Ce verset, à notre époque, fait l’objet de nombreuses polémiques, et est souvent instrumentalisé par la sphère islamophobe. Il convient de rappeler, comme nous l’avions déjà démontré ailleurs, que les principes et finalités de l’Islam interdisent la pédocriminalité et la pédophilie, de même que la nécrophilie, la zoophilie, etc., car les rapports sexuels ne peuvent se faire que s’il y a consentement, entre un homme et une femme en âge de se marier et qui sont conscients des droits et devoirs en matière de vie conjugale. Si le contrat de mariage, selon certains savants – en suivant en cela la coutume sociale et culturelle de leur région et/ou de leur époque – peut se faire avant (sans âge précis), la consommation du mariage cependant requiert le consentement et l’aptitude (comme la maturité biologique, physiologique, psychologique, mentale et juridique), et ne peut pas se faire contre les lois en vigueur du pays où l’on réside.
Le Qur’ân ne peut donc pas autoriser pas la pédophilie, et l’interdit même dans ses principes. Analysons maintenant le passage incriminé dans les polémiques, à savoir le verset 65/4, où sont évoquées les différentes catégories de femmes par rapport à leur situation maritale et la période qu’il leur faut attendre avant de pouvoir se marier. Il est donc question d’une situation précise et d’un état de fait existant à l’époque, et ensuite s’assurer que les droits des femmes, pour leur bien-être, soient observés et respectés. Le Qur’ân n’autorise donc pas, ni n’encourage, la consommation de mariage avec des enfants prépubères : « Si vous avez des doutes à propos (de la période d’attente) de vos femmes qui n’espèrent plus avoir de règles, leur délai est de 3 mois. De même pour celles (parmi les jeunes femmes) qui n’ont pas encore de règles. Et quant à celles qui sont enceintes, leur période d’attente se terminera à leur accouchement. Quiconque craint Allâh (en faisant preuve de piété) cependant, Il lui facilite ses affaires » (Qur’ân 65, 4). Al-Qurtûbî dans son Tafsîr dit concernant le passage incriminé par les islamophobes : « Mâlik a dit : « Le délai d’attente pour la jeune femme qui a terminé ses règles sera d’un an. Et pour celles dont les règles sont en retard, que ce soit pour cause de maladie ou non, et celles qui allaitent, le délai d’attente sera de 9 mois puis de 3 mois supplémentaires ».
Le Mufti Muhammad Shafi’i dans son Tafsîr Ma’arif ul-Qur’ân commente en disant : « Ce verset traite de règles supplémentaires concernant le délai d’attente des femmes divorcées. Il subdivise les femmes divorcées et leurs délais d’attente en 3 catégories différentes. Dans des circonstances normales, la période d’attente d’une femme divorcée est de 3 cycles menstruels, comme mentionné dans la Sûrah Al-Baqarah. Dans le cas de femmes qui ont définitivement arrêté leurs règles en raison de leur âge avancé, d’une maladie, etc. leur ‘iddâh est de 3 mois au lieu de 3 cycles menstruels. Il en va de même pour les jeunes femmes qui n’ont pas encore commencé à avoir leurs règles en raison de leur jeune âge. La période de viduité pour les femmes enceintes au moment du divorce se poursuit jusqu’à ce qu’elles donnent naissance à leur enfant, quelle que soit la durée de cette période. Les mots « Si vous avez un doute » font référence au doute ou à la confusion que ces femmes peuvent avoir parce que la véritable ‘iddâh est comptée sur la base de la menstruation, mais la menstruation de ces femmes a cessé, elles doutent donc de la façon de compter leur viduité. « Et quiconque craint Allâh (en faisant preuve de piété), Il lui facilite ses affaires ». Le verset parle en outre des vertus et des bénédictions de la Taqwâ en ce sens que quiconque a la Taqwâ, Allâh lui facilitera les choses dans ce monde ainsi que dans l’autre monde ».
