Sujet faisant souvent l’objet de polémique, et déjà ayant été traité par d’éminents savants, nous nous contenterons d’en faire une synthèse ici, en attendant la publication d’un ouvrage qui vise à clarifier les arguments (forts et faibles) des uns et des autres sur le sujet.
Commençons par la définition des termes
Al-Ghinâ : la chanson. Le terme peut aussi être utiliser pour inclure sifflements et autres sons. Les instruments de musique sont concernés par ce terme. Un terme similaire est al-tarannum qui consiste à bien chanter, psalmodier etc.
Al-Juday’ mentionne que 3 types de chansons existaient chez les Arabes : Al-Naṣb, Al-Sinâd et Al-Hazaj.
Al-Ma’âzif : les instruments de musique. Parfois appelés Al-Malâhi. Al-‘Âzif est celui qui joue avec ces instruments. Le terme s’emploie tant pour les instruments à percussion que les instruments à vent, notamment le duff (sorte de tambour) qui était connu chez les anciens Arabes et qui était utilisé en présence du Prophète (ﷺ).
Le duff est aussi appelé ghirbâl et est parfois muni de pièces de métal dont la percussion produit
un son. Al-Ṭabl (tambour) est semblable.
Al-Mizmâr est un mot pour un instrument à vent similaire à la flûte. La chanteuse peut être
appelée Zammâratun. La chanson peut être appelée zamr.
Les instruments à corde contiennent Al-‘Ûd (luth) et Al-Ṭunbûr.
Parmi les savants qui avaient adopté un avis globalement permissif (avec certaines conditions)
Le Shaykh Khayr ud-Dîn al-Ramli al-Hanafi (m. 1081 H/1671) descendant du Calife ‘Umar Ibn al-Khattâb, l’autorité dans le fiqh hanafite de son époque, écrit dans ses Fatâwâ al-Khayriyya (Haqâ’iq, p. 139) sur le Samâ’, qu’au-delà des divergences entre juristes qui existent sur la licéité ou l’interdiction concernant la musique traditionnelle ou profane, que la question du samâ’ (chant/musique sacré/spirituel) par les vrais Sûfis ne rentre pas dans le cadre de ce débat et que sa licéité est bien établie, puisque ceux qui y participent ont leur cœur tourné vers Allâh, et que leurs états spirituels sont ceux de l’amour (pour Lui) et de la piété, ce qui est donc souhaité par la Loi divine.
Même chose, bien avant lui pour le Sûfi et juriste shafi’ite Al-Kalâbâdhi (m. 385 H/995) dans son Kitâb al-Ta’arruf (p.56). Le même avis est celui de l’imâm ‘Abd ar-Rahmân As-Sulâmî Al-Ash’ari Al-Shafi’i (m. 412 H/1021) dans son Kitâb al-Samâ’, grand exégète du Qur’ân, théologien ash’arite, logicien, juriste shafi’ite, historien, poète, Sûfi, grammairien, ussûlî et éminent muhaddith qui enseigna aussi la science du Hadith et le Tasawwuf aux imâms du Hadith, du Fiqh et Sûfis Al-Qushayrî (m. 465 H/1072), Abû Ishâq al-Shirâzî (m. 465 H/1083) et Al-Bayhaqî (m. 458 H/1066). As-Sulâmî lui-même étudia le Hadith et d’autres sciences auprès des plus grands savants du Hadith de son époque comme Al-Dâraqtunî (m. 385 H/995) et Abû Nu’aym al-Isbahânî (m. 430 H/1038).
Ce qu’ils ont autorisé par le terme Samâ’ est le chant spirituel accompagné de certains types d’instruments de musique et de mouvements rythmés harmonieux et modérés, désignés parfois sous l’appellation de raqs ou de hadra, à condition que l’intention soit bonne et qu’elle soit tournée vers l’Amour d’Allâh et qu’elle soit dénuée d’impudicité et de désirs passionnels. Ils citent comme preuves, outre le Qur’ân et la Sunnah, la pratique aussi de certains Sahâba comme ‘Alî, Zayd, Ja’far Ibn Abî Tâlib et la génération des tabi’in comme le célèbre juriste du Salaf Sa’îd Ibn al-Mussayib.
L’imâm Abû Hâmid al-Ghazâlî (m. 505 H/1111) dans son Ihyâ’ dans le livre consacré au Samâ’, adoptera la même opinion (appuyée par le Qur’ân, des ahadiths et l’avis de plusieurs Sahâba et tabi’in) en plus d’une argumentation rationnelle et de dévoilements spirituels pour considérer le Samâ’ comme étant licite (chant spirituel accompagné de certains instruments et de mouvements rythmés).
Parmi ceux qui l’ont interdit, ce n’était pas le Samâ’ en tant que tel, mais les chants dépravés accompagnés ou non de certains instruments de musique parmi ceux qu’ils considéraient comme illicite, et dont le motif du rassemblement n’était ni noble, ni licite.
En fait, avant le 17e siècle, de nombreux savants shafi’ites étaient d’avis que le Samâ’ et même la musique traditionnelle étaient licites, – comme par exemple l’imâm Abû Tâlib al-Makkî (m. 386 H/996) l’auteur du célèbre Qût al-Qulûb et grande autorité dans le Qur’ân, le Hadith et le Fiqh shafi’ite qui a étudié auprès d’Abû Sa’id ibn al-Arabi (m. 341 H/953) qui était l’élève de l’imâm du Salaf Al-Junayd (m. 298 H/910) – faisant remonter cet avis permissif à l’époque des Salafs, ce qui est confirmé par certains rapports de l’imâm Mâlik et des grands imâms de son temps, comme le rappellent le Shaykh polymathe et juriste malikite – et mujaddîd de sa génération selon certains – Ahmad Zarrûq (m. 899 H/1493) dans ses Qawâ’îd at-Tasawwuf, Ad-Dhahâbî (m. 748 H/1348) dans son Siyâr a’lam an-Nubalâ’, As-Shawkani (m.1250 H/1834) dans Ibtal dawa al-Ijma ala tahrim mutlaq al-sama et d’autres.D’autres imâms comme An-Nawawî (m. 676 H/1233) dans Minhaj al-talibin wa ‘umdat al-muttaqin, autorisaient aussi les chants spirituels ou religieux accompagnés de quelques instruments comme le duff et autres choses similaires, ainsi que la danse de façon générale (sauf celles qui étaient répréhensibles comme la danse des efféminés) mais pas la plupart des instruments de musique (il était donc moins permissif sur ce point que d’autres grands imâms de son école). Réciter simplement de la poésie était également autorisée de façon majoritaire chez les savants des 4 écoles, car plusieurs ahadiths sahîh en faisaient clairement l’éloge.
Al-Hafiz ad-Dhahabî dans son Siyâr rapporte aussi que l’avis majoritaire chez les Médinois à l’époque de l’imâm Mâlik était la licéité de la musique, et rapporta que d’éminents Salafs, qui étaient des maîtres dans le Qur’ân et le Tafsîr, le Hadith, le Fiqh et la langue arabe, écoutaient et/ou jouaient de la musique, et certains d’entre eux ont été inclus parmi les rapporteurs dans les Sahihayn d’Al-Bukharî et Muslim.
Ad-Dhahâbî dit dans son Siyâr – dans la section au sujet de Yûsuf : « Les Médinois permettent Al-Ghinâ, ils sont connus pour être permissifs à ce sujet ». Lui et ses frères permettaient la musique. Ce terme ici désigne clairement la musique et les chants car les chants sans musique sont permis par quasi-consensus (car plusieurs versets du Qur’ân laissent entendre la licéité du chant louable ne contenant aucune parole blâmable, et plusieurs ahadiths authentiques et bons permettent le chant louable explicitement, tout comme un grand nombre de récits des Compagnons et des successeurs). Les Médinois n’ont donc pas une position spéciale sur les chants sans musique (instruments). A l’époque des salafs donc, à Médine, l’avis majoritaire était que les instruments de musique fut autorisé. Ce n’est que par la suite, que, pour différentes raisons (sûrement parce que certaines personnes commençaient à exagérer ou délaissaient des obligations religieuses, ainsi que de faux ahadiths sur la musique commençaient à circuler, et que les propos transmis étaient ambigus, où les chants blâmables, discours politiques, outils de distraction et instruments de musique étaient parfois nommés de la même manière par certains).
D’autres Médinois permettent la musique. Parmi ceux-là, il y a le Salaf Ibrâhîm ibn Sa’d Al-Zuhrî – à ne pas confondre avec l’autre Salaf bien connu Ibn Shihâb al-Zuhrî (m. 124 H/742) -, décrit par Ad-Dhahâbî dans Siyâr comme « al-imâm, al-hâfiz […] il se permettait al-ghinâ comme c’est l’habitude des gens de Médine ». Il était aussi « très bon pour composer (yujîd sinâ’ata al-ghinâ-) ». Très grand narrateur dans le hadîth, il est présent dans les chaînes de narrations de tous les grands livres, y compris dans les recueils de Al-Bukhârî et de Muslim.
