Il s’agit de Sahl Ibn ‘Abdullah al-Tustarî (203 H/818 – 283 H/896), d’origine persane (dans la région du Khûzestân, actuel Iran), parlant à la fois le persan et l’arabe. Il est le Sûfi, le juriste, le théologien, le médecin, le chimiste (et alchimiste), l’astronome, l’exégète, le médecin, le linguiste, le muhaddith, le savant polymathe de l’époque des Salafs, le disciple du grand ascète et Sûfi Dhû-l-Nûn al-Misrî (m. entre 245 H/859 et 248 H/862, à un âge avoisinant les 65 ans, il est né vraisemblablement vers la fin des années 700, peu avant l’an 800). L’imâm Ad-Dhahabî dans son Siyâr, dit au sujet de l’imâm Sahl al-Tustarî : « Le maître des connaisseurs en Allâh (Shaykh al-`ârifīn), le Sûfi ascétique (al-Sûfî al-zâhid) (…) Il a un pied ferme dans la Voie (spirituelle de l’Islam) ». Le Shaykh Ibn Taymiyya dans Al-Risâla al-Safadiyya dit : « Les grands savants [sûfis] mentionnés par Abû Abd al-Rahman al-Sulamî dans Tabaqat al-sufiyya, et Abû al-Qassim al-Qushayrî dans al-Risâla, étaient adhérents de l’école d’Ahl al-Sunna wa al-Jama’a et de l’école d’Ahl al-hadith, comme al-Fudayl ibn Iyyâd, al-Junayd ibn Muhammad, Sahl ibn AbdAllâh al-Tustarî, Amr ibn ‘Uthmân al-Makki, Abû `AbdAllâh Muhammad ibn Khafi al-Shirazî, et d’autres; et leurs enseignements étaient fondés sur la Sunnah, et ils rédigèrent des livres au sujet de la Sunnah ».
Parmi les œuvres qui nous sont parvenues, il y a son célèbre Tafsîr. Dans son Tafsîr, il démontre, conformément aux sens explicites de certains versets et ahadiths prophétiques, que le Qur’ân possède de nombreux niveaux d’interprétation, que ce soit sur les plans exotérique ou ésotérique, sens qui se complètent, s’interpénètrent et ne se contredisent pas tant que le sens indiqué par une compréhension de l’aspect littéral est respecté.
Il fait partie des imâms desquels il y a eu unanimité sur sa piété, son savoir et son haut rang spirituel, reconnu comme tel par de grands imâms et savants comme Al-Qushayrî, Al-Bayhaqî, Abû Hâmid al-Ghazâlî, Ibn ‘Arabî, Farid ud-Dîn Attâr, An-Nawawî, Ibn Taymiyya, Ibn al-Qayyîm, Ad-Dhahâbî, Taqî ud-Dîn et Tâj ud-Dîn As-Subkî, As-Suyûtî et d’autres.
Al-Hafiz Ad-Dhahabî le décrira comme étant « Al-Shaykh al-‘ârifîn (le maître des connaissants par Allâh), al-Sûfî al-Zâhid (Le Sûfi ascétique), … ».
L’imâm Abû Dawûd, l’auteur des Sunân, le tenait aussi en haute estime, et Sahl al-Tustarî chercha la Baraka auprès de lui et de sa langue ayant relaté et transmis les nobles ahadiths prophétiques.
Il louait beaucoup les Sûfis qui étaient sur la voie de la sagesse, de l’ascétisme, de la jurisprudence et de la théologie, inspirés constamment par le Qur’ân, le Hadith (authentique) et l’éthique prophétique.
