La culture livresque, la sagesse et la connaissance

La culture livresque, qui ne consiste pour beaucoup, qu’à consommer des livres, sans chercher forcément la Vérité ou à cultiver une forme de sagesse, peut souvent être un piège pour l’individu, confortant son ego, ou limitant la lecture qu’à un vulgaire passe-temps. Lire beaucoup n’est donc pas un gage de sérieux, de maturité intellectuelle ou d’intelligence quelconque, puisque d’une part la maturité intellectuelle peut être plus développée chez des personnes qui lisent beaucoup moins que d’autres, et qui n’ont pas été polluées par des livres médiocres ou remplis de contre-vérités ou des théories biaisées ou délirantes. Enfin, on ne trouve pas le même degré d’intelligence ou de perspicacité chez des individus qui lisent pourtant parfois les mêmes livres, alors même qu’ils appartiennent à la même communauté. La sagesse dépend souvent des qualités morales et des prédispositions intellectuelles, que de l’érudition livresque, de l’origine ethnique, de la classe sociale ou de la génétique. Le Qur’ân associe souvent la sagesse et la clairvoyance, à des qualités morales comme la bienfaisance et la bonté d’âme, ainsi qu’à la piété et à l’éloignement de ce qui relève du péché (qui obscurcit la raison, l’âme et la dimension spirituelle de l’Homme).

« Et quand il eut atteint sa maturité et sa pleine formation, Nous lui donnâmes la faculté de juger et une science. C’est ainsi que Nous récompensons les bienfaisants » (Qur’ân 28, 14).

« Et quand il eut atteint sa maturité Nous lui accordâmes sagesse et savoir. C’est ainsi que nous récompensons les bienfaisants » (Qur’ân 12, 22).

« Voilà vraiment des preuves et des signes, pour ceux qui savent observer (avec perspicacité) ! » (Qur’ân 15, 75) ».

« Certes, Allâh est avec ceux qui agissent (pour Lui) avec piété et ceux qui sont bienfaisants » (Qur’ân 16, 128).

« Ô vous qui croyez ! Si vous craignez Allâh, Il vous accordera la faculté de discerner (entre le bien et le mal, le vrai et le faux), vous effacera vos méfaits et vous pardonnera. Et Allâh est le Détenteur de l’énorme grâce » (Qur’ân 8, 29). Par « crainte » il s’agit ici de « crainte révérentielle », la volonté de se préserver des actes blâmables et répréhensibles, et de cheminer vers ce qui satisfait Allâh et ce qui élève et purifie donc l’âme et la conscience.

Faire le bien en étant sincère conduit à la sagesse et à la clairvoyance qu’Allâh accorde aux bienfaisants, et c’est une réalité qu’il est possible de constater, quand on rencontre des êtres animés par une réelle bonté et générosité, et qui aspirent sincèrement à plaire à leur Seigneur et d’être utiles à Ses serviteurs.

Cela, il est aisé de le constater, puisque nous pouvons être éblouis par la sagesse, la sagacité et l’illumination de simples paysans pieux, là où des universitaires bardés de diplômes se montrent souvent arrogants, idiots et très facilement manipulables et influençables dans de nombreux domaines, et parfois même dans leur propre domaine d’expertise, où leur conditionnement dans un paradigme biaisé, fausse tous leurs jugements et les empêche d’y voir clair.

C’est pour cela que dans le Tasawwuf, comme pour d’autres sciences, les livres peuvent être un obstacle à l’élévation spirituelle ou à la clarification intellectuelle, étant souvent plus source de distraction/dispersion et de confusion, que de clarification et de concentration, tandis que l’enseignement d’un maitre qualifié, adapté à nos aptitudes et nos aspirations, est plus à même de nous convenir et de cultiver en nous la connaissance et la sagesse. La « mentalité » universitaire, d’ailleurs, pour beaucoup, brouille plus leur esprit et leurs facultés intellectuelles qu’autre chose. Cheminer avec un maître qualifié est souvent une nécessité pour ceux qui souhaitent goûter à la connaissance plutôt que d’être limité ou prisonnier d’une érudition spéculative qui est généralement stagnante et hésitante (on le voit chez de nombreuses personnes à notre époque, où à chaque lecture ils changent complètement de « minhaj » et de vision du monde, sans aucune cohérence ni bases solides).

