Commentaire qurânique : « Nous t’avons accordé une victoire éclatante » (Qur’ân 48, 1) par l’émir Abdel Qadîr

Dans le Qur’ân, nous trouvons ce magnifique verset dans la Sûrah « al-Fath » : « Nous t’avons accordé une victoire éclatante » (Qur’ân 48, 1).

« Inna fatahna laka fathan mubînan ».

إِنَّا فَتَحْنَا لَكَ فَتْحًا مُبِينًا

L’émir Abdel Qadîr dans ses Mawaqîf (Mawqîf 205) commente ce verset en disant :
« Sache donc qu’en définitive, les pécheurs de cette communauté obtiendront le pardon et la félicité tant convoitée et parviendront au but final. Sans doute nombre d’entre eux auront-ils encore besoin d’une purification et d’un polissage [douloureux] ; mais cela n’enlève rien à la rémission qui leur sera finalement consentie, surtout si l’on considère le sort des membres des autres communautés ayant commis des fautes similaires. Il est possible cependant que cette victoire [dont l’issue est un pardon général] soit à entendre dans un sens plus large et qu’elle ait une portée universelle ; auquel cas son annonce serait non seulement destinée au Prophète – sur lui la grâce et la paix – mais encore à tous les autres envoyés qui, du premier au dernier d’entre eux, sont tous ses substituts et ses lieutenants. L’Envoyé d’Allâh – sur lui la grâce et la paix – n’a-t-il pas dit en effet : « Je n’ai été envoyé que pour parfaire la noblesse des mœurs », les mœurs désignant en fait les Lois divines. Il est donc venu tout d’abord révéler les Lois antérieures sous la forme de l’entité spirituelle des prophètes, et c’est encore lui qui a achevé [le cycle] de la révélation en se manifestant sous sa propre forme corporelle – sur lui la grâce et la paix. Abû Nu’aym rapporte ainsi dans sa Hulya que le Prophète « était déjà Prophète alors qu’Adam était entre l’eau et l’argile ».


 Quant aux héritiers achevés (al-waratha al-kummal), ils ont part eux aussi à cette victoire éclatante qu’Allâh – exalté soit-Il – a accordée à son Envoyé – sur lui la grâce et la paix. Certains (dont Muhyî al-Dîn al-Hâtimî, ‘Abd al-Karîm al-Jîlî, le pôle ‘Ali Wafâ et d’autres – qu’Allâh accorde à tous Son Agrément) ont parlé de l’universalité de la Miséricorde [divine] et de la félicité éternelle qui finira par englober même ceux qui ont été précipités dans le feu (lequel n’est qu’un support de manifestation de la Science divine). Et qu’on n’aille pas s’imaginer que cette doctrine est exclusivement professée par les « gens du dévoilement » (ahl al-kashf) (9), et que de tels propos viennent contredire le consensus de la communauté (10) [sur la perpétuité du châtiment], car nous allons le voir, [même chez les docteurs de la Loi,] il n’y a pas unanimité en la matière.

Sharaf al-Dîn al-Munâwî, rapporte ces propos du traditionniste (11) et shaykh al-Islâm Ibn Taymiyya : « Certaines traditions prophétiques venant de transmetteurs [aussi fiables] qu’Ibn ‘Umar, Ibn Mas’ûd, Abû Sa’îd [al-Khudrî] et bien d’autres encore tendent à indiquer qu’en dernier ressort, toutes les créatures seront sauvées du feu, que celui-ci serait anéanti et avec lui, les tourments qui y sont infligés ».

De son côté, ‘Abd ibn Hamîd nous rapporte la tradition suivante par deux chaînes de transmetteurs tous fiables : « Quand bien même les gens du feu y demeureraient aussi longtemps qu’il y a de grains de sable dans un tas immense, viendra cependant un jour où ils en sortiront ». De nombreux imâms ont fait usage de ce hadîth sans jamais remettre en cause sa validité.
   

« Par « gens du feu », poursuit Ibn Taymiyya, il faut comprendre ceux qui [en vertu de leur constitution] en sont les habitants « naturels ». Quant à ceux qui n’y séjourneront qu’en raison de leurs péchés, il leur a été assuré qu’ils n’y demeureront pas aussi longtemps qu’il y a de grains de sable dans un tas immense, ni même une durée qui se rapproche de celle-ci ; au reste, l’emploi du mot « gens » [du feu] exclut qu’il puisse s’agit là de croyants [même si ces derniers peuvent y faire un séjour temporaire], ainsi que cela est confirmé par de nombreuses traditions. Cela ne contredit cependant en rien l’affirmation contenue dans des versets tels que : ils y demeureront à jamais (12), ou : on ne les en fera pas sortir (13) ; ce dont Allâh nous a informés [dans le Qur’ân] est une vérité indiscutable !