Ad-Dhahâbî dit dans son Siyâr au sujet de l’imâm du Salaf Ishâq Al-Nadîm : « Le savantissime imâm, al-hafiz, l’artiste (dhû al-funûn) […], le musicien, [connaisseur] du fiqh et de la langue, de l’histoire des gens et du hadîth. […] Né quelques années après l’an 150 ». Et il faisait partie des salafs salîh.
Ad-Dhahâbî continue en relatant qu’Az-Zuhrî a dit de lui-même : « Pendant une partie de ma vie, je me rendais tous les jours à l’aube vers Hushaym ou un autre des muhaddithîn. Ensuite, j’allais vers Al-Kisâ-iyy ou Al-Farrâ- ou Ibn Ghazzâlat à qui je lisais un passage du Qur’ân.
Ensuite, j’allais vers Mansûr Zalzal (ndt : un célèbre musicien arabe) qui me faisait jouer deux ou trois morceaux de musique. Ensuite, j’allais voir ‘Âtikat bint Shahdat de laquelle je prenais un ou deux sons. Ensuite, j’allais voir Al-Aṣma’î et Abâ ‘Ubaydat dont je tirais profit des enseignements. L’après-midi, je me rendais à l’assemblée de [Hârûn] Al-Rashîd ». Al-Mâmûn a même dit de lui que si ce n’était de sa célébrité dans la musique, il l’aurait nommé juge.
Il relate également dans son Siyâr (10/187) que : « Ulayyah sœur du commandant des croyants Harûn al-Rashîd « Poétesse raffinée connue pour le chant et la musique avec une voix agréable. Une femme pieuse et modeste de préséance… » ».
Il y a aussi le Salaf ‘Abd Al-‘Azîz Ibn Salamat qui était permissif au sujet du tasmî’ et du luth (al-‘ûd). Il était le grand faqîh muftî à l’époque de Mâlik ibn Anas, au point qu’Ibn Wahb (le très célèbre étudiant de l’imâm Mâlik) disait que pendant le pèlerinage de l’année 148 H, il était crié publiquement que seul lui et Mâlik pouvaient donner la fatwâ aux pèlerins. Il est d’ailleurs décrit par Ibn ‘Abd Al-Barr comme « faqîh fils de faqîh » et « épris de musique » comme le rapporte aussi le Shaykh ‘Abd Allâh Juday’ dans al-musiqa wal ghina fi mizân al-islâm.
As-Shawkâni dans Ibṭâl da’wâ al-ijmâ’ ‘alâ taḥrîm muṭlaq al-samâ’ rapporte que Ya’qûb ibn Abî Salamat était connu pour le fait que des femmes chantaient (avec des instruments) en sa présence. Son fils Yusuf employaient des femmes qui jouaient aussi de la musique pendant que lui était occupé à recevoir des savants du Hadith comme Yaḥyâ ibn Ma’în (un éminent Salaf).
Abû Al-Qâsim ‘Îsâ ibn Nâjî Al-Tanûkhî a dit dans son Sharh de l’épitre d’Ibn Abî Zayd (p. 45) : « Al-Fâkihâniyy a dit : « Je ne connais rien dans le Qur’ân et aucun hadith sahîh et clair dans la Sunnah qui interdise les instruments de musique. Ce ne sont que des sens apparents et des généralités sur lesquelles on peut s’appuyer (yutaannasu bihâ) mais pas des preuves absolues ».
Le grand savant malikite Ibn Rushd (le grand-père d’Averroès) dans son livre Al Bayân (4/432) ainsi que dans Al-muqaddimât wa al-mumahhidât (3/462) dit : « L’avis de l’Imâm Mâlik pour cette question comme cela est écrit dans la Mudawwana : est que cela fait partie de l’autorisé (Mubâh) qu’il vaut mieux éviter plutôt que faire (al-mubâh al-ladhî tarkuhu ahsanu min fi’lih) ». Les savants malikites rapportent 3 avis l’imâm Mâlik sur le sujet : l’interdiction (harâm), la désapprobation (makruh ; détestable sans être un péché) et la permission (ce qui entre dans le cas du mubah). Soit il a changé d’avis, soit cela dépend des types de chant/musique et du contexte dans lequel cela se déroule, et Allâh sait mieux. Dans les récits les plus authentifiés rien n’indique une interdiction claire sur le sujet de la part des imâms Mâlik et Abû Hanifa selon les recherches d’Al-Juday’ dans Al-musîqî wa al-ghinâ fî mîzân al islâm (pp. 201-208)
Le Shaykh Ahmad Zarrûq dans son Qawâ’îd al-Tasawwuf à la Règle n°129, évoque les 3 avis sur le samâ’ à l’époque des Salafs et des Khalafs, à savoir la prudence (mieux vaut s’asbtenir même si ce n’est pas un péché), la licéité (donc c’est autorisé), et l’interdiction. Il relate notamment qu’Al-Maqdisî mentionne qu’Abû Mûsâb (grand juriste du Salaf qui était aussi un compagnon de l’imâm Mâlik) a questionné l’imâm Mâlik sur le samâ’, et il lui répondit : « Je ne sais pas, si ce n’est les gens de connaissance dans notre pays ne le rejettent ni ne l’abandonnent. Personne n’y renonce, sauf un dévot idiot ou un ignorant rude de caractère » ». Sâlih Ibn Ahmad Ibn Hanbal (m. 266 H/879) qui était juge, juriste, muhaddith et théologien du Salaf, a dit : « J’ai vu mon père essayant d’écouter un samâ’ chez nos voisins derrière le mur ».
De grands savants du Salaf comme Ibrâhîm Ibn Ismâ’îl Al-‘Anbarî (m. 280 H/893) qui était un grand imâm et muhhadith et Ibrâhîm Ibn Sa’d (m. 183 H/799) qui était un grand savant, muhhadith et juge né à Médine, étaient d’avis que le samâ’ accompagné de certains instruments de musique était licite. Il dit encore que l’imâm Mâlik l’a permis aussi dans Al-Mudawanna sauf si le samâ’ est accompagné d’instruments de musique, bien que beaucoup de grands imâms et savants du Hijâz l’ont autorisé aussi avec des instruments de musique. Dans la Règle n°130, il explique que le samâ’ peut être autorisé par nécessité ou de manière générale uniquement s’il respecte les conditions évoquées par les savants (en termes de temps, de pondération, de contenu du samâ’, d’adab, de situation, etc.), sinon il demeure interdit. Enfin, il démontre qu’il n’y a aucun consensus sur ce sujet et que les Sûfis comme les simples juristes, ont divergé sur le sujet.