Par ailleurs le Q.I ce n’est pas l’intelligence, car elle ne fait pas intervenir le discernement et l’esprit critique, mais uniquement certaines aptitudes mentales dont les processus de calculs mentaux (un peu comme le processeur d’un ordinateur, qui n’en reste pas moins « non-intelligent », ne sachant pas prendre « conscience de », et encore moins d’une série de prise de conscience) et de mémorisation (de certaines informations, qui peuvent être fausses ou vraies), étant incapable de vérifier la pertinence des informations et leur fiabilité, et complètement conditionné par son environnement et le paradigme qu’on lui a « inculqué » et « imposé ». Au 11e siècle, le célèbre imâm Abû Hamid al-Ghazâlî, polymathe et maitre spirituel (formé aussi à la théologie, la logique, les fondements et finalités du droit, au droit comparé, à la rhétorique et aux religions et philosophies comparées, aux mathématiques, à l’exégèse, à la médecine, à l’astronomie, à la physique, à l’histoire, à la « sociologie » et à la psychologie) avait déjà magistralement abordé cet aspect des choses, mêlant psychologie, philosophie, sociologie, éducation et épistémologie, sur le conditionnement mental lié à l’environnement socioculturel, mais qui n’était pas une fatalité, comme on peut le constater de nos jours, où malgré d’intenses propagandes athéistes et matérialistes dans des sociétés occidentales, beaucoup optent pour une voie religieuse et spirituelle (comme l’Islam) dans un environnement hostile et parfois même très islamophobe et religiophobe.

Des gens possédant un Q.I. très élevé se sont révélés par ailleurs être de véritables idiots qui se sont fait entubés dans certaines affaires (commerciales, professionnelles, scientifiques, politiques, sentimentales, …). A force d’endormir et d’abrutir la masse, le résultat devient évident et n’a rien de bien reluisant. Depuis les découvertes de Daniel Goleman sur « l’intelligence émotionnelle », mesurer le niveau de QI est dépassé, et surtout, pas si universel que cela, puisque beaucoup de tests de Q.I. dépendent de variables et repères culturels (ici liés au monde occidental et à la façon dont sont présentées de nombreuses disciplines, parfois de façon biaisée, totalement erronée ou lacunaire, ce qui entraine des répercussions sur les résultats, peu fiables du coup, où c’est surtout la mémorisation de ce qui a été appris « par cœur », même si c’est faux, plutôt que sur l’esprit critique et l’intelligence). En outre, l’intelligence revêt différentes formes, le Q.I n’étant que l’aspect analytique des choses.

L’éducation n’est pas un facteur objectif, car elle peut être très orientée ou basée sur des propagandes ou des informations douteuses et orientées à l’aide de suggestions bien appropriées, comme cela l’est clairement en Occident, et comme cela l’était sous les régimes nazistes, fascistes ou communistes avant la fin de la guerre froide, propagandes qui sont encore plus subtiles ou grossières selon les cas en Occident comme en Chine, en Inde ou en Russie.

Au niveau technologique cela ne permet pas non plus d’établir une quelconque corrélation sérieuse puisque la plupart des Américains, des Turcs, des Espagnols ou des Sud-Coréens, bien que dirigés et influencés par des systèmes politiques non-religieux, n’en restent pas moins assez croyants sur le plan « théorique ». A contrario, bien des peuples « avancés technologiquement » peuvent professer de nombreuses croyances « irrationnelles », douteuses ou peu fondées, liées ou nom à la culture ou au new-âge, comme en Amérique du Nord ou du Sud, en Chine, en Inde, en Australie, au Japon, en Corée du Sud ou du Nord ou en Europe. Là encore, la technologie n’est pas corrélée à l’intelligence ni à la sagesse, d’autant plus quand la technologie moderne participe grandement à l’abrutissement des masses, à l’atrophie des fonctions cognitives, à la dépendance (émotionnelle et intellectuelle), à la dégradation de la santé, etc.

