La prospérité du Moyen-Orient dépend de la stabilité de l’Iran : Qassem Sulaymani, symbole mitigé ?

Qassem (ou Ghassem) Sulaymani (1957 – 2020) était un général iranien et commandant de la Force Al-Qods du corps des Gardiens de la révolution islamique, le 2ème homme fort du régime iranien, et le symbole de la puissance iranienne dans la région du Moyen-Orient.

Il fit ses premières armes en 1980, au début de la guerre Iran-Irak (de 1980 à 1988 qui fit jusqu’à 1, 5 millions de morts). Il gagna ensuite une réputation de bravoure à la suite des missions de reconnaissance entreprises derrière les lignes irakiennes. Après avoir participé à la répression d’une révolte kurde dans le nord-ouest de l’Iran, il devint lieutenant, et pendant la guerre Iran-Irak, il sert sur le front sud. Après la fin de la guerre, il est promu commandant des Gardiens de la révolution (les fameux « Pasdarân ») dans sa province natale de Kerman. Il est ensuite envoyé au Sistan-et-Baloutchistan combattre les groupes indépendantistes arabes sunnites et les seigneurs de guerre à la frontière afghane. Il gravit rapidement les grades en raison de son implication dans les opérations réussies de reconquête face à l’armée irakienne, dans la province du Khouzistan. Il finit par devenir le chef de la 41e Division Tharallah.

Lors de l’invasion américaine en Afghanistan (en 2001), alors que le régime iranien redoutait de se retrouver avec des troupes américaines à ses frontières, Sulaymani défendit devant le Conseil suprême de sécurité nationale l’idée d’une coopération avec les Américains contre les talibans, envoyant ainsi des diplomates iraniens rencontrer alors le diplomate Ryan Crocker et lui fournissent de nombreux renseignements importants sur les talibans, participant ainsi activement à la déstabilisation de l’Afghanistan. Il fera à peu de choses près la même chose en Irak, en « s’alliant » avec les américains contre Saddam Hussain.

Héros pour les uns et criminel de guerre pour les autres, Qassem Sulaymani aura suscité un clivage important au sein du monde musulman.

Que ce soit une partie des shiites (irakiens et iraniens essentiellement) et des iraniens (sunnites, shiites, laïcs, …), et une grande partie des sunnites, beaucoup le considèrent comme un criminel de guerre, pour avoir planifié des opérations militaires en Syrie ayant causé la mort de dizaines de milliers de civils, et en Irak, des dizaines de milliers de civils (y compris shiites), de même qu’il a participé au massacre de nombreux combattants sunnites anti-daesh et anti-régime. Pour cette raison, il était détesté à juste titre.

De l’autre côté, des shiites et une minorité de sunnites (souvent séduite par la propagande pro-régime iranien qui joue sur l’ignorance des gens en matière d’histoire et de géopolitique), le considèrent comme un héros et un martyr, car ils pensaient que son combat était essentiellement tourné contre l’impérialisme américain, et plus récemment, il participa aussi à la défaite militaire de Daesh, à l’instar des soldats irakiens, des combattants arabes sunnites, de la Turquie, des kurdes marxistes et d’autres pays, qui infligèrent de lourdes pertes à Daesh. Il est vrai que l’Iran exerçait son jeu d’influence en Irak, s’opposant à celle de l’influence américaine. Cependant, l’influence iranienne apportait son lot de corruption, d’instrumentalisation, de discriminations et de répressions, d’où l’opposition croissante des irakiens (même shiites) à la présence iranienne en Irak. La faiblesse de l’Irak lors de la chute de Saddam a entrainé le pays dans le chaos, et à être coincé entre l’impérialisme américain (dévastateur et matérialiste) et l’impérialisme iranien (plus proche culturellement, mais corrompu et identitaire, plus que réellement spirituel et éthique du point de vue islamique). Qassem Sulaymani aura été l’architecte de l’influence iranienne dans la région, augmentant la puissance politique et idéologique de l’Iran à l’extérieur de ses frontières, et maintenant des cartes à jouer pour contrer la présence américaine en Irak notamment (mais l’Iran a participé activement au chaos irakien initial, rappelons-le).