Ibn Al-‘Arabî al-mâliki le célèbre juriste andalou, traditionniste (spécialiste du hadîth), historien, exégète du Qur’ân, grammairien, logicien, Sûfi et théologien, a dit dans Ahkâm al-Qur’ân : « Quant aux chants pour les femmes accompagnés d’instruments on ne connaît personne qui l’a interdit ». Cela signifie que l’avis majotaire de son époque était l’avis permissif à ce sujet. Ce sont même les musulmans qui ont inventé la musique andalouse et qui ont développé cet art en Europe du Sud, au Maghreb, en Perse, en Anatolie, dans le monde arabe, etc. Dans le même ouvrage, il cite le contexte historique du verset : « Et parmi les gens, il y en a certains qui, dépourvus de science, achètent des discours plaisants, afin d’égarer (les gens) hors du Sentier d’Allâh et pour se moquer de Ses Signes (et Versets) » (Qur’ân 31, 6) en rappelant qu’il ne s’agissait pas de musique ni de chant, mais des conteurs d’histoire qui inventaient des récits (en chantant ou non) visant à se moquer de la Religion, des Prophètes, etc. et a empêché par leur vacarme, les gens de prêter attention au Message divin apporté par le Prophète (ﷺ). L’imâm Ahmad Ibn ‘Ajiba commenta aussi ce verset dans son Tafsîr Al-Bahr al-Madîd en disant : « Fait allusion à la musique qui éloigne d’Allâh et qui incite aux péchés, à la désobéissance d’Allâh, et au mépris de la religion…(…). Quant à l’expression « lahwu al-hadîth » c’est ce qui détourne d’Allâh que cela soit de la musique ou autre (que la musique). Si la musique (le chant) incite à l’invocation d’Allâh et amène l’esprit vers la Présence d’Allâh (vers la guidance) : cela sera une bonne chose et une chose juste et vraie (haqq). Si cela provoque (et nourrit) la passion de l’âme ce sera un mal et une fausseté (bâtil). Le Samâ’ chez les sûfis est un pilier parmi les piliers dans leur méthode (éducative) avec 3 conditions : le lieu, le temps et les frères ». Cela montre qu’il s’agit avant tout de contexte et de types de chants/musiques, d’où les divergences d’interprétation, sans parler du fait des récits faibles imputés à Ibn ‘Abbâs ou Ibn Mas’ûd sur leur interprétation du verset par « chant » ou « musique », et même s’ils étaient sahîh, cela pourrait être interprété de façon spécifique comme sous-entendant les chants et instruments servant à se détourner de la Religion et de la piété, et c’est la seule manière de concilier cela avec les versets du Qur’ân et ahadiths permissifs au sujet du chant, des instruments de musique, de la danse, des jeux rythmés (danses guerrières notamment), de la poésie, etc. qui existent par dizaines dans la Sunnah et qui ont été mis en pratique par les Sahâba et leurs disciples. et idéologiques, peu importe les supports ou moyens utilisés. Ce ne sont donc pas les moyens en soi qui sont interdits (chants, musiques, divertissements, …) mais le type de discours, leur intentionnalité, leur finalité et leur contenu. Certains exégètes comme Al-Qurtûbî dans son Tafsîr évoque aussi le type de chansons qui avaient cours lors de la jahiliyya, avec des paroles obscènes et des croyances fausses. Par ailleurs, le sens évident et littéral du verset ne parle ni de chants ni de musique, mais de discours et contes visant à détourner les gens du Sentier d’Allâh, ce qui ne se réfère pas à la musique ou au chant en soi, mais à certains usages des discours politiques
L’imâm et juriste malikite Ibn ‘Arafa (m. 803 H/1401), savant polymathe et Mufti de la mosquée Zitouna (actuelle Tunisie), était d’avis que le chant accompagné de certains instruments de musique n’était pas interdit comme rapporté dans At-tâj wa al-iklîl. Il étudia le Hadith, le Tafsîr, le Qur’ân, le fiqh/droit, la théologie, la logique, les mathématiques, la médecine et d’autres sciences.
Dans At-tâj wa al-iklîl (2/62) de l’imâm Imam Al-Mawwaq (897 H), il rapporte aussi l’avis du Shaykh ul Islam Al ‘Izz Ibn Abd as-Salâm, le grand juriste shafi’ite et malikite : : « ‘Al-‘Izz est un savant reconnu et on ne peut imaginer un consensus sans lui, al-‘Izz avait dit dans ses Qawâ’id : le chemin pour la réforme des cœurs se fait par des causes extérieurs: Il y a d’abord le Qur’ân et c’est la meilleure chose qu’on écoute, puis il y a aussi les paroles de conseils et de sagesse, puis il y a le Hidâ et le chant, puis il y a le chant accompagné d’instruments à propos desquels il y a divergence sur sa licéité (entre les savants). Si celui qui écoute ces instruments est parmi ceux qui considèrent que cela est autorisé : il a bien fait d’écouter ce qui lui procure des états (bénis), mais il aura délaissé le scrupule : car il aura écouté une chose à propos de laquelle les savants ont divergé (sur son statut) ».
Le Shaykh al Islâm Al-Izz Ibn Abd As-Salâm, surnommé le « Sultan des savants », lui-même asharite, Ad-Dhahâbî dit de lui dans son Siyâr a`lam al-Nubala’ (n°969) : « Le Shaykh, l’imâm, l’érudit, l’ascète, le connaisseur/connaissant par Allâh (sûfi réalisé), le muhaddîth, le Shaykh ul islam, le grand maître parmi les Sûfis ».
An-Nawawî l’a cité dans son Tahdhîb al Asma’ wa al Lughât (3/22) en disant : « Le Shaykh, l’imâm, sur lequel il y a unanimité de son degré d’imâm, de sa brillance, sa compétence et qu’il est un appui dans les diverses sciences, Abû Muhammad ‘Abd al ‘Azîz ibn ‘Abd as Salâm, qu’Allâh lui fasse miséricorde et l’agrée, a dit […] ».
Le Qâdî Tâj ad Dîn ‘Abd al Wahhâb as Subkî (m.771 H) a écrit dans Tabaqât as-Shâfi’iyah al Kubrâ (8/209) : « 1183- ‘Abd al Azîz ibn ‘Abd as Salâm ibn Abî al Qâssim ibn Hassan ibn Muhammad ibn Muhadhb as Sulamî, le Shaykh al Islâm et des musulmans, un des imâms de haute personnalité, le sultan des savants, l’imâm de son temps de manière incontestable, celui qui s’est levé pour ordonner le bien et interdire le blâmable en son temps, l’initié aux réalités de la Loi légiférée [Shari’ah], le connaisseur de ses finalités [maqâsid]. Il n’a pas vu quelqu’un comme lui, et personne parmi ceux qui l’ont vu n’ont vu semblable à lui dans la science, la dévotion, tenir debout dans la vérité, la bravoure, la force intérieure, Il naquit en l’an 577 ou 578 H ».
Toujours dans le même ouvrage At-tâj wa al-iklîl (2/62), il est rapporté qu’on demanda au Qâdî ‘Iyyâd Al-Mâlikî As-Shablî (476 H/1083 – 544 H/1149) grand savant et juriste malikite, il dit à propos du Samâ’ : « Son apparence est séduction, son intérieur est sagesse, celui qui connaît la subtilité (ishâra) lui est autorisé d’écouter la sagesse et la finalité ».
Le Shaykh et juriste zahirite Muḥammad ibn Tahir Al-Zahirî (448 H/1057 – 507 H/1113) attribue la permissibilité de la musique à l’ensemble des savants de l’école zahirite. Ad-Dhahâbî dira de lui dans son Siyâr : « L’imâm qui a mémorisé énormément de narrations (al-ḥâfiz), (…) né en 408 H dans les environs de Jérusalem. (puis il cite le nom d’éminents savants qui) ont dit qu’il « n’y avait personne de similaire à son époque » (…), et il était de bonne ‘aqida, de belle pratique, véridique, connaisseur (dans les sciences du Hadith) de l’authentifié (sahîh) et du faible (da’if), auteur de nombreux ouvrages, ne contredisant pas les rapports (lâzim al-âthâr) ». Grand muhaddith et célèbre historien, il était aussi Sûfi, poète, exégète et juriste.
Ce sujet, relatif aux branches (furu’) de la Religion et non aux fondements (ussûl), et ne faisant pas du tout consensus, et dont l’avis permissif repose aussi sur des arguments qurâniques, prophétiques, juridiques, scientifiques, rationnels et spirituels, il faut accepter la divergence et ne pas imposer son avis en méprisant ou excommuniant ceux qui ne l’adoptent pas, surtout quand les arguments avancés pour leur interdiction générale sont en vérité faux ou plus que contestables, loin d’être catégorique (qat’i) et sujets à l’interprétation en lien avec un contexte particulier qui n’est pas généralisable. Toutefois, toute pratique (poésie, chant, instruments, danse, …) contraire à l’éthique ou à la morale, et impliquant l’abandon ou la négligence des obligations religieuses, familiales ou professionnelles devient illicite par cette cause, mais si ce n’est pas le cas, alors cela rentre dans le domaine du licite.
Parmi les autres grands imâms et savants, à la fois Sûfis, juristes, exégètes du Qur’ân et muhaddithins ayant permis le Samâ’ et/ou la musique traditionnelle (avec les conditions énumérées auparavant) citons : le défenseur de la Sunnah et juriste malikite Abû Bakr Al-Baqillânî (m. 403 H/1013), le Shaykh polymathe (historien, médecin, logicien, théologien, exégète, grammairien, muhaddith, …) et représentant de l’école zahirite de son temps l’imâm Ibn Hazm (m. 456 H/1064) dans son Kitâb Al-Muhalla’, le Shaykh ul Islam hanbalite et mujtahid ‘Abd al-Qadîr al-Jilânî (m. 561 H/1166), le Shaykh hanbalite et Sûfi Khwajah Abû Ismaïl Abdullah al-Harawi al-Ansari (m. 481 H/1089), le Shaykh ul Islam shafi’ite (et malikite) et mujtahid ‘Izz Ibn ‘Abd as-Salâm (m. 660 H/1262), le Shaykh ul Islam hanafite et mujtahid Jalâl ud-Dîn ar-Rûmî (m. 672 H/1273), le Shaykh ul Islam shafi’ite et mujtahid Ibn Hajar al Haytami (m. 974 H/1566), le grand Shaykh hanafite (ayant aussi étudié le fiqh shafi’ite) ‘Abd al-Ghanî An-Nabulsî (m. 1143 H/1731) et fils du célèbre Qâdi Ismâ’îl, le Shaykh malikite, Sûfi, muhaddith, logicien, exégète et grammairien Ahmad Ibn ‘Ajiba (m. 1224 H/1809). Le Shaykh, l’imâm, juriste malikite, théologien, logicien, mathématicien, musicologue, muhaddith, exégète, poète et sûfi Muhammad al-Harrâq (m.1261 H/1845), descendant du Prophète (ﷺ), grand Muftî et Imâm de la Mosquée de Tétouan au nord du Maroc sous le règne de Mulay Slimân (de 1790 à 1822) et disciple de l’imâm et Sûfi Mûlây al-‘Arabî al-Darqâwî, et maître de la Tariqa al-harrâqiyya, excellait aussi dans la musique sûfie (spirituelle) et il était même spécialiste du luth arabe (al-‘ûd).