Si les diplômes peuvent toujours avoir leur utilité, il est faux de penser qu’ils sont un gage de sérieux, d’intégrité et de maitrise d’un quelconque sujet. En effet, que ce soit en Occident ou ailleurs, beaucoup de procédés douteux sont utilisés pour gonfler artificiellement les CV, surclasser ou déclasser les universités dans certains classements (pour le prestige). Des diplômes peuvent être donnés par complaisance, par piston et réseautage, pour des motivations politiques et idéologiques, ou avoir été obtenus par la tricherie ou certaines astuces pas toujours très transparentes. De même, en Occident comme ailleurs, – souvent dans les universités dites laïques et matérialistes d’ailleurs – des étudiants se voient refuser l’obtention de leur diplôme pour des raisons personnelles, politiques et idéologiques. Beaucoup de personnes intelligentes et dotées d’un savoir encyclopédique en ont fait d’ailleurs souvent les frais, ce qui les a poussés à multiplier leur lecture et leurs efforts intellectuels pour s’intéresser à de nombreux sujets, et à penser parfois hors des sentiers battus et des paradigmes (biaisés ou réductionnistes) enseignés dans certaines universités. Le cursus universitaire peut même, pour certains, être un frein à la connaissance « intégrale », à l’élévation intellectuelle et à l’épanouissement spirituel, puisque détournés d’autres voies de connaissance, et déconnectés parfois des autres sciences, avec peu de passerelles ou d’échanges intellectuels des autres disciplines, les privant de ce fait d’une vision globale et d’une approche synthétique de la connaissance, d’autant plus que certains cursus universitaires n’actualisent pas toujours l’état des connaissances et les données qui peuvent « évoluer » très vite, et parfois même radicalement, comme en médecine et en biologie, en histoire et en archéologie, dans les neurosciences ou l’islamologie.

Les choses deviennent plus évidentes lorsque l’on prend la main dans le sac, des doctorants débiter de nombreuses âneries, mentir de façon éhontée, falsifier ou travestir des données lors de leurs thèses ou de leurs recherches. Cela est vrai aussi bien pour la médecine et la santé, que pour la philosophie, la littérature, le droit, l’islamologie, la physique ou la psychologie.

L’universitaire doit parfois se plier à des règles arbitraires, se conformer à une idéologie dominante ou à un paradigme fondé sur des erreurs et comportant bon nombre de biais cognitifs. L’obtention de son diplôme ne reflètera donc pas ses véritables connaissances ou convictions, ni une quelconque intégrité morale et intellectuelle (devant faire plaisir à ses professeurs ou responsables de thèses, quitte à travestir la réalité et à répéter des erreurs pour obtenir de bonnes notes), ni même la Vérité, si ses travaux et thèses visent à se conformer à une idéologie dont les fondements sont fragiles ou erronés, et déjà réfutés depuis belle lurette (que ce soit les modèles scientistes et matérialistes en science, le paradigme séculariste en économie, en droit, en politique et en éducation, l’idéologie consumériste concernant le modèle sociétal, l’orientalisme de l’école hypercritique concernant l’islamologie, etc.). Et pourtant, ces erreurs grossières sont toujours répétées, enseignées ou véhiculées dans des thèses peu sérieuses et crédibles, mais qui sont défendues avant tout pour des raisons idéologiques : dans les universités occidentales, il est très rare de tomber sur des recherches objectives et réellement sérieuses, bien que le monde anglo-saxon soit généralement plus sérieux et rigoureux que dans le monde francophone (notamment dans les sciences et l’islamologie, où leurs thèses sont en réalité déjà réfutées et obsolètes depuis de nombreuses années, par les travaux académiques les plus rigoureux et sérieux, qui sont souvent passés sous silence dans le monde francophone, pour des raisons de pouvoir politique et de mainmise idéologique sur les institutions).

Il est donc établi qu’un diplôme n’est pas synonyme de vérité, de connaissance véritable, de science utile ou d’intégrité morale et intellectuelle, sachant d’autant plus que beaucoup de diplômés (dans un même domaine) s’invectivent ou se réfutent mutuellement, et adoptent parfois des conclusions ou des interprétations totalement antagonistes ou profondément divergentes.

Quant à la Science plus généralement, pratiquement tous les pères fondateurs de la science ancienne et moderne étaient des croyants, que ce soit dans l’Antiquité (Grèce, Égypte, Inde, Perse, Chine, …), durant le Moyen-Âge (monde musulman et monde judéochrétien) comme dans le monde moderne.

