Biographie : L’imâm Abû Hâmid al-Ghazâlî – Hujjat al Islâm (La Preuve de l’Islam)

L’imâm Abû Hâmid al-Ghazâlî, l’une des figures du monde musulman les plus célèbres, bien qu’il n’ait pas échappé à la critique, tout comme les autres grandes personnalités de la civilisation islamique. Son nom devint célèbre tant en Orient comme en Occident, dans les terres d’Islam tout comme chez les juifs et les chrétiens.

Jeunesse et éducation

Al-Ghazâlî est né dans la ville de Tûs dans le Khurâssân (en Iran) en 450 H (1058), dans une famille perse de condition modeste, dont certains membres étaient connus pour leur savoir et leur rattachement au tasawwuf. Il avait aussi un frère, qui atteint la célébrité, – Ahmad al-Ghazâlî -, qui deviendra un poète, théologien, juriste shafiite et sûfi. Ils sont encore jeunes lorsque leur père meurt, après avoir chargé un de ses amis sûfis de s’occuper de l’éducation de ses 2 fils. L’ami en question s’acquitte de cette mission jusqu’à épuisement des fonds légués par le père et conseille aux 2 frères de s’inscrire dans une madrassa où les élèves suivent des cours et sont pris en charge matériellement en même temps. Ainsi, à l’âge de 7 ans, il étudie sérieusement l’arabe et le persan, les principes de l’Islam (ussûl ad-dîn), le Qur’ân, les bases du fiqh et du hadîth, ainsi que l’exégèse qurânique (tafsîr). À la madrassa, il entame ensuite le cycle des études secondaires et supérieures comportant la science du fiqh (droit musulman) de façon plus poussée, tout comme le tafsîr, la logique, les ahadiths, la Sîrah et d’autres sciences.

Vers ses 15 ans, il s’installe à Jurjân, centre intellectuel situé à 160 km environ de Tûs, pour étudier le fiqh auprès de l’imam Al-Ismâ’îlî (1084). Il revient l’année suivante à Tûs, où il demeure 3 années à mémoriser et mieux comprendre ce qu’il a transcrit de l’enseignement de ses différents maîtres. Il se rend ensuite à Naysabur (Nishapûr), où il séjourne de 1081 à 1085. Il y étudie le fiqh, la théologie spéculative (kalâm) et la logique, ainsi que des éléments de philosophie – auprès de l’imam Abou al-Ma’âlî al-Juwaynî, le juriste shafiite le plus célèbre de l’époque et grand logicien -, ainsi que les mathématiques, la médecine et l’astronomie, d’où il puisera des données pour expliquer, via des analogies, plusieurs matières religieuses dans ses écrits. Durant 5 ans, il sera le disciple et l’assistant de l’imâm Al-Juwaynî, – grande autorité intellectuelle et religieuse de l’époque -, et écrira ses premiers ouvrages, tout en s’initiant au tasawwuf sous la supervision du maître al-Farmadhi.

Après la mort de Al-Juwaynî, Al-Ghazâlî se rend en Irak, où le grand vizir Nizâm Al-Mulk, – soumis à l’autorité seljukide de Malik Shah -, ayant entendu parler de la stature intellectuelle de l’imâm Ghazâlî, l’invite puis lui confie en 484 H (1092) l’enseignement dans la Madrassa de la Nizâmiyya de Baghdâd, université prestigieuse de l’époque, où étaient enseignées les sciences-islamiques ainsi que la logique, la médecine, l’astronomie, les mathématiques et d’autres sciences. Après 4 ans passés dans l’enseignement et l’écriture, il traversa une crise spirituelle, causant en lui le mutisme et le besoin intérieur de se détourner des honneurs et des richesses matérielles de ce bas-monde, et le désir de voyager, – et au même moment des intrigues politiques étaient fomentées à Baghdâd -. Il quitta alors son poste à l’Université, et son frère Ahmad le remplaça à cette même fonction. Abû Hâmid voyagea alors à travers le monde musulman, et séjournera notamment à la Mecque et à Médine, où il y accomplira le Hajj, tout en y rencontrant des savants renommés venus des 4 coins des terres d’Islam. Il ira et restera ensuite quelques temps en Palestine également. Il passera 2 années à Jérusalem avant de visiter l’Égypte et de vivre pendant un certain temps à Alexandrie, foyer intellectuel de la région. Il retourna après cela à Tûs, sa ville natale, et consacrera son temps aux actes de dévotion, à la méditation spirituelle et à l’écriture. Il sera sollicité encore pour occuper le poste d’enseignant à la Nizâmiyya, mais cette fois-ci par le roi Fakhr Al-Mulk, le fils de Nizhâm Al-Mulk.


Son envergure intellectuelle

Abû Hâmid al-Ghazâlî (450 H/1058 – 505 H/1111) jouit d’une très bonne éducation, et était donc un savant musulman d’origine perse. Il est le grand théologien asharite, le juriste shafiite avisé, une grande référence de l’école shafiite de son temps tout en atteignant le rang de mujtahid, le spécialiste des fondements du droit et de la religion, le saint au rang singulier, le logicien hors-pair, le revivificateur des sciences-religieuses de sa génération, celui qui atteint un haut rang dans la philosophie pour mieux en montrer les erreurs et les limites au sein de ses écoles et tendances, le sûfi célèbre, la preuve de l’Islam, le shaykh ul islâm, l’exégète du Qur’ân à la plume élégante, l’adorateur d’Allâh vertueux, l’intelligent extraordinaire de son époque, l’éducateur de milliers de savants venus des 4 coins du monde musulman pour profiter de la science dont Allâh le gratifia. Il fut un homme pieux, frère du célèbre sûfi et savant Ahmad al-Ghazâlî. Il eut de nombreux disciples, y compris des savants appartenant à d’autres écoles juridiques, comme le célèbre exégète et juge malikite Abû Bakr ibn al ‘Arabî.

Il étudia la langue arabe et le persan, le Qur’ân et ses sciences, l’exégèse du Qur’ân, la science du hadîth (qu’il perfectionnera jusqu’à sa mort), la théologie, la poésie, la logique et la rhétorique, le fiqh shafiite (tout en étudiant aussi le fiqh selon les autres écoles juridiques), la médecine, l’astronomie, la physique, les mathématiques, la philosophie, l’histoire, les sciences liées à la politique, le tasawwûf, la métaphysique et les autres religions et sectes de son époque.

Dans la science du hadîth, à ses débuts, il étudia la théologie, le fiqh, les ussûl al fiqh, le hadîth et d’autres matières auprès de Abû al-Ma’âlî al-Juwaynî, Abû al-Qâsim al-Isma’îlî, Nasr al-Maqdisî, Abû-l Fityan al-Ru’asî et d’autres.

Vers la fin de sa vie, il étudia plus en profondeur le Sahîh al-Bukharî avec Abû Sahl Muhammad Ibn ‘Abdallâh al-Hafsî, le Kitab as-Sunan d’Abû Dawûd avec al-Hakim Abû al-Fath al-Hakimi al-Tûsî, le Kitâb Muwlad al-Nabî avec Abû ‘Abdullâh Muhammad Ibn Ahmad al-Khawari, les Sahihayn (Bukharî et Muslim) avec Abû-l Fityan al-Ru’asî comme déjà mentionné plus haut, ainsi que des sciences du hadîth avec Muhammad Ibn Yahya al-Zuzuni. Il eut sans doute aussi d’autres enseignants, mais moins connus, ainsi que ses rencontres avec d’autres savants de son époque avec qui il échangea, en plus de ses nombreux étudiants qui étaient aussi des savants dans le fiqh, le tafsir, la langue arabe, le hadith, la ‘aqida, la logique, la médecine, l’astronomie, les fondements du droit et de la religion, etc.

L’imâm Abû Hâmid al-Ghazâlî était un mujtahid muntasib dans l’école shafiite. C’est-à-dire celui qui atteint le degré d’ijtihâd dans toutes les disciplines juridiques mais qui s’affilie aux fondements établis par un Mujtahid Mustaqill. Ce Mujtahid ajoute et complète les fondements de son imâm. Il se peut qu’il contredit l’imâm dans ses avis juridiques comme résultat de son propre ijtihâd et ce dernier type d’avis est nommé (ikhtiyârât/ikhtiyâr). Leurs avis dans les sujets non-tranchés par l’imâm sont considérés des Wujûh dans l’école. Exemple : al-Muzanî ; al-Qaffâl ash-Shâshî ; Taqî ad-Dîn as-Subkî.

Al-Ghazâlî est encore jeune lorsque son père meurt, après avoir chargé un de ses amis sûfis de s’occuper de l’éducation de ses deux fils (Ahmad et Muhammad Abû Hâmid al-Ghazâlî). L’ami en question s’acquitte de cette mission jusqu’à épuisement des fonds légués par le père et conseille aux deux frères de s’inscrire dans une madrasa où les élèves suivent des cours et sont pris en charge matériellement. Al-Ghazâlî aurait commencé ainsi vers l’âge de 7 ans par étudier l’arabe, le persan, le Qur’ân et les principes de l’islam. À la madrassa, il entre dans le cycle des études secondaires et supérieures comportant le fiqh (jurisprudence islamique) et l’exégèse (tafsir) du texte qurânique, la science du hadîth, la Sirah du Prophète, les mathématiques, la logique, la littérature, etc.

