La lutte idéologique entre les taqlidistes, les wahhabites et les modernistes

Introduction


Selon les modernistes, le wahhabisme serait fidèle à l’islam classique (aussi bien en milieu sunnite que shiite).

Selon les wahhabites, aussi bien les modernistes que les adeptes des 4 écoles juridiques seraient des égarés (les premiers plus que les seconds).

Selon les taqlidistes (ceux qui suivent totalement les écoles juridiques), les wahhabites tout comme les modernistes, – qui ont la même méthodologie mais qui partent de postulats et de codes culturels différents -, sont dans l’égarement.

Nos considérations concernent une tendance dominante au sein de ces 3 courants, mais qui admettent évidemment des exceptions ou des tendances moins influentes. Il n’est donc pas question dans nos propos, de généraliser abusivement, mais d’analyser plutôt ici les « profils-types » que l’on retrouve dans ces 3 courants.


Problématiques

Nous ne parlerons pas ici des divergences et approches relatives aux doctrines théologiques de l’islam, mais aux problèmes liés au fiqh de façon générale.

Les modernistes comme les wahhabites sont dans l’anarchie intellectuelle, piochant ou élaborant des avis juridiques sans rigueur ni méthodologie, suivant souvent leurs passions, ou se laissant conditionner par les codes culturels (variant selon les humeurs et les époques).

Les taqlidistes sont parfois très rigoristes et rigides dans leur façon d’envisager le droit, et font parfois preuve d’un sectarisme qui n’a rien à envier aux modernistes et aux wahhabites.

Les modernistes accusent les taqlidistes d’être à l’origine des dérives des mouvements comme Daesh, or on ne retrouve pas, dans la pratique, chez les taqlidistes, la folie meurtrière qui peut animer de nombreux daeshites ou autres extrémistes de notre époque. En général, avant même de rejoindre Daesh ou avant même d’être dans la pratique religieuse, leur profil psychologique était enclin à la violence, à la binarité politique et à la fragilité psycho-idéologique. Dans certains discours des taqlidistes, par révérence et respect envers des avis qui existent dans leur école, peuvent certes parfois être similaires ou pires même que les dérives en vigueur chez des partisans de Daesh, mais ces avis ne sont pas mis en pratique, soit que le contexte ne le permet pas du tout, soit que les conditions ne sont pas réunies, soit qu’ils préfèrent tout de même, dans les faits, mettre en pratique un autre avis. On voit donc que les taqlidistes, même parmi les plus durs et les plus sectaires, ont tout de même une discipline plus sérieuse que les daeshites, et c’est ce que leur apporte le sérieux de l’apprentissage traditionnel auprès de shuyukhs qualifiés, – peu importe la pertinence de certains avis défendus par les shuyukhs en question -, de même qu’ils ont une meilleure prise de conscience et connaissance de l’importance du contexte et des conditions dans l’application des avis avant de les pratiquer n’importe comment.

En outre, beaucoup de critiques modernistes contre les écoles ne sont pas fondée, car la plupart des avis retenus au sein des 4 écoles contredisent beaucoup d’actions de Daesh (cf. notre article sur le terrorisme selon la perspective islamique : Que dit l’Islam sur le terrorisme et les relations avec les non-musulmans à la fin de la vie du Prophète ?, publié le 3 août 2019 sur les Editions Hanif http://editions-hanif.com/que-dit-lislam-sur-le-terrorisme-et-les-relations-avec-les-non-musulmans-a-la-fin-de-la-vie-du-prophete/), de même que leur mentalité (cf. A propos des khawarij (kharijites, takfiristes) et du takfir (excommunication), 15 août 2019 : http://editions-hanif.com/a-propos-des-khawarij-kharijites-takfiristes-et-du-takfir-excommunication/) sur pas mal de points. Quand la mentalité est déviante, l’individu utilisera tout ce qu’il peut, – même de façon malhonnête et partielle – pour justifier des actes qu’ils souhaitaient déjà commettre. D’ailleurs, beaucoup de taqlidistes qui ne supportent pas les injustices des nations non-musulmanes infligées aux musulmans, tiennent certes des paroles très dures, mais pour autant, se refusent d’agir en commettant des actes terroristes, ou en se précipitant dans la gueule du loup.

A titre d’exemple, par rapport aux règles liées à la guerre :

L’Islam n’encourage pas l’anarchie ou la terreur contre les civils, mais enjoint simplement la lutte contre les combattants ennemis qui refusent la voie de la paix, et encourage les musulmans à les dissuader d’attaquer à travers des dispositifs d’ordre dissuasif comme la démonstration de force ou les parades militaires imposantes, ou à travers des pressions économiques, ou encore par des mises en garde diplomatiques. Et comme l’a rappelé l’imam Al Qurtûbî (qui était malikite) dans son Tafsir Al-Jâmi’ li-Ahkam ul-Qur’ân  : « Et s’ils tuent nos femmes et nos enfants et nous chagrinent par cela, alors il ne nous appartient pas de tuer (les leurs) de la même façon dans le but de leur faire parvenir la peine et la tristesse ». La loi du talion ne s’applique donc pas dans l’injustice. La loi du talion consiste simplement à les combattre s’ils nous combattent, mais en visant uniquement les combattants, et sans commettre de pillages, de destructions des lieux de culte, de meurtres contre les civils, etc., car cela Allâh l’a interdit « pas de transgressions » de même qu’il a été interdit formellement de s’en prendre à leurs civils.

Ibn Kathîr (juriste shafiite) a dit dans son Tafsîr (4/113) par rapport au verset de la Sûrate At-Tawba (sur le fait d’accorder la sécurité aux combattants ennemis qui déposent les armes sur le champ de bataille) : « Même lorsqu’un pays musulman est en guerre avec un autre pays, si des gens viennent dans le pays musulman pour le négoce, le travail, le tourisme, ils resteront protégés par le traité politique passé entre les autorités musulmanes et leurs autorités et auront le droit tant à leur intégrité physique qu’à leurs biens jusqu’à leur retour en toute sécurité ».

L’imam al-Qurtubî (m. 1273) qui fut un grand exégète, juriste malikite, sûfi et asharite a dit dans tafsîr (exégèse) intitulé Al-Jami’ li Ahkam al-Qur’ân (4/8/49) : « Il est communément reconnu entre les musulmans que personne n’a le droit de mettre en péril la sécurité et l’ordre public lorsque les autorités l’imposent, car c’est en cela où réside l’intérêt de tous ». Dans le même ouvrage, il dira un peu plus loin : « Si l’idolâtre refuse de croire en ton message, conduis-le en un lieu sûr… ».
Dans son tafsîr (4/8/49) il relate également la position de l’imâm Mâlik : « Ce sont des questions épineuses, mais il faut laisser le non-musulman rentrer chez lui en toute sécurité » (4/114). Ibn al-Qâsim déclare : « Pareil pour le commerçant qui descend sur nos côtes, il doit retourner chez lui en sécurité » (4/8/49).

Ibn Qudâma al-Maqdisî, le célèbre savant hanbalite a dit dans son Al-Mughnî (13/75) : « Lorsque les autorités donnent la paix, même aux combattants ennemis, il faut la leur accorder du fait qu’il n’est pas du ressort de la foule de décider de telles questions ».