Ils prétendent aussi que l’évolution naturelle de la psychologie humaine (toujours sans aucune preuve) conduirait naturellement l’humanité vers l’athéisme…Alors pourquoi cette croyance ne correspond à rien de concret et de réel ? Pourquoi n’apporte-elle aucun bénéfice pour l’humanité ? Au contraire, elle apporte plutôt des problèmes d’ordres social, éthique, psychologique et mental (et heureusement que tous les athées auto-proclamés ne vont pas jusqu’au bout de leurs croyances amorales, et qu’ils sont encore nombreux à s’inspirer des valeurs ou préceptes des religions, pour tenter de vivre décemment et en se préservant ainsi de nombreuses turpitudes et maladies mentales et psychologiques). Pourquoi l’athéisme ne s’impose-t-elle pas d’elle-même (ou avec l’apparition des premiers êtres humains ?), et doit-elle s’imposer à travers des propagandes médiatiques, audiovisuelles, scolaires, historiques (contre-vérités historiques, amalgames, généralisations abusives, etc.) ou par la force (comme dans les régimes communistes) ? Comment cela se fait-il que des athées, ont fini par renoncer à leur athéisme militant ou passif, pour embrasser une forme de spiritualité ou de religion, soit par des réflexions philosophiques, par des déductions logiques (et en observant les contradictions flagrantes des croyances athégristes), ou encore par l’étude scientifique de la nature (comme le célèbre Anthony Flew). Alors qu’à l’échelle mondiale, les systèmes politiques anti-religieux (souvent imposés par la force et/ou le mensonge) dominent de plus en plus l’humanité, et que les disparités et malheurs s’amplifient de plus en plus, le nihilisme ambiant montre clairement son inanité et son incapacité à rendre l’humain meilleur, bien au contraire, lui volant sa dignité et brisant ses repères, il l’empêche de se réformer intérieurement et l’isole, retournant chaque humain contre ses prochains et contre soi-même.

Le logicien, philosophe et métaphysicien Frithjof Schuon écrivait dans Regards sur les mondes anciens :

« Pour l’ancien chevalier, il n’y avait au fond que cette alternative : le risque de la mort ou le renoncement au monde ; la grandeur de la responsabilité, du risque ou du sacrifice, coïncide avec la qualité de « noblesse » ; vivre noblement, c’est vivre en compagnie de la mort, qu’elle soit charnelle ou spirituelle. Le chevalier n’avait pas le droit de perdre de vue les fissures de l’existence ; obligé de voir les choses de haut, il devait toujours frôler leur néant. De plus, pour pouvoir dominer les autres, il faut savoir se dominer soi-même ; la discipline intérieure constitue la qualification essentielle pour les fonctions de chef, de juge, de guerrier.  La véritable noblesse, laquelle ne saurait du reste être le monopole d’une fonction, implique une conscience pénétrante de la nature des choses en même temps qu’un généreux don de soi, elle exclut par conséquent les chimères comme les bassesses (1).

(1) Rien n’est plus faux que l’opposition conventionnelle entre un « idéalisme » et un « réalisme », laquelle insinue en somme que « l’idéal » n’est pas « réel », et inversement, comme si un idéal situé en dehors de la réalité avait la moindre valeur, et comme si la réalité se situait toujours en deçà de ce que nous pouvons appeler un « idéal » ; le croire, c’est penser en mode quantitatif, non qualitatif. Nous avons en vue ici le sens courant des termes et non leur signification spécifiquement philosophique ».

(…) S’étant fermé lui-même l’accès du Ciel et ayant répété à plusieurs reprises – et dans des cadres plus restreints – la chute initiale, l’homme a fini par perdre l’intuition de tout ce qui le dépasse et du même coup, il est devenu inférieur à sa propre nature, car on ne peut être pleinement homme que par Dieu, et la terre n’est belle que par son lien avec le Ciel. Même si l’homme est encore croyant, il oublie de plus en plus ce que veut la religion au fond : il s’étonne des calamités de ce monde, sans se douter qu’elles peuvent être des grâces puisqu’elles déchirent – comme la mort – le voile de l’illusion terrestre et permettent ainsi de « mourir avant de mourir », donc de vaincre la mort.

Bien des gens s’imaginent que le purgatoire ou l’enfer est pour ceux qui ont tué, volé, menti, forniqué et ainsi de suite, et qu’il suffit de s’être abstenu de ces actions pour mériter le Ciel ; en réalité, l’âme va au feu pour ne pas avoir aimé Dieu, ou pour ne pas l’avoir aimé suffisamment ; on le comprendra si l’on se souvient de la Loi suprême de la Bible : aimer Dieu de toutes nos facultés et de tout notre être. L’absence de cet amour (1) n’est pas forcément le meurtre ou le mensonge ou quelque autre transgression, mais c’est forcément l’indifférence (2) ; et celle-ci est la tare la plus généralement répandue, c’est la marque même de la chute. Il est possible que les indifférents (3) ne soient pas des criminels, mais il est impossible qu’ils soient des saints ; c’est eux qui entrent par la « porte large » et marchent sur la « voie spacieuse », et c’est d’eux que dit l’Apocalypse : « Aussi, parce que tu es tiède et que tu n’es ni froid ni chaud, je te vomirai de ma bouche »’. L’indifférence envers la vérité et envers Dieu est voisine de l’orgueil et ne va pas sans hypocrisie ; son apparente douceur est pleine de suffisance et d’arrogance ; dans cet état d’âme, l’individu est content de soi, même s’il s’accuse de défauts mineurs et se montre modeste, ce qui ne l’engage à rien et renforce au contraire son illusion d’être vertueux. C’est le critère d’indifférence qui permet de surprendre l’« homme moyen » comme « en flagrant délit », de saisir le vice le plus sournois et le plus insidieux pour ainsi dire à la gorge et de prouver à chacun sa pauvreté et sa détresse ; c’est cette indifférence qui est en somme le « péché originel », ou qui le manifeste le plus généralement. L’indifférence est aux antipodes de l’impassibilité spirituelle ou du mépris des vanités, et aussi de l’humilité. La vraie humilité, c’est savoir que nous ne pouvons rien ajouter à Dieu et que, si nous possédions toutes les perfections possibles et que nous eussions accompli les œuvres les plus extraordinaires, notre disparition n’enlèverait rien à l’Éternel.