Le Shaykh et Dr. Abdullāh al-Juda’i’s dans son Al-Ghinâ wa Al-Mûsîqî fî Mīzân al-Islâm montrait que l’avis permissif existait depuis l’époque des Salafs sans interruption jusqu’à notre époque, avis défendu par d’éminents savants. Si certains arguments ou récits ont fait l’objet de critiques, l’essentiel du livre reste authentifié et pertinent.
L’avis permissif est aussi conforme aux différents ahadiths autorisant le chant accompagné de certains instruments de musique ne causant maladies ou problèmes physiques, ni états psychologiques ou psychiques néfastes et délétères, comme nous le savons par expérience et observation, car certaines mélodies et certains rythmes qui se dégagent de certains sons ou mots peuvent exercer un impact négatif sur la santé physique ou mentale, ainsi que sur le comportement humain – ce que démontre l’industrie de la musique occidentale aux mains d’Hollywood ou de la pègre -.
L’avis permissif se fonde sur la Tradition prophétique
Cet avis permissif (avec les conditions stipulées précédemment) découle aussi de l’autorisation prophétique accordée à des Sahâba. Amir ibn Sa’d raconte s’être rendu auprès de 2 Compagnons, Qurza ibn Ka’b et Abû Mas’ûd, à l’occasion d’un mariage. Il vit des filles qui chantaient et jouaient de la musique. Il leur dit alors : « Vous êtes 2 Compagnons du Prophète, des gens de Badr [de surcroît], et on fait cela près de vous !». Qurza lui répondit : « Assieds-toi si tu le veux et écoute, et pars si tu le veux. Il nous a été autorisé de pratiquer le divertissement musical (« lahw ») lors d’un mariage » (1). Le terme employé ici par Qurza, « lahw », ne désigne pas le divertissement en tant que tel ni le simple chant sans musique, puisque ce n’est pas uniquement lors de mariages que les divertissements (encouragés ou neutres) sont permis ; ce terme désigne ici la « musique », car c’est un des noms donnés à la musique comme il est rapporté par Ibn al-Qayyîm dans Ighâthat ul-lahfân 1/360.
Du temps du Prophète (ﷺ) les mosquées étaient des lieux de vie, de science, de dévotion, de spiritualité et aussi de divertissements licites (chants, danses et spectacles qui étaient décents). Cf. Musnad Ahmad n°12564 selon Anas, les Sahihayn d’Al-Bukharî n°2901 et Muslim n°892 et 893 selon Abû Hurayra, etc., notamment avec les danses guerrières accompagnées de chants des Abyssins dans la mosquée, approuvées par le Prophète (ﷺ), en compagnie de son épouse ‘Aisha. Et dans la version de l’imâm Ahmad dans son Musnad n°25962 concernant ce spectacle des Abyssins (qui jouaient, chantaient et dansaient), il est précisé que le Prophète (ﷺ) a dit : « Les Juifs doivent savoir que dans notre Religion, il y a du temps pour la détente, le divertissement et la relaxation ; j’ai été envoyé sur la voie du Tawhîd (monothéisme), sur une base souple (visant à faciliter la vie aux gens), pondérée, tolérante et indulgente ».
L’Imâm Abû Hâmid Al-Ghazâlî mentionne dans son Ihyâ’ les ahadiths sahîh sur le chant des 2 servantes et sur les jeux pratiqués par les Abyssins dans la Mosquée du Prophète (ﷺ) alors que ce dernier les encourageait par des exclamations : « Bravo, enfants de Arfadah ! ». Ces ahadiths précisent également la demande formulée par le Prophète (ﷺ) à l’intention de ʿAîsha pour savoir si elle voulait regarder le déroulement des jeux ou non. Ces mêmes ahadiths ajoutent en outre que le Prophète demeura en compagnie de son épouse jusqu’à ce que celle-ci s’ennuyât et voulût partir. On rencontre enfin des ahadiths mentionnant que ʿAîsha jouait avec ses amies. Al-Ghazâlî conclut quant à ces ahadiths : « Tous ces ahadiths sont mentionnés dans les 2 Sahîh (d’Al-Bukharî et Muslim) ». Ils constituent de fait un texte explicite prouvant que le chant et les divertissements ne sont pas illicites. On peut par ailleurs en tirer un certain nombre de conclusions concernant diverses permissions :
1. Le divertissement : tout le monde sait que les Abyssins ont leurs danses et leurs jeux.
2. Il est permis de se divertir à l’intérieur même de la mosquée.
3. Le fait que le Prophète dise aux Abyssins : « Bravo, enfants de Arfadah ! » montre qu’il leur demande de poursuivre leurs jeux et les encourage à cela. Comment peut-on alors considérer que ces jeux sont illicites ?
4. Le Prophète a empêché Abû Bakr et ʿUmar – qu’Allâh les agrée – de blâmer, de refuser ou d’interdire le divertissement. Il leur a expliqué que c’était un jour de fête et un moment de gaieté. Or, le divertissement est source de gaieté.
5. Le Prophète est resté longtemps à regarder les jeux abyssins et à écouter leur musique, après que ʿAîsha – qu’Allâh l’agrée – a exprimé son accord pour rester également. Cela montre qu’en termes de noblesse de caractère (husn al-khuluq), il est meilleur de faire plaisir aux femmes et aux enfants en assistant avec eux à des divertissements que de vivre dans un ascétisme austère, se priver et priver autrui des plaisirs mondains.
6. Le Prophète a même pris les devants pour demander à ‘Aîsha si elle désirait regarder le déroulement des jeux/spectacles.
7. Le chant est permis, ainsi que le battement du tambour, comme le montre le hadith des 2 servantes ». Al-Ghazâlî poursuit tout ceci dans le chapitre de l’écoute ».
Le Messager d’Allâh (ﷺ) a dit : « Est méchant (ou dépourvu de bonté et d’amour) celui qui ne prend aucun plaisir à être avec les amoureux d’Allâh : les poèmes des sages qu’ils chantent, la saison du printemps, la couleur et le parfum de ses fleurs, et le luth (un instrument de musique) et son chant » (2).
« Celui qui n’a pas fait l’expérience de l’extase (spirituelle) et reçu par ce moyen la manifestation de la Sagesse et de la Vérité divine n’a pas (réellement/spirituellement) vécu » (3).
« Les versets du Qur’ân, les poèmes d’amour sages et merveilleux, les bruits, les sons et les voix qui expriment le désir ardent illuminent la face de l’âme » (4).
« Le rituel extatique des amoureux d’Allâh, leur tourbillon et leur chant, constituent une forme obligatoire d’adoration pour certains, et pour d’autres un acte surérogatoire d’adoration, et même, pour certains, une hérésie. Il est obligatoire pour « al insân al kamîl » (l’être humain qui s’est réalisé spirituellement), surérogatoire pour les amoureux d’Allâh, hérétique pour les insouciants » (5).
« Celui qui n’a pas fait l’expérience de l’extase spirituelle ne connait pas (véritablement) le goût de sa religion » (6).
« Les Abdâl sont au Shâm et ils sont 30 sur le chemin d’Ibrahim (paix sur lui), à chaque fois qu’un homme d’entre eux meurt, Allâh le remplace par un autre, 20 d’entre eux sont sur le chemin de ‘Issa Ibn Myriam (paix sur lui) et à 20 d’entre eux il leur fut donné l’enchantement (mot-à-mot : une flûte) de la famille de Dawûd (paix sur lui) » (7).
