Nous pouvons sentir les nombreux malaises, et témoigner des nombreuses confusions qui frappent la masse populaire, dès qu’il s’agit de science, de culture, de l’ignorance et de la Tradition (l’ensemble des formes traditionnelles à l’origine supra-humaine).
Le physicien, chercheur, professeur émérite, épistémologue et philosophe Bernard d’Espagnat (1921-2015) a dit : « On constate en effet que s’il est vrai qu’une certaine culture se répand – grâce à l’école secondaire, aux médias de masse, etc. – cette culture est cependant plus de surface que de fond. Il lui est donc difficile d’équilibrer le caractère de positivité qu’elle confère – d’ailleurs à juste titre ! – au processus de remise en question par une exigence parallèle de rigueur. Autrement dit, elle favorise la dissémination dans le public d’idées brillantes et nouvelles mais aussi de modes intellectuelles et faciles et même de superstitions très grossières. Longtemps – et jusqu’à maintenant encore – l’existence même de la science a – en arrière-plan – constitué par rapport à ce phénomène un garde-fou ou, si l’on préfère, une sorte de rappel à la sobriété. Tout en ignorant tout des détails de la recherche, le public a gardé très présente à l’esprit l’idée que, travaillant à l’écart de la « mousse » ci-dessus décrite, des équipes appliquent des méthodes précises et difficiles afin de développer non seulement le pouvoir technique de l’homme – sa connaissance des bonnes recettes – mais aussi son savoir concernant le monde tel qu’il est vraiment, toute superstition écartée. Si maintenant la rumeur devait se répandre que, de l’aveu même de certains savants, la science manque le réel ou ne s’en soucie pas, n’en doutons pas, ce qu’il peut y avoir de juste dans une assertion de ce genre serait tout de suite simplifié, déformé, défiguré même, par mille commentateurs peu habitués à la sobriété et aux nuances et très heureux peut-être de pouvoir justifier par là telle ou telle superstition ou telle ou telle mode du moment. Afin de résister aux chants de ces sirènes on devra se rappeler que, en ce qui concerne la question du réel, la science, en fait, n’est pas muette puisqu’elle exclut le réalisme proche comme il a été noté ci-dessus. Etant donné que toutes les superstitions, toutes les magies, de tous les temps (y compris du nôtre) sont – par définition peut-on dire – des thèses de réalisme proche, le rappel du fait tout simple qu’on vient de dire suffira à les réfuter ». (1).
Quand les gens se limitent
à une connaissance quelque peu superficielle et grossière, sur des sujets comme
les religions, la philosophie, l’histoire, la politique et la science, les
déformations, amalgames et superstitions ne sont jamais bien loin.
Il est évident aussi que tout le monde n’a ni le temps, ni la patience, l’intelligence,
la volonté ou l’argent de passer leur temps à étudier tous ces domaines pour
approfondir considérablement leur connaissance et enrichir ainsi leur savoir.
Ils doivent donc passer par des gens qu’ils estiment être aptes à traiter de
ces sujets. Le problème étant que des menteurs peuvent se trouver parmi les « spécialistes »
ou les « maitres », de même que des erreurs ou des confusions peuvent
être émises par des experts, ou que l’idéologie prenne le pas sur
l’objectivité.
Il faut donc toujours
s’adresser aux non-spécialistes avec humilité, introduire les nuances
nécessaires, rappeler certaines valeurs éthiques, aborder intelligemment et
sans trop complexifier le sujet le fait qu’il existe des divergences parmi les
spécialistes, ou des opinions ne faisant pas l’objet d’une certitude ou d’un
consensus dans telle et telle discipline.
De même, il faut bien faire comprendre que les néophytes n’ont pas à
s’improviser experts en place publique, de peur d’induire en erreur des gens
peu avertis, surtout en ce qui concerne la religion, la médecine ou la
politique, car les implications dans la vie réelle sont énormes.
Ce qui est inquiétant également, c’est que l’on nomme « spécialistes »
des gens qui se contentent d’accumuler une certaine quantité d’informations (ce
que peut faire toute personne intéressée par le sujet), mais dont
l’intelligence et l’analyse sont clairement défaillantes, et où l’intégrité
morale brille par son absence également. Dès lors, même certaines universités
ne font que produire des « ignorants qui pensent être savants », et
dont les préjugés, trop profondément ancrés en eux, sont difficiles à
éradiquer. L’esprit critique n’est parfois pas toléré dans certaines
universités occidentales ou orientales, selon les idéologies qui prédominent
dans les sociétés en question (marxisme, capitalisme, matérialisme,
positivisme, conception religieuse sectaire, etc.), et le système éducatif
impose donc, par défaut, une certaine orientation idéologique aux étudiants.
