L’Iran, depuis plus de 30 ans, est devenu l’objet de tous les fantasmes et de tous les préjugés. Il convient donc d’analyser le sujet et d’en déconstruire de nombreux préjugés.
Tout d’abord, sur le plan scientifique, l’Iran des « Mollah », donc depuis 1979, a énormément progressé, bien plus que sous l’ère du Shah « laïc et nationaliste », et ce, malgré que l’Occident a poussé l’Irak et l’Iran à se livrer une guerre tragique qui a considérablement freiné le progrès technique et la stabilité des deux pays. Malgré tout, les deux pays ont retrouvé une stabilité et une forte croissance sur le plan scientifique et technique, jusqu’à ce que l’Occident et l’Iran s’allient pour éliminer Saddam Hussein et replonger le pays dans le chaos et l’analphabétisme. Actuellement, l’Iran est généralement classé dans le TOP 20 des pays où la recherche scientifique est la plus importante (avec la Turquie qui se classe aussi dans le TOP 20), devançant ainsi de nombreux pays européens dans le classement. Dans le domaine des nanotechnologies, l’Iran se positionne même devant tous les pays européens, juste derrière la Chine, les Etats-Unis et l’Inde en 2019.
Par rapport aux femmes, en dehors de la question du voile et de certains événements culturels (comme les concerts ou les événements sportifs impliquant une promiscuité entre hommes et femmes), celles-ci sont libres d’étudier, de travailler, de choisir leurs maris, de se promener avec leurs ami(e)s ou leurs familles. Elles sont d’ailleurs nombreuses à faire des études universitaires en Iran.
Concernant la géopolitique, l’Iran souhaite garder son indépendance, – et c’est une chose louable et totalement légitime -, mais ses alliances sont parfois contestables ou problématiques du point de vue islamique : soutien indéfectible au régime criminel syrien alors que l’Iran aurait dû négocier avec le peuple syrien pour trouver une alternative qui aurait permis de préserver aussi les intérêts de l’Iran. Dans le conflit qui oppose le gouvernement arménien au gouvernement azerbaidjanais (musulmans shiites modérés en majorité), l’Iran soutient plutôt le camp arménien (coupable d’occupation illégale d’une partie du territoire azerbaïdjanais et de meurtres de civils et de soldats azerbaidjanais). L’Iran avait soutenu aussi les rebelles contre Khadafi (qui n’était pas un saint ni un dirigeant irréprochable, certes), mais le chaos libyen actuel est pire que la situation qui prévalait auparavant. Durant de longues années, la politique iranienne était plutôt aussi panislamique dans plusieurs dossiers, l’Iran accueillant plusieurs membres d’Al Qaïda et des frères musulmans qui luttaient contre les invasions américaines dans la région.
Du point de vue économique, l’Iran va très mal depuis quelques années, et les sanctions américaines causent énormément de tort à la population. Le gouvernement iranien a totalement raison quand ces derniers critiquent la politique américaine qui vise avant tout le peuple iranien, sachant qu’un gouvernement sera toujours moins affecté que le peuple par des sanctions économiques. De l’autre côté, le gouvernement iranien connait une forte corruption où l’argent est très mal redistribué. Une partie du peuple dénonce que le budget de l’Etat va essentiellement à la Palestine, à l’Irak, à la Syrie, au Liban, etc. Or, cela fait déjà de nombreuses années que l’Iran n’aide plus vraiment la Palestine sur le plan économique (si ce n’est une faction armée relevant de la résistance en cas d’agressions israéliennes). Il faut bien comprendre que l’Iran est encerclé de bases américaines et que l’Iran doit assurer sa sécurité déjà en étendant son influence politique dans les pays voisins, assurant ainsi un périmètre de sécurité en cas d’attaques. Cela coûte excessivement d’argent. Le problème est alors double : Premièrement, le peuple iranien s’appauvrit et la colère gronde de l’intérieur, ce qui fragilise la stabilité du pays qui n’a pas les moyens d’assurer la prospérité intérieure tout en assurant le coût qu’implique son influence à l’extérieur. Deuxièmement, l’influence iranienne en Irak, en Syrie, au Liban et au Yémen est mal perçue par beaucoup, y compris par de nombreux shiites, qui perçoivent l’influence iranienne comme impérialiste, ne respectant pas l’autonomie et l’indépendance des pays sous influence iranienne. L’Iran a même dû intervenir via ses milices en Irak pour réprimer les manifestations massives de shiites s’opposant à l’influence iranienne en Irak. La Turquie a été plus intelligente et plus sage car tout en assurant la prospérité économique pour les turcs, elle noue aussi de nombreux partenariats stratégiques et économiques gagnants-gagnants pour toutes les parties, et n’empiète pas sur l’autonomie des autres pays.