Les plus grands savants de son temps ainsi que ceux venus après lui l’ont approuvé et ont attesté de sa science. Mais comme tout savant, il fut aussi critiqué parfois durement par certains. Il fut même taxé injustement de mécréant ou d’égaré, mais les auteurs d’une telle calomnie devront en répondre devant Allâh, puisque les ouvrages, disciples, savants contemporains et les qualités d’Abû Hâmid al-Ghazâlî témoignent tous en sa faveur. Certains savants qui avaient appelé à brûler ses livres, le virent en songe, en compagnie du Prophète et/ou d’Abû Bakr, et/ou d’Umar et d’autres compagnons, et Al-Ghazâlî se trouvait en leur compagnie, et son oeuvre fut globalement approuvée par le Prophète et ses proches compagnons. A la suite de ces rêves, les savants en question se repentirent et changèrent d’avis à son sujet.

En raison de l’étendue de sa science et de sa production intellectuelle, s’informant dans les ouvrages de référence des autorités de chaque religion et courant de pensée, atteignant un profond niveau de compréhension de leurs propres doctrines, tout en indiquant les erreurs ou les exagérations, et montrant également la sagesse et la profondeur spirituelle du Qur’ân et de la Tradition prophétique, ce qualificatif honorifique, singulier dans l’histoire, de Hujjat al Islâm, lui a été attribué, contrairement au titre honorifique de « Shaykh ul Islâm » qui a été donné à de nombreux savants musulmans (comme Al-Bayhaqî, An-Nawawî, As-Suyûtî, Taqî ud-Dîn As-Subkî, Shaykh Abdul Qadîr al-Jilânî, Zakariyya al-Ansarî, Abû Nu’aym al-Isbahânî, ‘Izz ad-Dîn Ibn ‘Abdal-Salâm, Abû al-Fath ibn Daqiq al-‘Id, etc. ; dans son Siyar, l’imâm Ad-Dhahâbî donne ce titre à de nombreux savants musulmans).

Parmi les savants célèbres qui ont critiqué Al-Ghazâlî, de façon infondée, mais sans toutefois le traiter d’égaré ou de mécréant, citons Abû al-Farâj ibn al-Jawzî, Ibn Rushd et Ibn Taymiyya. Ils reconnurent ses qualités et les bonnes choses se trouvant dans ses ouvrages, mais y trouvèrent aussi, selon eux, des erreurs ou des traditions jugées non-fiables.  Leurs reproches découlent d’une méconnaissance de la perspective spirituelle et d’un jugement hâtif concernant la science du hadîth, dans laquelle Ibn al-Jawzî comme Ibn Taymiyya commirent de nombreuses erreurs comme le feront remarquer Ad-Dhahâbî pour Ibn al-Jawzî (il avait des lacunes dans l’authentification des ahadiths et la critique des narrateurs) et Ibn Hajar al ‘Asqalânî concernant Ibn Taymiyya (qui considérait des ahadiths inventés ou faibles comme étant authentiques, qui rapporta des consensus imaginaires, qui fit passer des avis isolés ou marginaux comme étant majoritaires ou unanimes, qui méconnaissait aussi plusieurs recueils de ahadiths, – d’où son jugement hâtif lorsqu’il pensait que tel hadith était inventé ou sans fondement -, ou qui affaiblissait des ahadiths authentiques car ils contredisaient certaines de ses opinions). En tant que juriste shafiite qui fit autorité dans son école, Al-Ghazâlî connaissait bien la science du hadîth et connaissait un grand nombre de récits prophétiques ainsi que des récits des pieux prédécesseurs. Seulement, il ne les avait pas tous mémorisé, et lorsqu’on lui vola ses manuscrits en la matière, il dût faire appel à sa mémoire, et ne citait donc pas toujours les références exactes (chaines de transmission) lorsqu’il citait des ahadiths pour justifier ses positions. Toutefois, des sommités dans le hadîth, comme al-Hafiz al ‘Iraqî, Taqî ud-Dîn as-Subkî et son fils, et al-Murtadâ’ Az-Zabidî authentifièrent plus de 97% des ahadiths dans son oeuvre “Ihyâ ulûm ad-Dîn”, surpassant ainsi de loin la part la fiabilité, sur le plan des ahadiths, les oeuvres de Ibn al-Jawzî et de Ibn Taymiyya, qui comptent plus de ahadiths forgés et faibles que dans l’oeuvre d’al-Ghazâlî.

Aussi, au moins 2 élèves d’Ibn Taymiyya feront énormément d’éloges à l’égard d’Al-Ghazâlî, il s’agit d’Ad-Dhahâbî et de Ibn Kathîr, tous deux étant des cheminants sur la voie du tasawwûf (comme Ibn al-Qayyîm et Ibn Taymiyya d’ailleurs), ayant défendu l’orthodoxie doctrinale de l’école asharite, et ayant adopté l’école juridique shafiite, qui fut aussi celle de Ghazâlî.

Les critiques visant l’imâm Abû Hâmid al-Ghazâlî

On recense parmi les savants ayant critiqué l’imâm Abû Hâmid al-Ghazâlî, des savants postérieurs comme Ibn Al-Jawzî, Ibn Taymiyya et Ibn Rushd. En général, les personnes qui critiquent l’imâm Al-Ghazâlî reprennent les critiques formulées par ces 3 savants.

Ibn al-Jawzî, dans son Talbîs Iblîs qu’il composa dans sa jeunesse, le critiqua sur le plan juridique mais changea de position par la suite à son égard. En effet, les propos de Al-Ghazâlî, – en jetant par exemple les pièces par terre -, se situaient sur le plan spirituel afin de renoncer, pour l’Amour d’Allâh, à tous les défauts de l’âme. Parfois il avait vraiment du mal à garder le bénéfice du doute et à saisir certains de leurs gestes (comme le refus de l’argent, en raison de leur préférence accordée à la pureté de leur intention vis-à-vis d’Allâh, et qu’en se refusant aux causes matérielles ils étaient assurés, par inspiration spirituelle (venant d’Allâh), d’une Aide Divine, acte exceptionnel qui ne devient pas une obligation religieuse et qui ne concerne évidemment pas les gens du commun, ni eux-mêmes en toute situation). D’ailleurs ce genre d’actes, qui n’étaient pas forcément une attitude générale ou des actes réalisés dans un état « normal », existaient aussi au temps du Prophète (‘alayhî salât wa salâm) et des anciens prophètes (sur eux la Paix Divine), des compagnons et des salafs qui ont succédé aux compagnons.

Du point de vue historique, dans Talbîs Iblîs, il y a beaucoup d’imprécisions, de confusions et d’affirmations hypothétiques (notamment concernant Zoroastre, qui doit être dissocié de certains groupes qui s’en réclamaient après sa mort, et qui ont dévié de son message, et cela est valable également pour d’autres groupes).

Al Hafîz Ad-Dhahâbî dit dans Tadhkirat al-huffaz : « Il y a beaucoup d’erreurs dans ses écrits, et ce, en raison de son empressement (lorsqu’il écrit), car il passe (rapidement) d’un sujet à un autre. Celui qui consulte attentivement ses livres, notamment ses ouvrages consacrés aux hadiths inventés (mawdû’) et faibles (da’îf), peut remarquer qu’il a cité parmi ceux-ci, beaucoup de ahadiths authentiques (sahih) ou bons (hasan). Donc, l’étudiant en sciences [religieuses] doit faire attention en consultant ses ouvrages sur le hadith ».

Dans son autre ouvrage At-Tarîkh al-Kabîr, il dit : « Ibn al-Jawzî n’est pas considéré par nous [grands spécialistes du hadîth], comme étant un (excellent) savant du hadîth conformément à la discipline (des sciences du hadîth), mais il est considéré en tant que tel du fait qu’il lit et qu’il compile beaucoup (de ahadiths) ». Pour autant, cela n’empêchera pas l’imâm Ad-Dhahâbî de faire de beaux éloges sur Ibn al-Jawzî : « C’était un océan dans la science de l’exégèse, un éminent historien, un spécialiste des sciences du hadith, un fin connaisseur des questions qui font unanimité et de celles qui soulèvent des divergences, il a produit de bon apports à la médecine, il était ingénieux, perspicace, intelligent, doté d’étonnantes capacités de mémorisation, de composition, et d’écriture ».

L’exégète, juriste shafiite et théologien asharite Ibn Kathîr dit de lui : « Il était unique dans l’exhortation, sans précédent ni égal, dans son style, son éloquence, la suavité de ses propos, l’élégance de leur enchâssement, l’efficacité de son exhortation, son immersion dans les sens profonds, et son exposé clair des choses étranges en des termes concis, facilement compréhensibles, car il réunissait des sens nombreux en peu de mots. Assistaient à ses exhortations califes, ministres, dignitaires, savants, pauvres, issus de toutes les catégories des Fils d’Adam. On dénombrait au moins 10 000 personnes dans ses assises, et on a parfois pu en compter 100 000, voire plus. Il déclamait spontanément prose et poésie, et en un mot il était un enseignant unique dans l’art de l’exhortation et bien d’autres ».