Le mathématicien, logicien et métaphysicien René Guénon disait : « L’instruction profane, telle qu’elle est constituée dans le
monde moderne, et sur laquelle sont modelées toutes les représentations en
question, est évidemment une des choses qui présentent au plus haut point le
caractère antitraditionnel ; on peut même dire qu’elle n’est faite en quelque
sorte que pour cela, ou du moins que c’est dans ce caractère que réside sa
première et principale raison d’être, car il est évident que c’est là un des
instruments les plus puissants dont on puisse disposer pour parvenir à la
destruction de l’esprit traditionnel. Il est inutile d’insister ici une fois de
plus sur ces considérations ; mais il est un autre point qui peut sembler moins
évident à première vue, et qui est celui-ci : même si une telle déviation ne
s’était pas produite, de semblables représentations « scolaires » seraient
encore erronées dès qu’on prétend les appliquer à l’ordre initiatique, car
l’instruction extérieure, bien qu’alors elle ne soit pas profane comme elle
l’est actuellement, et qu’elle soit au contraire légitime et même
traditionnelle dans son ordre, n’en est pas moins, par sa nature et sa
destination même, quelque chose d’entièrement différent de ce qui se rapporte
au domaine initiatique. Il y aurait donc là, dans tous les cas, une confusion
entre l’exotérisme et l’ésotérisme, confusion qui témoigne non seulement d’une
ignorance de la véritable nature de l’ésotérisme, mais même d’une perte du sens
traditionnel en général, et qui, par conséquent, est bien, en elle-même, une
manifestation de la mentalité profane ; mais, pour le faire comprendre mieux
encore, il convient de préciser un peu plus que nous ne l’avons fait jusqu’ici
certaines des différences profondes qui existent entre l’instruction extérieure
et l’initiation, ce qui fera d’ailleurs apparaitre plus nettement un défaut qui
se rencontre déjà dans certaines organisations initiatiques authentiques, mais
en état de dégénérescence, et qui naturellement se retrouve à plus forte
raison, accentué jusqu’à la caricature, dans les organisations
pseudo-initiatiques auxquelles nous avons fait allusion » (2).
Il dira plus loin, concernant l’enseignement universitaire : « A
ce propos, nous devons dire tout d’abord qu’il y a, dans l’enseignement
universitaire lui-même, ou plutôt à son origine, quelque chose qui est beaucoup
moins simple et même plus énigmatique qu’on ne le croit d’ordinaire, faute de
se poser une question qui devrait pourtant se présenter immédiatement à la
pensée de quiconque est capable de la moindre réflexion : s’il est une vérité évidente,
en effet, c’est qu’on ne peut pas conférer ou transmettre à d’autres quelque
chose qu’on ne possède pas soi-même (1) ; comment donc les grades
universitaires ont-ils pu être institués tout d’abord, si ce n’est par
l’intervention, sous une forme ou sous une autre, d’une autorité d’ordre
supérieur ? Il doit donc y avoir eu là une véritable « extériorisation » (2),
qui peut aussi être considérée en même temps comme une « descente » dans cet
ordre inférieur auquel appartient nécessairement tout enseignement « public »,
fût-il constitué sur les bases les plus strictement traditionnelles (nous
l’appellerions alors volontiers « scolastique », suivant l’usage du moyen âge,
pour réserver de préférence au mot « scolaire » le sens profane habituel) ; et
c’est d’ailleurs en vertu de cette « descente » que cet enseignement pouvait
participer effectivement, dans les limites de son domaine propre, à l’esprit
même de la tradition. Cela s’accorde bien, d’une part, avec ce qu’on sait des
caractères généraux de l’époque à laquelle remonte l’origine des Universités,
c’est-à-dire du moyen âge, et aussi, d’autre part et plus particulièrement,
avec le fait trop peu remarqué que la distinction de trois grades
universitaires est assez manifestement calquée sur la constitution d’une
hiérarchie initiatique (3). Nous rappelons également, à cet égard, que, comme
nous l’avons déjà indiqué ailleurs (4), les sciences du trivium et du
quadrivium, en même temps qu’elles représentaient, dans leur sens exotérique,
des divisions d’un programme d’enseignement universitaire, étaient aussi, par
une transposition appropriée, mises en correspondance avec des degrés
d’initiation (5) ; mais il va de soi qu’une telle correspondance, respectant
rigoureusement les rapports normaux des différents ordres, ne saurait en aucune
façon impliquer le transport, dans le domaine initiatique, de choses telles
qu’un système de classes et d’examens comme celui que comporte forcément
l’enseignement extérieur. il est à peine besoin d’ajouter que, les Universités
occidentales ayant été, dans les temps modernes, complètement détournées de
leur esprit originel, et ne pouvant plus dès lors avoir le moindre lien avec un
principe supérieur capable de les légitimer, les grades qui y ont été
conservés, au lieu d’être comme une image extérieure de grades initiatiques,
n’en sont plus qu’une simple parodie, de même qu’une cérémonie profane est la
parodie ou la contrefaçon d’un rite, et que les sciences profanes elles-mêmes
sont, sous plus d’un rapport, une parodie des sciences traditionnelles ; ce
dernier cas est d’ailleurs tout à fait comparable à celui des grades
universitaires, qui, s’ils se sont maintenus d’une façon continue, représentent
actuellement un véritable « résidu » de ce qu’ils ont
été à l’origine, comme les sciences profanes sont, ainsi que nous l’avons
expliqué en plus d’une occasion, un « résidu » des anciennes sciences
traditionnelles » (3).