Ceci est l’opinion également de At-Thawrî, Awzâ’î, As-Shafi’î, Ishâq, et Ibn al-Qâsim ainsi que de la majorité des savants de l’islam. On a rapporté cela sur le pieux et juste calife ‘Umar Ibn al-Khattâb également.
Ibn Qudâma reprend : « La sécurité des non-musulmans doit avoir la même importance que celle des musulmans pour les individus et pour les groupes pour que les musulmans puissent jouir des mêmes droits » (13/77). Il dit aussi : « si on coupe toute communication avec l’ennemi, il n’y aura plus d’échange ainsi le chaos s’installe et l’intérêt des deux parties se perd à jamais » (13/79). Il parle des conflits entre musulmans et non-musulmans.

Il y a ensuite des avis anciens qui sont entourés de conditions que Daesh ne respecte pas, les reprenant donc, sans aucune contextualisation ou sans en respecter les conditions pour leur application.

On ne tue pas celui qui délaisse la prière selon l’avis retenu dans les 4 écoles, mais il y a un avis qui préconise la mise à mort pour celui qui insiste à ne pas prier alors qu’il connait le caractère obligatoire de la prière, et ce, uniquement dans le cadre d’un procès où, lorsqu’il sera l’heure de prier, il s’y refusera. Mais si l’heure était déjà passée, et qu’il dit qu’il avait déjà prié (même si c’est faux), la question sera réglée et nulle sentence ne sera appliquée sur lui à ce sujet. Même si du point de vue islamique, cette sentence peut être contestée, dans le cas où dans cette situation, cette sentence sera menacée d’être mise à exécution, l’individu qui voudra échapper à la mort pourra toujours feinter et faire semblant de prier s’il désire rester en vie. De même pour celui qui apostasie. La question qui se posera sera plutôt de savoir s’il ne serait pas préférable d’être plus indulgent dans cette situation, car l’objectif de l’Islam n’est pas d’encourager le meurtre ou l’hypocrisie, qui sont deux grands péchés que l’Islam condamne. Ainsi, certains juristes, pour empêcher certains maux (refus de la prière, de l’adultère, de l’apostasie, etc.) de se propager dans la société ont tenté de trouver des solutions (dans ce cas-ci, des peines légales) afin que la société perdure dans le Droit Chemin et le respect du Sacré, – qui sont fondamentaux en effet -, mais qui ont apporté leur lot de problèmes ou de complications également.

Il faut bien comprendre que dans les sociétés passées, les gens (dans leur grande majorité) étaient soucieux du Droit Divin et étaient conscients que le Sacré était à la fois le fondement et la finalité de leur existence, et l’idéal sociétal. Les juristes faisaient donc tout pour préserver cet ordre traditionnel, malgré leurs divergences, leurs erreurs de réflexion ou les péchés dont ils pouvaient se rendre coupable. Evidemment, dans nos sociétés contemporaines où les valeurs et priorités sont inversées, ce genre d’avis peut choquer ou susciter l’indignation ou même l’incompréhension la plus totale. Il convient donc d’adopter une approche objective et dépassionnée, pour éviter les anachronismes et les jugements de valeur de notre temps, qui ne sont pas reconnus par les anciennes générations, ni par un bon nombre de nos contemporains, que ce soit en Occident ou ailleurs.


En temps normal, nul ne peut espionner une personne, or il se peut très bien qu’une personne ne se rende pas à la mosquée pour prier, mais prie chez lui ou chez quelqu’un d’autre, ou dans un autre endroit (quelque part dans la nature par exemple). On ne pourra donc pas appliquer cette sentence (que l’on soit d’accord ou non avec le bien-fondé de cette sentence).

De même pour les questions sexuelles, il y avait très peu de tabous, et même si certains juristes sont allés trop loin dans leur refus d’interdire certaines pratiques problématiques du point de vue juridique, eux-mêmes n’encourageaient pas ces dites pratiques ni ne les pratiquaient, et parfois même, précisaient qu’il ne s’agissait pas là de l’idéal proposé par l’éthique islamique. C’est ce qui peut susciter une critique chez les juristes qui ont voulu dissocier l’aspect purement « mécanique » du droit, avec l’éthique et la prise en compte de l’idéal moral, car d’une part, selon la méthodologie de leur école, certaines pratiques problématiques ne pouvaient pas être formellement interdites du point de vue purement juridique, mais pouvaient être détestées ou critiquées selon la morale islamique.
 
Même pour les mariages forcés, comme cela relevait d’une coutume répandue, beaucoup de garçons et de filles en âge de se marier l’acceptaient, – même si c’était désagréable au premier abord -, car pour beaucoup, la prise en compte de l’amour passionnel n’était pas une condition pour le mariage, contrairement aux mœurs répandues en Occident. D’ailleurs, le mariage forcé tout comme le mariage libre/consenti peuvent mener à la concrétisation de très bons mariages (couple pieux, épanoui, heureux, etc.) comme catastrophiques et tragiques. Ce critère n’est donc pas fiable pour juger du bonheur conjugal.

Par contre, au nom de l’islam, le garçon ou la fille en âge de se marier, peut contester le mariage forcé si leurs parents ou tuteurs veulent le leur imposer.

Il y a aussi des choses qui sont louables et utiles en soi, comme le concept de « mahram » (tuteur, responsable, protecteur) et dont le but est de protéger les intérêts de l’enfant jusqu’au mariage, afin d’éviter que les pervers, débauchés ou escrocs n’abusent de la naïveté et des droits de la fille, – ou du garçon -. Mais quand cette finalité juridique est abandonnée et que le tuteur ne poursuit que ses intérêts personnels sans se soucier des sentiments, de la santé, de la dignité et de l’épanouissement (spirituel, religieux, psychologique et social) de l’enfant, c’est se détourner du Droit d’Allâh pour ne poursuivre que ses passions, et les parents qui n’ont pas recherché le bien-être et le respect de la dignité de leur enfant, seront dans le péché.

Même si on peut contester certains avis anciens jugés trop durs ou inadaptés (surtout à notre époque), ils étaient tout de même accompagnés de conditions assez strictes sans lesquelles l’application ne pourrait pas se faire…conditions souvent omises ou bafouées par plusieurs mouvements contemporains. Et ce n’est pas non plus en adoptant le modernisme comme vous le faites, que les choses iront mieux, bien au contraire, on le voit déjà en Occident et dans les pays arabes sécularisés.

Mais à force de suivre des charlatans qui mentent et changent d’avis tous les 3 mois (comme certains prédicateurs francophones que nous ne citerons pas), on en vient à sombrer dans ce délire du complotisme et du modernisme, tournant le dos à l’objectivité, à la spiritualité, à la métaphysique et au recul nécessaire quand on aborde l’histoire et les moeurs répandues dans les sociétés du passé. Un prédicateur dans le monde francophone fait souvent parler de lui depuis quelques années, ayant menti sur son parcours, sur le wahhabisme, sur ses positions (il l’a admis de façon détournée lui-même lors d’une interview), quand il se permet d’exiger la perfection des rapporteurs sans quoi il ne les considère pas comme étant fiable, alors que lui-même s’est trompé à plusieurs reprises dans la science du hadîth en plus d’avoir menti sur sa vie ou d’être un inconnu également dans cette science auprès des maîtres en la matière, n’est-ce pas là problématique ? Il parle sur presque tout, sans maitriser les sujets dont il parle (notamment sur la question du vote), ses considérations qui contredisent des pratiques et doctrines mutawatir, authentifiées également par nos plus grands awliyâ, le fait qu’il veuille réfuter des ahadiths bons et authentiques en utilisant des ahadiths moins forts ou faibles, etc., en dit long sur ce qu’il propose.

