Critique de lecture – L’Islam et le Graal de Pierre Ponsoye

L’Islam et le Graal : étude sur l’ésotérisme du Parzival de Wolfram von Eschenbach de Pierre Ponsoye (éd. Archè Milano, 1991).

« L’énigme du Graal est de celles qui ne cesseront jamais d’éveiller l’intérêt profond de l’homme qui médite, parce que son “lieu” est au-delà de tous les problèmes secondaires de l’esprit, dans la retraite intérieure de ce mystère d’intellection qui, pour tous les grands spirituels, est une mémoire, la mémoire spontanée des choses divines… Certains ont cru le définir en disant qu’il est le symbole de la grâce. Il suffit d’avoir pénétré quelque peu, et surtout sans idée préconçue, dans l’intimité de sa légende, pour se rendre compte qu’une telle explication, sans être évidemment fausse, est beaucoup trop imprécise pour rendre compte d’un mystère si hautement qualifié […] Coupe prophétique des Celtes, Vaisseau chargé du Sang divin, ou Pierre de Révélation descendue dans le Ciel oriental, le Graal est le signe de ce Mystère, transmis en secret du fond des âges, et porteur de cette même Lumière primordiale, de cette Luce intellectual piena d’Amore que Dante considéra au Paradis, et qu’en un moment élu l’Occident s’étonna de voir briller en son propre cœur ».

Charles-André Gilis (Shaykh ‘Abd ar-Razzâq Yahya) dira de cet ouvrage sur son site : « Après la destruction de l’Ordre du Temple, dit René Guénon, les initiés à l’ésotérisme chrétien se réorganisèrent, d’accord avec les initiés à l’ésotérisme islamique, pour maintenir, dans la mesure du possible, le lien qui avait été apparemment rompu par cette destruction ».

Il y a d’autant moins lieu de s’étonner d’une participation commune et consciente du Christianisme et de l’Islam au Mystère prophétique permanent désigné par l’Écriture sous la figure de Melki-Tsedeq, que c’est précisément celui-ci qui investit et bénit Abraham au nom du Dieu Très-Haut, et en lui les trois traditions monothéistes dont il est la racine.

Que l’Ordre du Graal ne fut rien d’autre qu’une expression de l’ordre même de Melki-Tsedeq ou Roi du Monde, la seule mention du Prêtre Jean dans le Parzival suffit à l’attester.

C’est cette notion de Centre suprême qui donne à tous ces faits une véritable portée, comme elle commande l’ensemble du symbolisme du Parzival. C’est là la véritable Terre Sainte de l’ésotérisme médiéval, chrétien, judaïque ou islamique. Dans son texte Complémentarisme de formes traditionnelles, Michel Vâlsan fait référence à l’ouvrage de Pierre Ponsoye : L’Islam et le Graal. Cette étude peut être qualifiée de « vâlsanienne », car elle avait été rédigée avec l’aide de notre maître et sous sa direction, ce qui n’est sûrement pas étranger au fait qu’elle a suscité, dans les Études Traditionnelles, des attaques d’une rare violence » (https://leturbannoir.com/produit/lislam-et-le-graal/).

Extrait : « Ainsi Gahmuret (fils, comme Arthur, d’une race « faée », prédestinée, indique ailleurs Wolfram), pour accomplir son voeu de chevalerie céleste, se met au service de la plus haute autorité spirituelle connue, et cette autorité est islamique. Wolfram l’identifie au calife de Badgad, mais son titre de Baruk (le « Béni » en hébreu ; en arabe el-Mubârak ou Mabrûk) et la nature de ses pouvoirs font voir en lui une autorité d’un ordre beaucoup plus profond, et d’un caractère nettement polaire, dont la juridiction, qui s’étend aux « deux tiers de la terre et même au-delà », semble d’ailleurs déborder le cadre de l’Islam. Le mot Calife (el-Khalifah) peut s’entendre à la fois dans le sens de « successeur du Prophète » et de « lieutenant d’Allâh ». Si Bagdad est le siège du Calife, elle est aussi symboliquement, pour Mohyiddîn Ibn Arabî, celui du « Pôle suprême, manifestation parfaite de la forme de la Divinité ». Le mot Bagdad signifie en iranien « don de Dieu ». Il a sept variantes, dont celle employé par le Sheikh el-Akbar, Bughdan, a la même signification. Un autre nom de Bagdad est Dar es-Salam, la « Maison de la Paix », qui est aussi une désignation du Centre spirituel suprême. Or voici ce que dit Mohyiddîn à ce propos : « Le pays d’Allâh le plus aimé de moi après Taybah (la Médine), la Mekke et Jérusalem, c’est la ville de Bughdan. Qu’aurais-je à ne pas désirer la « Paix », alors que là se trouve l’Imam qui dirige ma religion, mon intelligence et ma foi » (Tarjuman el-Achwâq, ch. XXXVIII). Cette dernière phrase pourrait, sans changement, être mise dans la bouche du père de Parzival. Et l’on pourra dès lors comprendre comment Gahmuret, bien que chrétien et le demeurant, a pu se mettre au service de l’autorité islamique suprême pour réaliser sa vocation spirituelle : c’est que celle-ci, bien que s’exerçant normalement dans le cadre et par le moyen de l’Islam, se situait par son degré et par tel aspect de sa fonction au-delà de la distinction des formes traditionnelles.