Le Prophète (ﷺ) a dit : « (faisant l’éloge de Abû Mûsa al Ash’arî) l’Envoyé d’Allâh a dit : « Il a hérité de l’une des flûtes et voies mélodieuses (mizmâr) de la famille de (Prophète) Dawûd » » (8) et : « (le Prophète) Dawûd avait une voix si belle durant ses suppliques et sa récitation des Psaumes, que les êtres humains, les jinns, les bêtes sauvages et les oiseaux se réunissaient autour de lui pour écouter sa voix. Certains en mourraient même (par extase spirituelle). 400 funérailles, à peu de choses près avaient lieu au cours de ces rencontres » (9). L’imâm Ibn Hajar Al ‘Asqalânî (m. 852 H/1449) dans son Fath ul-Bâri en commentant le hadith sur Abû Mûsa, rapporte aussi un autre hadith sahîh disant : « Je suis entré dans la maison d’Abû Mûsâ et je n’ai pas entendu une cymbale, un luth ou une flûte meilleure que sa voix ».
Comme l’ont expliqué certains savants, parfois le terme « mizmâr » était synonyme de « al ghinâ » dans certains contextes. Cela pouvait donc désigner un magnifique chant, une voix sublime (mélodieuse), ou une musique d’une grande beauté (avec ou sans instrument de musique). Cette richesse linguistique explique aussi pourquoi certains savants ultérieurs ont mal compris le sens originel de certains récits parmi les Salafs. En effet, selon le sens et la portée donnés à certaines expressions, le sens voulu peut changer ou dépendre de façon précise que d’un contexte particulier. Le « chant » désignant tantôt la belle voix ou la musique (avec instruments), tantôt employé dans un sens louable ou blâmable, etc.
Allâh dit dans le Qur’ân : « Et (le Prophète) Sulaymân (Salomon) fut l’héritier du (Prophète) Dawûd (David) ; et il dit : O humains ! Nous avons été instruits du langage des oiseaux (‘ullimna mantiqat-tayri) et comblé de toutes choses… » (Qur’ân 27, 15). Ce verset peut constituer un fondement pour le samâ’, c’est-à-dire des chants mélodieux dont la portée spirituelle et symbolique est évidente, illustrée par cette notion de langage/chant des oiseaux (10), qui louent Allâh à leur manière, et dont leur mélodie nous apparait si belle et apaisante, et qui est digne d’éloge dans la Tradition prophétique. Et Al-Ghazâlî dans son Ihyâ’ nous fait remarquer que, si la mélodie des oiseaux est licite en soi (selon l’Islam), alors par analogie tous les instruments produisant des sons mélodieux et harmonieux le sont aussi, car ils ne sont que des moyens (permis dans le cadre originel de l’Islam et du fiqh) pour atteindre cette finalité – avec les conditions que nous avons déjà vu -, sauf si une preuve indiscutable vient interdire ou restreindre une pratique, ce qui n’est pas le cas ici, sauf quand cela ne s’y prête pas, avec la présence de types de chant blâmable (véhiculant des croyances superstitieuses ou fausses, des actions répréhensibles, des mauvaises moeurs, …), les (mauvais) contextes et ceux qui s’y adonnent de façon perverse et débauchée, et ceux qui en font une addiction au point d’oublier leurs obligations religieuses et familiales, de délaisser la récitation et la méditation du Qur’ân, ceux qui vendent leur âme pour ensorceler ou envoûter les gens ou qui en font un commerce illicite et malsain, etc.
Le Shaykh ‘Abd al-Qadîr al-Jilânî rapporte dans Sirr al-Asrâr (chapitre 19) que Junayd a dit : « Quand l’extase (spirituelle) rencontre les manifestations divines à l’intérieur de quelqu’un, il est dans un état de joie très élevée ou de nostalgie très profonde ».
L’imâm Al-Qushayrî a dit dans son Risâla al-qushayriyya : « J’ai entendu le shaykh Abû ʿAbd al-Raḥmân al-Sulamî dire : J’ai entendu Abû ʿUthmân al-Maghribî dire : « Quiconque prétend au Samâʿ sans écouter le chant des oiseaux, le craquement de la porte ou le bruissement des vents est un imposteur » ».
Jalâl ud-Dîn Rûmî a dit dans son Mathnawî (1/1-18), qui est un « commentaire » spirituel du Qur’ân et de la Tradition prophétique :
« Ecoute le ney (la flûte du roseau) raconter une histoire,
il se lamente de la séparation :
« Depuis qu’on m’a coupé de la jonchaie,
ma plainte fait gémir l’homme et la femme.
Je veux un cœur déchiré par la séparation pour y verser la douleur du désir.
Quiconque demeure loin de sa source aspire,
à l’instant où il lui sera à nouveau uni.
Moi, je me suis plaint en toute compagnie,
je me suis associé à ceux qui se réjouissent comme à ceux qui pleurent.
Chacun m’a compris selon ses propres sentiments ;
mais nul n’a cherché à connaitre mes secrets.
Mon secret, pourtant, n’est pas loin de ma plainte,
mais l’oreille et l’œil ne savent le percevoir.
Le corps n’est pas voilé à l’âme, ni l’âme au corps ;
cependant, nul ne peut voir l’âme.
C’est du feu, non du vent, le son de la flûte :
que s’anéantisse celui à qui il manque cette flamme !
C’est le feu de l’Amour qui est dans le roseau,
c’est l’ardeur de l’Amour (Divin) qui fait bouillonner le vin (spirituel).
La flûte est la confidente de celui qui est séparé de son Ami :
ses accents déchirent nos voiles.
Qui vit jamais un poison et un antidote comme la flûte ?
Qui vit jamais un consolateur et un amoureux comme la flûte !
La flûte parle de la Voie ensanglantée de l’Amour,
elle rappelle l’histoire de la passion de Majnûn.
A celui-là seul qui a renoncé au sens est confié ce sens : la langue n’a d’autre client que l’oreille.
Dans notre affliction, les jours sont devenus moroses ;
nos jours cheminent avec les peines brûlantes.
Si nos jours se sont enfuis, qu’importe !
Demeure, ô Toi la sainteté de qui nul n’est comparable !
Quiconque n’est pas un poisson devient abreuvé de Son eau ;
quiconque est privé du pain quotidien trouve la journée longue.
Celui qui n’a point d’expérience ne peut comprendre l’état de celui qui sait ; mes paroles doivent donc être brèves.
Adieu ! ».
L’imâm Ahmad dans son Musnad n°860 rapporte via un isnad sahîh de l’imâm ‘Alî : « J’ai rendu visite au Prophète (ﷺ) avec Ja’far Ibn Abî Tâlib (frère de ‘Alî) et Zayd (Ibn Haritha). Le Prophète (ﷺ) a dit à Zayd : « Tu es mon affranchi » (anta mawlay), après quoi Zayd a commencé à sauter sur une jambe autour du Prophète (hajala). Le Prophète (ﷺ) a alors dit à Jafar : « Tu me ressembles dans ma constitution et mes manières (anta ashbahta khalqi wa khuluqi) ». Le Prophète a alors dit à Ja’far : « Tu me ressembles dans ma création et mes manières », sur quoi Ja’far a commencé à sauter derrière Zayd. Le Prophète m’a alors dit : « Tu m’appartiens et je t’appartiens » (anta minni wa ana minka), sur quoi j’ai commencé à sauter derrière Ja’far ».
Le Shaykh As-Sanussî dans son Musrat al-Faqir rapporte que Ibn Layun at-Tujibi a dit : « Quant à la danse dans la mosquée, elle est mentionnée dans le Sahih Muslim d’après ‘Aîsha qui a dit : « Une armée est venue d’Éthiopie en battant des tambours le jour de la fête dans la mosquée. Le Prophète (ﷺ) m’a invité et j’ai posé mes mains sur ses épaules et je les ai regardés jouer ».
L’imam Al Khattabî (m. 388 H/998) a dit dans A’lam Al Hadith Sharh Sahih Al Bukhari (1/656) après avoir mentionné les caractéristiques du ghina permis : « Il y a plusieurs (imâms) parmi les premiers musulmans qui ont permis cela et le jugement du fait de faire un peu de ghina est différent de celui du fait d’en faire beaucoup ». Il dit donc que si cela n’occupe pas l’essentiel de ses journées, que des imâms du Salaf ont permis cela.
L’imâm Al-Khattabî était un théologien ash’arite, logicien, juriste shafi’ite, muhaddith, poète, lexicographe, exégète du Qur’ân, historien, Sûfi (ayant étudié le Tasawwuf avec le Shaykh et imâm Al-Khuldi – m. 348 H/959 – qui était l’un des disciples de l’imâm du Salaf Al-Junayd), qui était aussi un homme de lettres, né en Perse, mais descendant aussi de Zayd Ibn al-Khattâb, le frère de notre maître et Calife ‘Umar Ibn al-Khattâb. Parmi ses éminents étudiants, on compte des sommités dans le Hadith comme Al-Hakim an-Nishabûri, Abû Nu’aym al-Isbahanî, Abû Dharr al-Harawî, Abû Hâmid al-Isfarayini, ‘Abd al-Ghafir an-Nishabûrî, etc., qui étaient qualifiés de sommités et de grands savants par l’imâm et Hafiz ad-Dhahâbî dans son Siyâr et dans son Târîkh al-Islâm.