Son témoignage dans la science du hadîth et dans d’autres domaines doit être rejeté du point de vue islamique (comme il l’a dit lui-même pour d’anciens savants et rapporteurs) car il a menti sur son parcours, où des années en arrière, ses étudiants (et lui-même) affirmaient qu’il étudiait auprès des grands shuyukhs d’Adrar en Algérie alors qu’il n’a jamais étudié auprès d’eux surtout que durant les périodes où il y était (prétendument pour étudier), la madrassa était fermée. De même, quand il dit avoir étudié à fond le sunnisme traditionnel depuis son enfance, puis qu’il a adhéré au wahhabisme le plus grossier et médiocre (en les accusant de faire le takfir de ceux qui n’utilisent pas le siwak avant la prière, alors que ce n’est pas l’avis majoritaire chez eux) ce n’est pas honnête. Quelqu’un qui étudie vraiment le sunnisme traditionnel (fiqh, ‘aqida, ihsân/tasawwûf) avec les manuels de référence (donc avec les arguments qûraniques et prophétiques), ne peut pas, en toute connaissance de cause, être séduit par le wahhabisme au point de faire totalement volte-face comme il l’a prétendu…

Le fait qu’il change d’avis régulièrement, sans avoir une bonne méthodologie et des bases solides, plutôt que d’admettre ses lacunes et son incompétence, il se cache ensuite derrière de fausses excuses (« je ne pouvais pas vous dire la vérité au début, et c’est pour mieux vous faire comprendre ma méthodologie »), or en Islam, on ne ment pas sur la religion, d’autant plus qu’il n’était pas du tout sous la contrainte ou en danger de mort. Si nous ne sommes pas d’accord avec certains avis, il suffit de les mentionner sans préciser que l’on y adhère, ou alors en assumant ouvertement notre désaccord avec ces avis, mais on ne prétend pas y adhérer et les enseigner alors qu’on les refuse catégoriquement, ce n’est pas honnête comme démarche. Cela le disqualifie donc sur le plan de l’intégrité intellectuelle tout comme de sa méthodologie et donc de sa qualité d’enseignant. Plusieurs de ses disciples ont donc été induit en erreur, et beaucoup sont tombés dans l’égarement évident (au point d’en contester des piliers de l’islam), dans l’arrogance, le mépris et le sectarisme, sans aucun recul historique ou esprit critique par rapport aux discours de leur professeur. N’ayant pas de méthodologie rigoureuse, il est instable, se cherche encore, et passe du coq à l’âne sans en maitriser les outils et les disciplines, et ce, en dépit de certaines réflexions et positions intéressantes, que nous pouvons partager dans le fiqh. N’ayant aucune base solide dans les différentes disciplines et étant toujours en « construction », comment peut-il se déclarer « Shaykh » alors qu’il ne l’est pas, ni se positionner comme un « mujtahid » alors qu’il n’en a même pas les bases minimales (maîtrise approfondie de l’arabe et de la logique, de la science du hadîth et des recueils de ahadiths, en plus du Qur’ân et d’une bonne connaissance de l’histoire et des réalités socioculturelles de notre temps), et encore moins enseigner des choses aux gens dont il n’a pas même pas bien vérifié les fondements…Le tout en faisant payer ses cours assez chers. Son cas est emblématique et symptomatique des problèmes qui concernent les modernistes. Or, il fait partie des plus « érudits » (une érudition toutefois assez limitée par rapport à de nombreux shuyukhs traditionnels ou académiciens musulmans) chez les modernistes, en plus d’être arabophone. Que dire des autres modernistes, encore plus instables et fragiles que lui ?

Au moins, chez les taqlidistes, le fait que les muqalidûn doivent suivre l’avis retenu de leur école instaure une certaine stabilité et discipline chez les muqalidîn sérieux, et n’en font donc pas qu’à leurs têtes. Par ailleurs, bien des opinions défendues par des modernistes sont loin d’être toujours les plus justes et les plus pertinents, et n’étant pas des autorités en la matière (et même s’ils l’étaient), selon leur propre raisonnement, nulle obligation de les suivre… Donc la question ne sera pas réglée de cette manière. Beaucoup d’entre eux ne sont pas honnêtes (ou compétents) quand ils citent des avis passés, car ils ne mentionnent pas les conditions qui les accompagnent, et qui rendent presque impossibles l’application de la peine, ni le fait que certains avis du passé n’ont pas été retenus parmi les avis acceptés et appliqués de l’école. Il faut aussi prendre en compte la mentalité et les priorités de l’époque, qui ne sont pas du tout les mêmes que les nôtres. D’ailleurs, ces avis (anciens) n dérangeaient pas grand monde à l’époque, car certaines choses coulaient de source, et/ou que ces avis n’étaient presque jamais pratiqués (même si autorisés) ou rarement appliqués (pour les peines).

Les réformistes, comme certains taqlidistes, oublient que la solution réside surtout dans la pratique du tasawwûf, qui permet de tempérer les moeurs, de voir au-delà des divergences juridiques pour atteindre le louable et l’utile, d’éduquer l’âme et de se débarrasser des vices, du mauvais caractère et des mauvaises intentions. Sachant que sur toutes les questions secondaires (furû’) il y a des divergences, et que même des avis anciens ou contemporains non-problématiques en soi, peuvent être instrumentalisés ou utilisés à mauvais escient, il faut mettre l’accent sur la spiritualité avant tout.

Les ouvrages de référence dans les 4 écoles contredisent plusieurs positions wahhabites (sur le plan théorique) comme sur le plan pratique (appliquées par exemple par Daesh), mais si l’on veut fouiller dans les poubelles de l’histoire, comme c’est devenu l’habitude des gens malades de notre époque, il serait toujours possible trouver des avis problématiques (souvent décontextualisés d’ailleurs). Ainsi, que ce soit dans la ‘aqida, sur les questions des rites et du culte (dhikr collectif et à voix haute), du tawassûl, du tabarrûk, de l’isthigatha, des règles liées à la guerre, de la poésie, du chant, de la danse, etc., sur les permissions élargies accordées aux femmes, etc., les écoles juridiques s’appuient sur des arguments textuels et juridiques solides, et contredisent les positions dominantes adoptées par les références wahhabites. Ceci étant dit, le wahhabisme a pioché ici et là des avis anciens, d’où certains avis similaires sur le plan théorique avec certains avis issus des 4 écoles, mais le tout de façon incohérente, anarchique, et sans le respect des conditions à réunir pour leur application. Paradoxalement, des wahhabites sont plus permissifs sur quelques sujets que certains savants appartenant à une école juridique et interdiront aussi des pratiques (comme le mariage forcé) alors que beaucoup de malikites, hanbalites et shafiites (du passé du moins) autorisent le mariage forcé (mais pas la maltraitance des enfants).

Sur la question du Jihâd offensif, il y a des arguments pertinents des 2 côtés…Et à l’époque, c’était surtout une logique impériale qui était répandue, sachant que les autres empires tentaient régulièrement d’étendre leur territoire, le monde musulman avait intérêt à faire de même pour instaurer la paix et la liberté de culte aux nouveaux peuples réunis sous son autorité, tout en évitant des guerres sanglantes. Ceci étant dit, il existe l’avis des juristes qui pensent, que, si une terre non-musulmane ne persécute pas les musulmans, et qu’il est possible de pratiquer les rites de l’islam tout en gardant une bonne moralité, le Jihâd offensif n’a aucune raison d’être dans cette situation, et c’est là un avis qui a sa pertinence, et qui est soutenu par des versets du Qur’ân, des ahadiths, la prise du contexte et de la pédagogie, etc.