Le verset, à aucun moment, ne parle d’enfants ou de petites filles, mais des différentes catégories parmi les femmes par rapport à la période d’attente avant de pouvoir se remarier (‘iddah), ni n’incite à consommer le mariage avec des filles prépubères. Au contraire, on parle ici de temps d’attente pour s’assurer qu’au niveau biologique et psychologique, que les choses soient claires, notamment par rapport à la grossesse, ce qui n’est pas possible pour les filles prépubères, cependant, dans ce dernier cas, il pourrait se référer au simple contrat de mariage, et le temps d’attente minimum à attendre, avant de considérer les choses. Des femmes adultes (jeunes adultes ou non), mais qui ne sont pas ménopausées, peuvent aussi connaitre des anomalies avec leurs règles, et avoir un sérieux retard dans ce cas-ci, et cela est bien connu scientifiquement, et un certain nombre de femmes de nos jours, notamment en Occident, en témoignent. Le verset conclut par l’importance de la piété et de la justice à travers la notion de « taqwâ » impliquant ainsi le respect du droit des créatures et d’agir en vue de se rapprocher d’Allâh par la vertu et la droiture, ainsi que la compassion envers Ses créatures. Concernant le passage « de même pour celles (parmi les jeunes femmes) qui n’ont pas encore leurs règles », cela se réfère toujours aux femmes (la même catégorie que le début), le verset n’introduit pas une autre catégorie (celui des filles prépubères).
Des jeunes femmes, sorties de l’enfance, peuvent connaitre des retards de règles, tout comme des femmes adultes, comme nous l’apprend la science : « L’absence de règles est tout à fait naturelle lorsque, par exemple, la femme est enceinte, allaite ou approche de la ménopause. Mais en dehors de ces situations, elle peut être un signe révélateur d’un stress chronique ou encore d’un problème de santé comme l’anorexie ou d’un trouble de la glande thyroïde » (“Aménorrhée (ou absence de règles”, Passeport Santé, 23 octobre 2023 : https://www.passeportsante.net/fr/Maux/Problemes/Fiche.aspx?doc=amenorrhee_pm) . Mais selon certains savants, cela peut faire référence aux filles prépubères – avant la Révélation du Qur’ân – dans le cadre d’un contrat de mariage qui n’a pas encore été consommé (la consommation ne pouvant pas se faire avant leur puberté et leur maturité psychologique), et qu’il faut attendre, avant de pouvoir se remarier. Ce n’est donc pas de la pédophilie ni de la pédocriminalité.
Nous partageons ici une analyse pertinente de l’imâm et théologien Jean-Philippe Lebot (26 octobre 2025) : « Le sujet de l’âge légal du mariage en islam est particulièrement épineux, à un tel point qu’il est devenu l’emblème de l’ensemble des apostats militants actuels. Je partage avec vous une réflexion purement centrée sur le verbe coranique et un verset clé sur cette question. Il faut savoir deux points : les exégètes qui ont abordé le passage “jusqu’à ce qu’ils atteignent l’aptitude au mariage” ne l’ont jamais expliqué autrement, mais sont sortis de l’impasse avec le fiqh majoritaire en considérant que cette expression n’avait pour fonction que la description de la majorité des cas de mariage (fonction descriptive et non législative) Ici, ma volonté est juste d’établir que ce n’est pas le texte coranique, lui-même, qui instaure le mariage de filles pré-pubères. Le passage “et celles qui n’ont pas encore eu leur règles” dans Sourate At Talaq – Le Divorce – pouvant ne concerner que les femmes souffrant d’aménorrhée. Ce n’est donc qu’une étape, d’une réflexion plus globale impliquant beaucoup d’outils, de sources (ahadiths, fiqh, histoire, philosophie, …) mais c’est une étape nécessaire tant j’en avais assez d’entendre certains faire des raccourcis et attribuer au Coran des propos qui ne sont pas les siens. Ce qui est important ici, à ce stade, c’est d’écarter l’affirmation que le texte coranique instaure la permission du mariage et de la consommation avec une enfant prépubère (“celles qui n’ont pas encore eu leur règle” prit dans sa globalité textuelle). Les exégètes classiques quand ils abordent le passage “jusqu’à ce qu’ils atteignent le mariage” parlent justement de puberté/maturité et évoquent aussi des âges comme 15 ans. Derrière, on parlera de fonction descriptive et non législative pour valider le mariage des non-pubères et prendre le passage dans Sourate At Talaq comme législatif général dans son énoncé ».