Après sa rencontre avec de grands savants sûfis, – comme le Shaykh Abdul Qadîr al-Jilânî (qu’Ibn al-Jawzî n’aimait pas auparavant) -, Ibn al-Jawzî s’initia dans le tasawwuf et approfondira sa connaissance dans les sciences du hadîth et l’exégèse du Qur’ân, d’où, sans doute, les propos élogieux de Ad-Dhahâbî et de Ibn Kathîr à ce sujet. On attribue environ 1000 ouvrages à Ibn al-Jawzî (certains étant de petites épitres), qu’il avait écrit sur l’histoire, la théologie, l’exégèse, le hadîth, la médecine, la poésie, la prédication, la jurisprudence, etc.

Son livre Talbîs Iblîs est donc déconseillé aux débutants, de peur qu’ils soient perdus par rapport à toutes ses informations contradictoires et « secondaires », où l’auteur est parfois trop subjectif et expéditif dans ses jugements, dont certains sont fondés sur des ahadiths faibles. Si cet ouvrage peut comporter des éléments utiles et fiables, il faut savoir se montrer vigilant. C’est aussi dans cet ouvrage où Ibn al-Jawzî manifeste une certaine hostilité et méconnaissance du tasawwuf et contre certains sûfis, – sans rejeter en soi le tasawwuf -, mais dans ses autres ouvrages il révisera ses positions et fera clairement l’éloge de grandes figures du tasawuf.

Il écrivit d’ailleurs le Minhaj al-qassidin wa mufid al-sadiqin (La voie des voyageurs vers Allâh et le dirigeant à la vérité) dans le champ du tassawwûf. Il fut encouragé à écrire le dernier livre en raison du succès du Ihyâ´ ulûm ud-Dîn de al-Ghazâlî, et en vérité le Minhaj adopte en majorité la méthodologie et le langage du Ihya´ en addition au fait qu’il traite du même sujet, l’auto-purification et les éthiques personnelles. Le Minhaj reprend ainsi l’essentiel du Ihyâ’, et le Minhaj fut aussi résumé en un volume par Najm al-Din Abû al-`Abbas Ahmad ibn Qudama (m. 742 H), un autre savant hanbalite.

Quant à Ibn Taymiyya, il lui reprochera par exemple l’emploi de nombreux ahadiths faibles ou inventés, – ce qui est faux et alors même qu’Ibn Taymiyya emploie aussi beaucoup de ahadiths faibles, affaiblit des ahadiths authentiques ou bons ou prétend à l’inexistence de ahadiths alors qu’ils existent bien dans des recueils de ahadiths sunnites très connus -. Il dira aussi dans une fatwa sans aucun élément à charge, que Al-Ghazâlî aurait renoncé à la fin de sa vie à la voie du tasawwuf car on l’a retrouvé mort avec le Sahîh al-Bukharî sur lui, – ce qui ne prouve rien du tout, sachant que de nombreux sûfis étudiaient le Sahîh al-Bukharî et l’enseignaient et le commentaient également -. Et enfin, il dira de lui qu’il fut trop influencé par la philosophie, ce qui est faux également, sachant que son approche théologique et métaphysique s’appuie essentiellement sur le Qur’ân et la Sunnah ainsi que la logique (al mantiq). C’est même Ibn Taymiyya qui dévia de l’orthodoxie sunnite dans la ‘aqida en raison de l’influence de la philosophie grecque qui détint sur lui lorsqu’il l’étudia (ce qui lui reprocheront beaucoup de savants, – notamment hanbalites -, étant donné les ambiguïtés et les contradictions dans ses écrits relatifs à la ‘aqida).

Ainsi, on trouve comme paroles d’Ibn Taymiyya sur Al-Ghazâlî, ce qu’il en dit dans ses Majmû al Fatawâ (10/551) : « Le Livre de la « Revivification » [le Ihyâ’ ulûm ud-Dîn de l’imâm al-Ghazâlî), suit le Livre des « Nourritures des Cœurs » [Qût al-Qulûb du savant sûfi et juriste shafiite Abû Tâlib al-Makkî] dans ce que ce dernier évoque concernant les œuvres des cœurs : la patience et la reconnaissance par exemple, l’amour, la confiance, la réalisation de l’Unité Divine, etc. Abû Tâlib est plus savant de la tradition, des récits et des propos des Gens qui possèdent les sciences des cœurs, sûfis et autres, que Abû Hâmid al-Ghazâlî. Ses propos sont plus corrects, meilleurs pour ce qui est de réaliser les choses et plus éloignés de l’innovation. Dans La « Nourriture des Cœurs », il est cependant des hadîth faibles et inventés ainsi que plusieurs choses à rejeter. La plupart de ce que l’on trouve dans la « Revivification » comme propos concernant ce qui fait périr – les propos concernant l’orgueil par exemple, l’infatuation et l’ostension, la jalousie, etc. – est tiré des propos de al-Hârith al-Muhâsibî dans « L’Observance » [al-Ri‘âya li-ḥuqûq Allâh]. Certains de ces propos sont acceptables, d’autres sont à rejeter et il y a controverse à propos d’autres.

La « Revivification » présente plusieurs intérêts mais il s’y trouve également des matières blâmables. Il s’y trouve en effet des matières corrompues : des propos des philosophes qui se rattachent à l’Unité Divine, à la prophétie et au retour. Quand Abû Hâmid évoque les connaissances des sûfis, il équivaut à quelqu’un qui prendrait un ennemi des musulmans et l’habillerait des vêtements des musulmans. Les imâms de la Religion ont désapprouvé cela dans ses livres. « Sa maladie est La Guérison », ont-ils dit, visant par-là Le « Livre de la Guérison » composé par Avicenne [Ibn Sinâ] en philosophie. Il y a dans La « Revivification » des hadîth et des récits faibles ; plusieurs, même, sont inventés. Ils s’y trouvent aussi quelques-unes des questions spécieuses des sûfis et de leurs sornettes.

Ceci étant, il y a dans la « Revivification des science religieuse », comme propos des Savants Sûfis qui, concernant les œuvres des cœurs, s’y connaissent et sont sur la voie droite, des choses qui sont en accord avec le Livre [Qur’ân et la Tradition [prophétique ; Sunnah]. On y trouve également, concernant les actes d’adoration et les usages, des choses en accord avec le Livre et la Tradition. Ces choses sont plus nombreuses que celles qui sont à rejeter et c’est pourquoi les gens divergent d’avis à propos de ce livre et controversent à son sujet ».

Il faudrait voir quand est-ce que, du point de vue chronologique, le Shaykh Ibn Taymiyya aurait écrit cela, puisque dans d’autres passages de ses Majmû ainsi que dans plusieurs écrits, il abonde finalement dans le même sens qu’Al-Ghazâlî sur plusieurs points relatifs au tasawwuf, à la méthode initiatique pour authentifier certains ahadiths (parfois considérés comme faibles ou inventés sur le plan de la chaine de transmission), etc.

Ensuite, en nous limitant qu’à ce qu’il dit ici, nous disons que le Ihyâ’ contient au moins 96% de récits validés (soit bons/hassân soit authentiques/sahîh sur le plan de l’isnad), ce qui est un degré plus élevé que les ouvrages similaires à ce que composèrent Ibn Taymiyya et Ibn al-Qayyim, où leurs ahadiths et récits des compagnons sur lesquels ils s’appuyèrent sont faibles ou inventés. L’œuvre de Abû Hâmid al-Ghazâlî contient donc moins de ahadiths faibles que ceux composés par Ibn Taymiyya, et dont ses jugements sont souvent erronés en la matière. Par ailleurs, 2 grands maîtres dans la science du hadîth, – dépassant de loin le niveau de Ibn Taymiyya dans ce domaine -, ont procédé à une vérification du Ihyâ’, ils sont al-Hafîz al-`Iraki (m. 806 H) et al-Zabidi al-Hussaynî (m. 1205 H), et ont authentifié la grande majorité des récits cités par al-Ghazâlî, et ont considéré son œuvre comme étant excellente. En outre, il est connu chez les savants musulmans que les ahadiths faibles peuvent toutefois être utilisés et acceptés dans les questions relatives à la vertu et aux convenances, tant que le contenu reste conforme à l’éthique qurânique : An-Nawawî dit dans al-Tibyan fi `ulum al-qur’an (p. 17) : « Les savants sont d’accord sur la légitimité de l’utilisation de hadiths faibles dans le domaine des ouvrages traitant de la vertu » (voir aussi al-Hakim dans al-madkhal li `ilm al-hadith (début), al- Bayhaqî dans Dala’il al-nubuwwa (introduction) et Al-Sakhawi dans son al-Qawl al-badi` fi al-salat `ala al-habib al- shafi` qui exposa l’opinion du consensus islamique sur cette question dans l’épilogue de son ouvrage (Beyrouth : dar al-kutub al-`ilmiyya, 1407/ 1987, pp. 245-246).