Cela signifie simplement que lorsque le feu aura atteint le terme qui lui a été imparti, et qu’il aura été anéanti comme ce monde lui-même, il n’en restera rien, ni par conséquent du châtiment. Il a été rapporté par diverses chaînes de transmission ces paroles d’Ibn ‘Umar : « Viendra un jour où les portes de l’Enfer claqueront [au vent] alors qu’il sera vidé [de ses habitants] ». Cela ne se produira qu’après que les gens y soient demeurés durant des siècles (ou : générations). Ibn Mas’ûd a tenu des propos analogues. ‘Abd Ibn Hamîd rapporte, quant à lui, de transmetteurs fiables : « Des deux demeures [de l’au-delà] la Géhenne est la plus rapidement construite et la plus rapidement détruite… ». Ibn Maradwayhi tient pour sa part de Jâbir cette tradition qu’il fait remonter au Prophète (yarfa’uhu) commentant le verset qurânique « Quant aux réprouvés, ils seront dans le feu » (14) : « Si Allâh veut faire sortir des réprouvés du feu et les introduire en Paradis, Il le fera ».


Où est donc le consensus ? Il faut vraiment tout ignorer des clauses de la discussion et de l’argumentation pour s’imaginer qu’il y a à ce sujet un consensus quelconque. Ibn al Qayyim – un des chefs de file de l’école hanbalite, connu pour sa science et sa piété – a par ailleurs mentionné toutes ces traditions, en confirmant la validité de leurs chaînes de transmission et en réfutant les arguments de ceux qui les mettaient en cause.


« Et te guide sur une Voie droite » : qu’Il te fasse parvenir au but, par une guidance qui conduit à l’Union, au dévoilement, et à une « victoire éclatante », afin que tu connaisses le destin de ta communauté et que tu contemples son aboutissement (litt : son lieu de retour) ; afin aussi que tu constates qu’il s’agit bien d’une Voie droite dont le début coïncide avec sa fin : la rectitude (istiqâma) d’une chose n’est-elle pas fonction de ce que l’on attend d’elle ? La régularité (litt : la rectitude) du cercle, par exemple, veut en effet que le premier des points de sa circonférence coïncide avec le dernier. Aussi, un cercle qui décrirait une ligne droite serait-il dépourvu de toute régularité ; de même, si cette Voie suivait une ligne droite, elle se priverait de l’existence en tombant dans le néant. Sa régularité exige donc de ramener [chaque être] à son point de départ, tout comme un cercle fait se rejoindre ses deux extrémités.

(9) Les gens du dévoilement (ahl al-kashf), sont ceux auxquels il est donné de connaître ce qui échappe au commun des mortels. Ces secrets peuvent être de nature très diverse et porter sur des choses aussi différentes que la connaissance de secrets divins (asrâr rabbâniyya) perçus par l’aspirant par le truchement de visions ou d’auditions en mode subtil voire perçus de manière informelle, la connaissance de l’authenticité d’un hadîth ou encore la connaissance de « secrets » de seconde zone tels que les vices cachés d’un individu. Il est entendu qu’en dehors de circonstances contingentes assez exceptionnelles, les spirituels ne cherchent à obtenir le kashf que sur des sujets relevant de la première catégorie de secrets précités.

(10) Le consensus de la communauté (ijmâ’) est après le Coran et la Tradition prophétique l’un des moyens d’établir la Loi.

(11) Le mot employé ici est hâfiz. Dans la terminologie des gens du hadîth, le hâfiz est celui qui a retenu au moins cent mille hadîths avec leurs chaînes de transmission et l’historique de chaque transmetteur. Cette distinction était relativement fréquente dans les premiers siècles de l’Islam et il faut sans doute voir là la puissance de la transmission orale. On peut d’ailleurs s’étonner, dans ces conditions, que certains orientalistes aient cru bon de remettre en cause les hadîths transmis par Abû Hurayra sous prétexte qu’il en avait rapporté quelques milliers.

(12) Ce verset est si répété dans le Qur’ân qu’on ne peut en citer ici toutes les références.
(13) Qur’ân 15, 48.

(14) Qur’ân 11, 106 ».
Son livre Al-Mawaqîf a été traduit en français notamment aux éditions Entrelacs par le Shaykh Abdallah Penot sous le titre Le livre des Haltes, ré-édité en 2019 avec les commentaires de Jean Annestay, ainsi qu’aux éditions Albouraq avec le même titre en plusieurs volumes par Max Giraud.


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