En fait dans le « meilleur » des cas cela parlerait des femmes souffrant d’aménorrhée et dans le « pire » des cas, si l’on veut accepter certains récits ou avis juridiques « douteux » pour surinterpréter ou déformer le texte qurânique, des mariages avec des enfants prépubères qui avaient lieu auparavant, mais où le Qur’ân – sans autoriser dorénavant ce genre de mariage – donnerait une porte de sortie à ces mariages (contractés ou consommés avant l’avènement du Qur’ân) par le divorce. Wa Allâhu a’lam.
Jean-Philippe Lebot détaille ainsi son analyse :























La démonstration logico-textuelle en vidéo :
Ceci démontre que le texte qurânique n’évoque pas en soi les enfants prépubères dans ce verset.
Concernant la polémique autour de l’âge de Sayyida ‘Aisha, nous renvoyons les lecteurs à notre autre article détaillé sur le sujet, intitulé La Shar’îah, la sexualité et le cas du mariage avec ‘Aîsha et publié le 16 février 2024 sur le présent site. Nous synthétisons ici l’essentiel de ce qu’il faut comprendre. Voici les différentes possibilités à propos du fait que personne à son époque, pas même ses pires détracteurs parmi ses contemporains, n’avait critiqué son mariage.
Soit parce que son âge était en réalité plus avancé que ce qu’en diront certains récits par la suite, ce qui ne posait donc aucun problème en soi.
Soit parce que à ce moment-là de toute façon ‘Aisha était déjà pubère et mature (comme elle le rapporte dans un récit relaté par Al-Bukhari dans son Sahîh ainsi que selon un autre récit rapporté par Abû Dawûd dans ses Sunân) et que c’est ce qui comptait à l’époque, et non pas l’âge en tant que tel qui n’est pas un facteur universel suffisant pour déterminer l’aptitude au mariage à lui seul.
Il n’y a donc aucune problématique à ce sujet, ou sinon il faudrait admettre que tous les polémistes Juifs, Chrétiens et autres des communautés de l’époque et jusqu’au 20e siècle étaient tous coupables et complices en quelque sorte, et cette critique engloberait alors l’ensemble des religieux et des non-religieux, incriminant l’Humanité toute entière au final.
Mais pour l’anecdote, le chercheur et Dr. Joshua Little a analysé l’ensemble des chaînes de transmission des récits sur son âge supposé au moment du mariage (n’impliquant d’ailleurs pas nécessairement la consommation sexuelle au passage), et selon cette étude, aucune ne remonterait à la génération de ‘Aisha, et cela serait donc un récit (ou du moins dans son contenu/matn) apocryphe ou déformé (1).