Sur l’esclavage, beaucoup d’avis anciens ont mélangé les règles islamiques puis les moeurs culturelles, les nécessités et les conditions sociopolitiques de leur temps. Le mal est de vouloir perpétuer des pratiques anciennes culturelles sans nécessité, et en adoptant une mentalité (mondaine, malsaine, …) étrangère à l’éthique qûranique.

Le wahhabisme a inventé certaines choses, en a bricolé d’autres, et a réuni des avis anciens qui étaient éparpillés, et sans les recontextualiser, et pis encore, avec une mentalité dépourvue de spiritualité et d’éthique, là où les autorités sunnites accordaient au moins un minimum d’importance à l’éthique et au tasawwûf, car même si du point de vue juridique ils ne voyaient pas l’interdiction ou l’obligation de certaines pratiques, ils préconisaient ce qui était utile et bénéfique dans la pratique. Nous avons discuté avec des centaines de frères wahhabites sur les réseaux sociaux et en vrai, et beaucoup ont quitté le wahhabisme à la suite de nos échanges, car justement, ils n’avaient pas connaissance du tasawwûf, de la métaphysique, des traités spirituels, etc. D’ailleurs, leurs plus grandes références (Mohammed Ibn Abdel Wahhab, – qui n’a pas remis en cause le tasawwuf en soi mais qui ne l’a pas pratiqué ni écrit dessus -, ses successeurs directs, puis Al Albani l’électron libre, Al-Fawzan, Ibn Baz, etc.) ont critiqué ou rabaissé la spiritualité, et n’ont pas écrit de livres dessus. Et quant à Ibn Taymiyya et Ibn al Qayyim, ils disent qu’ils se sont repentis du tasawwûf, ou alors ne lisent pas leurs écrits sur le tasawwûf, – sauf une minorité parmi eux -. Quand ils découvrent le tasawwûf, en général, ils se rendent justement compte que le wahhabisme les avait plongé dans l’ignorance et l’éloignement de la spiritualité des grandes autorités sunnites. Souvent, ils ne connaissaient même pas Al-Muhasibi, Al-Qushayrî, As-Sulâmî, Al-Hujwiri, Al-Kalabadhî, Ahmad Ibn Atâ’Llâh As-Sakandarî, Al-Junayd, Al-Ghazâlî, Najm ud-Dîn Kubrâ, Al-Jilânî, etc. Et quand ils en entendaient parler, c’était en des termes négatifs pour les dépeindre comme étant des égarés, à l’exception parfois d’Al-Jilânî et d’al-Junayd (car Ibn Taymiyya et Ibn al-Qayyîm en faisaient l’éloge), mais sans les lire ou sans savoir que les enseignements spirituels/sûfis de ces deux grands maîtres étaient justement ce qu’ils refusaient et décriaient dans le tasawwûf chez les autres sûfis/maîtres spirituels.

Quand les modernistes en viennent à rabaisser et à insulter nos grands maîtres spirituels, – et donc à des Rapprochés d’Allâh – sans jamais faire la part des choses ou sans même bien comprendre leurs paroles, et qu’ils se mettent à mépriser aussi bien les sunnites, les shiites que d’autres courants, n’est-ce pas eux les injustes et les sectaires ? Ainsi, ils transposent leurs propres tares chez leurs contradicteurs.

Que l’on soit en désaccord avec certaines positions des grands imâms et savants du passé, nous en convenons parfaitement, – et même les taqlidistes le font -, mais de là à leur manquer de respect, à se croire au-dessus de toute critique, à insulter « d’âne » les anciens savants et nos contemporains, à rejeter une partie de l’Islam (spiritualité et une partie de la Sunnah bien établie) et même la validité des 5 piliers de l’islam, non merci, sans façon, surtout que le manque de spiritualité et de cohérence dans leur méthodologie tout comme dans leur attitude et leurs conclusions aussi bien hâtives que biaisées en disent long sur le caractère non-islamique de cette démarche.

La souplesse et l’évolution du fiqh

Etant donné que les priorités, besoins, mœurs et mentalités ont évolué, et ne sont parfois plus du tout les mêmes entre les générations passées et celles du présent, un certain nombre de fatawa, – adaptés pour l’époque dans la plupart des cas -, n’ont plus lieu d’être aujourd’hui car les conditions et besoins ne sont plus les mêmes tout simplement. C’est d’ailleurs ce qu’ont dit de grands juristes musulmans du passé, d’où la nécessité pour le mufti, le juriste ou le juge, de prendre en compte les réalités socioculturelles de notre époque et les spécificités liées à chaque région et à chaque cas individuel, de même que la prise en compte des avancées médicales bien établies. Là où les rites islamiques, les valeurs éthiques, les obligations morales, les doctrines théologiques fondamentales de l’Islam et les nobles vertus spirituelles ne dépendent ni du temps ni de l’espace, nul besoin d’y apporter une réforme ou une abrogation, – ce qui serait tout simplement du kufr -, ce qui n’est pas le cas pour la mise en place et l’application de certaines peines légales. Même dans le cas des hudûd, il faut des conditions strictes et un contexte adapté pour les mettre en pratique, et pour les peines discrétionnaires, qui dépendent d’un ijtihad, cela dépend de ce qui est le plus utile et le plus adapté selon le contexte et les priorités du moment, et peuvent donc évoluées, être suspendues ou remplacées par d’autres peines temporelles.

L’imâm al-Qarâfî en s’adressant au mufti compétent disait dans son Anwar al Buruq fi Anwa’ al Furuq : « Toutes les fois qu’il y a un renouvellement dans la coutume (‘Urf) des gens, le Mujtahid (savant) la prend en considération, et toutes les fois où elle s’arrête, il la laisse. Ne te fige pas sur ce qui est consigné dans les livres toute ta vie ! Mais plutôt, s’il te vient un homme qui n’est pas de ta région et qui te demande la Fatwâ (avis juridique), ne le ramène pas vers la coutume de

ton pays. Questionne-le sur la coutume de sa région, guide-le vers celle-ci et donne-lui la Fatwâ par elle sans tenir compte de celle de ton pays et de ce qui est établi dans tes livres. Ceci est la vérité claire et limpide. Le fait d’être figé à jamais dans les textes rapportés (al Manqulât) est un égarement dans la religion et une ignorance des desseins des savants musulmans et des Salafs passés ».

Ibn al-Qayyîm dans son I’lam al-Muwaqqi’in (Riyadh, éd. Dar ibn al-Jawzi, 2002, 6/113-114) a dit : « Car les Fatwa changent avec le changement de temps, de lieu, de coutumes et de circonstances ».

Ainsi la maxime célèbre dans les Ussul est la suivante :

تغيّرُ الأحكامِ بتغيُّرِ الأزمانِ

« Les décisions changent avec le changement de temps ».

Cette maxime n’est pas absolue contrairement à ce que les modernistes tentent de faire croire aux gens.

Ibn al-Qayyîm a dit dans son ʿĀlam al-Fawâʾid (Makkah, éd. Dar, 2011, pp.570-571) : « Les décisions judiciaires sont de deux types : un type qui n’admet aucun changement ; ni en raison du temps, du lieu ni de l’ijtihad des imams, comme l’exigence des devoirs obligatoires, la prohibition des interdictions, les peines prescrites (hudud) pour les infractions pénales (…).

