Il est Al-Hussayn Mansûr Al-Hallâj (244 H/858 – 309H/922), l’imâm, le théologien, le logicien, le juriste, le muhaddith, l’exégète du Qur’ân, le poète et le Sûfi. Il fut disciple notamment du célèbre imâm Al-Junayd et fait donc partie de la dernière génération des savants du Salaf. Il a écrit plusieurs ouvrages sur le tasawwuf, la théologie, l’exégèse, le droit et d’autres disciplines.
Il fut défendu par de grands savants, et traité d’hérétique ou de sorcier par d’autres savants, mais les récits sur lesquels ils se sont basés contiennent des faiblesses et des incertitudes.
Concernant l’imâm et Sûfi Al-Hallâj : Al Hallaj était un savant sunnite plutôt orthodoxe (comme le montrera le grand savant Al-Hujwiri, qui rapporte plusieurs livres d’Al-Hallaj le rattachant à l’orthodoxie sunnite), seulement, il a commis plusieurs fautes (comme signalées plus haut) mais aussi a manqué sans le vouloir de profondeur et d’adab envers le Messager d’Allâh (ﷺ) comme l’expliqueront Ibn ‘Arabî et l’émir ‘Abd al-Qâdir (sur la portée universelle de l’intercession du Prophète ﷺ).Ce sont surtout les manquements liés à l’adab que des savants comme Al-Junayd et d’autres lui reprocheront, mais pas la portée ésotérique de sa parole en soi ; sens qui peut être orthodoxe comme expliqué par Al-Ghazâlî, Fakhr ud-Dîn ar-Râzi et d’autres. Wa Allâhu a’lam.
C’est donc l’histoire du célèbre al-Hussayn Mansûr al-Hallâj (858 – 922), voici un passage de sa vie, alors emprisonné, dans l’attente de son exécution pour des propos jugés hérétiques, dans l’extase qui qualifiait chaque instant de son existence, il aurait dit : « je suis la Vérité (ana al-Haqq) », et l’imâm Farîd ud-Dîn Attâr rapporte dans son Tadhkirat al-Awliyâ’ :
« …On rapporte que la première nuit de son emprisonnement, comme on était venu le visiter, on ne l’aperçut pas dans la prison. La seconde nuit on ne vit ni lui ni la prison. La troisième nuit on le vit dans la prison et on lui demanda :« Où étais-tu donc la première nuit ? Et la seconde nuit, toi et la prison, où étiez-vous ?La première nuit, répondit-il, j’étais auprès de la souveraine Majesté; voilà pourquoi je n’étais pas ici. La seconde nuit Sa Majesté était ici, et c’est pour cela que nous étions invisibles, la prison et moi. Cette troisième nuit on m’a renvoyé ici pour accomplir la loi écrite; venez donc et faites ce que vous avez à faire ! » … ».
L’imâm Fakhr ud-Dîn ar-Râzi a dit dans Lawâmi’ ul Bayyinât Fi-l-Asmâ’ Wa-s-Sifât à propos de Mansûr al-Hallâj : « Quelle est la signification du propos de Al Hussayn Ibn Mansûr Al Hallâj : “Je suis le Vrai, La Vérité (anâ al haqq)” ? La réponse est la suivante : La doctrine de l’ittihâd (que l’on attribue à Al Hallâj), l’union ou l’unification, est sans fondement. En effet, de trois choses l’une : * Les deux choses subsistent et, de ce fait, restent deux réalités distinctes ; * elles disparaissent toutes deux pour devenir une troisième chose différente ; * il ne reste que l’une des deux, l’autre cessant d’être.Mais, alors (dans chacun de ces trois cas) l’union reste impossible, car L’Existant ne peut être le même que le non-existant. Il en résulte que la parole de cet initié (Al Hallâj) est passible d’interprétation (ta’wîl) et ceci sous plusieurs aspects :
1 – Nous avons démontré avec une argumentation évidente que L’Existant est Le Véritable Vrai (gloire à Lui) et que tout sauf Lui est [en réalité] irréel [ndt : dans le sens de relatif, donc non-absolu]. Dans le cas de Al Hallâj, tout sauf Le Vrai avait disparu à sa considération et son âme s’était éteinte à elle-même au point qu’il ne subsistait en lui d’autre réalité qu’Allâh. C’est donc dans cet instant qu’il prononça : “anâ al haqq”. C’est comme si Le Vrai (gloire à Lui) mettait ce propos sur sa langue alors qu’il était dans un état d’extinction spirituelle (fanâ’) qui lui fit perdre entièrement la conscience de son âme et qui le submergea dans les lumières de la Majesté d’Allâh (exalté soit-Il). Quand on lui demanda à propos de la signification de cet évènement : “Dis plutôt : ” je suis par Le Vrai (anâ bi-l-haqq)”.”, il refusa car s’il avait dit “je suis par Le Vrai”, son expression anâ (moi ou je) aurait été une allusion à son âme (et non plus au Vrai). Cet homme accompli se trouvait dans la demeure de l’effacement de toute réalité autre qu’Allâh.