Le Hafîz Ibn `Asâkir (grand savant, théologien, spécialiste du hadîth, historien, juriste, ascète et cheminant rattaché au tasawwuf) a dit dans son Tarikh Dimashq (Histoire de Damas) : « La fin de sa vie fut consacrée au Hadith de l’Elu (Al-Mustafa) – Paix et bénédiction d’Allâh sur lui- à la compagnie des savants en cette science, à la lecture des deux Sahihs d’Al-Bukhari et de Muslim, qui sont les arguments de l’islam. S’il avait vécu davantage, il aurait atteint un rang supérieur dans ce domaine et en aurait terminé avec cet art. Il est hors de doute qu’il s’occupa à la fin de sa vie d’écouter les Hadiths sans avoir eu le temps de les rapporter ».

C’est aussi ce que dit l’imâm ‘Abd Al-Ghaffâr Al-Fârisî : « Il consacra la fin de son existence à l’étude des ahadîths du Prophète, aux assises avec les savants du hadîth, et à l’étude des deux recueils authentiques que sont al-Bukharî et Muslim ».

On dit qu’il mémorisa environ 500 000 ahadiths (en tout cas pour le matn/énoncé, mais pas nécessairement leur isnad/chaîne de rapporteurs).

Quant aux philosophes ou aux aspects juridiques, Al-Ghazâlî n’a accepté que ce qui était en accord avec le Qur’ân et la Sunnah, contrairement à Ibn Taymiyya qui a adopté des croyances philosophiques des plus problématiques pour ne pas dire plus. Et enfin, sur les questions métaphysiques et spirituelles, l’imâm Abû Hâmid al-Ghazâlî est un maître en la matière, possédant le « goût spirituel » et un rang initiatique élevé (avec les expériences et dévoilements correspondants), ce qui n’est pas le cas de Ibn Taymiyya, qui d’après ce que l’on sait, n’avait pas atteint un haut rang, bien qu’il fut initié au tasawwuf dans la Tariqa de l’imâm Al-Jilânî. Ce texte nous informe également qu’Ibn Taymiyya lisait et approuvait plusieurs maîtres sûfis et écrits composés par eux.

Et enfin, parmi ses détracteurs, citons le célèbre médecin, astronome, philosophe et juge musulman Ibn Rushd (m. 1198), alias Averroès en Occident, qui écrira une réponse intéressante à Al-Ghazâlî, intitulée Tahâfut al-Tahâfut (L’incohérence de l’incohérence), qui visait à réfuter le Tahâfut al-Falâsifa (L’Incohérence des philosophes) de Al-Ghazâlî.  Mais la teneur de cette réponse est lacunaire et très faible. Difficile de dire si Ibn Rushd était ignorant ou pas toujours très honnête, comme quand il reprochait faussement à Al-Ghazâl une pseudo-double vérité, tantôt asharite tantôt sûfie, alors que la doctrine asharite se situe sur le plan théologique et rationnel, – et donc mental et discursif -, tandis que le tasawwuf relève de l’éducation de l’âme, du spirituel et de la métaphysique, – et donc du supra-rationnel -, les deux ne s’excluant nullement, si ce n’est que la métaphysique dépasse la dogmatique discursive, puisque fondée directement sur la contemplation et l’expérience intime. Al-Ghazâlî appelait à la prudence, et à dissocier la rigueur intellectuelle fondée sur le réel, le calcul et l’observation (comme dans la physique et les mathématiques par exemple) des spéculations philosophiques n’ayant aucune base réelle sur laquelle s’appuyer, et par ailleurs, ne disait pas que toute la philosophie était à jeter à la poubelle. L’approche de Ibn Rushd était différente, et sa définition de la philosophie, en lien avec la spéculation rationnelle, peut aussi se défendre à partir du Qur’ân si l’on entend par là la nécessité ou l’utilité de la réflexion à partir des données du Texte Révélé, mais l’absence de toute vision spirituelle et de méthodes initiatiques pratiques l’ont poussé à ne pas comprendre les critiques et finalités exposées par al-Ghazâlî.

Grand juriste shafiite, Ghazâlî fut un savant complet, intégrant dans son savoir encyclopédique des matières comme le Qur’ân et ses sciences, la Sîrah et les sciences du hadîth, la théologie, la logique, les mathématiques, la médecine, l’astronomie, la physique, la jurisprudence ainsi que ses fondements (usûl) et ses finalités (maqâsîd), la rhétorique, la poésie, l’inter-religieux (une connaissance des différentes religions, sectes, tendances intra-religieuses et écoles philosophiques), la langue arabe et la langue persane, le tasawwûf, l’histoire et la métaphysique. Il consacra cependant l’essentiel de son œuvre aux questions théologiques, juridiques et spirituelles, tout en abordant les questions métaphysiques, philosophiques et scientifiques dans quelques ouvrages spécifiques. Son approche était à la fois textualiste (par rapport à la Révélation et à la Tradition prophétique) et intellectuelle (spirituelle, rationnelle et logique) en partant toujours du Texte Révélé pour appuyer et éclairer les expériences spirituelles, les données psychologiques et les observations scientifiques. Dans sa critique des philosophes, il établissait une distinction dans les disciplines qu’englobaient à l’époque la philosophie, à savoir la spéculation philosophique, la logique, la rhétorique, la politique, la physique et les mathématiques. Sa critique ne concernera donc essentiellement que certaines tendances philosophiques, les sophismes et les méthodologies peu rigoureuses ou trop partiales et partielles qui caractérisent certaines tendances philosophiques. Même si tous ses ouvrages ne nous sont pas parvenus, on constate qu’il était assez stable, cohérent et ouvert d’esprit sans pour autant délaisser ses convictions profondes et les principes de l’Islam. Sur certaines questions, il évoluera ou se montrera plus nuancé et distant, comme le kalâm dans lequel il ne verra plus qu’un outil réservé qu’à certains spécialistes avisés dans des situations bien précises (réfutation des déviances sur le plan de la rationalité). Tout en connaissant bien les autres doctrines et religions (il lit les auteurs dans les sources de première main autant qu’il lui était possible de le faire), et les réfutant sur des points précis, il mettra en garde contre le sectarisme, y compris ceux de sa propre école théologique (asharite) et de son école juridique (l’école shafiite). Bien qu’il n’avait jamais combattu le tasawwûf auparavant, ce ne sera que vers la fin de sa vie où il s’y orientera totalement, tout en augmentant son savoir dans la science du hadîth (il étudiera encore plus en détails, auprès de spécialistes du hadîth, les différents recueils de ahadiths, tels que le Sahîh Bukharî, le Sahîh Muslim et les Sunan d’Abû Dawûd). Il confirmera dès lors son intuition concernant la spéculation philosophique ou la théologie scolastique, où même si tout n’est pas à rejeter, seule la voie spirituelle, par l’élévation de l’esprit et la purification de l’âme, la certitude spirituelle et ultime est accordée au cheminant sincère, là où les spéculations philosophiques comportent toujours des éléments de doute et d’incertitudes qu’il n’est guère possible de trancher. Les principes qu’il énonça en matière de takfir empêchent les musulmans de sombrer dans le fanatisme en ce domaine, bien que lui-même affirmera qu’Ibn Sina avait commis deux hérésies relevant de la mécréance selon lui (ceci dit, tomber dans une croyance pouvant s’apparenter à de la mécréance ne fait pas automatiquement de cette personne une mécréante), surtout que dans le cas d’Ibn Sina, il s’agissait d’interprétations (certes erronées et même déviantes) d’un point doctrinal, mais non pas d’une négation d’un texte qurânique ni d’un fondement de la religion. Or, Ibn Sina se réclamait bien de l’Islam et n’avait jamais renoncé à l’Islam ni remis en cause le Qur’ân en tant que tel.
Bref, Al-Ghazâlî fut un grand intellectuel, un savant extraordinaire comptant parmi ses disciples, de centaines de grands savants (comme le célèbre juge et exégète andalou Abû Bakr Ibn al Arabî, qui considéra Abû Hâmid al-Ghazâlî comme l’un des plus grands maîtres qu’il ait pu rencontrer, sur un total dépassant les 2000 savants qu’il a rencontré tout au long de son périple). Il fut également un maître spirituel accomplit, alliant intelligence, spiritualité et profonde piété religieuse, tout comme son frère Ahmad al-Ghazâlî (lui aussi théologien et juriste, mais aussi poète et sûfi).

A cause d’un écrit qui lui fut attribué, Sirru Al ‘âlamîn, abordant la question de la numérologie et des carrés magiques, mais qui ne relève pas de la sorcellerie en soi, et qui ne remet nullement en cause le tawhîd ou la foi islamique de l’auteur, certains l’ont traité d’égaré ou de mécréant. Or, Al-Ghazâlî professa toujours le tawhîd et mourut là-dessus, il dit dans son Kitâb al ‘ilm :
« Affirmer le tawhîd (l’Unicité d’Allâh), c’est voir la cause de toute chose comme provenant d’Allâh (qu’Il soit exalté), en une vision qui empêche de donner de la considération excessive à des causes intermédiaires. Ainsi on ne verra pas le bien ou le mal sauf comme une provenance de Lui. Le fruit de cela est la confiance en Allâh, l’abstention de se plaindre des gens en évitant la colère envers eux, le contentement et la résignation face au Jugement d’Allâh (qu’Il soit exalté). L’affirmation de l’Unicité d’Allâh peut être vue comme un joyau précieux ayant deux couches de protection, l’une qui est plus proche de l’essence que l’autre ; les gens se dévouent au nom de la couche et néglige l’essence.

