainsi, chaque musulman respectueux de la Tradition, qu’ils en soient conscients ou non, participent à la perpétuation et à la transmission de la Baraka. Le Prophète Muhammad (‘alayhî salât wa salâm) a dit en effet : « Qu’Allâh illumine le visage d’un être (humain) qui entend de moi une parole, l’apprend et la transmet. Beaucoup transmettent une science à des gens plus savants qu’eux, et beaucoup de ceux qui possèdent une science ne sont pas savants »[31] ainsi que : « Qu’Allâh comble de faveurs celui qui, ayant entendu une de mes paroles, l’aura mémorisée pour la transmettre à autrui. De fait, il se peut qu’un homme transmette une connaissance (fiqh) à un autre doué d’une plus grande intelligence. Et certes, il peut arriver qu’un « porteur de connaissance » ne soit pas doué d’intelligence ! »[32].
René Guénon disait à juste titre dans son ouvrage Initiation et réalisation spirituelle (chap.2 : Métaphysique et dialectique) en réponse à des « modernistes » qui s’attaquaient à la Tradition (au sens métaphysique du terme) : « Ce sont ces conclusions qu’il nous reste encore à examiner maintenant, et ici il est tout au moins un passage qu’il nous faut citer intégralement : « Dans la constitution intérieure de l’homme moderne, il existe une fracture qui lui fait apparaître la tradition comme un corpus doctrinal et rituel extérieur, et non comme un courant de vie suprahumaine dans laquelle il lui soit donné de se plonger pour revivre ; dans l’homme moderne vit l’erreur qui sépare le transcendant du monde des sens, de sorte qu’il perçoit celui-ci comme privé du Divin ; par suite, la réunion, la réintégration ne peut advenir au moyen d’une forme d’initiation qui précède l’époque dans laquelle une telle erreur est devenue un fait accompli ». Nous sommes tout à fait d’avis, nous aussi, que c’est là en effet une erreur des plus graves, et aussi que cette erreur, qui constitue proprement le point de vue profane, est tellement caractéristique de l’esprit moderne lui-même qu’elle en est véritablement inséparable, si bien que, pour ceux qui sont dominés par cet esprit, il n’y a aucun espoir de s’en délivrer ; il est évident que l’erreur dont il s’agit est, au point de vue initiatique, une « disqualification » insurmontable, et c’est pourquoi l’« homme moderne » est réellement inapte à recevoir une initiation, ou tout au moins à parvenir à l’initiation effective ; mais nous devons ajouter qu’il y a pourtant des exceptions, et cela parce que, malgré tout, il existe encore actuellement, même en Occident, des hommes qui, par leur « constitution [26] intérieure » ne sont pas des « hommes modernes », qui sont capables de comprendre ce qu’est essentiellement la tradition, et qui n’acceptent pas de considérer l’erreur profane comme un « fait accompli » ; c’est à ceux-là que nous avons toujours entendu nous adresser exclusivement. Mais ce n’est pas tout, et l’auteur tombe ensuite dans une curieuse contradiction, car il paraît vouloir présenter comme un « progrès » ce qu’il avait d’abord reconnu être une erreur ; citons de nouveau ses propres paroles : « Hypnotiser les hommes avec le mirage de la tradition et de l’organisation « orthodoxe » pour transmettre l’initiation, signifie paralyser cette possibilité de libération et de conquête de la liberté qui, pour l’homme actuel, réside proprement dans le fait qu’il a atteint l’ultime échelon de la connaissance, qu’il est devenu conscient jusqu’au point où les Dieux, les oracles, les mythes, les transmissions initiatiques n’agissent plus ». Voilà assurément une étrange méconnaissance de la situation réelle : jamais l’homme n’a été plus loin qu’actuellement de l’« ultime échelon de la connaissance », à moins qu’on ne veuille l’entendre dans le sens descendant, et, s’il est en effet arrivé à un point où toutes les choses qui viennent d’être énumérées n’agissent plus sur lui, ce n’est pas parce qu’il est monté trop haut, mais au contraire parce qu’il est tombé trop bas, comme le montre du reste le fait que, par contre, leurs multiples contrefaçons plus ou moins grossières agissent fort bien pour achever de le déséquilibrer. On parle beaucoup d’« autonomie », de « conquête de la liberté » et ainsi de suite, en l’entendant toujours dans un sens purement individualiste, mais on oublie ou plutôt on ignore que la véritable libération n’est possible que par l’affranchissement des limites inhérentes à la condition individuelle ; on ne veut plus entendre parler de transmission initiatique régulière ni d’organisations traditionnelles orthodoxes, mais que penserait-on du cas, tout à fait comparable à celui-là, d’un homme qui, étant sur le point de se noyer, refuserait l’aide que veut lui apporter un sauveteur parce que celui-ci est « extérieur » à lui ? Qu’on le veuille ou non, la vérité, qui n’a rien à voir avec une « dialectique » quelconque, est que, en dehors du rattachement à une organisation traditionnelle, il n’y [27] a pas d’initiation, et que, sans initiation préalable, aucune réalisation métaphysique n’est possible ; ce ne sont pas là des « mirages » ou des illusions « idéales », ni de vaines spéculations de la pensée », mais des réalités tout à fait positives. Sans doute, notre contradicteur dira encore que tout ce que nous écrivons ne sort pas du « monde des mots » ; cela est d’ailleurs trop évident, par la force même des choses, et l’on peut en dire tout autant de ce qu’il écrit lui-même, mais il y a tout de même une différence essentielle : c’est que, si persuadé qu’il puisse être lui-même du contraire, ses mots, pour qui en comprend le « sens ultime », ne traduisent rien d’autre que l’attitude mentale d’un profane ; et nous le prions de croire que ce n’est nullement là une injure de notre part, mais bien l’expression « technique » d’un état de fait pur et simple »
[1] René Guénon, Symboles fondamentales de la Science sacrée, éd. Gallimard, 1962, Chap. 1 : La Réforme de la Mentalité moderne. Recueil posthume.