Le second type : ce qui peut changer, selon l’intérêt général rendu nécessaire par le changement de temps, de lieu ou de circonstance, comme le montant, les formes ou types de peines discrétionnaires [tazirat] (…) ».

Le shaykh hanafite, Muhammad Amîn Ibn ‘Abidîn (1198h/1783–1252h/1836), une grande référence de l’école hanafite de son temps.

Il était un théologien, spécialiste des fondements du droit (ussûl al fiqh), du droit (fiqh hanafite), de l’exégèse du Qur’ân (tafsîr), de la langue arabe, du tasawwûf (sûfisme), l’histoire, et il était aussi médecin et logicien (et sans doute avait-il également étudié les mathématiques).

C’est lui qui est aussi l’auteur de cette noble parole (même si lui-même tenait parfois des avis juridiques que l’on pourrait qualifier de non-pertinent pour notre époque) : « Les juristes ne doivent pas adhérer de manière stricte et rigide aux livres et aux opinions autoritaires du madhhab (école juridique), mais (les juristes) doivent aussi prêter attention aux besoins des gens de son temps, ou bien le mal qu’il fait l’emportera sur le louable (bénéfice, bienfait) ». Voir ses ouvrages Radd al-Muhtar ala Ad-Durr al-Mukhtar et Al-Uqûd ad-Durriyyah fī Tanqihî Al-Fatâwâ al-Ĥâmidiyyah, cité aussi par Haim Gerber, Islamic Law and Culture, The Netherlands : Brill, 1999, pp. 88, 114, 120, 121.

Il dira également que lorsque les conditions et les coutumes changent avec le temps et l’espace, il est nécessaire de réadapter les fatawi (fatâwâ) selon le contexte, et donc qu’appliquer aveuglément certaines fatawi d’une époque passée à notre contexte, peut être contraire aux finalités de l’islam lorsque les fatawi ne protègent pas l’intérêt général des gens. Le point de vue d’Ibn Abidin sur la coutume temporelle (‘urf) était qu’il était important de l’inclure dans les fatawas, à condition que la coutume n’implique rien d’interdit ou de blâmable pour l’individu. Il a affirmé que beaucoup de choses changent avec le temps et que le savant doit prendre les nouveaux éléments en compte lorsqu’il donne la fatwâ.

Comprendre les fondements et les finalités de la Sharî’ah

Il ne faut pas oublier cette vérité (que personne ne conteste dans le principe, mais dont la compréhension de ces idéaux varie selon les courants et les époques) au sujet de l’Islam, et donc  de la Sharî’ah : « De même, établir la justice et confirmer la vérité est une partie essentielle de la sharî’a de Dieu. De même, l’ordre de faire le bien et l’interdiction de faire le mal sont un des piliers de la sharî’a. De même, l’action de s’entraider dans la bienfaisance et la piété ou le fait de dire la vérité devant un chef inique représentent une partie principale de la sharî’a. Je dirais même plus, se rendre utile à autrui, bien traiter les animaux et les plantes, respecter et préserver l’environnement et la nature, font partie de la sharî’a. Tout ce qui contribue à donner à l’homme sa dignité ou à la concrétiser ou à la renforcer, tout ce qui contribue à élever celui-ci matériellement et spirituellement, tout ce qui constitue une utilité ou une amélioration sur la terre relève de la sharî’a et constitue un moyen d’en établir les fondements. Toute œuvre, tout effort qui vise à écarter l’injustice, l’oppression ou empêche la corruption et le préjudice sur la terre, entre dans le cadre de la sharî’a » (‘Abd Allâh al-Mâliki, La souveraineté de la Umma passe avant l’application de la Sharî’a, éd. Maison d’Ennour, 2018, p.41, traduit par le Shaykh Corentin Pabiot ; cité aussi par Ahmad Ar-Rîsûnî dans Al-Fikr al-islamî wa Qadâyâ-nâ as-Siyâsiya al-Mu’âsira, p. 83).

Lorsqu’il avait envoyé Mu’âdh ainsi que Abû Mûssâ au Yémen, le Prophète leur avait également recommandé ceci : « Rendez facile et non difficile. Donnez la bonne nouvelle et ne faites pas fuir ». An-Nawawî dit dans son Sharh Muslim (12/41) au sujet de ce hadîth : « Dans ce hadîth il y a l’ordre de donner la bonne nouvelle de la Grâce d’Allâh, de Sa grande rétribution, de Son grand don et de Son immense Miséricorde, et il y a l’interdiction de faire fuir par la seule mention de ce qui fait peur et de différents types de menace (de châtiment) sans y adjoindre aussi le fait de donner la bonne nouvelle. Et dans ce (hadîth) il y a aussi l'(enseignement) d’être doux avec ceux qui se sont récemment convertis, de même qu’avec ceux qui sont enfants et adolescents, de même qu’avec ceux qui se sont repentis : il faut être doux avec eux et leur communiquer progressivement les actes de dévotion. Les enseignements de l’islam ont été révélés progressivement. Si on rend les choses faciles pour celui qui entre dans la dévotion ou qui veut y entrer, elles seront faciles pour lui, et le plus souvent le résultat sera qu’il augmentera ces (actes). Mais si on rend ces choses difficiles pour lui, il ne se mettra pas à les pratiquer ; et s’il les pratique, il ne le fera pas continuellement ou ne les appréciera pas ».

Dans un hadith prophétique, la quintessence de l’éthique islamique a été résumée par la tradition prophétique comme suit :

« Garantissez-moi 6 choses de votre part et je vous garantis le paradis :

– Soyez véridiques lorsque vous parlez,

– ne manquez pas à vos promesses lorsque vous promettez,

– rendez ce qui vous est confié,

– préservez votre sexe de tout rapport interdit,

– baissez le regard (par humilité et pour se prémunir contre la tentation) et ne causez pas du tort aux gens » (Hadîth rapporté par Ahmad dans son Musnad).

Muhammad ‘Imâra dans Sahîfat al-Hayât (n°1086) rappelle la distinction entre l’idéal islamique et la réalité pratique : « L’Islam, en tant que Religion Divine, est un idéal ; quant à l’instauration et l’application de la religion par les humains, elles relèvent de la réalité. Or, il y aura toujours une marge entre la réalité et l’idéal. En raison de cette marge, il existe un stimulant qui pousse l’humain à tenter d’aller au-delà de la réalité et se rapprocher toujours plus de l’idéal visé. N’était cela, l’agenda de l’existence serait vide et les vivants connaitraient le désespoir ».

Quant au véritable juriste, il a été défini magnifiquement comme ceci :

« Farqad Al Sabakhi raconte qu’il consulta une fois Hassan al Basri sur une disposition de la Loi ; ce dernier lui répondit, mais Farqad lui rétorqua que sa réponse contredisait la position dominante des experts de la Loi (fuqaha). Hassan le rabroua alors, lui disant : « Sais-tu seulement ce qu’est un faqih ? Le faqih, c’est celui qui ne se laisse pas séduire par ce bas monde et désire l’autre monde ; il comprend très clairement les principes de sa religion et se met toujours au service d’Allâh ; il s’abstient scrupuleusement de s’en prendre à l’honneur des musulmans ou à leurs biens, les conseille sincèrement et fait porter son effort sur le service d’Allâh. S’en tenant à la tradition du Prophète صلى الله عليه وسلم , il ne rejette pas avec dédain ceux qui lui sont supérieurs ni ne se moque de ceux qui lui sont inférieurs ; enfin, il ne monnaie pas la science dont Allâh l’a gratifié  »  ».