Du point de vue politique et géographique, l’Iran est un pays immense composé de nombreuses ethnies différentes, avec des revendications parfois très opposées. Le pays est entouré de pays en guerre ou instables, et bombardés par des nations occidentales. Dans ces conditions, gérer un pays est très difficile, d’autant plus que le pays subit un blocus économique assez dévastateur, payant le prix de leur indépendance. Le blocus n’est pas imposé à l’Iran en raison de la nature théocratique du régime iranien, mais bien pour sa volonté d’indépendance, tout comme cela fut le cas sous Mossadegh en Iran quelques décennies plus tôt. Il est faux par contre de dire que l’Iran soutient sans cesse les opprimés et combat les injustes, puisqu’en Irak et en Syrie par exemple, l’Iran a soutenu les tyrans et des milices criminelles, coupables de nombreux crimes de guerre, tout comme les forces soutenues par les nations occidentales d’ailleurs.
Du point de vue juridico-social, l’Iran est tantôt très rigide et parfois très souple. Le peuple demande des réformes économiques et certaines libertés qui ne sont pourtant pas contraires à l’Islam. Par rapport aux événements sportifs ou culturels, l’Iran pourrait très bien leur accorder une plus grande liberté tout en fixant un cadre juridique empêchant la prolifération des vices destructeurs tels que la fornication, la promiscuité physique, l’idolâtrie, la beuverie, la consommation de drogue, etc. Cela permettrait de calmer et de rassurer les citoyens iraniens, même les plus décadents (occidentalisés dans ce qu’il y a de pire en Occident). L’Iran devrait aussi accorder une plus grande liberté d’expression tant qu’elle ne dévie pas vers la désinformation, l’appel à la guerre civile ou à la révolte contre le gouvernement, à la haine culturelle, raciale ou religieuse, etc., conformément à l’Islam et à la voie des 4 premiers califes bien-guidés.
En Iran, il y a peu de racisme envers les noirs et les européens, mais par contre il y a des discriminations qui ciblent les afghans et les arabes.
L’Iran a compris que, pour lutter contre l’occidentalisation par le biais de l’audiovisuel, qu’il fallait produire aussi ses propres séries, films, documentaires, etc., ce que l’Iran fait, mais pas encore assez, ni trop diversifié, et parfois pas assez proches des enjeux contemporains et des préférences des jeunes.
Quant au clergé, celui-ci est devenu synonyme de corruption, car les discours contradictoires qui instrumentalisent la religion ou les conflits fatiguent beaucoup les iraniens, les agissements non-islamiques et les privilèges non-islamiques et iniques que s’arrogent certains députés, ayatollah ou hommes d’affaires ont ruiné la confiance du peuple. Dans leurs sermons religieux, on y trouve de tout (un peu comme dans les pays occidentaux), c’est-à-dire des sermons appelant à la paix et à la justice, comme des sermons jouant sur la peur, l’exagération et les amalgames.
Contrairement à la propagande occidentale qui interroge presque toujours une tendance bien particulière des citoyens iraniens, de nombreux iraniens soutiennent encore le gouvernement. Les manifestations anti-régime ne mobilisent même pas 20% de tous les iraniens en âge de manifester dans l’ensemble du pays, même si certains ont peur des conséquences, car il est vrai que le régime réprime violemment certaines manifestations, en se cachant derrière le prétexte fourre-tout « agents de l’Occident ou du sionisme ». Il est vrai que de nombreux agents occidentaux et sionistes veulent renverser le pays, incité à la guerre civile, et qui se cachent même derrière leur fonction officielle (professeurs, chercheurs, humanitaires, …) alors qu’ils sont des espions. Mais le mécontentement populaire est cependant bien réel, et il faut bien en tenir compte.
Du point de vue religieux, l’Iran n’applique pas totalement la Sharî’ah, le concept du « Velayat-e faqih » (« wilayat al faqih ») n’est pas islamique ni « shiite ». Sur de nombreux points, c’est la culture ou la sévérité propre au régime (en raison des réels dangers extérieurs qui pèsent sur le pays) qui conditionnent et structurent les aspects normatifs du pays. Les sunnites (y compris les sûfis) sont souvent discriminés et enfermés (surtout dans les zones tribales où ils sont majoritaires). Le gouvernement iranien intervient parfois pour apaiser les tensions et appeler à l’unité, mais se montre parfois aussi impitoyable envers les minorités ethniques et religieuses. La question kurde est complexe également, car il s’agit d’une double minorité, à la fois ethnique (kurde) et religieuse (les kurdes sont majoritairement sunnites), et à cela s’ajoute la question des kurdes marxistes acquis aux méthodes terroristes pour récupérer une partie de l’Iran afin de faire leur propre Etat. Les juifs et les chrétiens sont généralement bien traités, – parfois même mieux que les sunnites -. Les baha’is sont eux aussi souvent discriminés, là où il faudrait leur accorder la liberté de conscience (conformément à l’Islam) sans les inclure pour autant parmi les « Gens du Livre ». Par ailleurs, des shiites modérés et traditionnels (« conservateurs » au sens noble du terme) se montrent aussi assez critiques envers le gouvernement iranien.