Le Shaykh, mujtahid, éminent juriste shafi’ite faisant autorité, théologien ash’arite, logicien, exégète du Qur’ân, muhaddith et historien, l’imâm Al-Haramayn al-Juwaynî (478 H/1085) a dit dans An-Nihaya : « Il est rapporté par des récits sahîh qu’Abdullâh Ibn Zubayr avait des voisines qui jouaient du luth (l’oud), et Ibn ‘Umar entra chez lui et vit à côté de lui un luth et dit : « Qu’est-ce que cela ô Compagnon du Messager d’Allâh ? ». Alors il le lui tendit et Ibn ‘Umar le contempla et dit : « C’est une balance de Shâm (Syrie) ». Ibn az-Zubayr dit alors : « Les esprits sont pesés avec cela ». Le Shaykh An-Nabulsî l’a aussi rapporté dans Idahât al-Dalalat (p. 96).
L’imâm Ibn Tahir dans Al-Samâ’ (p.63) rapporte aussi qu’Ibrâhîm Ibn Sa’d Ibn ‘Abd ar-Rahmân Ibn ‘Awf (108 H – 183 H), le petit-fils du Compagnon du Prophète (ﷺ), écoutait des chansons accompagnées de guitares. Il était considéré comme un imâm respecté, pieux et comme étant digne de confiance dans la transmission du Hadith, et ses ahadiths ont été acceptés parmi les auteurs des 6 grands recueils sunnites. Ad-Dhahabî dans son Siyâr (8/304-310) et Al-Mizzî dans Tahdhib ul-Kamâl (2/88-94) rapportent tout cela.
Le juriste malikite, historien, théologien ash’arite, muhaddith et célèbre exégète Al-Qurtûbî (m. 671 H/1273) dans son Tafsîr (14/54) rapporte qu’Al-Qashiri a dit : « un tambour est utilisé devant le Prophète, lorsqu’il est entré à Médine, ce qui a déplu à Abû Bakr, mais le Prophète a dit : Laisse-les, Ô Abû Bakr, car les Juifs doivent savoir que notre Religion est large et souple. Elles continuaient à jouer et à chanter : Nous sommes les filles du charpentier, préférable à nous est Muhammad comme voisin ».
Puis al-Qurtûbî ajoute : « Il a été dit que le tambourin, et de même, les instruments de musique associés aux noces peuvent être utilisés dans ce qui est bon dans la parole tant qu’il n’y a pas de propos indécents ».
L’imâm An-Nawawi (m. 676 H/1277) a dit dans Minhaj al-talibin wa `umdat al-muttaqin : « Danser n’est pas illicite sauf si la danse est langoureuse, comme les mouvements des efféminés. Et il est permis de réciter et de chanter de la poésie, sauf si elle fait le satyre d’une personne, est obscène, ou fait allusion à une femme précise (…) Il est illicite d’utiliser un instrument caractéristique de ceux qui consomment des substances intoxicantes, comme le tunbur (un instrument ressemblant à la mandoline), le ‘ud (luth), le sanj (cymbale), le ‘iraqi mizmar (une sorte de flûte), mais pas la yura’ (flûte). [Cette exception est l’avis de l’imâm Al-Rafi’i]. Je dis : Elle (la yura’) est également illicite selon l’avis le plus correct. Selon l’avis le plus correct, elle est (cependant) autorisée pour les cérémonies de mariage et de circoncision, et d’autres occasions (similaires), même si elle peut avoir de petites cymbales. Il est interdit de battre la kubah, qui est un grand tambour avec une partie centrale étroite ». Même An-Nawawî, qui adopte l’avis le plus strict de l’école shafi’ite parmi les grandes autorités du mahdhab, n’interdit pas totalement la musique et conditionne certaines interdictions à un contexte précis, par exemple le fait d’écouter des instruments et chants spécifiques aux pervers et aux drogués, afin de ne pas leur ressembler ou de ne pas les fréquenter, mais si cette cause disparait, alors l’interdiction peut être levée également.
Avant, pour l’imâm Abû Hâmid Al-Ghazâlî, l’autorité de l’école shafiite de son époque, était d’avis dans son Ihyâ’ (2/424-438) que, parmi les instruments de musique, sont interdits les instruments à corde, certains types de flûtes, le gros tambour, ainsi que « les instruments de musique qui sont utilisés habituellement par ceux qui mènent leur vie hors des principes éthiques de l’islam ». Les autres instruments restent dans la permission originelle, et il cite notamment le tambourin, même avec des clochettes, le tambour, le shâhîn, le qadhîb, etc., et donc, même parmi les instruments interdits, certains ne le sont que s’ils sont majoritairement pratiqués par des débauchés, auxquels cas ils deviennent autorisés.
Il est rapporté dans Islâm aur mûsîqâ (p. 265) que pour l’imâm et Shaykh polymathe et hanafite Al-Kamâl Ibn ul-Humâm (m. 861 H/1457), la permission d’utiliser de tels instruments est limitée au cas du mariage et aux occasions de joie ; hormis ces cas, l’utilisation de ces instruments est à délaisser (mais pas nécessairement harâm). Il est intéressant aussi de noter qu’Ibn al-Humâm, en plus d’être un théologien maturidite, un logicien, un linguiste, un muhaddith, un exégète du Qur’ân, un mathématicien, un juriste hanafite ayant atteint le rang de mujtahid, un ussûlî et un poète, était aussi un historien, un Sûfi et un musicien.
Mais pour l’imâm, sûfi et Shaykh hanbalite Ibn Qudâma Al-Maqdissî (m. 620 H/1223). dans Al-Mughnî (14/56-57), l’utilisation de tels instruments (parmi ceux qu’il considère comme étant licite) est en soi permise de façon générale (même en dehors des grandes occasions festives).
Le Shaykh Ibn Taymiyya (m. 728 H/1328) a dit dans Majmû al-Fatâwâ (11/565) : « Mais le Prophète a autorisé certains types d’instruments de musique lors des mariages et autres, et il a permis aux femmes d’en jouer lors des mariages et lors d’autres occasions joyeuses » mais ce qu’il dira ensuite est en partie faux et use d’une généralisation abusive sur le fait que les hommes qui jouent du dûff ou applaudissent trop fort comme étant des efféminés, mais là aussi il faut voir de qui il parlait précisément. Et dans le même recueil (11/569) il rapporte des choses fausses, mentionnant qu’au Hijâz, en Syrie, en Egypte, au Yémen et ailleurs, il n’existait pas certains types d’instruments de musique connus chez les imâms du Salaf, alors qu’ils existaient et que plusieurs d’entre eux les ont bien autorisé ou écouté/pratiqué d’après leurs propres fatâwâ ou récits de leurs disciples, ce que les ouvrages historiques et anthropologiques confirment aussi.
L’imâm Ibn Rajâb al-Hanbalî (m. 795 H/1393) a dit dans Nuzhatul Asma’ Fi Mas’alati Sama’ (p.4) : « Le sens qui est voulu par le ghina interdit est ce qui est composé de paroles impudiques comme le fait de décrire les femmes, leurs atouts physiques, ce qui excite les instincts. Ceci est le ghina interdit. C’est comme cela que l’ont défini l’imam Ahmad, Ishaq Ibn Rahawayh et d’autres parmi les imâms ».
Aussi certaines fatâwâ qui interdisaient la musique concernaient ceux qui passaient leur temps à assister à ce genre de concerts où des femmes et des hommes se mettaient en valeur de façon impudique, ce qui suscitait la fitna et favorisait la perversion et la débauche au sein des personnes qui y assistaient.
A ce sujet, l’imâm An-Nawawi a dit dans Rawdatû Talibin (11/227) : « S’il y a une tentation dans le fait d’écouter le chant d’une femme alors ceci est interdit par consensus ». Aujourd’hui, écouter de la musique uniquement en tant qu’audio (sur support physique ou numérique), sans spectacle visuel (aujourd’hui ce serait les clips vidéos indécents) ne rentre pas dans ce genre d’interdiction.