Aussi la Shar’îah prévoit différents outils pour empêcher les abus et injustices éventuels, enjoignant les autorités à restreindre le domaine/champ du licite (halâl) pour éviter un plus grand mal ou empêcher ce qui conduit potentiellement à quelque chose de malsain, mauvais, illicite ou répréhensible surtout s’il n’y a aucun bienfait ni aucune nécessité dans une pratique qui ne relève ni de l’obligatoire ni même du recommandé. Ainsi, la règle juridique bien connue de « sadd azh-zhara-i », « la fermeture des portes aux prétextes » (2) permet de justifier l’interdiction de certaines pratiques jugées douteuses, dangereuses ou malsaines et qui peuvent potentiellement conduire à commettre des choses illicites ou répréhensibles. D’ailleurs, les récits considérés comme choquants ou douteux dans le corpus de Hadiths ou du fiqh (droit), et qui ne trouvent pas écho dans le Qur’ân et dans la Sunnah notoire (c’est-à-dire les ahadiths mutawatir établissant le comportement et la pratique générale et bien connue du Prophète ﷺ), sont généralement issus des isra’iliyyat, c’est-à-dire des récits ou pratiques émanant des communautés non-musulmanes ou de pratiques culturelles de l’époque (n’étant pas intrinsèquement religieuses) mais qui se sont introduits après la mort du Prophète (ﷺ) et des Califes bien-guidés dans le patrimoine juridique et culturel du monde musulman – où cohabitaient de nombreuses communautés religieuses, ethniques et philosophiques différentes -.
Le Messager d’Allâh (ﷺ) lui-même avait mis en garde contre cela, en disant : « Vous suivrez certainement les (dérives des) voies de ceux qui sont venus avant vous, empan par empan, coudée par coudée, jusqu’au point que s’ils entrent dans le trou d’un lézard, vous y entrerez aussi ! ». Ils dirent (les compagnons) : « Ô Messager d’Allâh ! (Veux-tu dire) les juifs et les chrétiens (qui se sont égarés) ? ». Il répondit : « Et qui d’autres qu’eux !? » » comme rapporté par al-Bukhari dans son Sahîh n°7320.
Ce principe est bien établi à partir du Qur’ân et de la Sunnah. Par exemple : « En vérité, Allâh commande la justice, la vertu, la générosité, la libéralité et l’assistance [dans le bien et le licite] envers les proches, et Il interdit la turpitude, les actes répréhensibles, la tyrannie, l’injustice et rébellion [envers les autres et les autorités légitimes] » (Qur’ân 16, 90) ; « Il n’y a pas de bien dans la plupart de leurs conversations secrètes sauf chez celui ou celle qui ordonne l’aumône et la charité, ou ce qui est bon, convenable et utile (ma’rûf), ou la conciliation entre les gens (qui constituent l’Humanité). Et quiconque fait cela, recherchant l’Agrément d’Allâh, Nous lui donnerons une énorme récompense » (Qur’ân 4, 114) et « (…) il leur ordonne ce qui est bon et reconnu convenable – Ma’rûf – (par les gens de bien, de droiture, de sagesse, de justice et de vertu) et leur interdit ce qui est répréhensible et convenu comme étant blâmable (Munkâr) ; il déclare licites pour eux (les choses) qui sont bonnes et déclare illicites pour eux (les choses) qui sont mauvaises ; il enlève d’eux la charge, et les jougs qui étaient sur eux… » (Qur’ân 7, 157).
Il y aussi ce hadith où le Messager d’Allâh (ﷺ) a dit : « Il ne doit y avoir nulle nuisance ni abus ou préjudice contre soi-même ou sur autrui ! » (3). Ce hadith possède une portée générale et conditionne par ailleurs les règles et principes juridiques concernant l’ensemble des pratiques culturelles, morales, politiques, judiciaires, commerciales, etc.
Le Messager d’Allâh (ﷺ) a dit également : « Le bien (la bonne action) et la piété consistent à cultiver le bon comportement et le beau caractère [en étant juste, bienveillant, bon, agréable, courtois, modeste, équitable, respectueux, patient, clément, compatissant et facile à vivre avec autrui]. Demandez et consultez la fatwâ à votre cœur, demandez et consultez la fatwâ à votre âme. La justice, le bien et la droiture sont ce qui rassurent et tranquillisent votre âme et votre cœur, et le péché est ce qui vacille (et trouble) l’âme et met de la tension dans votre poitrine, même si les gens vous donnent des fatâwâs (jugements et avis) sur le sujet » (4). Bien sûr, cela si le coeur aspire à la piété, à la justice, à la vertu, et à la Proximité divine, et que l’on a consulté les différents avis des savants vertueux et clairvoyants sur un sujet. Cela rejoint aussi cette autre parole prophétique qui en est la version concise où le Messager d’Allâh (ﷺ) a dit : « La droiture c’est un bon caractère et un noble comportement, et le péché est ce qui est trouble dans votre cœur et que vous détestez que les gens le découvrent » (5).