Publié aussi dans Reg., juin 1926. Texte d’une communication faite par l’auteur à la journée d’études du 6 mai 1926 organisée par la Société du Rayonnement intellectuel du Sacré-Coeur. Sur cette société, cf. Introduction.
[2] Nicolás Gómez Dávila, Le Réactionnaire authentique, trad. Michel Bibard, éd. Éditions du Rocher, coll. « Anatolia », 2005, p. 154.
[3] Rapporté par Abû Dawûd dans ses Sunân n°3641 et par d’autres.
[4] NDT : il se peut qu’il y en ait eu, mais dont les documents historiques ont été perdus, non-répertoriés ou encore non-transmis.
[5] Seyyed Hossein Nasr, La religion et l’ordre de la nature, éd. Entrelacs, 2004, p. 349.
[6] Seyyed Hossein Nasr, La religion et l’ordre de la nature, éd. Entrelacs, 2004, pp-396-397.
[7] Alija Izetbegovic, L’islam entre l’Est et l’Ouest, éd. François-Xavier de Guibert, 2003, p. 46.
[8] Ibid., p.47.
[9] René Guénon, Formes traditionnelles et cycles cosmiques, éd. Gallimard, 1970, Chap. Quelques remarques sur le nom d’Adam.
[10] Voir notamment les travaux de Mario Beauregard, Lynn McTagguart, Masaru Emoto, Dean Radin, etc.
[11] “Viande halal : le boucher des stars défend l’égorgement”, L’OBS, 25 janvier 2017 :
[12] “Yves-Marie Le Bourdonnec : “je suis pour la fin de l’étourdissement””, Al Kanz, 1 mars 2012 :
https://www.al-kanz.org/2012/03/01/yves-marie-le-bourdonnec/ ; Voir aussi son intervention médiatique sur France 5 : https://www.youtube.com/watch?v=p8adsuHzQJE
[13] “L’étourdissement empêche-t-il un animal de souffrir? L’avis interpellant d’un neurologue”, La Libre, 18 avril 2017 : https://www.lalibre.be/planete/l-etourdissement-empeche-t-il-un-animal-de-souffrir-l-avis-interpellant-d-un-neurologue-58f4e0e5cd70e80512e7cd27
[14] René Guénon, Le symbolisme de la croix, éd. Guy Trédaniel , 2003, dans l’Avant-propos.
[15] René Guénon, Le Roi du Monde, éd. Gallimard, 1979, chap.3 : la « Shekinah » et « Metatron ».
[16] René Guénon, Aperçus sur l’initiation, Editions Traditionnelles, 2004, chap.16 : Le rite et le symbole
[17] René Guénon, Le Règne de la Quantité et les Signes des Temps, éd. Gallimard, 1945, Chap. 15 : L’illusion de la « vie ordinaire ».
[18] Michel Vâlsan, Oraisons métaphysiques, Etudes Traditionnelles n° 278, Sept. 1949, p. 251.
[19] Michel Vâlsan, dans une traduction parue dans la revue Etudes traditionnelles, Epître de l’orientation parfaite de Sadr Dîn al Qunawî.
[20] Hadîth rapporté par Abû Dawûd dans ses Sunân.
[21] Martin Lings, Le Livre de la Certitude : la doctrine soufie de la Foi, de la Vision et de la Gnose, éd. Tasnîm, 2009, pp. 79-80.
[22] Martin Lings, Symbole et Archétype, essai sur le sens de l’existence, éd. Tasnîm, 2010, p. 202.
[23] Faouzi Skali, Le souvenir de l’être profond, propos sur les enseignements d’un maître soufi, sidi hamza, éd. Le Relié, 2012, pp 97-99.
[24] Frithjof Schuon, Le soufisme – voile et quintessence, éd. Dervy, 2006.
[25] Frithjof Schuon, Vers l’Essentiel – Lettres d’un maître spirituel, éd. Les sept flèches, 2015, compilation de Thierry Béguelin.
[26] Rapporté par Ad-Dhahâbî dans Siyar A’lām an-Nubalâ’ 6/265-266.
[27] “Aïd El Adha : Le sacrifice d’Abraham”, Oumma, 31 juillet 2020 : https://oumma.com/aid-el-adha-sacrifice-abraham/
[28] René Guénon, Lettre à Louis Cattiaux Le Caire, 26 juin 1937.
[29] René Guénon, Correspondance avec Di Giorgio, René Guénon, non publié, 1924-1949, Le Caire, 8 mars 1948.
[30] Martin Lings, Un saint soufi du XXe siècle, éd. Seuil, 1990, p. 46.
[31] Rapporté par Abû Dawûd dans ses Sunân sous l’autorité de Zayd Ibn Thâbit.
[32] Hadîth rapporté par At-Tirmidhî et authentifié par As-Suyûtî, cité aussi par Tayeb Chouiref dans Les enseignements spirituels du Prophète, éd. Tasnîm, 2008, Vol. I hadith n°72, et Vol. 2I, p. 37.