Quant au célèbre hadith d’al-Bukharî dans son Sahîh n°5590 utilisé par les partisans d’une interdiction générale : « Il y aura (par la suite) dans ma Ummah des gens qui s’autoriseront la fornication (et/ou l’adultère), le port de vêtements en soie, la consommation de vin et l’usage des instruments de divertissement (Ma’âzif) ». Sur le plan de la transmission, le hadith a été critiqué. L’imâm Al-Bukhari n’a pas inclus ce hadith comme hadith officiel dans son Sahîh mais comme un récit annexe. Selon l’imâm al-Muhallab, la raison était que Hisham n’était pas sûr du nom du compagnon comme le rapporte Al-Shawkanî dans Al-Ibtal (p.9). Ibn Hajar al ‘Asqalânî a tenté de justifier ce hadith dans son Fath ul-Bâri mais il n’a pas été suivi par d’autres éminents savants du Hadith. Le narrateur Hisham Ibn Ammar a été critiqué, accusé d’avoir forgé des ahadiths, après avoir été un narrateur véridique, il s’est mis à changer, comme le rapporte Ad-Dhahâbî dans Mizân al-‘Itidâl, citant aussi l’imâm Ahmad qui le qualifiait d’imprudent. Toutefois Ibn Hajar cite un autre hadith ayant le même sens mais qui passe par Atiyah Ibn Qays, lui aussi considéré comme peu fiable au niveau de sa mémorisation, bien que de caractère honnête, voir notamment Abû Hâtim ar-Râzî dans al-Jarh wa al-Ta’dîl 2/37 et Abû Bakr al-Bazzâr dans Kashf al-Astar 1/106. De plus, Al-Bukharî n’a utilisé ce hadith comme preuve que pour la partie sur la consommation d’alcool en lien avec l’intitulé du chapitre où il a placé ce hadith. Par conséquent nous ne disposons d’aucune preuve qu’Al-Bukharî considérait la partie sur la musique comme sahîh, d’autant plus que lorsqu’Al-Bukharî disait « untel m’a dit », cela était un signe que cette narration ne satisfaisait pas ses critères d’authenticité.
Sur le plan de l’énoncé (matn), le terme Al-Ma’âzif signifie avant tout les instruments liés au divertissement (pas seulement musicaux), mais compris ici dans tout ce qui égare les croyants de la pudeur, de la piété et de la maitrise de soi ; comme l’alcool, le luxe et les festivités de débauche (avec ou sans musique). Par ailleurs certains ont quand même affaibli la dernière partie du hadith. Le hadith mentionne aussi une période ultérieure qui verra la propagation d’une chose inconnue du temps des Sahâba et de leurs disciples, or la musique fut autorisée dès l’époque des Sahâba, ce qui signifie que ce hadith ne désigne pas la musique en tant que telle, mais certains comportements où sont mélangés les femmes chanteuses, la musique, l’alcool, l’adultère et le monde de la mode et du luxe, ou autrement dit, tous les ingrédients de la débauche et des dérives du monde capitaliste et de l’occidentalisation du monde que nous connaissons actuellement. D’autres ahadiths similaires quant à eux, insistaient surtout sur les boissons alcoolisées qui se répandront, et ce dans différents contextes, comme rapporté par exemple par Abû Dawûd dans ses Sunân n°3688 au Kitâb sur les boissons enivrantes.
Ahmad dans son Musnad 5/259 et 329 et Al-Hakim dans Al-Mustadrâk (4/515) rapportent aussi un hadith similaire jugé sahîh selon Abû Ummama sur l’ambiance de débauche mais sans que cela ne soit lié directement à la musique, mais plutôt à certains types d’amusement décadent et pervers qui sont illicites, où le Prophète (ﷺ) a dit : « Un groupe de ma Ummah ira se coucher (une nuit) après avoir mangé (de l’illicite), bu de l’alcool et participé à des divertissements illicites. Ensuite, ils seront transformés en singes et en porcs, et un vent sera envoyé sur les vivants d’entre eux les soufflant comme il a soufflé ceux qui les ont précédés pour leur permissivité en matière d’alcool, leur frappe des tambours, et leur prise (achat) de chanteuses ». Ce qui est condamné ici, c’est ce mode de vie décadent, où l’alcool, la promiscuité avec des femmes (qui sont sexuellement exploitées pour chanter), l’insouciance et le manque d’éthique, font que ces personnes désignées sont comparées métaphoriquement à des singes et des porcs, pour leur manque de considération envers Allâh, le Sacré, la sobriété, la maitrise de soi et le respect des femmes. L’idée principale de ce hadith n’est donc pas la condamnation générale des instruments de musique ou des chants, mais d’un comportement obscène, dégradant et dégénéré.
Dans un autre hadith rapporté par Abû Dawûd dans ses Sunân n°3685, ce qui est visé et condamné ce sont aussi les jeux de hasard, sans doute ceux où les gens misent de l’argent ou passent leur temps dessus au lieu d’être au service d’Allâh, de leur famille, de leur communauté, et de faire des choses utiles ou moins nocifs. Toutes les autres narrations, bien que critiquables dans la chaine, évoquent les mêmes 2 condamnations principales : l’ambiance de débauche comportant de la beuverie à base d’alcool et des femmes esclaves prises comme chanteuses (certaines versions ne rapportent pas comme élément la musique, mais seulement les femmes chanteuses-esclaves), poussant à la fornication ou à l’adultère, ce qui décrit bien notre sombre époque, et dans un hadith sous l’autorité d’Abû Hurayra, cela concernera la fin des temps comme le rapporte Ibn Abî Al-Dunyâ dans Dhamm al-malâhî, même si l’isnad n’est pas sahîh.
Par une chaine sahîh, Ahmad, Abû Dawûd et d’autres ont rapporté ce hadith, qui semble être le plus sahîh en la matière : D’après Sufyân (At-Thawri) d’après ‘Alî ibn Badhîmat qui a dit : Qays ibn Ḥabtar qui a dit : j’ai demandé à Ibn ‘Abbâs (…) Le Messager d’Allâh a dit : « Ne buvez pas dans [il nomma 4 types de contenants]” puis Il [le
Prophète] a dit : « Allâh a interdit le vin, le jeu d’hasard et al-kûbat. Tout ce qui rend ivre est interdit » ». Sauf qu’Al-Kûbat n’est sans doute pas le nom de l’instrument de musique (identifié au tambour), mais un type de jeu de hasard appelé aussi Al-Nard, comme le confirme le hadith d’Al-Bukharî dans Al-Adab al-Mufrad sur le même sujet où le Compagnon Fadâla parle de profit financier, ce qui s’accorde avec un jeu de hasard, et non pas le fait de jouer d’un instrument de musique. Et quand bien même cela serait le tambour, il s’agit alors d’un seul instrument qui aurait été interdit, et il faudrait voir encore quel type de tambour et dans quel contexte exactement.
Enfin, les autres narrations, notamment celles de Nafî’ et de Ibn ‘Umar – rapportées par Abû Dawûd dans ses Sunân et Ahmad dans son Musnad -, montrent seulement – en partant de l’hypothèse que l’isnad soit acceptable – que certains Sahâba n’étaient pas enclins à écouter de la musique, soit car ils n’aimaient pas ça (ou pas certains types de musique) soit car ils préféraient – du moins à ce moment-là – faire du dhikr, réciter le Qur’ân ou autre chose sans être distrait par de la musique. C’était donc pour eux, une sorte de préférence personnelle, mais qu’ils n’imposaient pas aux autres. Si cela était considéré comme illicite, Ibn ‘Umar n’aurait pas chargé quelqu’un d’autre de commettre un péché pour s’assurer de quelque chose. Le même genre de récit, cette fois-ci impliquant Abû Bakr et ‘Umar – rapporté par Al-Bukharî et Muslim dans leur Sahîh – montre que pour eux-mêmes, ils n’écoutaient pas ça, mais que le Prophète (ﷺ) l’a autorisé pour ceux qui voulaient écouter ce genre de musique. L’attitude d’Abû Bakr pouvait aussi se justifier car lui, comme le Prophète (ﷺ) et d’autres Compagnons parmi les plus éminents, n’aiment pas être distrait de la Présence divine et du Dhikr sans nécessité, d’où l’appellation de « flûtes de Shaytân », en ce sens que cela pouvait distraire ceux qui récitaient le Qur’ân ou faisaient du Dhikr ou toute autre chose sacrée. En effet, y compris pour les Saints, même les choses ordinairement licites pour les gens de la masse ou ceux qui sont pieux mais sans atteindre le rang de Sainteté (qui conduit à la Proximité divine), sont vus souvent comme une distraction ou une chose illicite pour eux seulement, d’après ce qu’exige comme attitude la station spirituelle élevée qu’ils ont réalisé.
La règle générale et originelle dans le fiqh est la permission sauf si des textes rigoureusement sahîh ou des principes généraux interdisent ladite pratique
Le sujet de la musique relève du fiqh, et en Islam, la règle générale et première dans ce registre est la permission originelle, sauf si des preuves claires l’interdisent, auquel cas, l’interdiction ou la licéité relèvent du cas par cas, selon les types de chants/musique et selon le contexte ou degré de vigilance ou de maitrise de soi propre à chaque individu.