La première couche consiste à dire Lâ Ilâha Illa Llâh (Point de divinité sinon Allâh) avec la langue. On nomme cela « l’affirmation de l’Unicité d’Allâh », car elle s’oppose à la doctrine proclamée par les chrétiens. Cependant, cette affirmation pourrait émaner d’un hypocrite dont l’intérieur est en contradiction avec l’extérieur.

La seconde couche est que l’on ait dans le cœur aucune opposition ou rejet du contenu de cette formule. Au contraire, le sens littéral de la formule embrasse à la fois l’adhérence à celle-ci en tant que doctrine et conviction profonde. Voilà l’attestation de l’Unicité d’Allâh à laquelle adhèrent la plupart des gens. Les théologiens sont les gardes-fous qui protègent cette couche de la confusion des innovateurs.

La troisième couche, qui est en fait l’essence, c’est voir la cause de toute chose comme provenant d’Allâh (qu’Il soit exalté) en une vision qui empêche de donner de la considération excessive à des causes intermédiaires ; et de L’adorer avec une vénération qui L’isole de tout autre : ainsi on n’adore personne d’autre que Lui ».

Il précise également : « La poursuite de sa passion est une déviation de l’affirmation de l’Unicité d’Allâh, dans le sens que quiconque poursuit sa passion l’a prise pour son dieu. Allâh (qu’Il soit exalté) a dit : « Ne vois-tu pas celui qui a fait de sa passion sa divinité ? […] » (Sûrah 25 – Âyah 43). Le Prophète (que Le Salut et La Paix d’Allâh soient sur lui) a dit : « Par Allâh, la plus détestable des divinités adorées dans ce monde est la passion » (…) » ». (Cf. aussi l’ouvrage Miftah ul Falâh de l’imâm Ahmad Ibn Atâ’Llâh As-Sakandârî).

Vers la fin de sa vie, en 1104, il reprend ses fonctions à la madrasa Nizamiyya de Naysabur, à la demande du ministre seljûkide Fakhr al-Mulk, après quelque 10 années d’absence. Il continue néanmoins à vivre la vie des sûfis et à écrire. Il quitte Naysabur (Nishapûr) et regagne à nouveau Tûs, sa ville natale, où il poursuit la vie de renoncement des sûfis et l’enseignement des sciences utiles et bénéfiques. C’est aussi durant cette période qu’il écrira le célèbre Al-Mustasfa fi’Ilm al-Ussûl (un ouvrage important sur la science des principes et des finalités de la Religion) et le fameux Al-Munqidh min al-Dalal (Erreur et délivrance) qui parle aussi de l’éducation spirituelle, des aspirations et des méthodes.

Outre ses activités et pratiques spirituelles, et la prise en charge de certains disciples sûfis, il étudiera également plus intensément la science du hadîth comme l’ont rapporté ses biographes. Près de sa maison, il fit construire un khanqah (un endroit dédié aux pratiques spirituelles pour ceux qui s’engagent dans le tasawwuf) où il écrit à cette époque Minhaj Al-‘Abidin (La voie de la dévotion), qui décrit sa vie et de celle de ses disciples dans la voie de la science et de l’éducation spirituelle. C’est ainsi qu’il vivra jusqu’à la fin de ses jours, en 1111 de l’ère chrétienne.

Son influence

Qui de nos jours n’a pas entendu parler de Abû Hâmid al-Ghazâlî ?

Dans le monde musulman, nombreux sont les savants et les étudiants qui tirent profit, – intellectuellement et religieusement – de ses ouvrages, et qui s’en inspirent, non seulement dans leur vie du quotidien, mais aussi pour composer leurs travaux, que ce soit en logique, en droit, dans l’éducation ou la psychologie, la spiritualité ou la métaphysique, la théologie ou même pour la « philosophie ».

En dehors des terres d’Islam, on retrouve son influence dans les travaux d’auteurs et de savants divers comme Thomas d’Aquin (1225-1274) qui dans sa Summa Theologiae (Somme théologique) s’inspire du Ihyâ’ d’Al-Ghazâlî, Dante Alighieri (1265 – 1321) l’auteur de la célèbre Divine Comédie qui se nourrit des œuvres d’Al-Ghazâlî, de Ibn ‘Arabî et de Abû Alâ’ Al-Ma’ârî.

Le philosophe, économiste et historien écossais David Hume (1711 – 1776) s’en inspire aussi dans sa critique de la causalité, tout comme le penseur et mathématicien Blaise Pascal (1623 – 1662) dans son rapport entre l’intuition et la rationalité.

Chez les juifs, son œuvre influencera aussi des figures comme Juda Halevi dans son Kuzari, Moïse Maïmonide (Moshe ben Maïmon) dans son Dalalat al Ha’irin (Guide des égarés), – rédigé en arabe à l’origine -. D’autres, tout en s’inspirant de l’œuvre ghazalienne, perpétuèrent aussi une certaine vision critique, comme Isaac Albalag (continuateur juif du philosophe et juge musulman Ibn Rushd), qui tout comme son « maître musulman » écrira lui aussi un commentaire sur le Tahafut, mais de même teneur (lacunaire donc) que celui de Ibn Rushd.

Des orientalistes ont également imputé à Al-Ghazâlî, la fin de la production intellectuelle en terres d’Islam (en 1111 donc), alors que celle-ci n’a jamais cessé, – et lui-même n’a jamais appelé à y mettre un terme -, pas même jusqu’au 19e siècle. Et il suffit pour cela de s’intéresser à l’histoire des sciences, et de citer quelques grands noms postérieurs à al-Ghazâlî, comme Ibn Tufayl et Ibn Rushd, Shihab ud-Dîn Yahya Suhrawardi, Qutb ad-Dîn Shirazî, Ibn Khaldûn, Fakhr ud-Dîn Râzî, Nasîr ud-Dîn al-Tûsî, Taqî ud-Dîn Muhammad ibn Ma’ruf al-Shami al-Asad, Yâqût ibn ʿAbdallâh al-Rûmî et tant d’autres. Cette thèse a donc été réfutée par de nombreux travaux académiques de premier plan, dont ceux de Dimitri Gutas, Seyyed Hossein Nasr et de Khaled El-Rouayheb pour ne citer que quelques noms, et qui montrèrent que les travaux sur la logique, la métaphysique, la philosophie, les mathématiques, la médecine, la philosophie, l’économie, la sociologie, la physique, la botanique, le droit, la chimie, etc. continuèrent d’être développés et diffusés dans toutes les contrées du monde musulman, malgré une certaine période dite de « décadence » à partir du 16 et du 17e siècles, mais qui n’a jamais signifié en réalité la fin de la production intellectuelle en terres d’Islam.

Beaucoup de chercheurs, d’académiciens et d’intellectuels, musulmans comme non-musulmans, se penchent encore sur sa vie et sur ses travaux, et trouvent une source intarissable d’enseignements et d’études (qu’elles soient critiques ou non).

Son œuvre maitresse : Ihyâ’ ulûm ud-Dîn

On lui attribue un peu plus de 70 ouvrages, ainsi que deux gigantesques exégèses du Qur’ân aujourd’hui publiquement disparues ! Le Shaykh Murtada Al-Zabidî (m. 1205 H/1791 : commentateur de l’Ihyâ’) relate qu’Al-Ghazâlî avait rédigé deux tafsirs (ésotériques et exotériques) du Qur’ân (complet) qui sont aujourd’hui introuvables (comme de nombreux autres manuscrits dans le monde musulman et ailleurs, certains restent dans des cercles privés : intellectuels ou familiaux, sans qu’ils les recensent auprès des institutions ou autorités en la matière, constituant ainsi des collections privées inconnues du grand public ou des autorités religieuses, politiques ou scientifiques).

Ils étaient intitulés Tafsîr al-Qur’ân al-‘azîm et Yâqût al-ta’wîl fî tafsîr al-Tanzîl. Le premier était une exégèse (tafsîr) constituée d’environ 300 volumes et aurait été au nombre des ouvrages noyés dans le Tigre (fleuve qui passe par l’Irak) lors de la destruction de Baghdad par les mongols (au 13e siècle), aux côtés d’autres centaines de milliers (au bas mot) ouvrages détruits.

Le second était une exégèse constituée de 40 volumes (selon les indications données par Zabîdî). Le Shaykh ‘Abd al-Rahmân Jâmî (m. 898 H/1492) donne les mêmes renseignements et situe sa composition durant sa retraite spirituelle (dernière période intellectuelle de sa vie, cf. Maurice Bouyges, Essai de chronologie des oeuvres de Al-Ghazâlî, Beyrouth, 1959, p. 67).