2 – Il est certain que Lui, Allâh, est Le Vrai dont la connaissance est la connaissance véritable.De même que l’élixir transforme le cuivre en or quand il entre en contact avec lui, de même lorsque l’élixir de la connaissance d’Allâh tombe sur l’esprit, il le fait passer de l’irréel au réel pour devenir or pur. C’est alors que Al Hallâj put dire : “anâ al haqq”.
3 – Lorsqu’une chose s’impose à quelqu’un, on dit de lui, par métaphore, qu’il est cette chose. On dit par exemple d’un tel qu’il est la générosité ou la noblesse. Al Hallâj, submergé par Le Vrai dut certainement dire : “anâ al haqq”.Il existe toutefois une différence entre cette dernière explication et la première. Dans le premier cas envisagé, le serviteur s’éteint intégralement à son âme, noyé dans la présence contemplative du Vrai. “Anâ al haqq – je suis le Vrai” est un propos que Le Vrai fait prononcer au serviteur sous l’effet de l’intensité de son ivresse spirituelle et dès lors, celui qui s’exprime de la sorte est en réalité Allâh. Dans le dernier cas, c’est le serviteur qui s’exprime ainsi par hyperbole. Entre ces deux stations, il y a une différence considérable (que tu remarqueras) si tu es d’entre les Maîtres du goût initiatique.
4 – Lorsque la Lumière de la Majesté Divine s’irradie dans l’esprit d’un tel être et que le voile de la nature humaine disparaît, nécessairement l’esprit parvient jusqu’aux confins des demeures de la Béatitude et devient ainsi Vrai du fait que c’est Allâh Lui-Même qui l’a établi vrai comme Lui-Même l’a dit : “Allâh réalise le vrai par Ses Paroles”. C’est pourquoi le propos “anâ al haqq” est véridique car Le Vrai est plus universel que le vrai en soi et le vrai par un autre que Lui.Si l’on objecte ceci : De cette interprétation, il résulte que tout être existencié est vrai. Quel est donc le sens de cette appropriation privilégiée (takhsis) ?Nous répondrons ce qui suit : Quand la lumière du monde divin s’irradie dans l’esprit de l’homme, celui-ci devient parfait dans la réalisation de ce degré et l’appropriation (ikhtisâs) d’un surcroît de perfection lui fait prononcer ce type de propos.5 – On peut soutenir que dans cette expression “anâ al haqq”, le terme pouvant être annexé à “je” ou “moi” (anâ) pour le qualifier est sous-entendu, la proposition complète devant être alors : je suis adorateur du Vrai (anâ ‘âbid ul haqq), je suis invocateur du Vrai, remerciant Le Véritable (les trois attributs : adorateur, invocateur et remerciant disparaissant en l’occurrence) ».