Al-Tustarî a abordé la question de « l’établissement » d’Allâh (istiwâ’) sur le Trône à la manière de l’imâm Al-Ash’ari et d’autres Salafs, en déclarant : « La rationalité seule ne peut pointer vers Celui qui est sans commencement et sans fin au-dessus d’un Trône qui est créé. Allâh a érigé le Trône comme un signe et comme annonce pour nous afin que par lui les cœurs soient guidés vers Lui sans transgresser. Il n’a pas exigé que les cœurs obtiennent la connaissance de sa nature exacte. Par conséquent, Son établissement sur elle « est sans réserve » (lâ kayfa lahu) et il est inadmissible de demander : « Comment l’istiwâ’ s’applique-t-il au Créateur de l’istiwâ’ ? ». Le croyant doit seulement accepter et se soumettre, en raison de la parole du Prophète : « Il est sur Son Trône » (innahu ʿalâ ʿarshihi) », comme le rapporte notamment l’imâm Ad-Dhahabî dans son Siyâr a’lam an-Nubalâ’ (10/643). C’est-à-dire que comme Allâh l’a indiqué clairement dans le Qur’ân ainsi que Son Prophète ﷺ dans quelques ahadith – notamment celui qui a été transmis sous l’autorité d’Al ‘Abbâs -, il faut l’accepter, sans le nier ni en faire des interprétations alambiquées ou physicalistes (impliquant l’anthropomorphisme par des comparaisons ou des modalités physiques).
L’approche théologique de Sahl al-Tustarî a été généralement acceptée à la fois par les hanbalites orthodoxes (atharites) et les asharites traditionnels (primitifs), ses positions rejoignant généralement celles des écoles asharites et hanbalites (conformes à la voie de l’imâm Ahmad, c’est-à-dire affirmant la Réalité de Ses Attributs, sans comment ni modalité physique).
L’imâm Farid ud-Dîn Attâr rapporta nombre de ses enseignements dans son ouvrage Tadhkirat al-Awliyâ, à la biographie n°28 qui lui est consacrée. Il le présenta ainsi : « Le sultan de la Voie, l’argument de la Vérité ; sa résistance, ses sacrifices et ses luttes ascétiques sont un modèle pour l’ensemble des Sûfis. Sahl était doté d’une très haute aspiration spirituelle et possédait les sciences de la Loi et de la Voie ». Ce qui suit peut être retrouvé dans le même ouvrage.
Lorsqu’il était amené devant le gouverneur ‘Amr Ibn Layth- qui était malade -, il lui somma de libérer les innocents qui étaient emprisonnés, lui dit de cesser la désobéissance à l’Ordre divin, et qu’il fera une du’a pour qu’Allah le guérisse de sa maladie à condition qu’il retourne sur la Voie droite et qu’il libère les innocents, alors il s’exécuta, et Sahl invoqua Allah en sa faveur, et retrouva la santé. Profondément reconnaissant envers Sahl, l’émir lui proposa une grosse somme d’argent, mais Sahl refusa.
Il était capable de percevoir le Shaytân et plusieurs anecdotes furent rapportées à ce sujet, notamment celle-ci : « J’ai vu Shaytân (le Diable) et je lui ai dit : « Ô maudit ! Quelle est la chose la plus insupportable pour toi ? ». Il répondit : « Les allusions des Sûfis à Allâh » », et en effet, car les allusions spirituelles éloignent le Shaytân de l’Homme, protègent les êtres humains aspirant à Allâh de ses ruses, les rapprochent d’Allâh, de la piété et de la sagesse, ce qui diminue fortement l’emprise de Shaytân sur les cœurs et les âmes.
Il dit également : « Celui qui n’adore pas Allâh par choix adorera les serviteurs (créatures) par contrainte ».
« L’état spirituel qui n’est pas confirmé par le Qur’ân et la Tradition (prophétique ; Sunnah) n’est pas valable ».
« Il y a 3 sortes de savants : les savants exotériques qui mentionnent leur science aux gens de l’extérieur ; les savants ésotériques qui mentionnent leur science aux gens de l’intérieur ; et ceux qui possèdent la science de ce qui est entre Allâh et eux, et cette science n’est pas évocable (ou communicable) – le langage ordinaire étant incapable de le décrire parfaitement – ».
« La chevalerie (spirituelle) consiste à suivre (fidèlement) la Tradition du Prophète ﷺ (dans tous ses états) ».