Sur la différence épistémique et méthodologique entre l’enseignement
traditionnel et l’enseignement profane, il dit : « L’enseignement traditionnel se transmet dans des conditions
qui sont strictement déterminées par sa nature ; pour produire son plein
effet, il doit toujours s’adapter aux possibilités intellectuelles de chacun de
ceux auxquels il s’adresse, et se graduer en proportion des résultats déjà obtenus,
ce qui exige, de la part de celui qui le reçoit et qui veut aller plus loin, un
constant effort d’assimilation personnelle et effective. Ce sont des
conséquences immédiates de la façon dont la doctrine tout entière est
envisagée, et c’est ce qui indique la nécessité de l’enseignement oral et
direct, à quoi rien ne saurait suppléer et sans lequel, d’ailleurs, le
rattachement d’une « filiation spirituelle » régulière et continue
ferait inévitablement défaut, à part certains cas très exceptionnels où la
continuité peut être assurée autrement, et d’une façon trop difficilement
explicable en langage occidental pour que nous nous y arrêtions ici. Quoi qu’il
en soit, l’Oriental est à l’abri de cette illusion, trop commune en Occident,
qui consiste à croire que tout peut s’apprendre dans les livres, et qui aboutit
à mettre la mémoire à la place de l’intelligence ; pour lui, les textes
n’ont jamais que la valeur d’un « support », au sens où nous avons
déjà souvent employé ce mot, et leur étude ne peut être que la base d’un
développement intellectuel, sans jamais se confondre avec ce développement
même : ceci réduit l’érudition au rang inférieur qui seul lui convient
normalement, celui de moyen subordonné et accessoire de la connaissance
véritable.
Il y a encore un autre rapport sous lequel la voie orientale est en antithèse absolue des méthodes occidentales : les modes de l’enseignement traditionnel, qui le font, non point précisément « ésotérique », mais plutôt « initiatique » s’opposent évidemment à toute diffusion inconsidérée, diffusion plus nuisible qu’utile aux yeux de quiconque n’est pas dupe de certaines apparences. Tout d’abord, il est permis de douter de la valeur et de la portée d’un enseignement distribué indistinctement, et sous une forme identique, aux individus les plus inégalement doués, les plus différents d’aptitudes et de tempérament, ainsi que cela se pratique actuellement chez tous les peuples européens : ce système d’instruction, assurément le plus imparfait de tous, est exigé par la manie égalitaire qui a détruit, non seulement la notion vraie, mais jusqu’au sentiment plus ou moins vague de la hiérarchie ; et pourtant, pour des gens à qui les « faits » doivent tenir lieu de tout critérium, suivant l’esprit de la science expérimentale, y aurait-il, s’ils n’étaient pas complètement aveuglés par leurs préjugés sentimentaux, un fait plus apparent que celui des inégalités naturelles tant dans l’ordre intellectuel que dans l’ordre physique ? Ensuite, il est une autre raison pour laquelle l’Oriental, qui n’a pas le moindre esprit de propagande, ne trouvant aucun intérêt à vouloir répandre à tout prix ses conceptions, est résolument opposé à toute « vulgarisation » : c’est que celle-ci déforme et dénature inévitablement la doctrine, en prétendant mettre au niveau de la mentalité commune sous prétexte de la lui rendre accessible ; ce n’est pas à la doctrine de s’abaisser et de se restreindre à la mesure de l’entendement borné du vulgaire : c’est aux individus de s’élever, s’ils le peuvent, à la compréhension de la doctrine dans sa pureté intégrale. Ce sont là les seules conditions possibles de formation d’une élite intellectuelle, par une sélection appropriée, chacun s’arrêtant nécessairement au degré qui correspond à l’étendue de tous les désordres que suscite, quand elle se généralise, une demi-science bien autrement néfaste que l’ignorance pure et simple ; aussi les Orientaux seront-ils toujours beaucoup plus persuadés des inconvénients très réels de l’ « instruction obligatoire » que de ses bienfaits supposés, et, à notre avis, ils ont grandement raison » (4).