Il a également été rapporté ceci : « Un jour, les gens ont posé trop de questions à ‘Abdullâh, et ‘Abdullâh a dit : « Il fut un temps où nous ne portions pas autant de jugements, mais maintenant ce temps est révolu. Maintenant Allâh, le Puissant et Sublime, a décrété que nous arrivera à un moment où, comme vous le voyez, (il nous est demandé de prononcer de nombreux jugements). Celui d’entre vous à qui il sera demandé de prononcer un jugement après ce jour, qu’il juge selon ce qui est dans le Livre d’Allâh. S’il est confronté concernant une question qui n’est pas mentionnée dans le Livre d’Allâh, qu’il juge selon la manière dont Son Prophète a porté son jugement. S’il est confronté à une question qui n’est pas mentionnée dans le Livre d’Allâh et à propos de laquelle Son Prophète n’a pas rendu de jugement, alors qu’il juge selon la manière dont les justes et les vertueux ont jugé. S’il est confronté à une question qui n’est pas mentionnée dans le Livre d’Allâh et sur laquelle son Prophète et les justes (et vertueux) n’ont pas porté de jugement, alors qu’il s’efforce de trouver une solution et qu’il ne dise pas : « J’ai peur, j’ai peur ». Car ce qui est licite est clair et ce qui est illicite est clair, et entre les 2 il y a des choses qui ne sont pas aussi claires. Laissez ce qui vous fait douter pour ce qui ne vous fait pas douter » (6).
Il a été dit au Messager d’Allâh (ﷺ) : « Lequel des gens est le meilleur ? ». Le Messager d’Allâh (ﷺ) a dit : « Quiconque possède un coeur pur et qui est honnête et véridique dans ses paroles ». Ils ont dit : « Le véridique en parole nous connaissons, mais qu’est-ce qu’un cœur pur ? ». Le Prophète (ﷺ) a dit : « C’est un cœur qui craint Allâh (faisant preuve de piété et de justice) et qui est pur. Il n’y a ni péché ni agressivité, ni injustice, ni méchanceté, ni de sentiment envieux (envers les autres par bassesse ou jalousie malsaine pour un bienfait qui leur a été octroyé) ». Ils ont dit : « Ô Messager d’Allâh, qui montre ce signe ? », ce à quoi il (ﷺ) répondit : « Ceux qui n’adulent pas ce bas-monde et qui aiment (et aspirent à) l’au-delà ». Ils ont dit : « Et qui en montre un signe ? ». Le Prophète (ﷺ) a dit : « Un croyant avec un bon et beau caractère et un noble comportement » (7).