« Le sûfi est celui qui est purifié de toute souillure, celui dont l’aspect intérieur est rempli de pensées et d’aspirations pour Allâh, dont le cœur et la considération sont coupés de tout ce qui est autre qu’Allâh, et pour qui l’or et la boue sont pareils (leur accordant la même considération à l’un et à l’autre) ».
« Le premier degré de la confiance en Allâh consiste à s’en remettre au Décret divin, comme le défunt entre les mains de son laveur. Ce dernier le tourne comme il veut, et le défunt n’y peut rien (impuissant face à la puissance du laveur comme le sont les créatures à l’égard d’Allâh) ».
« La lutte spirituelle (jihâd an-nafs) consiste à s’opposer à son âme (rebelle) et à ses désirs (blâmables) pour Allâh, à Lui être reconnaissant pour Ses (nombreux) Bienfaits, à se montrer patient et endurant dans l’épreuve et les autres choses du même genre ».
« Le plus grand péché consiste à omettre et oublier de L’invoquer ».
« Le véritable initié est celui dont le goût (pour la foi, la spiritualité, la piété et la droiture) ne varie pas et qui sent de plus en plus bon (par l’effet de la Grâce divine) ».
« Les véridiques commettent leur premier délit quand ils se soumettent aux défauts et caprices de leur âme ».
« Celui qui connait Allâh – que Sa Majesté soit proclamée ! – se noie dans la mer du chagrin (concernant ses péchés) et de la joie ».
« Les signes de la Connaissance sont la stupeur et la perplexité ».
« Point de Secoureur et d’Allié (absolu) en dehors d’Allâh ! Point de guide vers Allâh en dehors du Prophète (ﷺ) et de sa voie ! Point de provision en dehors de la piété ! Et point d’œuvre (bénie et agréée) sans patience et endurance ! ».
« Celui qui domine son âme domine tous les autres ; celui qui maitrise son corps parvient à maitriser celui des autres ; celui qui prend le dessus sur son âme, aucun ennemi ne lui résistera. En revanche, celui qui est dominé par son ego sera méprisé ».
On lui demanda : « Qu’est-ce que le beau caractère ? ». Il dit : « Le plus bas degré (dans ce domaine) consiste à être patient (et indulgent) avec les gens et à ne pas attendre d’eux la moindre compensation (matérielle ou mondaine) en échange ».
On lui demanda : « Quand est-ce que les effets de la Douceur divine se manifestent dans le cœur du serviteur ? ». Il répondit : « Quand il supporte patiemment la maladie, la faim et les épreuves ».
Et d’autres magnifiques sentences du même ordre.
Il jouissait aussi d’importants et nombreux prodiges, dont plusieurs ont été rapportés, notamment par Farid ud-Dîn Attâr dans le même ouvrage : « Lorsque l’heure de Sahl approcha, 400 de ses disciples (très avancés dans la Voie) et un associationniste du nom de Shâdadl (qui était mazdéen) étaient présents. On lui demanda : « Ô Shaykh, qui s’assoira à ta place quand tu nous quitteras ? Qui montera sur le minbar pour guider les gens ? ». Il ouvrit les yeux et dit : « Shâdadil prendra ma place » Surpris ses disciples se dirent : « Le Shaykh a certainement perdu l’esprit. Comment peut-il désigner un associationniste alors qu’il a quatre cents disciples dotés de science et d’excellence ? ». Il dit : « Ne cédez pas à vos désirs ! Amenez-moi Shadadil ! ». Ce dernier s’approcha et Sahl lui dit : « 3 jours après ma mort, tu monteras sur mo minbar, tu t’assoiras à ma place et tu prononceras un sermon », puis Sahl expira (son dernier soupir). 3 jours plus tard, les gens se rendirent à la mosquée, firent la prière de midi et attendirent de voir si Shâdadil allait obéir au Shaykh. Shâdadil arriva et monta sur le minbar. Les gens se dirent : « Qu’est-ce donc que cela ? Un associationniste avec le bonnet et la ceinture des adorateurs du feu sur le minbar ! Il dit : « C’est votre Maitre qui m’a envoyé et il m’a dit : « Ô Shâdadil ! N’est-il pas temps d’ôter ce bonnet et de défaire cette ceinture ? ». Eh bien, voilà : je coupe ma ceinture, je jette mon bonnet et je déclare qu’il n’y a de divinité qu’Allâh et que Muhammad est Son serviteur et Son Envoyé ! ». Puis il dit : « Le Shaykh m’a ordonné de faire un sermon, et il n’est pas permis de contredire les Maitres. Le Shaykh vous dit : « Shâdadil vient de couper sa ceinture extérieure ; à votre tour de couper votre ceinture (intérieure ?), si vous voulez me rencontrer le Jour de la Résurrection ». Tous les gens présents éclatèrent en sanglots et se repentirent.