Concernant la doctrine théologique de Al-Hallâj, l’Imâm Abû-l Qâssim Al Qushayrî dans Ar Rissâlah fî ‘Ilm at Tasawwuf a dit : « As Shaykh Abû ‘Abd ar Rahmân As Sulamî (qu’Allâh lui fasse miséricorde) nous a dit : « J’ai entendu Muhammad Ibn Muhammad Ibn Ghâlib dire : « J’ai entendu Abû Nasr Ahmad Ibn Sa’îd Al Isfanjânî dire : « Al Hussayn Ibn Al Mansûr [Al Hallâj] a dit :« Vous devez catégoriquement considérer tout comme étant contingent, parce que la pré-existence Lui appartient (à Lui Seul). Tout ce qui apparaît à travers le corps (la créature) est nécessairement un accident (‘arad). Ce qui survient à travers un ensemble de cause à effet est maintenu grâce à Ses pouvoirs.Tout ce qui survient de groupé (ensemble, compact, etc.) durant un temps, se dispersera assurément à un autre moment.Tout ce qu’un autre fait subsister se caractérise par la dépendance [à l’égard d’Allâh].
Tout ce que l’imagination peut possiblement appréhender peut être décrit.Toutes les choses contenues sont sujettes au « où ».
Et tout ce qui a un genre est l’objet d’une modalité.
Aucun « au-dessus » ne L’ombrage (qu’Il soit exalté !), ni aucun « en-dessous » ne Le porte.Il n’est sujet à aucune direction (ou limite), et aucun « à [tel endroit] » ne Le situe.
Il n’est pas concerné par l’arrière ni par le devant.
Aucun « avant » n’a causé Son apparition et aucun « après » ne Le fera disparaître.
Aucun « tout » ne peut pas Le rassembler.
Aucun « Il est » ne L’a pas amené à l’existence.
Aucun « Il n’est pas » ne peut Le faire disparaître.
Il n’a pas de description.Son acte n’a aucune cause.
Son Essence n’a aucune durée.
Il transcende les états de Ses créatures.
Il n’y a pas, Le concernant, la moindre réflexion effectuée dans ce qu’Il crée, ni d’efforts fournis dans Ses actes.
Il n’a clairement rien à voir avec [Ses créatures] de par Sa pré-existence de même qu’ils n’ont rien à voir avec Lui de par leur nature contingente.
Si vous demandez « Quand ? », sachez que Son Essence est avant [la création du] temps.
Si vous dites « hû », les lettres hâ et wâw ne sont rien d’autre que Sa création.
Si vous dites « Où ? », sachez que Son existence précède [la création de] l’endroit.Les lettres [du Qur’ân] sont Ses signes ; Sa réalité est Son affirmation ;Sa Gnose est la confirmation de Son Unicité ; Et Son Tawhîd doit le distinguer clairement de Ses créatures.
Quoique vous imaginiez dans vos imaginations, Il est différent de cela (mâ tusawwiru fil awhâmi fa huwa bi khilâfih). Comment ce qu’Il a Lui-Même créé (amener à l’existence) peut-il L’analyser ? (kayfa yahullu bihi mâ minhu bada°ahu).
Et comment pourrait-il faire partie de Lui ce qu’Il a Lui-Même amené à l’existence (aw ya’ûdu ilayhi mâ huwa ansha’ahu).
Les pupilles des yeux ne peuvent Le voir.Ni les conjectures L’appréhender.Sa proximité signifie Sa générosité.
Son éloignement signifie Sa Contemplation.Son élévation se fait sans ascension [physique].
Sa venue s’opère sans déplacement [physique].
« Il est Le Premier (Al Awwal) et Le Dernier (Al ‘Âkhir), Le Manifeste (Az Zâhir) et Le Caché (Al Bâtin) » (Qur’ân 57, 3), Le Proche (Al Qarîb), Le Lointain (Al Ba’îd), « Il n’y a rien qui Lui ressemble, c’est Lui L’Audient (As Samî’), Le Clairvoyant (Al Basîr) » (Qur’ân 42, 11) ».
Wa Allâhu a’lam.