Le Shaykh al-Murtadâ’ Az-Zubaydî était le noble descendant de l’imâm Al-Hussayn (‘alayhî salâm), un sûfi rattaché à la tariqa naqshbandiyya, un juriste avisé rattaché à l’école hanafite mais ayant étudié aussi le fiqh shafiite, une sommité dans la lexicographie et la grammaire arabe, un poète, un spécialiste de l’œuvre de Ibn ‘Arabî et de Al-Ghazâlî, un historien, l’une des plus grandes sommités dans la science du hadîth, un logicien, un exégète du Qur’ân, et il avait étudié également les mathématiques et la médecine notamment.

Mais l’œuvre par laquelle il devint vraiment célèbre, – malgré le succès de ses ouvrages dans le fiqh et les ussûl -, c’est son Ihyâ’ (Ihyâ’ ulûm ud-Dîn) qui fut rédigé après la période où il fit sa célèbre retraite spirituelle, et aborde les différentes dimensions de l’Islam : islâm, imân et ihsân. Il n’est pas difficile d’accès, et peut se lire et se comprendre à différents niveaux, si bien que les débutants comme les avancés dans les sciences religieuses et la spiritualité peuvent en tirer grandement profit, aussi bien sur le plan théorique que pratique. Pour ceux qui sont doués de « perspicacité spirituelle », la portée métaphysique de cette œuvre leur sera accessible.

En effet, comme le dira Al-Ghazâlî, chaque serviteur est limité à la compréhension qui lui est propre (et octroyée par Allâh) : « Il n’est pas un végétal sec ou verdoyant qui ne soit consigné dans un Livre explicite » (Qur’ân 6, 59) et « Dis : Si la mer servait d’encre en vue d’écrire les Paroles de mon Seigneur, elle se serait tarie sans que les Paroles de mon Seigneur aient été épuisées, quand bien même Nous l’aurions doublée d’une autre mer en guise d’encre » (Qur’ân 18, 109).

Il rapporta aussi que l’imâm ‘Alî ibn Abû Tâlîb (‘alayhî salâm) a dit : « Si je le voulais, je pourrais écrire un commentaire de la Sûrate Al Fâtiha tellement long qu’il faudrait 70 chameaux [70 étant un nombre assez symbolique signifiant souvent un développement important ou une grande quantité) pour le transporter » (Récit rapporté par Abû Tâlib al-Makkî, Qût al-qulûb, 1/50).

Abû Hâmid al-Ghazâlî commente cela en disant : « Les significations spirituelles des Paroles d’Allâh sont, en effet, sans fin et les océans seraient épuisés avant que ne s’épuisent les Paroles d’Allâh (Exalté Soit-Il). Sous ce rapport, les capacités de compréhension des créatures sont diverses même s’ils possèdent au même degré la nécessaire connaissance de l’interprétation exotérique [littérale] ».

Le Shaykh Murtadâ al-Zabîdî dans son Ithâf al-Sâdat al-muttaqîn bi-sharh Ihyâ’ ‘ulûm ad-Dîn (5/175) commenta cette parole en disant : « Les présupposés et les implications dont il s’agit sont la connaissance des degrés de la perfection spirituelle, puis la connaissance de ce que doit être l’aspiration à la réalisation spirituelle ; la connaissance de la complémentarité des contraires (tamâthûl al-dhiddayn) ; la connaissance permettant de savoir si l’Être nécessaire n’est tel que parce qu’Il est sans cause ; la connaissance de la manière dont toute action doit Lui être attribuée ; la connaissance de ce qu’est le terme de la Voie des gnostiques [connaissants par Allâh], etc. ».

Abû Hamîd Al-Ghazâlî dit (en référence aux ahadîths sur les sens multiples et intérieurs du Qur’ân) dans son Ihyâ’ au 8ème livre Kitâb âdâb tilâwat al-Qur’ân : « En effet, la Vérité en laquelle doit adhérer les créatures possède de nombreux degrés : elle possède un aspect extérieur (mabda’ zâhir) et un fond intérieur (ghawr bâtin). Celui dont la nature est centrée sur l’aspect extérieur ne sautait accéder au fond intérieur, comme nous l’avons montré au sujet de la différence entre la science extérieure et la science intérieure dans le livre Qawâ’id al-‘aqâ’id ».

Le Shaykh Murtadâ al-Zabîdî commenta ce passage dans son explication de l’Ihyâ’ (5/105), en disant : « L’aspect extérieur est ce que l’on appelle l’écorce (qishr), et le fond intérieur est appelé la moelle (lubb) ».

Il dit encore (5/106) : « Sache que les significations du Qur’ân relèvent du Monde Spirituel (malakût) et de la Table Gardée. C’est de là que fut “descendu” le Qur’ân. Le « cœur » de celui qui récite le Qur’ân doit être un miroir, comme la Table Gardée l’est puisqu’en elle se trouve l’image de toute chose. Lorsque ces deux miroirs se font face le contenu de l’un passe dans l’autre ».

Les propos élogieux des savants concernant l’imâm Abû Hâmid al-Ghazâlî

La majorité des savants sunnites le voient comme étant le « mujadîd » (revivifcateur/rénovateur des sciences religieuses) de son temps.
Le juriste shafiite, muhaddith, théologien asharite, exégète, philologue, calligraphe, historien, grammairien et lectionnaire du Qur’ân, l’imâm Salâh ud-Dîn As-Safâdî (1296-763 H/1363), qui fut l’élève du Shaykh ul Islam Taqî ud-Dîn As-Subkî ainsi que de Ad-Dhahabî (grand compagnon de Taqî ud-Dîn As-Subkî et élève de Ibn Taymiyya) dira dans son al-Wâfi bi l-Wafayât (qui est un dictionnaire biographique de nombreux savants notables) : « Muhammad Ibn Muhammad Ibn Muhammad Ibn Ahmad, la Preuve de l’Islam, l’Ornement de la Foi, Abû Hâmid at-Tûsî (Al-Ghazâlî), le juriste Shafi’î, était sans rival au cours de ses dernières années ».

Ad-Dhahâbî, qui était aussi le professeur de l’imâm As-Safadî a dit dans son Siyâr a’lam an-Nubalâ’ qu’Al-Ghazâlî était le revivificateur de son siècle, ainsi que, dans le même ouvrage (19/346) : « Le shaykh, l’imâm, L’océan, l’argument de l’Islam, la merveille de l’époque, Zayn ad Dîn Abû Hâmid Muhammad ibn Muhammad ibn Muhammad ibn Ahmad at Tûsî, As Shafi’î, al Ghazâlî, l’auteur de nombreux ouvrages, et d’une intelligence hors du commun. (…) Qu’Allâh fasse miséricorde à l’imam Abû Hâmid. Où est son semblable dans ses sciences et ses mérites ? Mais nous n’appelons pas à son infaillibilité de l’erreur et de la faute et il n’y a pas point d’imitation [taqlîd] dans le dogme (dans les fondements) ».

Ad-Dhahabî en donnant son avis sur les revivificateurs musulmans à la tête de chaque génération a dit dans son Siyar A’lâm an-Nubalâ’ (14/203) : « (…) Al-Hâkim a dit : J’ai entendu Hassan ibn Muhammad dire : J’étais dans l’assemblée d’Ibn Surayj en l’an 303 et un shaykh parmi les gens de science se leva et dit : Je t’annonce qu’Allâh envoie à la tête de chaque siècle (ndt : ou génération) celui qui lui renouvellera, c’est-à-dire à la Ummah, les affaires de Sa religion et qu’Allâh a envoyé à la tête du premier siècle ‘Umar ibn ‘Abd Al-‘Azîz et Il a envoyé au second siècle Muhammad ibn Idrîs as-Shâfi‘î et Il t’a envoyé au troisième puis il se rassit et dit : « Deux s’en sont allés et ont été bénis…‘Umar le calife puis son allié glorieux as-Shâfi‘î le grand Muhammad – Qui fut l’héritage de la prophétie et cousin de Muhammad – et réjouis toi ô Abû al-‘Abbâs car tu es le troisième – à arroser après eux la terre d’Ahmad – ».
Il dit (Ibn Surayj) : « Quelle éloquence ! » et il pleura et dit : « On a déclamé sur ma propre personne ».
Hassan dit : « le Qadî Abî al-‘Abbâs mourut cette année-là ».

Je dis (ad-Dhahabî) : A la tête du quatrième siècle était le Shaykh Abû Hâmid al-Isfaraynî, du cinquième siècle Abû Hâmid al-Ghazâlî, du sixième siècle al-Hafiz ‘Abd al-Ghanî et du septième siècle notre Shaykh Abû al-Fath ibn Daqiq al-‘Id », et son Shaykh était une sommité parmi les asharites ainsi qu’un grand juriste, disciple du Shaykh al Islâm ‘Izz ad Dîn ibn ‘Abd as Salâm.

Ibn Kathîr révéla à son sujet dans son al-Bidâyat wa al-Nihâyat : « Il a excellé dans de nombreuses sciences et il a composé des ouvrages dans divers domaines. Il était parmi les plus intelligents de ce monde dans toutes les sciences abordées ».