1. Il s’agit, non pas exclusivement d’une bhakti, d’une voie affective et sacrificielle, mais simplement du fait de préférer Dieu au monde, quel que soit le mode de cette préférence ; « l’amour » de l’Écriture englobe par conséquent aussi les voies sapientielles.

2. C’est avec raison que Fénelon a vu dans l’indifférence la plus grave des maladies de l’âme.

3. Les ghâfilûn du Koran ».

Le savant et métaphysicien Martin Lings écrit quant à lui ceci : « Durant cette conférence, nous avons entendu à plusieurs reprises les mots « développement » (tatawwur), « progrès » (taqaddum), « renouvellement » (tajdîd) et « renaissance » (nahda), et sans doute n’est pas une perte de temps de marquer une pause et d’examiner ce qu’ils signifient. « Développement » veut dire s’éloigner des principes, et bien qu’il soit nécessaire de s’éloigner d’une certaine distance des principes pour en faire des applications, il est d’une importance vitale de rester suffisamment près pour que le contact avec eux soit pleinement efficace. Le développement ne doit par conséquent jamais aller au-delà d’un certain point. Nos ancêtres étaient particulièrement conscients que ce point périlleux avait été atteint en Islam il y a des siècles ; et pour nous qui sommes bien plus éloignés dans le temps qu’ils ne le furent de la communauté idéale du Prophète et de ses Compagnons, le danger est d’autant plus grand. Comment nous permettre de ne pas être sur nos gardes ? Comment nous permettre de ne pas vivre dans la crainte d’augmenter la distance qui nous sépare des principes jusqu’au point où le développement se mue en dégénérescence ? Et en effet, on peut à bon droit se demander si la plupart des choses qui l’on assimile fièrement aujourd’hui à du développement ne sont pas en fait de la dégénérescence.

Quand au terme « progrès », toute personne devrait espérer progresser, et c’est là le sens de notre prière guide-nous sur la voie de la transcendance. On pourrait employer le terme « développement » dans le même sens positif quand il s’agit d’individus. Mais les communautés ne progressent point ; si elles le firent, quelle communauté était la mieux qualifiée pour progresser que la première communauté islamique dans tout l’élan de sa jeunesse ? Or le Prophète a dit : « Les meilleurs des hommes sont ceux de ma génération puis ceux qui les suivent, puis ceux qui suivent ces derniers. » Et il nous faut conclure du Coran qu’avec le passage des siècles un durcissement général des cœurs est inévitable, car il dit à propos des gens d’une communauté que ceux-ci avaient vu passer le temps avec langueur [et que] leurs cœurs s’étaient endurcis (Coran : 57,16) ; cette même vérité ressort également de ce que le Coran dit à propos des élus, à savoir qu’ils seront très nombreux parmi les premières générations et peu nombreux parmi les dernières (Coran 56, 13-14). L’espérance des communautés doit donc résider, non dans le « progrès » ou le « développement », mais dans le « renouvellement », c’est-à-dire la restauration. Le terme « renouvellement » a été employé jusqu’ici, au cours de ce congrès, surtout comme un synonyme plutôt vague de « développement », mais dans son sens traditionnel, apostolique (1), le renouvellement est le contraire de développement, car il signifie la restauration d’un élément de la vigueur primordiale de l’Islam. Le renouvellement est donc, pour les Musulmans, un mouvement de retour, c’est-à-dire un mouvement vers l’arrière et nom vers l’avant.