Sur la question de la vulgarisation, il dit : « Nous avons prononcé tout à l’heure le mot de “vulgarisation”; c’est là encore une chose tout à fait particulière à la civilisation moderne, et l’on peut y voir un des principaux facteurs de cet état d’esprit que nous essayons présentement de décrire. C’est une des formes que revêt cet étrange besoin de propagande dont est animé l’esprit occidental, et qui ne peut s’expliquer que par l’influence prépondérante des éléments sentimentaux ; nulle considération intellectuelle ne justifie le prosélytisme, dans lequel les Orientaux ne voient qu’une preuve d’ignorance et d’incompréhension; ce sont deux choses entièrement différentes que d’exposer simplement la vérité telle qu’on l’a comprise, en n’y apportant que l’unique préoccupation de ne pas la dénaturer, et de vouloir à toute force faire partager par d’autres sa propre conviction.
La propagande et la vulgarisation ne sont même possibles qu’au détriment de la vérité: prétendre mettre celle-ci “à la portée de tout le monde”, la rendre accessible à tous indistinctement, c’est nécessairement l’amoindrir et la déformer, car il est impossible d’admettre que tous les hommes soient également capables de comprendre n’importe quoi ; ce n’est pas une question d’instruction plus ou moins étendue, c’est une question “d’horizon intellectuel”, et c’est là quelque chose qui ne peut se modifier, qui est inhérent à la nature même de chaque individu humain. Le préjugé chimérique de l'”égalité” va à l’encontre des faits les mieux établis, dans l’ordre intellectuel aussi bien que dans l’ordre physique ; c’est la négation de toute hiérarchie naturelle, et c’est l’abaissement de toute connaissance au niveau de l’entendement borné du vulgaire.
On ne veut plus admettre rien qui dépasse la compréhension commune, et, effectivement, les conceptions scientifiques et philosophiques de notre époque, quelles que soient leurs prétentions, sont au fond de la plus lamentable médiocrité ; on n’a que trop bien réussi à éliminer tout ce qui aurait pu être incompatible avec le souci de la vulgarisation. Quoi que certains puissent en dire, la constitution d’une élite quelconque est inconciliable avec l’idéal démocratique ; ce qu’exige celui-ci, c’est la distribution d’un enseignement rigoureusement identique aux individus les plus inégalement doués, les plus différents d’aptitude et de tempérament ; malgré tout, on ne peut empêcher cet enseignement de produire des résultats très variables encore, mais cela est contraire aux intentions de ceux qui l’ont institué. En tout cas, un tel système d’instruction est assurément le plus imparfait de tous, et la diffusion inconsidérée de connaissances quelconques est toujours plus nuisible qu’utile, car elle ne peut amener, d’une manière générale, qu’un état de désordre et d’anarchie. C’est à une telle diffusion que s’opposent les méthodes de l’enseignement traditionnel, tel qu’il existe partout en Orient, où l’on sera toujours beaucoup plus persuadé des inconvénients très réel de l'”instruction obligatoire” que de ses bienfaits supposés. Les connaissances que le public occidental peut avoir à sa disposition ont beau n’avoir rien de transcendant, elles sont encore amoindries dans les ouvrages de vulgarisation, qui n’en exposent que les aspects les plus inférieurs, et en les faussant encore pour les simplifier ; et ces ouvrages insistent complaisamment sur les hypothèses les plus fantaisistes, les donnant audacieusement pour des vérités démontrées, et les accompagnant des plus ineptes déclamations qui plaisent tant à la foule.
Une demi-science acquise par de telles lectures, ou par un enseignement dont tous les éléments sont puisés dans des manuels de même valeur, est autrement néfaste que l’ignorance pure et simple ; mieux vaut ne rien connaître du tout que d’avoir l’esprit encombré d’idées fausses, souvent indéracinables, surtout lorsqu’elles ont été inculquées dès le plus jeune âge.