Le Hâfiz Al-Murtadâ Az-Zabîdi (m. 1205 H), grand spécialiste du hadîth et de la métaphysique, dans son commentaire du Ihyâ’ ulûm ud-Dîn (d’Al-Ghazâlî) intitulé It’hâf as-Sâdah al-Muttaqîn a dit : « Je ne lui connais point de pareil en ce qui concerne les livres composés par les juristes ».

Le Shaykh ul Islâm Taqî ud-Dîn ‘Alî Ibn As-Subkî déclara au sujet d’Al-Ghazâlî : « Que dire au sujet d’Al-Ghazâlî et de ses bienfaits, lui dont le nom est célèbre dans le monde entier ! Quiconque connaît ses paroles, sait que l’homme est au-dessus de son nom » (voir aussi Al-Qâmus Al-Islâmi d’Ahmad ‘Atiyyat).

Et concernant le Ihyâ’, il dira: « Il fait partie des livres dont les musulmans doivent prendre soin et qu’ils ont à propager pour qu’ils soient une cause de la guidance de beaucoup de créatures vers la bonne voie. Il est rare qu’on le consulte sans en retirer tout de suite une leçon ».

L’Imâm Muhammad Al-Khidr Hussayn, un chevalier de l’islam et défenseur du Qur’ân et de la Sunnah, savant algérien par son origine, tunisien par sa naissance, égyptien par son séjour, grand Imâm d’Al-Azhar entre 1952 et 1958 dit : « Si les savants ont trouvé dans le livre “Al-Ihyâ” quelques défauts peu nombreux, il s’agit là de l’œuvre d’un être humain qui n’est point à l’abri de l’erreur. Pour en montrer les bienfaits et la place élevée, il suffit de rappeler que les perles de ses profits sont innombrables et les étudiants amoureux de la vertu y gagnent ce qu’ils ne gagneraient pas d’un autre livre ».

Le Shaykh Abû Muhammad Al-Kâzruni dit : « Si toutes les sciences disparaissaient, elles seraient de nouveau recomposées à partir d’Al-Ihyâ’ ».

Le Shaykh Ibn Najjâr dit à son tour : « Abû Hamid est l’Imâm des Faqihs sans aucune exception, le seigneurial de la Communauté à l’unanimité, l’appliqué de son époque et le notable de son temps (…) Il a excellé dans le fiqh shafiite, les fondements de la Religion, la divergence (entre les savants), la dialectique, la rhétorique. Il étudia la philosophie, comprit les propos des philosophes et les réfuta. Il était d’une grande intelligence, doté d’une forte capacité d’entendement et d’une grande perspicacité ».

Ibn al-Jawzî, malgré ses critiques (du moins au début) dit de lui : « Il écrivit d’excellents ouvrages concernant les fondements et subdivisions de la Religion, uniques dans leur composition, agencement et précision ».

L’imâm Al-Juwaynî, le grand juriste shafiite, le grammairien et logicien dit de lui : « Al-Ghazâlî est un océan en lequel on se noie ».

Ibn Taymiyya dira aussi : « Et Abû Hâmid al-Ghazâlî, malgré son extrême intelligence, son adoration, sa connaissance de la théologie et de la philosophie, et son cheminement sur la voie de l’ascétisme, de l’exercice spirituel et du tasawwuf, en arrive sur ces questions à la perplexité et à la confusion ; s’échappant finalement vers la voie des adeptes du dévoilement, même si après tout cela, il est revenu à la voie des adeptes du hadîth et a écrit Iljâm al-‘awâm ‘an ‘ilm al-kalâm ». Ainsi Ibn Taymiyya reconnaissait le savoir, l’intelligence et la piété de l’imâm Abû Hâmid, mais ne comprit pas grand-chose sur le reste. La plupart des grands maîtres sûfis avaient des dévoilements spirituels authentiques tout en étant de grands maîtres dans la science du hadîth (ce qu’admettra aussi Ibn Taymiyya par la suite), et al-Ghazâlî n’était pas perplexe quant à la religion, mais les dévoilements apportent une connaissance plus vaste et profonde des réalités, – ce qui peut rendre perplexe celui qui ignorait tout cela auparavant -, et cela ne l’empêcha pas non plus d’étudier la science du hadîth, – tout en cheminant sur la voie spirituelle -, à l’instar du Shaykh Abdul Qadîr al-Jilânî, qui naquit juste après l’imâm al-Ghazâlî. Quant à la voie du kalâm (théologie scolastique), lui comme d’autres savants rattachés au tasawwuf, ont saisi la nécessité de cette science que pour des cas précis et pour des savants avertis, mais en la réprouvant pour les gens du commun ou ceux qui n’en avaient pas du tout besoin.

L’Imâm Al-`Irâqi, a dit : « Lorsque son mot fut suivi, que sa renommée se répandit fort loin, que l’on voyagea pour le rencontrer, qu’il fut obéi des gens, son âme se détourna de ce bas-monde et eut la nostalgie de l’autre. Il rejeta alors le premier et s’efforça de gagner le second, moins éphémère, ainsi que les âmes pures, comme l’a si bien dit `Umar Ibn Abd Al-`Aziz : J’ai une âme qui, lorsqu’elle eut gagné ce bas monde, eut la nostalgie de l’autre. Un certain savant dit : « Je vis Al-Ghazâli, qu’Allâh le bénisse, à la campagne, vêtu d’un habit rapiécé et tenant à la main un bâton et une bouilloire. Je lui dis : « Ô Imâm ! l’enseignement à Baghdâd ne vaut-il pas mieux que ceci ? Il me regarda alors du coin de l’œil et dit : Lorsque la pleine lune du bonheur se leva dans le ciel de la volonté, et que les soleils du rapprochement apparurent, j’abandonnai l’amour de Layla et de Sa`da dans une demeure, et je revins au Compagnon de la première demeure… La nostalgie m’appela : Ralentis ! ce sont les demeures de ceux que tu aimes, ralentis et descends ! » ».


Certains auteurs andalous, touchés par le sectarisme, ont voulu interdire la diffusion de ses ouvrages dans l’Andalousie musulmane, mais beaucoup de savants andalous respectaient l’œuvre de Ghazâlî, et Abû Bakr Ibn al Arabî diffusa lui-même son œuvre lors de son retour en Andalousie. Certains détracteurs se repentirent toutefois de leur hostilité, notamment lors de certaines visions spirituelles où ils virent Al-Ghazâlî en compagnie du Prophète et de plusieurs nobles compagnons, prenant la défense d’Al-Ghazâlî et de son œuvre maîtresse.


Il est rapporté par le savant Yafi’i dans son livre Nashr Al Mahasan : « Il m’a été rapporté par un vertueux parmi la descendance de Shaykh Abû-l Hasan ibn Hirzihim que lorsque son aïeul eut le livre “Al Ihya ‘Ûlum ud-Dîn” (de l’Imâm Al-Ghazâlî) il le consulta et dit ensuite : « Ceci est une innovation qui va à l’encontre de la Sunnah ».

Or il était écouté dans l’ensemble des villes marocaines, il ordonna que soient rassemblées toutes les copies du “Ihya” et il demanda au Sultan de décréter cela aux gens, aussi envoya-t-il un héraut annoncer dans chaque lieu : « Qu’Allâh maudisse celui qui possède un exemplaire du “Ihya” sans nous le ramener ».

Les gens se mirent tous à rapporter ce qu’ils en possédaient, et les juristes se réunirent et les consultèrent puis décrétèrent par consensus de les brûler le lendemain, le jour du vendredi.

Or au cours de la nuit du vendredi en question, Shaykh Abû-l Hasan ibn Hirzihim se vit en songe en train de franchir la porte de la mosquée où il avait l’habitude de se rendre. Il vit dans le coin de la mosquée une lumière et aperçut alors le Prophète (‘alayhî salât wa salâm) en compagnie d’Abû Bakr (qu’Allâh l’agrée) et de ‘Ûmar (qu’Allâh l’agrée) qui étaient assis et l’Imam Abû Hamid Al Ghazâlî qui se tenait debout tenant entre ses mains le “Ihya”.

Il dit : « Ô Messager d’Allâh, celui-ci m’a pris à partie ».

Puis il s’agenouilla et rampa jusqu’à parvenir auprès du Prophète (‘alayhî salât wa salâm).

Il lui présenta le livre “Ihya” en lui disant :

« Ô Messager d’Allâh, consulte-le et s’il s’agit d’une innovation qui contredit ta Sunnah comme il le prétend dans ce cas je me repends auprès d’Allâh le Très Haut, et si par contre il s’agit de ce que tu approuves alors je profite de ta bénédiction, et applique ta sentence en conséquence à mon détracteur ».

Le Messager d’Allâh (‘alayhî salât wa salâm) le consulta feuille par feuille jusqu’à la fin puis il dit : « Par Allâh, ceci est une œuvre bienfaisante ».

Ensuite il le présenta à Abû Bakr (qu’Allâh l’agrée) qui le consulta puis dit : « Ô Messager d’Allâh, par Celui qui t’a envoyé avec la vérité, ceci est vraiment excellent ».

Ensuite il le présenta à ‘Ûmar (qu’Allâh l’agrée) qui après l’avoir consulté dit la même chose que Abû Bakr.

