Que faut-il entendre par l’appellation de « Jihâdiste » ? Réflexion sur l’incompréhension moderne de ce qualificatif

Il ne se passe un jour sans que les médias ou que des personnalités instrumentalisent le « jihâdisme », sans que l’on sache réellement de quoi il en retourne.

Il faudrait tout d’abord rappeler aux médias et aux gens, que, le « Jihâd fissabili-Llâh » signifie effort sacré dans la Voie d’Allâh (Celui qui a créé l’existence relative, et qui a défini ce qui était juste et ce qui ne l’était pas pour Ses créatures), et que cet effort concerne tous les aspects de la vie, afin d’atteindre l’excellence et d’agir de la meilleure manière dans toutes nos actions professionnelles, sociales, conjugales, familiales, politiques, économiques, spirituelles et militaires. Quant au dérivé moderne « jihâdiste », cela signifie étymologiquement, celui qui mène le Jihâd militaire, et dans sa portée islamique, cela signifie élever la Parole Divine au-dessus des impuretés et des dérives humaines (1), de se désavouer de la tyrannie et de l’injustice, épargner les non-combattants en cas de conflit, ne pas semer le chaos ni détruire l’environnement ou les lieux de culte, respecter la liberté de conscience et de culte dans les zones musulmanes ou dans les zones nouvellement conquises ou libérées en cas de confrontation militaire. Les prisonniers de guerre doivent être bien traités, nourris, logés et soignés, et la libération gratuite ou la rançon en cas de nécessité, sont des choses recommandées en Islam. Cela englobe aussi le fait d’aider la population, d’être au service des opprimés, des pauvres, des orphelins, des veuves et des malades, et surtout, de combattre ses propres vices et de ne pas céder à ses caprices et à la violence gratuite comme le stipulent de nombreux versets du Qur’ân et des ahadîths prophétiques comme celui-ci : « Ton pire ennemi est ton égo qui réside entre tes flancs » (2).

Être jihâdiste en ce sens-là, est une chose vraiment noble. Cependant, les dérives constatées chez certains « jihâdistes » font que les médias en ont détourné le sens, pour en faire un synonyme systématique de « terroristes » là où beaucoup de sunnites et de shiites « jihâdistes » condamnent le terrorisme, la tyrannie et le meurtre de civils, et s’opposent donc, intellectuellement, politiquement et militairement, aux terroristes qui se qualifieraient eux aussi de « jihâdistes ». Or, rappelons quelques chiffres et statistiques : les ennemis déclarés des jihâdistes parmi les nations occidentales, tels que les Etats-Unis, Israël, la France, la Grande-Bretagne et la Russie, ont massacré bien plus de civils et ont détruit bien plus de villes que tous les islamistes et jihâdistes dans le monde, et que, si l’on doit bien dénoncer les dérives commises par des « jihâdistes », que dire quand les crimes commis par leurs ennemis déclarés, sont bien plus sanglants, continuels et nombreux que ceux commis par les jihâdistes, où eux n’ont pas les médias de leur côté ?

Il est également notoire que les Etats-Unis, la France et d’autres pays ont soutenu des groupes « jihâdistes » dans certains pays quand cela était dans leurs intérêts. De même, la Turquie, – qui doit bien composer avec la réalité du terrain -, collabore en Syrie, avec des groupes « jihâdistes » dont la ligne officielle est de combattre le terrorisme et de lutter pour la justice en Syrie, et qui ont combattu des mouvements terroristes (tels que le PKK/YPG, Daesh, des milices pro-Bashar, …) (3) ainsi que les forces du régime criminel syrien. Le régime syrien a même collaboré avec Daesh en certaines occasions, quand leurs intérêts coïncidaient ensemble. La compagnie Lafarge a commercé avec Daesh pendant une longue période.

Avant de procéder à un jugement, et surtout à une accusation catégorique, il conviendrait donc de bien définir ce que l’on entend par ce terme, et de quel type de « jihâdiste » (mujahîd en arabe) il est question.

Notes :