Quoi qu’il en soit, le monde musulman a intérêt à ce que l’Iran garde sa stabilité et que l’Iran soit prospère économiquement et socialement à l’intérieur de ses frontières. Il ne faut pas oublier qu’il existe entre 10 et 25% de sunnites en Iran (soit, entre 8 et 20 millions d’habitants), et que l’Iran préserve très bien le patrimoine historique et spirituel du monde persan (essentiellement sunnite d’ailleurs, puisque la grande majorité des grands scientifiques, poètes et maîtres spirituels de l’Iran étaient sunnites, y compris, aux yeux des sunnites, l’imâm ‘Alî ar-Ridha, – ‘alayhî salâm -).

Cela ne dédouane évidemment pas les injustices réelles, l’hypocrisie de nombreux dirigeants iraniens et la corruption politique qui gangrène le pays. Mais les populations de la région doivent bien comprendre que la sécurité de l’Iran garantie une certaine stabilité dans la région, et un Etat indépendant vis-à-vis de l’influence américaine, malgré la trahison du régime iranien qui a consisté à accepter l’influence américaine en Afghanistan et en Irak et même à les soutenir dans leurs massacres dans la région, de même que l’Iran a eu énormément de sang sur les mains en Syrie et en Irak, et également en partie au Yémen (avec l’Arabie Saoudite dont les actions criminelles ont causé d’énormes dégâts et tragédies au Yémen).

Un conflit en Iran ne fera que tourmenter davantage une région déjà ensanglantée, avec son lot de nouvelles vagues de réfugiés (plusieurs millions), au moins des centaines de milliers de morts, d’autres puissances qui voudront s’accaparer le pays, des crises diverses (humanitaires, environnementales, …), et tout cela, pour strictement rien.

Pour autant, les autres pays de la région doivent veiller à freiner l’expansion de l’influence iranienne quand celle-ci soutient des opérations politiques ou militaires des plus criminelles. Si la volonté d’assurer un périmètre de sécurité pour la nation iranienne est légitime, celle-ci ne doit pas se faire sur la mort de nombreux innocents.

L’assassinat de Sulaymani par les américains, dans un pays « allié », sans concerter les pays alliés, et en violant totalement le « droit international » ne peut pas susciter l’admiration, mais doit pousser plutôt à l’indignation, car cela ne présage rien de bon, et ne fera qu’encourager l’escalade de la violence et de l’impunité envers les criminels que sont les responsables de telles actions.

Mais entre les admirateurs de Qassem Sulaymani qui le voit comme étant le symbole et l’incarnation de la vertu, – déjà accueilli au Paradis par le Prophète Muhammad, l’imâm ‘Alî et al-Hussayn alors qu’il a énormément de sang d’innocents sur les mains  – dans les représentations abusives qui en sont faites, et les haineux simplistes anti-régime iranien, il existe une attitude plus pondérée et lucide qu’il convient d’adopter.

La paix dans le Moyen-Orient dépend essentiellement de la stabilité de la Turquie à l’Ouest, et de l’Iran à l’Est. Dans certains plans conçus dans les agendas politico-militaires américains, les pays ciblés en priorité, et dans l’ordre, étaient : l’Afghanistan, l’Irak, la Syrie, l’Iran et la Turquie, nous disait déjà Necmettin Erbakan en 2003 (et même avant les années 2000).

Les désaccords, aussi profonds et nombreux soient-ils entre les différents états ou entre un gouvernement et son peuple, doivent impérativement être résolus pacifiquement à travers des négociations – musclées si nécessaire -, pour résoudre les problèmes.

A chacun de procéder également à son autocritique, pour que tous les pays de la région se relèvent et s’émancipent de la tutelle des puissances injustes qui piétinent sans cesse leur dignité, leur honneur, leur sécurité et leur indépendance, pour de vils intérêts.


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