Au nom de cette autorité, il combat victorieusement au Maroc, en Perse, en Syrie, en Arabie. Il délivre le royaume mauresque de Zazamane, met fin à tout un système de conflits où sont impliqués notamment des princes chrétiens, et épouse la reine Bélacâne, « noire comme la nuit », de qui il engendrera Feirefiz, le chevalier noir et blanc. Puis, quittant en secret Bélacâne et l’orient, il vient en Galles où il apporte également la paix en épousant la reine Herzeloïde, « claire comme la lumière du soleil », soeur du roi « méhaigné » du Graal, et de qui naîtra Parzival. Mais il doit bientôt répondre à un appel du Calife (preuve que dans tous ces travaux il demeurait son soudoyer) et meurt en Orient en combattant pour lui »

Il s’agit d’un excellent ouvrage pour ceux qui aiment la littérature médiévale, le symbolisme, la chevalerie spirituelle et la dimension initiatique dans les grandes œuvres ayant marqué le Moyen-âge, et notamment avec ce qui a un rapport avec la quête du Saint Graal. L’auteur expose également les données historiques et traditionnelles fournies par René Guénon. Tout comme Martin Lings l’avait fait avec Shakespear, Pierre Ponsoye montre que les grandes oeuvres de Moyen-âge, qui ont laissé une empreinte durable et remarquable, émanent de la nature ésotérique des doctrines traditionnelles, et qui loin de se limiter à de simples romans ou contes légendaires, offrent une véritable dimension spirituelle et initiatique à l’existence humaine, du moins pour les chercheurs de la Vérité et les contemplateurs aspirant à l’élévation spirituelle.

Note personnelle : 9/10.

Biographie de l’auteur :

Pierre-Édouard Ponsoye (1915-1975) était un érudit français, docteur en médecine, écrivain, métaphysicien et peintre de Marine. Ami de René Guénon, il fut influencé profondément par la spiritualité musulmane et embrassa l’Islam via le Tasawwûf (en se rattachant à la tariqa alawiyya), et s’intéressa de près à l’histoire et à la littérature médiévale.

Fils du pasteur Edmond Ponsoye (1880-1954), théologien protestant réputé, historien du protestantisme et d’Odette Suzanne Peyron, Pierre Ponsoye est également le petit-fils de l’avocat nîmois célèbre Élie Peyron, homme politique, et gendre du pasteur et historien du protestantisme, Eugène Arnaud, de Crest.

Après un baccalauréat de mathématiques élémentaires et de philosophie à Montpellier obtenu en 1933, il entra à la faculté de médecine de Montpellier, puis poursuivit à Marseille ses études et soutint sa thèse le 7 janvier 1943. Pendant la guerre, il fut blessé le 11 juin 1940 dans la Campagne de Normandie à Veules-les-Roses, fait prisonnier et soigné à l’Hôtel-Dieu de Rouen, par les Docteurs René Helot et Payenneville, oncles de sa femme. En 1945, une fois démobilisé, il exerça comme praticien dans un cabinet à Beausoleil (Alpes-Maritimes), puis il entra en tant que médecin-conseil à la Caisse de Sécurité Sociale de la région parisienne.

Convertis à l’Islam en décembre 1939, avec sa femme, sous les prénoms de Djâfar et Latifa, ils furent les disciples de Aîssa Nûr-Ed-Dîn (Frithjof Schuon), puis de Mustapha Michel Vâlsan, avec lesquels ils se tournèrent vers la voie Alawiyya. À ce titre, et avec son œuvre littéraire, il allait contribuer à faire connaître en France, avec des universitaires comme le professeur Eva de Vitray-Meyerovitch, l’importance de la perspective spirituelle (sûfie) et des apports réciproques entre l’Islam et la Chrétienté. Il fut très estimé par les frères de la voie alawiyya. L’Islam et le Graal, écrit en 1957, retrace les principales caractéristiques de sa grande érudition et fait l’objet régulièrement de lectures universitaires.

Pierre Ponsoye épouse le 19 août 1939 au temple protestant de Mirabel/Aouste sur Die (Drôme) Geneviève Lilian Burnett Hélot (Croissy-sur-Seine 1909-Antibes 1984), docteur en médecine et odontologie, DEA de philosophie, fille du Docteur Henry Hélot (Toulouse 1878-Monte Carlo 1963), docteur en médecine et en odontologie (de l’Université de Chicago en 1901), en Droit et en lettres, écrivain (romancier sous le pseudonyme de Han Riello), administrateur de société, Croix de guerre 14-18, Capitaine de réserve et de Fanny Marie Burnett (Paris 1878-Pontoise 1967), écrivain sous le nom de “Sylvain” et sculpteur. Geneviève Ponsoye était l’arrière-petite-fille de Jules Helot. Pierre et Geneviève Ponsoye ont eu deux enfants, Jean-Pierre Robert “Hoceine” Ponsoye et Anne Kyria Ponsoye (épouse Mohamed Said Bouchemoua).

Il était chevalier de la Légion d’honneur et Croix de guerre 1939-1945.

Parmi les ouvrages qu’il a écrit ou traduit :

Kagawa, article dans Terre Nouvelle, mars 1939.

L’esprit, force biologique fondamentale, Causse-Graille-Castelnau, Montpellier, 1942.

La crise de la science et le retour à la connaissance éternelle, l’Echo des étudiants, 10-17 avril 1943.

Le retour de Régulus, article dans le bulletin des Chefs no 31, 1943.

De l’unité transcendantale des religions, 1948, Études Traditionnelles.

L’islam et le Graal, Denoël, Paris, 1957 réédité chez Archè-Milano en 1991.

Aspects of Tristan Esoterism, Pennsylvania State University Press, 1970.

Le mystère de Tristan et Yseult, Archè Milano, 1979.

– Traduction en 1949 de Hindouisme et Bouddhisme, chez Gallimard Paris, de son ami Ananda Kentish Coomaraswamy (scientifique, philosophe, métaphysicien, historien de l’art, traducteur et spécialiste de l’histoire de l’Inde et de la philosophie.


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