(1) C’est-à-dire, que pour le musulman, il doit professer librement et savoir que seul Dieu/Allâh est Absolu (et donc Divin), le Seul méritant d’être adoré, et que Sa Loi qui est immuable est la seule qui soit totalement légitime, doctrinalement parlant, et qu’Elle se situe donc au-dessus des passions et erreurs humaines. En terres d’Islam, cela se traduit par l’instauration, – avec le soutien populaire et d’une élite intellectuelle qualifiée -, de la Loi islamique, incluant le respect des minorités et leur liberté de culte, disposant de leurs propres tribunaux pour juger des affaires religieuses, conjugales et familiales. En terres non-musulmanes, même si le musulman doit savoir intérieurement que les lois humaines qui contredisent la Loi Divine ne sont pas légitimes du point de vue doctrinal, ils sont toutefois dans l’obligation de les « respecter » de façon pragmatique, car il s’agit de la réalité du terrain et populaire, qui constitue la « légitimité » temporelle par la force des choses, mais pas nécessairement de la « légitimité Divine » ou même de la « légitimité populaire » dans le cas d’une dictature s’imposant par la force contre l’avis majoritaire de la population. Les musulmans doivent donc respecter le vivre-ensemble, ne pas dégrader les biens appartenant au pays qui les accueillent, et ont pour interdiction de commettre les interdits catégoriques en Islam tels que l’idolâtrie, le meurtre, le viol, le vol, l’agression physique, la sorcellerie, l’adultère, etc. Au temps du Prophète, des compagnons partirent se réfugier en Abyssinie, – terre chrétienne dirigée par un roi tolérant -, afin de fuir les persécutions exercées par les chefs idolâtres de la Mecque. Les compagnons ne menèrent pas de rébellion contre l’Etat abyssinien ni ne commirent des actes de violence contre la population locale, et n’imposèrent nullement la Sharî’ah comme constitution officielle de l’Etat ni n’imposèrent à la majorité de se convertir à l’Islam. Tant que le pays non-musulman n’oblige pas les musulmans à professer le shirk, à abandonner l’Islam comme religion, à commettre des interdits (meurtre, vol, fornication, adultère, consommation d’alcool et de drogue, etc.), ni n’interdit aux musulmans d’accomplir leurs obligations rituelles et morales (prière, zakâh, jeûne du mois de Ramadan, charité, justice, gentillesse, etc.), les musulmans ont le droit, islamiquement parlant, d’y résider. Et s’il est possible de changer les lois humaines injustes afin de les conformer à la Parole Divine, par les actions politiques et sociales légitimes, de façon sage et réfléchie, alors ces actions doivent être menées avec sérieux, constance et sagesse, en prenant toujours en compte les nécessités, contraintes, besoins et données de la réalité socio-politique du pays.

Citons par exemple le serment politico-religieux d’Aqaba qui fut accompli par une délégation de 12 nouveaux convertis médinois (dix Khazrajs et deux Aws), lors du pèlerinage annuel avant l’émigration du Prophète Muhammad (‘alayhî salât wa salâm) à Médine, et qui synthétise les grands principes de l’Islam : « Ecouter et obéir dans l’aisance comme dans le malheur, dans le plaisir comme dans le déplaisir ! Et c’est sur nous-mêmes que tu auras la préférence. Et nous ne contesterons pas le commandement à quiconque le détient. Nous ne craindrons, pour la cause d’Allâh, le blâme de nul contempteur. Il est entendu que nous n’associerons à Allâh quoi que ce soit (refus de l’idolâtrie), que nous ne volerons pas, que nous ne forniquerons pas, que nous ne tuerons pas (les gens), que nous ne tuerons pas nos enfants, que nous ne propageons pas la calomnie parmi nous, et que nous ne te désobéirons pour aucune bonne action ». Le Prophète leur répondit : « Si vous accomplissez votre serment le Paradis est votre récompense ». (Voir notamment Muhammad Hamidullah, Le prophète de l’Islam, sa vie et son œuvre, éd. El Falah, 2010, Tome 1, pp. 149-150, qui relate cet événement). Comme nous le voyons, ce serment, comportant des règles islamiques à respecter de façon formelle et absolue, exclut le terrorisme, la délinquance, la débauche et l’injustice.

(2) Hadîth rapporté par al-Bayhaqî dans son Kitâb az-Zûhd al-Kabir, dans ce recueil, l’imâm Al-Bayhaqî cite également d’autres ahadiths bons ou authentiques sur la lutte contre les passions et les mérites de lutter contre l’égo

(3) Comme tout mouvement comportant des milliers de combattants, nul n’est à l’abri d’abus ou de dérives dans les initiatives personnelles. Ce qui différenciera alors un groupe légitime (de résistance) d’un groupe terroriste, sera la doctrine officielle et les méthodes préconisées par les responsables de l’organisation, et la sanction appliquée aux membres coupables de crimes en cas de dérives. Dans de nombreux groupes dits « jihâdistes », on interdit le terrorisme et le meurtre de civils ou même l’oppression des civils en général. Ce n’est toutefois pas le cas pour certains groupes extrémistes comme Daesh, le PKK/YPG, les milices pro-Bashar, etc., où les méthodes sanglantes et le meurtre de civils sont encouragés ou tolérés dans de nombreux cas. Il faut voir aussi quelle est la tendance générale adoptée par les membres influents de l’organisation.


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