Quant au terme de « renaissance », on pourrait en soi l’employer dans le même sens que « renouvellement », mais il comporte des associations d’idées très fâcheuses, car le mouvement qu’on appelle la Renaissance européenne ne fut rien d’autre, si nous l’examinons soigneusement, qu’un renouvellement du paganisme de l’ancienne Grèce et de Rome ; et cette même « Renaissance » marque la fin de la civilisation chrétienne traditionnelle, et le début de cette civilisation moderne matérialiste. La « renaissance » dont on dit maintenant qu’elle s’établit dans les États arabes est-elle différente de celle-là, ou est-elle du même genre ».

(1)  Le Prophète a dit : « Dieu enverra à cette Communauté au début de chaque siècle, quelqu’un qui renouvellera sa religion » (Abû Hurayra) ». (1).

René Guénon disait dans Orient et Occident (chap. 2 : La superstition de la science, pp. 59-60) : « Nous avons prononcé tout à l’heure le mot de « vulgarisation » ; c’est là encore une chose tout à fait particulière à la civilisation moderne, et l’on peut y voir un des principaux facteurs de cet état d’esprit que nous essayons présentement de décrire. C’est une des formes que revêt cet étrange besoin de propagande dont est animé l’esprit occidental, et qui ne peut s’expliquer que par l’influence prépondérante des éléments sentimentaux; nulle considération intellectuelle ne justifie le prosélytisme, dans lequel les Orientaux ne voient qu’une preuve d’ignorance et d’incompréhension; ce sont deux choses entièrement différentes que d’exposer simplement la vérité telle qu’on l’a comprise, en n’y apportant que l’unique préoccupation de ne pas la dénaturer, et de vouloir à toute force faire partager par d’autres sa propre conviction. La propagande et la vulgarisation ne sont même possibles qu’au détriment de la vérité: prétendre mettre celle-ci « à la portée de tout le monde », la rendre accessible à tous indistinctement, c’est nécessairement l’amoindrir et la déformer, car il est impossible d’admettre que tous les hommes soient également capables de comprendre n’importe quoi ; ce n’est pas une question d’instruction plus ou moins étendue, c’est une question « d’horizon intellectuel », et c’est là quelque chose qui ne peut se modifier, qui est inhérent à la nature même de chaque individu humain. Le préjugé chimérique de l’ « égalité » va à l’encontre des faits les mieux établis, dans l’ordre intellectuel aussi bien que dans l’ordre physique; c’est la négation de toute hiérarchie naturelle, et c’est l’abaissement de toute connaissance au niveau de l’entendement borné du vulgaire. On ne veut plus admettre rien qui dépasse la compréhension commune, et, effectivement, les conceptions scientifiques et philosophiques de notre époque, quelles que soient leurs prétentions, sont au fond de la plus lamentable médiocrité ; on n’a que trop bien réussi à éliminer tout ce qui aurait pu être incompatible avec le souci de la vulgarisation. Quoi que certains puissent en dire, la constitution d’une élite quelconque est inconciliable avec l’idéal démocratique ; ce qu’exige celui-ci, c’est la distribution d’un enseignement rigoureusement identique aux individus les plus inégalement doués, les plus différents d’aptitude et de tempérament; malgré tout, on ne peut empêcher cet enseignement de produire des résultats très variables encore, mais cela est contraire aux intentions de ceux qui l’ont institué. En tout cas, un tel système d’instruction est assurément le plus imparfait de tous, et la diffusion inconsidérée de connaissances quelconques est toujours plus nuisible qu’utile, car elle ne peut amener, d’une manière générale, qu’un état de désordre et d’anarchie. C’est à une telle diffusion que s’opposent les méthodes de l’enseignement traditionnel, tel qu’il existe partout en Orient, où l’on sera toujours beaucoup plus persuadé des inconvénients très réel de l’ « instruction obligatoire » que de ses bienfaits supposés. Les connaissances que le public occidental peut avoir à sa disposition ont beau n’avoir rien de transcendant, elles sont encore amoindries dans les ouvrages de vulgarisation, qui n’en exposent que les aspects les plus inférieurs, et en les faussant encore pour les simplifier ; et ces ouvrages insistent complaisamment sur les hypothèses les plus fantaisistes, les donnant audacieusement pour des vérités démontrées, et les accompagnant des plus ineptes déclamations qui plaisent tant à la foule. Une demi-science acquise par de telles lectures, ou par un enseignement dont tous les éléments sont puisés dans des manuels de même valeur, est autrement néfaste que l’ignorance pure et simple ; mieux vaut ne rien connaître du tout que d’avoir l’esprit encombré d’idées fausses, souvent indéracinables, surtout lorsqu’elles ont été inculquées dès le plus jeune âge. L’ignorant garde du moins la possibilité d’apprendre s’il en trouve l’occasion ; il peut posséder un certain « bon sens » naturel, qui, joint à la conscience qu’il a ordinairement de son incompétence, suffit à lui éviter bien des sottises. L’homme qui a reçu une demi-instruction, au contraire, a presque toujours une mentalité déformée, et ce qu’il croit savoir lui donne une telle suffisance qu’il s’imagine pouvoir parler de tout indistinctement ; il le fait à tort et à travers, mais d’autant plus facilement qu’il est plus incompétent : toutes choses paraissent si simples à celui qui ne connaît rien ! ».