(Rapporté par le Shaykh Ahmad al-Alawî dans son commentaire des aphorismes de Sîdî Abû Madyan).

On voit que selon cette définition, beaucoup de « juristes » ne sont pas des juristes avertis et clairvoyants, conformément à la Parole Divine et à l’enseignement prophétique :

D’après Ibn ‘Amr, le Prophète Muhammad (‘alayhî salât wa salâm) a dit : « Allâh prendra en charge les relations humaines de qui prend soin de sa relation à Allâh, et Il changera la situation extérieure de quiconque réforme son intérieur » (Hadîth rapporté par Al-Hâkim dans son Al Mustadrak).

Cela fait référence également au célèbre verset du Qur’ân : « Allâh ne modifie pas la condition (situation) de gens qui ne changent pas ce qui est en eux-mêmes » (Qur’ân 13, 11).

Le Prophète Muhammad (‘alayhî salât wa salâm) a dit : « La science intérieure est l’un des secrets d’Allâh et dépend de Sa décision : Il choisit librement les coeurs auxquels Il la confie » (Hadîth rapporté par As-Suyûtî, Daylamî et Sulamî, cf. Kanz Ummal n° 29458).

Le Prophète Muhammad (‘alayhî salât wa salâm) a dit : « Il y a deux sciences : l’une réside dans le coeur, et c’est elle la science utile ; l’autre se borne aux discours : c’est l’argument qu’Allâh opposera à l’homme » (Hadîth rapporté par Dârimî, Abû Nu’aym, Ibn Abî Shayba et al-Hâkim, cf. Kanz Ummal n° 28945 et 28946). Pour « prouver » que ses actes étaient en contradiction avec la science qu’il affichait.

Le Prophète Muhammad (‘alayhî salât wa salâm) a dit : « Le Qur’ân possède un extérieur, un intérieur, [qu’Il] détermine des principes et ouvre sur l’universel » (Hadîth rapporté par At-Tabarânî, ainsi que par l’auteur du Tâj al-tafâsîr, cf. Kanz Ummal n°3086).

Le Prophète Muhammad (‘alayhî salât wa salâm) a dit : « Combien connaissent les règles religieuses (fiqh) tout en manquant de clairvoyance (laysa bifaqîh) ! » (Hadîth rapporté par différents rapporteurs parfois avec quelques petites variantes, comme At-Tabarânî, cf. Kanz Ummal n°29004).

Entre la prudence méthodologique des « taqlidistes » et la réflexion autonome des modernistes

Il est indéniable que certains juristes ont tellement compliqué les choses, et restreint le bon comportement là où l’Islam l’étendait de façon générale, qu’il y a eu des abus et des confusions qui ont opéré une sorte de schizophrénie chez certains étudiants…Là où l’Islam recommandait fortement l’affranchissement des esclaves, certains juristes ont rendu difficile cet affranchissement, de même pour le bon comportement à leur égard ou à l’égard des dhimmis, des juristes ont tenu des propos contradictoires avec l’éthique islamique, mais leur en vouloir de façon haineuse n’est pas la bonne attitude, car eux aussi ont quelques arguments (ahadiths faibles, apocryphes ou décontextualisés) ou ont été conditionnés par l’influence culturelle dominante de leur temps. Par ailleurs, beaucoup de leurs contemporains, – y compris les dhimmis ou les esclaves par exemple n’y voyaient pas trop de problèmes car cela était plutôt bien accepté et que dans les faits, le bon comportement était généralement encouragé, et même certaines fatawa n’étaient pas toujours suivies -. Aussi, contrairement aux principes théologiques (6 piliers de la foi notamment), rituels (les piliers de l’islam) et éthiques (justice, équité, bonté, bienfaisance, …) qui exigent une certitude en guise d’adhésion et de profession, cela n’est pas exigé sur le plan juridique pour les questions relatives aux branches (furû’) de la religion, d’où la divergence qui est généralement acceptée au sein des juristes des différentes écoles, même si certains juristes ou étudiants peuvent toujours faire preuve de sectarisme ou d’exagération en raison d’une initiative ou d’une faiblesse d’ordre personnel. Certains vont même se montrer très durs envers ceux qui penchent vers la nécessité de protéger l’honneur et la dignité des filles et des femmes (ce que l’Islam enjoint de faire), – par aveuglément envers un avis juridique pouvant faire autorité dans leur école -, mais se montrer très laxistes envers des gens qui suivent un avis autorisant la réalisation de certains délits ou crimes dans certaines situations, là où les textes islamiques et l’avis notoire de grands savants, formulent une interdiction explicite à ce sujet…C’est là un signe de déchéance et de sectarisme.

Alors que les non-taqlidistes sincères et vertueux (contrairement aux modernistes qui ne sont pas dans une optique d’éduquer leur âme et d’aspirer à la piété) recherchent toujours l’avis le plus pertinent et solide, conforme à l’idée qu’ils se font de la justice, les taqlidistes se soucient plutôt de se conformer aux avis obtenus par la méthodologie des savants de l’école à laquelle ils se réfèrent, – partant du principe que les autorités de leur école sont plus aptes et justes et donc mieux placés pour savoir ce qui est juste ou non -. La critique des taqlidistes n’est pas dénuée de pertinence, en ce sens que ceux qui ne suivent pas une école juridique et qui n’ont pas le bagage intellectuel suffisant (profonde connaissance du Qur’ân et de la Sunnah, de la logique et de la sîrah, de la langue arabe et de ses figures de style, méthodologie dans les fondements du droit, …), suivront généralement leurs passions et penseront atteindre la vérité et la justice alors que leurs passions et leurs méconnaissances (de certains textes, leurs mauvaises déductions, etc.) fausseront leurs opinions et leurs conclusions, et que selon les taqlidistes, les gens dépourvus de capacités d’ijtihâd n’ont pas à suivre leurs opinions, car basées sur l’ignorance ou un certain subjectivisme culturel et/ou moral.