L’Iran ne met pas assez en avant leur atout majeur pour élever spirituellement les iraniens et cesser leur volonté impérialiste (pour des raisons identitaires) dans la région. En effet, éduquer les iraniens à travers les grandes figures religieuses du tasawwûf comme les frères Al-Ghazâlî (Ahmad et Abû Hâmid), Al-Qushayrî, Fakhr ud-Dîn Râzî, Qutb ad-Dîn Shirâzî, Al-Kharaqânî, Al-Hujwirî, Firdawsî, Rûmî, Farîd ud-Dîn Attâr, ‘Umar Khayyâm, Nizamî, Hafez, Shaykh Bahâ’î, Jâmî’, etc., permettrait de redresser, par le bas, le niveau spirituel et culturel des iraniens. En effet, ces grandes figures, et surtout leurs œuvres, influencent encore de nombreux non-iraniens à travers le monde, tant sur le fiqh, que l’éthique, l’exégèse métaphysique et spirituelle du Qur’ân, le culte, la théologie, la métaphysique, la spiritualité, etc. Mais comme l’Iran se veut le « représentant officiel » du shiisme, et que les plus grandes figures perses étaient généralement sunnites (et sûfis sur le plan spirituel), cela pourrait amoindrir l’influence du shiisme (d’où certaines persécutions anti-sûfies dans le pays ; mais comme souvent en Iran, les persécutions ne sont pas constantes mais périodiques et partielles). Il faut noter toutefois que beaucoup de ces figures sont étudiées par certains universitaires iraniens, mais dont les travaux ne touchent que très rarement, la masse des iraniens, plus influencée par les codes occidentaux que par le patrimoine iranien.
Il faut se méfier aussi des « nationalistes et laïcards » iraniens, qui sont souvent dans la haine, l’agressivité et les amalgames, souvent très lâches et méprisants envers les classes populaires et pauvres de l’Iran. Ils méconnaissent presque tout de l’histoire et du patrimoine intellectuel de la Perse (aussi bien pré-islamique et qu’islamique), et troquent volontiers la culture iranienne pour la culture occidentale, avec les fléaux et les vices qu’on leur connait.
Il y a aussi les nostalgiques du « régime du Shah » alors qu’il s’agissait d’une dictature violente, et dont les dérives ont mené directement à la révolution iranienne. Ce modèle est donc dépassé et ne répondra pas aux défis contemporains qui se posent aux iraniens.
Faut-il dès lors souhaiter la guerre civile en Iran ?
Non, car comme on l’a vu en Syrie, les dégâts seront terribles, avec un chaos pouvant durer très longtemps, et des puissances mondiales et régionales qui voudront s’immiscer dans le conflit. Les grands perdants seront les iraniens eux-mêmes, sachant que les puissances occidentales veulent juste imposer leur influence et profiter de la richesse du pays, sans se soucier du nombre d’iraniens qui devront être sacrifiés pour parvenir à leur but. L’Iran possède de très bonnes institutions (certes perfectibles) universitaires, scientifiques, culturelles, des sites archéologiques, religieux, spirituels et culturels d’une beauté unique, et des monuments architecturaux manifestant l’art sacré qui font partie des trésors de l’Humanité, etc., qu’il faut préserver à tout prix, au lieu de les détruire (ce qui arrive souvent en cas de guerre, notamment en Syrie où le régime a détruit de nombreux monuments, des tombes et des mosquées, ainsi que certains rebelles qui ont détruit des tombes appartenant à des saints issus de la tradition sunnite). Une révolte n’amène pas souvent à l’indépendance réelle du pays ni à la prospérité, comme de nombreux cas contemporains le montrent, – ce qui ne dédouane pas les gouvernements actuels de leurs injustices et de leurs faiblesses évidemment -.
La génération actuellement au pouvoir en Iran fait partie de l’ancienne, où les quelques survivants mourront bientôt de vieillesse, laissant place à la nouvelle génération. Même au sein du gouvernement, il y a des modérés et des intégristes, donc il faut miser sur le temps, une meilleure éducation des masses (car beaucoup d’iraniens sont des incultes et des naïfs sur les questions politiques et religieuses, croyant aveuglément les propagandes occidentales tout comme celles du régime iranien), revoir leurs priorités et ne pas tomber dans l’illusion du luxe et des choses matérielles relevant du superflu et du gaspillage. Ils doivent savoir aussi qu’en Europe et aux Etats-Unis, les pauvres se comptent par millions, les crises s’intensifient de plus en plus, la répression policière existe aussi, la liberté d’expression n’est pas totale, etc.
L’impatience et l’ignorance de nombreux citoyens, et le refus du gouvernement d’introduire des réformes légitimes doivent être résolues le plus vite possible pour éviter l’implosion et les débordements amenant à une impossibilité de faire marche arrière comme en Syrie. Le moment est par ailleurs très mal choisi, car l’Irak, la Syrie et l’Afghanistan sont encore en guerre, et que la Turquie abrite déjà plus de 3,5 millions de réfugiés. Une guerre en Iran serait terrible et tragique pour de nombreux iraniens, mais aussi pour les populations des pays voisins.
Que ce soit le peuple, les forces de l’ordre ou la classe dirigeante, tous doivent revenir à un mode de vie plus modeste, à une attitude plus responsable et éthique, à plus de compassion et d’indulgence, et à lutter contre la corruption et l’injustice dans les différentes strates et institutions de la société iranienne.