On rapporte qu’au moment où on souleva son cercueil et que le cortège se mit en mouvement, un grand tumulte éclata et les gens pleuraient et se lamentaient. Un vieux juif qui habitait non loin de là sortit alors de chez lui et vit le cercueil. Il s’écria alors : « Est-ce que vous voyez ce que je vois ? Je vois les anges descendre par troupes s du haut du ciel pour venir frotter leurs ailes et leur corps contre le cercueil et s’en aller ensuite », Puis, le vieil homme prononça la profession de foi (islamique) et entra en Islam.
Abu Talha Ibn Mâlik a dit : « Sahl est arrivé à jeun dans ce monde, il en est sorti à jeun et il est arrivé auprès d’Allâh sans rompre son jeûne ».
On rapporte qu’une fois, Sahl était assis avec ses disciples lorsqu’un homme passa près d’eux. Sahl dit : « Cet homme possède un secret ». Après la mort de Sahl, l’un de ses disciples qui était allé rendre visite à sa tombe aperçut alors l’homme en question qui passait par là. Il lui dit : « Ô untel ! Le Shaykh qui occupe cette tombe a dit un jour que tu détenais un secret. Par Celui qui t’en a doté, peux-tu me le révéler ? ». L’homme fit alors un geste vers la tombe de Sahl et dit : « Ò Shaykh, parle ! ». On entendit alors clairement la voix du Shaykh qui dit : « Il n’y a de divinité qu’Allâh seul et Il n’a pas d’associé ! ». L’homme demanda : « Ò Shaykh, on nous a rapporté que les tombes des gens qui attestent qu’il n’y a de divinité qu’Allâh sont pas dans le noir (l’obscurité), est-ce vrai ? ». Le Shaykh répondit de sa tombe : « C’est vrai ! C’est vrai ! » ».
Al Hafîz et Shaykh ul Islâm Abû Nu’aym rapporte dans Al Hilyah al-awliya’ à propos de Sahl al-Tustarî : « Nos fondements (dans la Voie) sont (au nombre de) 6 : L’attachement au Qur’ân, le suivi et l’exemplarité de la Sunnah, se nourrir du Halâl, renoncer au préjudice et s’éloigner des méfaits (envers autrui ou envers soi-même), le repentir et remplir les droits [qui nous incombe] ».
Ses enseignements ont été recueillis aussi dans de nombreux ouvrages, dont ceux de As-Sulâmî, d’Al-Qushayrî, d’Al-Bayhaqî, d’Al-Hujwirî, d’An-Nawawi, d’Abû Tâlib al-Makkî, d’Abû Nu’aym, d’Abû Hâmid al-Ghazâlî, d’Ibn ‘Arabî, de Farid ud-Dîn Attâr, d’Ad-Dhahâbî, d’Ibn Rajab al-Hanbali, d’Ibn Taymiyya, d’Ibn al-Qayyîm, de Tâj ud-Dîn As-Subkî, d’As-Suyûtî et de beaucoup d’autres.
Qu’Allâh fasse Miséricorde à notre maître Sahl al-Tustarî et à ses semblables.
H – :
Que Allah bénisse par deux fois, ici-bas et dans l’au-delà, les frères et/ou soeurs qui ont compilé ces données relatives à un des ses walis. Qu’il les récompense non pas comme ils/elles les méritent par leur travail mais comme Il a aimé notre Shaykh Sahl Ibn Âbsallah al Tustari car ces frères et/ou soeurs l’ont aimé également.