  C’est exactement ce que l’on observe de nos jours, où beaucoup d’élèves et même d’universitaires qui n’ont pas étudié profondément les sujets en question, répètent les mêmes erreurs et les mêmes préjugés sur la Religion, l’histoire, l’autorité scientifique et la connaissance scientifique, sur le « Progrès » et « l’égalité », occultant certaines évidences pour entretenir certains « mythes fondateurs » de la modernité, qui ne résistent pourtant pas aux faits (historiques, scientifiques, psychologiques, etc.) les mieux établis. D’autres, eux aussi modernistes, font parfois les mêmes constats sur les dérives et les échecs de la modernité, mais n’en tirent pas forcément les mêmes conclusions, ni ne comprennent les causes profondes des symptômes qu’ils décrivent (parfois même remarquablement), mais demeurent bien incapables d’y apporter les bonnes solutions. Les crises, à la fois globales et profondes, ainsi que successives, dans tous les domaines de la vie : économique, social, politique, climatique, écologique, scientifique, épistémologique, scientifique et culturel, sont bien la preuve que la modernité a bafoué les lois de la nature, de la civilisation et du Sacré, et qu’aucune de ses promesses n’a été tenue, malgré des millions de spécialistes, d’idéologues et des milliers de milliards de $ dépensés pendant plus de 2 siècles pour tenter de prouver le contraire…

  Julius Evola dans L’arc et la massue (éd. Pardès 1996) a dit très justement : « L’expression « stupidité intelligente » a été forgée par un représentant qualifié de la pensée traditionnelle, F. Schuon. G. Bernanos, pour sa part, avait parlé de l’intelligence des sots, tandis qu’un autre Français avait pu écrire : « Le drame de notre époque, c’est que la bêtise se soit mise à penser », pour caractériser la nature d’une certaine intellectualité qui domine de larges secteurs de la culture moderne et qui est fortement présente en Italie. Cette intellectualité prospère surtout aux confins du journalisme – véritable calamité de notre époque – et d’un genre littéraire précis, l’essai. Un de ses principaux centres de diffusion est constitué par les « troisièmes pages » des grands quotidiens, et l’intellectualité en question s’exerce essentiellement dans ce qu’il est convenu d’appeler la « critique ». Sa marque la plus évidente, c’est l’absence de principes, d’intérêts supérieurs, d’engagement authentique. Sa grande préoccupation, c’est de « briller », d’être « originale ». On accorde également beaucoup d’importance au « beau style », léché et professionnel, à la forme et non au fond, à l’esprit au sens frivole et mondain que ce terme possède parfois en français. Pour les représentants de cette « intellectualité », la phrase brillante, la prise de position dialectique et polémique pouvant faire de l’effet, ont bien plus de valeur que la vérité. Les idées, quand ces gens-là les utilisent, ne sont pour eux qu’un prétexte ; l’essentiel, c’est de briller, de paraître très intelligent – de même que pour le politicien d’aujourd’hui l’idéologie d’un parti n’est qu’un moyen de faire carrière. La « foire des vanités », le subjectivisme le plus délétère, confinant souvent au narcissisme pur et simple, sont donc des composants essentiels de ce phénomène, et lorsque ces cliques d’intellectuels prennent une teinte mondaine, avec les « salons » et les associations culturelles, cet aspect ressort encore plus nettement. On ne peut pas donner tort à celui qui a dit que, de tous les genres de stupidité, le plus pénible c’est la stupidité des gens intelligent ».

  Enfin, pour quiconque étudie profondément et intellectuellement (avec un esprit critique en même qu’un esprit de synthèse) les sujets qui sont débattus à la télévision ou même dans certaines universités dites « libres et laïques », constatera les nombreuses superstitions et supercheries défendues par la « doxa officielle » concernant la physique, l’histoire et la philosophie des sciences, le sécularisme, l’islamologie, l’histoire, la psychologie des foules et la propagande politique (2), etc. Quand on sait que ce sont souvent des idéologues et des gens influents (des multinationales ou des institutions politico-économiques) qui orientent l’éducation, sélectionnent les directeurs d’universités ou les manuels scolaires, que ce soit dans les pays « démocratiques » ou « totalitaires », il n’y a là rien d’étonnant, sauf pour les utopistes ou les « naïfs ».