Ils disent aussi que ceux qui n’ont pas une bonne connaissance du Qur’ân, de la langue arabe, des ussul al fiqh, de la logique et des ahadiths, ne peuvent pas s’improviser juristes, car beaucoup de choses leurs échapperont. C’est là une chose qui se vérifie souvent quand on voit les aberrations et les déviances des wahhabites (qui piochent sans cohérence ici et là des avis, – parfois sans les comprendre ou en les décontextualisant -, ou font leur propre ijtihad, mais sans chercher à atteindre l’idéal islamique et sans se conformer aux finalités juridiques et éthiques de l’Islam) et tout comme des modernistes (qui ne se soucient pas du Droit Divin ni de la piété, et qui se sont laissés abuser par les idéologies modernes telles que le scientisme, le matérialisme, l’individualisme, le rationalisme, etc., tout comme par la culture dominante du pays où ils vivent). Pour autant, leur critique possède aussi des faiblesses et ne peut pas être généralisée à outrance comme le font beaucoup d’entre eux, car dans le fiqh, à partir du moment où le musulman sincère qui aspire à la piété, qui est familier avec la logique, qui a accès au Qur’ân dans sa totalité, aux différents recueils de ahadiths, qui a étudié les différents commentaires exégétiques, juridiques et les règles en vigueur dans la science du hadîth (qui possède une terminologie spécifique comme toutes les autres sciences, et dont certains termes similaires possèdent un sens distinct que celui qui est utilisé dans le fiqh par exemple), qui a médité sur la Sîrah du Prophète, et qui a étudié également les ouvrages de référence dans les maqasid (finalités juridiques), tout en étant baigné dans l’éthique et la méditation puisées du Qur’ân, et qui a côtoyé ou étudié l’œuvre spirituelle des grands maîtres, saura ce qui peut être utile ou non à son cheminement, saura saisir les lacunes ou les contradictions dans certains ahadiths problématiques, de même qu’il pourra adopter un avis plus conforme à l’éthique prophétique lorsqu’il procédera à une comparaison des avis juridiques avec l’argumentation utilisée pour soutenir chaque avis. Des juristes affiliés aux écoles juridiques autorisent d’ailleurs aux musulmans qui suivent une école juridique de façon générale, d’adopter un avis issu d’une autre école sur certains points spécifiques (notamment des questions sociétales), et même rituels si le contexte rend vraiment pénible ou impossible l’accomplissement de l’avis juridique de son école initiale (à laquelle le musulman se rattache). S’ils nous rétorquent qu’il faut être « mujtahid » pour raisonner, – là où Allâh n’a pas restreint la capacité de réflexion qu’aux questions théologiques ou scientifiques -, nous leur dirons qu’ils admettent volontiers que dans le fiqh, sur les questions liées aux branches, il n’y a pas de preuves « qa’tî » (catégorique, n’admettant pas d’autres interprétations ou particularisations possibles), et qu’il y a donc une certaine relativité permise, et nous ajouterions aussi que, si de grands maîtres du fiqh, de la logique, de la langue arabe, de l’exégèse qurânique et du hadîth, ont tenu des avis opposés sur un grand nombre de questions, alors leurs arguments factuels s’écroulent, et si leurs erreurs sont pardonnées, alors ceux qui choisissent un avis plutôt qu’un autre, avec l’intention de plaire à Allâh, de s’éloigner des choses douteuses ou nocives, de ne pas causer du tort aux gens, de tendre vers la piété, de dompter son ego, et qui ont pu comparer les différents avis, tout en procédant à une réflexion approfondie, en cas d’erreurs ils seront aussi pardonnés s’ils sont sincères et humbles dans leur démarche, – sans tomber dans l’arrogance et le mépris envers les savants ou les gens qui ont tenu d’autres avis que les leurs -. Ce cas est fondamentalement différent de l’ignorant, qui, tout en se réclamant de la « raison », avec ou sans appui de versets du Qur’ân ou de ahadiths -, s’improvise juriste, impose ses avis, égare les gens, et méconnait tout des réalités sociopolitiques, ne connait rien à la psychologie humaine, délaisse un certain nombre de versets du Qur’ân ou de ahadiths authentiques (en omettant les différentes versions de chaque hadîth), ne regardant ni le contexte, ni la portée ni la particularisation des ahadiths, et qui en plus de tout cela, se montre orgueilleux, vaniteux et injustes, celui-là est certainement égaré et même injuste, qu’il réunisse tout ce que nous avons décrit ici ou seulement une partie des tares et des défauts que nous avons évoqué à ce sujet.

Nombreux sont en effet les ignorants qui prétendent maitriser la logique ou tenir des discours rationnels, et qui se permettent de rejeter des ahadiths sous prétexte qu’ils contrediraient, – selon eux -, le Qur’ân ou la rationalité, ou même la science, alors que leurs arguments sont erronés, puisque réfutés par la logique, des données scientifiques mieux établies (sachant que la science évolue énormément sur beaucoup de questions), ou que les ahadîths qu’ils ont rejeté avait un sens bien restreint et contextuel, – ne contredisant donc pas le Qur’ân -, et ainsi de suite. Il est cependant vrai que certains ahadiths, même resitués dans le contexte, ont un sens contradictoire avec la Parole Divine, et parce que la chaine a été jugée acceptable selon les critères adoptés par beaucoup de spécialistes, certains ont toujours tenté de les concilier, – mais parfois avec des arguments très faibles qui finalement ne résolvent rien -, plutôt que de renoncer à un hadîth problématique, que ce soit dans sa chaine (isnâd) et/ou dans son énoncé (matn).

A contrario, des taqlidistes veulent faire croire que leur école est dénuée de passions ou d’erreurs sur certains sujets, ou que des savants de leur école n’étaient pas influencés par la culture de leur époque, ou qu’ils n’ignoraient pas certains textes, ou qu’ils privilégieraient toujours les meilleurs textes (les plus solides), alors que l’on peut trouver facilement un certain nombre de contre-exemples. En général, ils ne s’en tiennent qu’à l’avis mashur (retenu) de leur école, et respectent aussi l’avis retenu dans les autres écoles, quand bien même ceux-ci (mais les avis retenus qui sont problématiques constituent une minorité) poseraient des problèmes de conscience morale qu’un musulman animé par la justice et la piété ne saurait tolérer. Ils font parfois preuve d’une froideur déconcertante, où la compassion, l’empathie, l’intelligence et la justice semblent totalement absentes de leurs discours et attitudes. Pourtant, dans son principe, l’avis mashhur permet d’éviter l’anarchie intellectuelle chez les gens de la masse, leur interdisant de suivre des avis marginaux, étranges ou tout aussi problématiques (sauf dans certains cas, notamment en rapport l’éthique). L’Islam pourtant, enjoint à tous les musulmans d’exercer leur intelligence, d’aspirer à la piété, de ne pas causer du tort aux gens, de préserver l’honneur et la dignité des femmes, des hommes, des enfants, des orphelins et des personnes âgées, sans restriction sociale, ethnique ou religieuse. Lorsque le musulman est confronté à la divergence, la pédagogie prophétique nous enjoint à délaisser les avis juridiques qui suscitent le doute en nous, qui nous éloigne de la piété, qui tend vers l’injustice, qui cause du tort à soi-même ou aux autres, et qui n’apporte ni la tranquillité d’esprit ni l’apaisement du cœur. Parallèlement, les avis qui alimentent l’ego et poussent à sombrer dans le mauvais comportement et à se laisser aller à ce qui corrompt l’âme et la société sont à rejeter. Cela se fonde sur les textes islamiques explicites, tels que :

Le Prophète Muhammad (‘alayhî salât wa salâm) a dit à Wâbissa : « Demande la fatwa à ton cœur, demande la fatwa à ton âme. Le bien est ce à propos de quoi l’âme se tranquillise et le cœur se tranquillise. Le péché est ce qui se trame dans l’âme et qui va et vient dans le cœur, même si on te donne des fatwas sur le sujet » (Hadîth rapporté notamment par An-Nawawî dans son Riyâd us Sâlihîn).

On peut également citer d’autres ahadiths allant dans ce sens, comme celui relaté d’après An-Nawwâs ibn Sam’an qui rapporte que le Prophète Muhammad (‘alayhî salât wa salâm) a dit : « La piété consiste en la haute moralité, le mal est ce qui met ton âme dans l’embarras et qu’il te répugne que les gens le découvrent en toi » (Hadîth authentique rapporté par Muslim dans son Sahîh 4/1980 n°2553, At-Tirmidhî dans ses Sunan n°2389, Ahmad dans son Musnad 4/182, al Bayhaqî 10/142, al Hakim 2/14, al Muttaqi dans al kanz n°5163, At-Tabrîzî dans Al mishkât n°5073, An-Nawawî dans son Riyad as Salihîn n°27 et d’autres encore).

Wâbika Ibn Mu’âdh rapporte que le Prophète Muhammad (‘alayhî salât wa salâm) a dit : « Je me rendis une fois auprès de l’Envoyé d’Allâh (‘alayhî salât wa salâm) et il me dit :

« – Tu es venu me poser des questions sur la piété.