Il faut rappeler aussi que selon l’islam sunnite traditionnel, ce qui ne relève pas de la Révélation ou d’une obligation religieuse, concernant les interactions et coutumes sociales, peut évoluer ou changer selon les changements de mentalité, de temps et d’époque, et doit se plier aux principes supérieurs de la Loi et de la Religion, en visant ce qui doit être bénéfique ou du moins dépourvu d’injustice ou de nuisance, privilégier l’intérêt général, préserver la dignité et la santé (physique et mentale) des personnes, etc., et où certaines dispositions juridiques habituelles en temps normal peuvent être suspendues ou levées en cas de nécessité majeure, de contrainte, etc. quand la vie, la foi, la dignité, la santé ou la sécurité des personnes sont menacées. L’imâm Shihâb ud-Dîn al-Qarâfî (m. 684 H/1285) savant musulman polymathe ayant atteint le rang de mujtâhid absolu (notamment selon As-Suyûtî). Il était ussûli, théologien ash’arite, juriste mâlikite, logicien, grammairien, lexicographe, Sûfi, poète, exégète, muhaddith, historien, mathématicien, astronome, ophtalmologue, etc. Il reste encore l’une des plus grandes sommités du fiqh malikite et des ussûl (fondements du Droit), et en s’adressant au mufti compétent, il disait dans son Anwar al Buruq fi Anwa’ al Furûq : « Toutes les fois qu’il y a un renouvellement dans la coutume (‘Urf) des gens, le Mujtahid (savant) la prend en considération, et toutes les fois où elle s’arrête, il la laisse. Ne te fige pas sur ce qui est consigné dans les livres toute ta vie ! Mais plutôt, s’il te vient un homme qui n’est pas de ta région et qui te demande la Fatwâ (avis juridique), ne le ramène pas vers la coutume de ton pays. Questionne-le sur la coutume de sa région, guide-le vers celle-ci et donne-lui la Fatwâ par elle sans tenir compte de celle de ton pays et de ce qui est établi dans tes livres. Ceci est la vérité claire et limpide. Le fait d’être figé à jamais dans les textes rapportés (al Manqulât) est un égarement dans la Religion et une ignorance des desseins des savants musulmans et des Salafs passés ».
Le Shaykh Ibn Taymiyya dit dans al-Amr bil Ma’rûf (1/10) : « C’est pourquoi il est dit que le fait d’ordonner le bien et d’interdire le mal ne doit pas être un mal en soi. Comme il s’agit de l’un des actes obligatoires et recommandés les plus importants, le bénéfice des actes obligatoires et recommandés doit l’emporter sur leur préjudice ». Et un peu plus loin (1/20) : « Celui qui ordonne le bien doit avoir 3 qualités : la connaissance, la douceur et la patience. La connaissance vient avant, la douceur vient pendant et la patience vient après ». Il rapporte également dans le même ouvrage (1/21) les propos du Qâdî Abû Ya’la Ibn al-Farra’ al-Hanbalî (380 H/990 – 458 H/1066) qui a dit : « Personne ne peut prescrire le bien et interdire le mal s’il ne comprend pas ce qu’il ordonne et interdit, s’il est doux dans ce qu’il ordonne et interdit, et s’il fait preuve de patience dans ce qu’il ordonne et interdit ».
Wa Allâhu a’lam.
Notes :
(1) Dr. Joshua Little, The Hadith of ʿAʾishah’s Marital Age: A Study in the Evolution of Early Islamic Historical Memory, 2022. Voir aussi “Why the Aisha Marital Age Hadith is a FORGERY: An EXCLUSIVE Lecture by Dr. Joshua Little”, Dr. Javad T. Hashimi, 25 février 2023 : https://youtu.be/zr6mBlEPxW8
(2) Certains juristes peu clairvoyants ou aux penchants douteux voire pervers ont parfois complètement inversé l’esprit de cette règle juridique, en autorisant des choses malsaines et perverses alors qu’ils interdisaient en même temps des pratiques qui ne comportaient rien de blâmable ou de dangereux (que ce soit pour la foi, la santé, la famille, la société, etc.) comme certaines formes licites de chant de poésie, de sport, etc., ce qui est l’empreinte même de la ruse shaytanesque, à savoir l’inversion des valeurs, des réalités et des priorités, et dont les signes sont le fanatisme, la perversion, la laideur (de l’acte ou de l’idée), le rigorisme (et plus encore quand il tombe dans l’excès), etc., et qui sont autant de déviances que le Qur’ân et le Prophète (ﷺ) ont condamné et mis en garde. Ils interdisent ainsi les bonnes choses ou celles qui ne sont en tout cas pas illicites ni problématiques, mais autorisent ce qui est avilit l’âme, sème la fitna dans la société et qui ne profite en rien à l’âme humaine, à la famille ou à la société.