    Pour en revenir à la « science profane », Frithjof Schuon dans Regards sur les mondes anciens (pp.45-46) disait très justement ceci : « Il n’est pas étonnant qu’une science issue de la chute — ou de l’une des chutes — et de l’illusoire redécouverte du monde sensible soit aussi la science du seul sensible, ou du virtuellement sensible (2), et qu’elle nie tout ce qui dépasse ce domaine, qu’elle nie par conséquent Dieu, l’au-delà et l’Âme , y compris a fortiori le pur Intellect, qui précisément est capable de connaître tout ce qu’elle rejette ; pour les mêmes raisons, elle nie aussi la Révélation qui, elle, rétablit le pont rompu par la chute. Selon les observations de la science expérimentale, le ciel bleu qui s’étend au-dessus de nous est, non pas un monde de béatitude, mais une illusion d’optique due à la réfraction de la lumière dans l’atmosphère, et à ce point de vue-là, on a évidemment raison de nier que le séjour des bienheureux se trouve là-haut ; mais on aurait grandement tort dénier que l’association d’idées entre le ciel visible et le Paradis céleste résulte de la nature des choses et non de l’ignorance et de la naïveté mêlée d’imagination et de sentimentalité, car le ciel bleu est un symbole direct et partant adéquat des degrés supérieurs — et suprasensoriels —de l’Existence ; il est même une lointaine réverbération de ces degrés, et il l’est forcément du moment qu’il est réellement un symbole, consacré par les Ecritures sacrées et l’intuition unanime des peuples (3). Ce caractère de symbole est si concret et si efficace que les manifestations célestes, quand elles se produisent dans notre monde sensible, « descendent » sur terre et « remontent » au Ciel ; le symbolisme sensible est fonction de la réalité suprasensible qu’il reflète. Les années-lumière et la relativité du rapport espace-temps n’ont absolument rien à voir dans la question — parfaitement « exacte » et « positive » — du symbolisme des apparences et de sa connexion à la fois analogique et ontologique avec les ordres célestes ou angéliques ; que le symbole lui-même puisse n’être qu’une illusion d’optique n’enlève rien à son exactitude ni à son efficacité, car toute apparence, y compris celle de l’espace et des galaxies, n’est à rigoureusement parler qu’une illusion créée par la relativité ».

Cependant, l’influence de l’occidentalisation du monde est énorme, et cause de nombreux ravages, où de plus en plus de gens, même des athées et autres non-religieux, se plaignent des méfaits de la modernité, où les gens sont poussés à consommer comme des moutons, à renoncer à leur dignité et à la décence pour augmenter leurs profits (les hommes et les femmes en sont réduits à se comporter comme des objets sexuels et des idiots pour gagner beaucoup d’argent, au lieu de s’intéresser à la planète, à la sagesse, à la connaissance bénéfique, à aider son prochain, à explorer le monde, etc.). Cette mentalité occidentale a toutes les caractéristiques d’un virus et d’un poison, avec un effet corrupteur des plus grands et dévastateur qui soit, pouvant même jusqu’à corrompre ceux qui veulent s’en préserver ou en rester loin.


Notes :

(1) Martin Lings, Retour à l’esprit – Questions et Réponses, éd. Tasnîm, 2010, pp. 106-112.

(2) Voir par exemple Gustave Le Bon, Psychologie des foules, éd. PUF, 1988 ; Edward Bernays, Propaganda – Comment manipuler l’opinion publique en démocratie, éd. Zones, 2007 ; Léon Tolstoï, L’esclavage moderne, éd. Le Pas de côté, 2012 et les ouvrages de Michel Desmurget, Mad in USA: Les ravages du modèle américain, éd. Max Milo, 2008 ; TV Lobotomie : La vérité scientifique sur les effets de la télévision, éd. J’ai Lu, 2013 ; La Fabrique du crétin digital, éd. Points, 2020. En lisant ces livres, le lecteur comprendra les différents mécanismes de manipulation employés dans les pays dits démocratiques et totalitaires, que ce soit concernant la manipulation politique des masses, celle des médias mainstream ou même dits alternatifs, dans le marketing et l’économie, etc.


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