L’ignorant garde du moins la possibilité d’apprendre s’il en trouve l’occasion ; il peut posséder un certain “bon sens” naturel, qui, joint à la conscience qu’il a ordinairement de son incompétence, suffit à lui éviter bien des sottises. L’homme qui a reçu une demi-instruction, au contraire, a presque toujours une mentalité déformée, et ce qu’il croit savoir lui donne une telle suffisance qu’il s’imagine pouvoir parler de tout indistinctement ; il le fait à tort et à travers, mais d’autant plus facilement qu’il est plus incompétent : toutes choses paraissent si simples à celui qui ne connaît rien ! » (5).
Il y a certes des sciences qui conviennent à tout le monde, et qui étaient enseignées dans le monde traditionnel à tous les élèves comme les calculs, la géométrie, la géographie, l’histoire, la mémorisation du Texte Sacré (dans le cas de l’Islam), mais d’autres sciences, qui exigent certaines aptitudes cognitives et réflexives plus poussées, ne conviennent pas à tous, et qu’au-delà du savoir commun, il convient à chacun de choisir sa voie selon ses possibilités. La vulgarisation abusive et l’inaptitude de certains à saisir réellement les doctrines métaphysiques et spirituelles, et aujourd’hui, avec toutes les théories scientifiques exposées au grand public, les polémistes et dénaturations sont légions, engendrant tous les extrêmes possibles, avec les charlatans, les négateurs (de la démarche scientifique) ou les scientistes en tous genres.
Ces constats, sur la dégénérescence de la mentalité moderne, notamment à travers le système éducatif moderne, sont développés aussi par un certain nombre d’intellectuels et de professeurs, comme Jean-Claude Michéa, Seyyed Hossein Nasr, Martin Lings (6) ou Ghislain Chetan (7).
Jean-Claude Michéa établit ce constat :
« En dépit des efforts de la propagande officielle, il est devenu difficile, aujourd’hui, de continuer à dissimuler le déclin continu de l’intelligence critique et du sens de la langue auquel ont conduit les réformes scolaires imposées, depuis trente ans, par la classe dominante et ses experts en ” sciences de l’éducation “. Le grand public est cependant tenté de voir dans ce déclin un simple échec des réformes mises en œuvre. L’idée lui vient encore assez peu que la production de ces effets est devenue progressivement la fonction première des réformes et que celles-ci sont donc en passe d’atteindre leur objectif véritable : la formation des individus qui, à un titre ou à un autre, devront être engagés dans la grande guerre économique mondiale du XXIe siècle. Cette hypothèse, que certains trouveront invraisemblable, conduit à poser deux questions. Quelle étrange logique pousse les sociétés modernes, à partir d’un certain seuil de leur développement, à détruire les acquis les plus émancipateurs de la modernité elle-même ? Quel mystérieux hasard à répétition fait que ce sont toujours les révolutions culturelles accomplies par la Gauche qui permettent au capitalisme moderne d’opérer ses plus grands bonds en avant ? » (8).
Le règne de l’argent l’ayant emporté sur l’éthique, la spiritualité et l’intelligence, les jeunes sont poussés également à choisir des carrières qui sont bien plus lucratives, et même pour ceux qui opteraient pour des carrières intellectuelles ou scientifiques, ils sont intoxiqués par l’appât du gain ou la pression idéologique afin de ne pas sortir des « sentiers battus officiels », surtout qu’ils dépendent financièrement des fondations et institutions qui sont plus intéressées par la domination politique et l’accroissement financier que par la vérité ou le bien-être planétaire.
Notes :
(1) Bernard d’Espagnat, A la recherche du réel voilé, éd. Dunod, 2015, présenté par Etienne Klein, pp. 111-112.
(2) René Guénon, Aperçus sur l’initiation, Chap. 34 : Mentalité scolaire et pseudo-initiation.
(3) René Guénon, Op. cité.
(4) René Guénon, Introduction générale à l’étude des doctrines hindoues, Partie 3, chap.16 : L’enseignement traditionnel, pp.269-272.
(5) René Guénon, Orient et Occident, chapitre 2, La superstition de la science, pp. 59-60.
(6) Il aborde cette problématique en partie dans Croyances anciennes et superstitions modernes (éd. Pardès, 1996) et La onzième heure la crise spirituelle du monde moderne (éd. Tasnîm, 2015).
(7) Voir par exemple son ouvrage L’école à la dérive, l’enseignement actuel à la lumière de la tradition universelle, éd. Tasnîm, 2010.
(8) Jean-Claude Michéa, L’enseignement de l’ignorance et ses conditions modernes, éd. Climats, 2006.