– Certes, dis-je.

– Interroge ton cœur, dit-il : la piété est toute chose dans laquelle l’âme et le cœur trouvent leur quiétude. Le mal est ce qui tourmente ta conscience et met ton cœur dans l’hésitation, quoique les gens te donnent un avis contraire et insistent dessus plusieurs fois » (Hadîth rapporté par l’imâm Ahmad dans son Musnad 4/228, par Al-Bayhaqî dans Dalâ’il an-nubuwwa 6/293, par As-Suyûti dans Ad-dhurr al manthûr 2/2551, az-Zubaydî dans al ithâf 6/42, at-Tahawi dans al mushkil, al Haythamî dans Majma az-zawâ’id n°10175, ad-Dârimi 2/2533, At-Tirmidhî et d’autres). Toutes ces traditions sont conformes au Qur’ân, à la recherche de la Sagesse et à l’intellect, ainsi qu’à la saine fitra.

Cela nous montre que, au plus le musulman renforcera sa piété et son sens moral, au plus lui répugnera les choses douteuses ou des pratiques qui peuvent comporter des éléments néfastes ou malsains, ou causer du tort aux gens, quand bien même une pratique ne serait pas jugée « illicite » pour le commun des gens. Il y a donc des choses, qui, même si elles ne sont pas interdites en soi, seront repoussées ou réprouvées d’un point de vue moral, car cela éloigne considérablement la personne de la piété et de la responsabilité (par exemple des aliments ou des repas qui ne sont pas bénéfiques pour la santé, mais qui sur le plan légal ne sont pas illicites pour autant ; gaspiller beaucoup d’argent dans des choses futiles mais qui ne sont pas illicites, refuser un droit personnel qui ne relève pas de l’obligatoire afin de ne pas causer de la peine à ses parents, à son épouse ou à son enfant, etc.).

Il est vrai qu’il n’est cependant pas donné à tout le monde d’identifier clairement ce qui est bon ou mauvais, utile ou inutile, bénéfique ou nuisible selon les situations, surtout que certaines questions sont complexes (intégrant tout un tas de facteurs, de données et d’outils pour agir de la bonne manière), ayant donné beaucoup de fil à retordre aux plus grands juristes. Mais même en cas d’erreur, que ce soit pour un juriste ou un musulman de la masse, le Prophète a agi avec douceur, indulgence, bonté, compassion et sagesse avec les compagnons qui ont commis des erreurs de jugement, que dire pour nous, musulmans nés après leur génération, privés de la présence continuelle du Prophète, et dont l’existence de ahadiths inventés ou déformés, et d’une compréhension défectueuse, nous ont grandement compliqué la tâche ? Or, dans le Qur’ân et la Sunnah, nous avons des textes explicites qui montrent que l’essentiel est de s’attacher à la foi, à la pudeur, à la justice, à la compassion, aux actes cultuels, aux piliers de la foi, à la confiance en Allâh, à la bienveillance et aux actes de bienfaisance envers Ses créatures. Pour les divergences, il faut apprendre à être tolérant sans pour autant cautionner ceux qui invitent clairement à la débauche, à renier des principes fondamentaux de l’Islam et à l’injustice, et sachant que de grands savants ont divergé, l’humilité est indispensable dans toute démarche intellectuelle.


Il y a par ailleurs des questions qui coulent de source, et qui ne nécessitent pas un suivisme aveugle d’une école juridique, comme l’interdiction de maltraiter sa fille ou les personnes sous sa responsabilité, l’interdiction de battre ses parents d’autant plus quand ils sont des gens pieux et bienveillants, car tout cela fait partie des bonnes mœurs évidentes et générales enseigner par le Prophète, et exprimer très clairement dans le Qur’ân, même s’il peut exister parfois des situations exceptionnelles qui exigent un comportement plus adapté (comme par exemple être dur envers les criminels, punir les auteurs des grands crimes, user d’un ton sévère avec des personnes qui persistent à détourner les gens de leur Seigneur, du bon comportement, des rites obligatoires, etc.). Or, certains ont préféré suivre des avis juridiques sans aucun fondement qurânique (et prophétique établi), mais influencés par des ahadiths clairement faibles ou inventés, – en totale opposition avec le Qur’ân et la Sunnah mutawatir -, ou des avis juridiques imprégnés clairement de mœurs culturelles sans liens avec les nobles vertus islamiques évoquées à de multiples reprises dans le Qur’ân et la Sunnah. Il y a d’ailleurs une règle générale en islâm, qui est de suivre ce qui est clair et général, et d’interpréter les choses ambigües ou isolées à la lumière de ces principes, et non pas l’inverse. C’est une approche souvent (mais pas toujours) appliquée dans le fiqh hanafite, où certains ahadiths ayant un sens possédant une particularisation, – ou restreint -, sont finalement interpréter selon la généralité évoquée dans le Qur’ân. D’autres font exactement l’inverse, ce qui pose des problèmes épistémologiques en même temps que juridiques.

Mais il est nécessaire de relativiser l’existence des avis jugés problématiques (en tout cas à notre époque), où grâce au tasawwûf et aux traités de ’adab, le bon comportement a souvent pris le pas sur les mœurs ou certains avis juridiques problématiques, même parmi de nombreux « taqlidistes ».

S’il faut critiquer et dénoncer les lacunes, contradictions, attitudes méprisantes et irresponsables de nombreux modernistes, pour autant,  chaque mouvement doit aussi procéder à son autocritique, car le sectarisme, l’agressivité et l’étroitesse d’esprit de certains taqlidistes qui n’imaginent pas qu’il puisse y avoir d’autres avis acceptables et fondés que les leurs, ou que certains de leurs savants puissent se tromper en pratique (ils vont l’admettre sur le plan théorique, mais très rarement sur le plan pratique) est aussi une attitude erronée et blâmable du point de vue islamique. Eux-mêmes trahissent parfois les écrits et l’esprit de leurs maîtres du passé, qui, s’ils vivaient à notre époque, auraient adopté d’autres fatawa à notre époque, puisque les contextes ont changé, parfois radicalement.

Il ne faut pas non plus idéaliser les savants, car avec tout le respect qu’on leur doit (avoir passé leur temps à écrire, lire, étudier, enseigner, travailler et accompli de nombreux actes d’adoration et de bienfaisance), ils ont pu se tromper, ou céder parfois à leurs passions ou à leurs faiblesses, ou tout simplement qu’ils étaient en concordance avec les mœurs établies en leur temps, en symbiose avec les codes culturels des gens du commun. Mais les critiques actuelles, si elles ne sont pas intellectuelles et éthiques (au sens islamique), mais provenant uniquement du subjectivisme culturel ou de la décadence morale « occidentalo-moderne », ne sont pas du tout pertinentes.

Il ne faut pas oublier que l’Islam ne s’adresse pas qu’aux saints et aux vertueux, mais aussi à des gens faibles, pouvant commettre de grands péchés, ou ne possédant pas une grande intelligence, et que donc, une certaine souplesse est légitime et instituée pour eux, mais là encore, cette souplesse ne doit pas mener pour autant à des injustices manifestes quand la dignité, la santé ou la foi des personnes sont menacées d’une manière ou d’une autre, quand bien même ces pratiques seraient culturellement bien répandues, une telle chose ne saurait être acceptée en Islam, car la notion de justice est un pilier moral de cette religion.

Wa Allâhu a’lam.


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