Comment les berbères étaient-ils perçus au 14e siècle ?

Face aux berbéristes extrémistes, manipulés par les autorités néocoloniales de notre temps, face aux racistes européens et face aux anti-berbéristes extrémistes, rappelons une vérité historique (1).

Ibn Khaldûn dans ses Muqaddima, en parlant des berbères a dit :

« Quant à leurs (berbères) différences du point de vue des vertus humanitaires, on cite leur attachement aux valeurs généreuses, à l’honneur, au prestige, à l’éloge et au bon voisinage, comme à la protection des invités et à l’assistance des étrangers. On peut également citer la fidélité à leur parole et à leurs engagements, leur patience devant les contraintes, leur fermeté et leur persévérance face aux malheurs. Ils évitent la vengeance, aident les pauvres, respectent leurs aînés, vénèrent leurs notables. Ils sont solidaires, fraternels, résistants, combattants intrépides, prêts à tout sacrifier pour le triomphe de Dieu et de Sa religion. Ils possèdent des traditions anciennes qu’ils se transmettent de père en fils. Si elles étaient transcrites, elles auraient servi d’exemple aux autres nations. Et parmi d’autres qualités honorables et appréciables, il y a le charisme et le prestige de leurs chefs (…). Quant à leur attachement aux enseignements et aux injonctions de la chariâa et leur respect des statuts légaux on constate dans leurs traditions qu’ils louent les maîtres d’apprendre le Coran à leurs enfants. On y trouve aussi la vénération pour leurs imams et le recours à la jurisprudence islamique dans leurs affaires privées et publiques. (…) Quant à leurs exploits et à leurs élites, ils possèdent des saints transmetteurs de la tradition, dotés d’âmes pieuses et de science, porteurs du savoir traditionnel et actuel qu’ils ont hérité de leurs maîtres et de leurs initiateurs à la mystique [nda : tasawwûf] et à la magie [nda : traduction pouvant porter à confusion ; il ne s’agit pas de magie noire/sorcellerie ici]. Tout cela confirme l’attention que Dieu a depuis toujours portée à ce peuple, et de la bénédiction qu’Il leur a accordée, jusqu’à ce qu’ils deviennent le centre et le carrefour de la diversité humaine » (2).

Les berbères avant l’Islam, n’avaient pas été des fondateurs de grands empires ou d’une civilisation « complète », influençant les autres nations. L’Islam, pour les berbères, – comme d’ailleurs pour les arabes, les turcs, les africains, les perses et les autres -, a été un nouveau souffle providentiel, les propulsant (de nouveau pour certaines nations) au-devant de l’histoire, produisant des arts et des sciences, ayant forgé une multitude de poètes, de scientifiques, de saints, de mathématiciens, de théologiens, de juristes, d’artistes, de commandants et de chefs charismatiques.

Mais face au racisme et à « l’orgueil racial », il est bon de rappeler quelques sagesses émanant de maîtres (ici arabo-berbères) :

Le maître Serradj Eddin Omar ben al-Wardi a dit : « Ne vantez jamais vos racines et votre origine, l’originalité d’un homme est dans ses actions ».

D’autres ont dit : « Que tu sois le fils de qui tu veux, donne-toi une bonne éducation, celle-ci te sera plus enrichissante que l’origine,

l’homme est celui qui dit : me voici,

et non pas celui qui dit : mon père était » (3).

La question maintenant, qu’il faut se poser, est de voir si cette tendance générale, qui était positive au 14e siècle, correspond aussi à la réalité contemporaine ? Et là, les observations convergent toutes, y compris chez les arabo-berbères (que l’on nomme généralement « maghrébins ») (4), pour constater que la tendance générale, sur de nombreux points, ne correspond plus au portrait dressé par Ibn Khaldûn (5), et qu’il faut donc y remédier, par l’institution et la refondation d’une éducation saine, reposant sur le noble héritage du passé, tout en se gardant bien de tomber dans une certaine forme de sectarisme ou de rigidité, et en intégrant les acquis et données bien établis des disciplines contemporaines, avec la vision holistique de la perspective islamique. Et quant aux qualités qu’il décrit concernant les berbères, cela peut très bien s’appliquer à des individus appartenant à des communautés différentes (communautés africaines, arabes, turques, persanes, caucasiennes, européennes, asiatiques, …) sur le plan individuel. L’existence de saints dans toutes les communautés ethniques qui composent la Communauté musulmane en est la preuve éclatante.

Notes :

(1) Pour une analyse intéressante sur cette problématique « moderne », qui est sans cesse ravivée, voir les ouvrages de Hamza Benaïssa : Le Maghreb dans le discours des sciences humaines et sociales (éd. Fiat-Lux, 2016), Tradition et Identité (éd. El Maarifa, 2016) et Quelques Remarques Sur l’Histoire de l’Afrique du Nord (éd. El Maarifa, 2016).

(2) Cité aussi par Kamel Chachoua, L’Islam kabyle – religion, Etat et société en Algérie suivi de L’Epitre (Rissala) d’Ibnou Zakri (Alger, 1903) Mufti de la Grande Mosquée d’Alger, éd. Maisonneuve & Larose, 2001, pp. 374-375.

(3) Cité par Ibn Zakri Mohammed Saïd al-Djanadi Zawawi dans sa Rissala.

(4) Certains pensent encore qu’ils sont « purement » berbères ou « purement » arabes sur le plan génétique, alors qu’il y a eu un brassage génétique qui a touché la majorité des habitants, et pas seulement sur le plan génétique, mais aussi concernant la langue, la culture, etc. Leur identité est donc plurielle depuis déjà plus d’un millénaire.

(5) Ibn Khaldûn (1332-1406) était un musulman d’origine arabe né à Tunis (dans le maghreb actuel). Très connu en tant qu’historien et sociologue, il avait cependant aussi été formé dans de nombreuses autres disciplines, telles que l’apprentissage du Qur’ân (qu’il mémorisera dans son intégralité) et de son exégèse, le fiqh (droit musulman), la ‘aqida (théologie), la langue arabe, les sciences du hadîth, la poésie, la logique, la médecine, la philosophie, les mathématiques, l’astronomie, la chimie, la psychologie, le tasawwûf, les sciences politiques, la démographie, l’étude des textes bibliques, etc.


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