Le Messager d’Allâh (‘alayhî salât wa salâm) ordonna qu’on ôte les vêtements d’Abû-l Hasan ibn Hirzihim et qu’on lui applique la sentence pénale du menteur invétéré.

On le déshabilla et il fut frappé, puis après avoir reçu cinq coups de fouet, Abû Bakr (qu’Allâh l’agrée) intercéda en sa faveur en disant :

« Ô Messager d’Allâh, il n’a fait cela que par effort d’interprétation en faveur de ta Sunnah et par valeur envers elle ».

Abû Hamid Al Ghazâlî (qu’Allâh l’agrée) lui pardonna alors et c’est là qu’il se réveilla.

Il alla informer ses compagnons de ce qui lui était survenu et il resta presque un mois entier à souffrir réellement de ses coups de fouet.

Lorsqu’il consulta de nouveau le “Ihya” il découvrit toute autre chose que ce qu’il avait vu la première fois et il fut saisi d’une compréhension qui différait de sa toute première compréhension, il constatait désormais une parfaite conformité avec le Livre d’Allâh et de la Sunnah.

Ensuite il vit de nouveau le Messager d’Allâh (‘alayhî salât wa salâm) qui essuya son dos de sa noble main bénie, ce qui permit à son corps et son cœur de guérir après 25 jours.

Par la suite il eut l’Ouverture spirituelle et obtint une Connaissance Divine (de la part d’Allâh, par Sa Grâce Divine et Bénie) immense … ».

Le savant, historien et juriste Abû Muhammad ‘Abdullâh ibn As’ad al-Yâfi’î (m. 768 H/1367) dans Mi’râh al-Jinân wa ‘Ibrah al-Yaqzân a dit à son sujet : « Il était appelé la « Preuve de l’Islam » et était sans aucun doute digne de ce nom, absolument digne de confiance (en ce qui concerne la Foi). Combien d’épitres (a-t-il donnés) énonçant les principes de base de la religion (afin de les rendre accessibles au plus grand nombre), et résumé ce qui était long. Combien d’explications simples nous a-t-il données sur ce qui était difficile à comprendre, avec une brève explication et une solution claire aux problèmes épineux. Il a fait preuve de pondération, faisant preuve de calme et de détermination pour réduire au silence un adversaire, bien que ses paroles ressemblent à un coup d’épée pour réfuter un calomniateur et protéger le grand chemin de la guidance ».

 De son vivant, le juge et exégète Abû Bakr ibn al Arabî al-Malikî vit qu’Al-Ghazâlî donnait des cours parfois à plus de 400 savants et étudiants avancés dans une seule assemblée, ce qui montre la notoriété dont il jouissait déjà dans sa région.

Abû Bakr ibn al ‘Arabî (468 H/1076 – 543 H/1148) qui eut de nombreux maîtres (théologiens et juristes hanbalites, hanafites, shafiites, malikites et d’autres), qui vit aussi des savants non-musulmans débattre avec des savants musulmans (y compris des mu’tazilites et des karamites) à Jérusalem, dira lui-même qu’Abû Hâmid al-Ghazâlî était d’un niveau au-dessus de ce qu’il put voir chez les autres savants de son époque.
Lors de son séjour à Baghdad, il rencontra l’imâm Abû Hâmid al-Ghazâlî, avec qui il étudia ou discuta aussi du fiqh, de la logique, de la philosophie, ainsi que de médecine, de physique, de tasawwûf, de tafsîr, etc.
Il dira que certaines questions délicates et difficiles ne furent éclaircies et apaisées que par Abû Hâmid al-Ghazâlî.

En l’an 490 H, Abû Bakr Ibn al-‘Arabî visite al-Ghazâlî et s’entretient avec lui. Il dira que, de tous les savants qu’il a pu rencontrer, Al-Ghazâlî tenait une place clairement à part. Dans son Qanûn (fol. 142-143) il dit : « Lorsque cette lumière (al-Ghazâlî) m’éclaira, et me manifesta ce que me cachaient les ténèbres, je me dis : j’ai réalisé toutes mes espérances. J’ai enfin, grâce à Allâh, atteint l’objectif des Sâlikîn et de ceux qui recherchent la science indubitable ».

Toujours dans son Qanûn (fol. 165) il dira à propos de l’étude de la philosophie et de la logique avec l’imâm Abû Hâmid al-Ghazâlî : « Allâh m’a donné de connaître des livres, d’aborder de nombreux problèmes, de les formuler, tout en demeurant un homme circonspect face aux intentions des gens et à leurs desseins. Mon professeur est l’un des plus remarquables et parmi les plus grands ».

Au cours de ses moments privilégiés avec Al-Ghazâlî, il lui fait part de ses interrogations et de ce qui le rend perplexe. Un manuscrit de 27 feuillets, – que possède la Bibliothèque Générale de Rabat -, intitulé Les réponses aux questions qu’Ibn al-‘Arabî posa à son maître l’imâm Hujjat al-Islâm, Abû Hâmid al-Ghazâlî, rend compte de leurs entretiens : « L’esprit vital est-il composé de particules lumineuses en nombres créés ou d’une substance spirituelle qui émet son rayonnement de chaque corps, comme le soleil le fait vers tout ce qui ne lui est pas voilé ? La deuxième question : De la différence entre la science du bon augure et celle du mauvais … (…). La huitième question : sur la réalité de la représentation de (l’Ange) Jibrîl (…) ».

Lors de la crise spirituelle qui frappa Abû Hâmid al-Ghazâlî à Baghdad, il dira : « Notre professeur Abû Hâmid al-Ghazâlî s’est introduit dans le ventre des philosophes. Voulant en sortir, il ne le put ». Al-Ghazâlî quitta alors Baghdâd, puis s’initia concrètement dans la voie spirituelle (tasawwûf) et acquit la certitude spirituelle, transcendant ainsi les incertitudes et contradictions de la philosophie spéculative. Sans renier pour autant la théologie scolastique, il en indiquera les limites et son usage que pour des personnes avisées, et dans le cadre d’une nécessité visant à réfuter les hérésies ou déviances des gens, à travers des arguments rationnels tout en s’appuyant des preuves traditionnelles de la Révélation et de la pratique prophétique authentique. Il sut que la voie spirituelle était la meilleure méthode pour purifier son âme, ses sens et son intellect, apportant une certitude directe et sans faille discursive.
Il devint le porte-parole officiel des Almoravides auprès du califat Abbasside (cf. ce qu’il dit dans sa Rihla, p. 61), et son attachement à l’oeuvre de Ghazâlî, ainsi que ses sympathies pour l’école shafiite et ses illustres savants, ainsi que pour la théologie asharite, furent répandues à son retour en Andalousie. On lui attribue même d’avoir transmis à Abû Ya’zâ (m. 572 H/1177) et à ‘Alî Ibn Khirzihîm (m. 559 H/1165) l’investiture spirituelle (sûfie), qui l’avait reçu lui-même d’Abû Hâmid al-Ghazâlî (cf. Al-Tâdilî, Al-Tasawwûf, 147; Bel, 146).

A Baghdâd, il aurait même suivi l’enseignement de l’imâm hanbalite Abû al-Farâj ibn al-Jawzî et rencontré Muhammad ibn ‘Abdallâh Ibn Tûmart al-Masmudî (cf. Al Maqqarî, Nafh, 1/335).

Ibn al ‘Arabî, au cours de ses voyages, étudiera le Qur’ân et son tafsîr, la poésie, le droit malikite suivi des autres écoles juridiques, les mathématiques et la logique, la philosophie, les sciences du hadîth et la sîrah, les fondements du droit et de la religion, l’histoire, la grammaire et la langue arabe, etc.

Source :
“Abû Bakr R. Al ‘Arabi, grand cadi de Seville” de Vincent Lagardère,  Revue des mondes musulmans et de la Méditerranée, 1985 , pp. 91-102, l’article fait partie d’un numéro thématique : Al-Andalus – Culture et société.
Voir aussi Frank Griffel, “Al-Ghazali’s Philosophical Theology”. New York: Oxford University Press, 2009, pp. 63–71.
Ainsi que l’article suivant : http://www.persee.fr/doc/remmm_0035-1474_1985_num_40_1_2096

Son départ vers l’autre monde

Sentant sa mort approcher, il composa ces magnifiques vers :

 « Dites à mes amis qui, me voyant mort, pleurent pour moi avec tant de douleur,

Ne croyez pas que le cadavre que vous voyez est moi-même. Je vous dis que ce n’est pas moi.

Je suis un esprit, ceci n’est rien que de la chair qui fut pendant un certain moment ma demeure et mon vêtement.

Je suis un trésor maintenu caché par un talisman, entouré par de la poussière, qui lui servit de manteau.

Je suis une perle, qui abandonna sa coquille désertifiée. C’était ma prison, où j’ai passé mon temps dans la peine.

Je suis un oiseau, et ce corps est ma cage de laquelle je me suis envolé.

J’ai passé mon chemin et vous êtes restés. Votre demeure n’était pas l’endroit où je suis supposé loger.

Ne pensez pas que la mort est la mort, non, c’est la vie et c’est la plus belle des espérances ».


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