« Ils rendent licite ce qu’Allâh a interdit. Leurs mauvaises actions leur sont (faussement) embellies (à leurs yeux) » (Qur’ân 9, 37). Et aussi : « Ils ont pris leurs rabbins et leurs moines, ainsi que le Christ fils de Marie, comme Seigneurs en dehors d’Allâh » (Qur’ân 9, 31), et dont le sens, mis en avant par de nombreux exégètes est que certains leurs vouaient un culte en les divinisant pratiquement (voire réellement) alors qu’il ne convient d’adorer (en tant qu’Être divin digne d’adoration) qu’Allâh, et où d’autres reniaient clairement les principes de la Religion dans le domaine du licite et de l’illicite, pour interdire ce qu’Allâh avait autorisé de bon et de clair, et autoriser ce qu’Allâh avait déclaré clairement comme illicite. Cependant, ce qui n’a pas clairement été statué comme halâl ou comme une bonne chose d’un côté, et comme illicite ou blâmable de l’autre, il y a un espace juridique où la pluralité d’avis reste légitime, mais qui doit être accepté ou refusé librement par chacun tant que des arguments valables existent et que cela n’entraine pas à commettre un péché manifeste ou que cela ne constitue pas un danger en soi pour l’individu, la santé, la société, la foi, etc.. Ce sont des avis sur des pratiques que l’on ne peut pas imposer aux gens contre leur gré et surtout pas dans l’espace privé, d’autant plus quand il n’existe pas de réel consensus à ce sujet, ni de preuves catégoriques issues de la Révélation, de l’intellect ou de l’expérience.
(3) Rapporté par Ahmad dans son Musnad n°2865, Mâlik dans Al-Muwattâ’ n°1435, Ibn Mâjah dans ses Sunân n°2340, Al-Hâkim dans Al-Mustadrak n°2345 avec une chaine sahîh et Ad-Dhahâbî l’a authentifié aussi, Al-Bayhaqî dans As-Sunân al-Kubrâ n°11717, An-Nawawî dans son recueil des 40 ahadiths n°32, Ad-Daraqutnî dans ses Sunân 3/77 et d’autres par plusieurs voies qui se renforcent via Ibn ‘Abbâs, Abû Hurayra, Abû Sâ’îd al-Khudri, ‘Aîsha et d’autres.
(4) Rapporté avec quelques légères variantes ayant toutes le même sens et dont la chaine est tantôt sahîh tantôt hassân, cf. Ad-Darîmî dans ses Sunân n°2533 selon Wabisah Ibn Ma’bad al-Asadi, Ahmad dans son Musnad n°17999 et 18028, At-Tabrizi dans Mishkat al-Masabih n°2774, At-Tahâwî dans Sharh Mushkil al-Athâr n°2139, Abû Ya’la dans son Musnad n°1586, An-Nawawî dans son recueil des 40 ahadiths n°27 et dans son Riyâd As-Salihîn n°590, As-Shâtibî dans Al-I’tisâm 2/153 à 159, Mullâ Alî al-Qârî dans Mirqâtul mafâtîh 6/45 et d’autres.
(5) Rapporté par Muslim dans son Sahîh n°2553 selon An-Nawwas ibn Sam’ân, Ibn Abi ad-Dunyâ dans Mudârât al-Nâss n°85 et d’autres.
(6) Rapporté par An-Nasâ’î dans ses Sunân n°5397 selon ‘Abdur-Rahmân Ibn Yazid avec une bonne chaine et n°5398 selon Ibn Mas’ûd, Ad-Dârimî dans ses Sunân n°167, At-Tabarânî dans Al-Mu’jam Al-Kabîr n°8920 et d’autres.
(7) Pour la version courte, elle est rapportée notamment par Ibn Mâjah dans ses Sunân n°4216 selon ‘Abdullâh ibn Amr, et pour la version longue elle a été rapportée par Al-Bayhaqî dans Shu’âb al-Imân n°4457, sahîh.