Allâh a dit : « Ceux qui suivent le Messager, le Prophète (…). Il leur ordonne ce qui est bon et reconnu comme convenable (par les gens de bien ; Ma’rûf), leur interdit et leur défend ce qui est mauvais, répréhensible et reconnu comme étant blâmable (Munkâr), leur rend licites les bonnes choses, leur interdit les mauvaises choses, et leur ôte le fardeau et les jougs qui étaient sur eux. Ceux qui le suivront sincèrement, le soutiendront, lui porteront secours et suivront la lumière descendue avec lui; ceux-là seront les gagnants » (Qur’ân 7, 157).
« C’est Lui qui a créé pour vous tout ce qui est sur la terre, puis Il a orienté Sa volonté vers le cCel et en fit 7 cieux. Et Il est Omniscient » (Qur’ân 2, 29).
« Qu’avez-vous à ne pas manger de ce sur quoi le Nom d’Allâh a été prononcé, alors qu’Il vous a détaillé ce qu’Il vous a interdit, à moins que vous ne soyez contraints d’y recourir » (Qur’ân 6, 119).
« Et Il vous a assujetti tout ce qui est dans les cieux et sur la terre, le tout venant de Lui. Il y a là des signes pour des gens qui réfléchissent » (Qur’ân 45, 13).
La règle générale est donc la permission originelle de tout ce qui est bon, et l’interdiction de tout ce que l’on sait être mauvais ou blâmable par les gens de bien, de sagesse, de science et de vertus, et dont l’observation et l’expérience confirment leurs jugements et les conséquences des pratiques en question. Il s’avère ainsi que dans certains cas, certains types de chants et de musique sont autorisés et même recommandés, et que dans d’autres cas, ils sont déconseillés, détestables ou carrément illicites. Les interdits unanimes, universels et explicites ont tous été mentionnés dans le Qur’ân, comme le shirk, le meurtre, la sorcellerie, la consommation d’alcool, l’adultère, le viol, le banditisme, le terrorisme, l’agression, le vol, la fornication, la calomnie, le faux-témoignage, la maltraitance des parents, l’injustice envers les gens, etc., et par analogie et principe, tout ce qui peut nuire aux relations humaines, à la santé physique ou mentale, à la dignité humaine et à l’honneur des gens, à la vie et à la sécurité (des adultes comme des enfants – qu’ils soient croyants ou incroyants -, des animaux domestiques, etc.). Quant à la Sunnah, elle détaille parfois plus explicitement certains interdits, mais qui sont contextuels et qui ne concernent que les éléments blâmables que l’on peut retrouver dans certaines pratiques (louables à l’origine), et qui doivent donc être compris, non comme une interdiction absolue de pratiques neutres ou louables en soi (en lien avec l’art, le sport, le travail, la science, etc.), mais comme une interdiction relative, restreinte ou contextuelles selon les cas, concernant les types blâmables ou les dérives qui peuvent se manifester chez certaines personnes ou dans certains groupes, caractérisés par leur perversité ou leur ignorance de certaines choses.
Le Prophète (ﷺ) a dit : « Mon Seigneur m’a ordonné de vous enseigner des choses que vous ignoriez parmi les choses qu’il m’a enseigné aujourd’hui. [Allâh a dit] : Tout ce que J’ai donné à Mes serviteurs est permis et J’ai créé tous mes
serviteurs monothéistes (à l’origine). Puis, les diables sont venus les voir et les ont détourné de leur religion (primordiale) et leur ont interdit ce que Je leur ai permis. Ils leur ont aussi ordonné de M’associer des choses au sujet desquelles Je n’ai fait descendre aucune preuve (…) » (11).
Ibn Al-Qayyim dit dans I’lâm Al-Muwaqqi’în : « Tout ce qu’Allâh ou Son Messager n’ont pas décrit comme
interdit (…) alors il n’est pas permis de le déclarer interdit car Allâh a explicitement détaillé ce qu’il nous a interdit. Ce qui est interdit parmi ces choses-là doit donc être explicitement décrit comme interdit ».
Le Prophète Muhammad (ﷺ) a dit : « Combien il y a de porteurs de fiqh [qui ont étudié et mémorisé le droit, mais], qui n’ont pas d’intelligence et de clairvoyance ! Combien il y a des porteurs de fiqh (et de connaissance) qui vont vers des gens plus intelligents qu’eux ! » (12).
Le Messager d’Allâh (ﷺ) a dit : « Ces 2 qualités ne peuvent pas se retrouver chez un hypocrite : le bon comportement (et les bonnes manières) et l’intelligence dans la (façon de comprendre et de pratiquer la) Religion » (13).
Le Compagnon Abû ad-Dardâ’ a dit : « N’imposez pas aux gens ce qu’on ne leur a pas imposé, ne jugez pas les gens avant leur Seigneur. Ô fils d’Adam, préoccupe-toi de ta personne, car celui qui surveille ce qu’il voit chez les gens s’attristera longuement et sa colère ne s’apaisera pas » (14).
L’imâm ‘Alî (‘alayhî salâm) a dit : « Puisse Allâh répandre Sa Bienfaisance sur celui qui connait sa propre valeur, qui sait rester dans ses propres limites, qui fait attention à sa langue, (et) qui ne passe pas sa vie dans l’oisiveté » (15).
La question de la musique (chants ne comportant pas de paroles blâmables accompagnés d’instruments de musique) ne fait pas partie des questions fondamentales (ussûl) dans la Religion ni de ce qui est doit être nécessairement connu. Plutôt, elle fait partie des questions secondaires (furu’) de la Religion, où les grands savants ont divergé. La divergence doit donc être respectée à condition que les partisans de la licéité ou de l’interdiction ne l’impose pas à l’ensemble des Musulmans de façon contraignante, dans le cas de la musique basée sur des paroles licites et des instruments et rythmes qui n’entrainent ni problèmes mentaux, ni troubles psychologiques ni problèmes de santé physique et qui n’entraine pas l’abandon des obligations religieuses, morales, sociales, familiales et professionnelles, ni le bon comportement -.
Le monde musulman a même développé plusieurs arts musicaux sacrés et traditionnels, depuis l’époque prophétique, puis par les Compagnons et leurs disciples, en passant par tous les empires musulmans (omeyyade, abbasside, fatimide, seljukide, ottoman, safavide, etc.), pratique approuvée par d’éminents savants à chaque époque, malgré la position défavorable d’autres savants. Il y a aussi cette autre parole du Prophète (ﷺ) concernant les actes liés au divertissement notamment : « Ce qu’il comporte de bien est une bonne chose et ce qu’il comporte de mal est une mauvaise chose (à éviter) ».
Le respect de la divergence lorsqu’elle est fondée et ne touche aux questions éthiques ou fondamentales de la Religion
L’imâm As-Suyûtî (m. 911 H/1505) a dit dans Al-Ashbah wa an-Nazâ’îr : « Ce qui est sujet à divergence (légitime) n’est pas réprouvé mais ce qui fait l’objet d’un (réel) consensus l’est ». En ce sens, il est rapporté du Prophète (ﷺ) : « La divergence au sein de ma Ummah (parmi les gens pieux) est une miséricorde » comme l’a rapporté par exemple As-Suyûtî dans Al-Jâmi’ as-Saghîr mais qui précise qu’il n’a pas trouvé d’isnad mais que « Il se peut qu’il se trouve dans un des livres des savants mais qu’il ne nous soit pas parvenu ».
As-Suyûtî dans Jazil al mawahib fi ikhtilafi al-madhahib a dit : « Sache que les divergences (dans les furu’) entre les écoles théologiques ou juridiques constituent dans la Religion un immense bienfait et une grande vertu. Cette divergence renferme un secret subtil que perçoivent les savants et qui échappent aux ignorants ».
Ibn Sa’d (m. 230 H/845) dans ses Tabaqât et Al-Bayhaqî dans Al-Madkhal rapportent qu’Umar Ibn ‘Abd al-‘Azîz a dit : « Je ne tronquerais pas les plus beaux troupeaux de chamelles contre les divergences des Compagnons du Prophète Muhammad (ﷺ). La divergence entre les savants est une miséricorde n’avaient pas divergé. Car, s’il n’y pas eu de divergences entre eux il n’y aurait plus eu de dispenses (ensuite) ».
L’imâm An-Nawawî a dit dans Al Minhaj : « Si quelque chose est une miséricorde, cela ne signifie pas que l’inverse de cette chose est l’inverse d’une miséricorde. Personne ne fait ce genre de lien, et personne ne dit même ce genre de choses sauf un ignorant ou celui qui est affecté par l’ignorance ». Allâh a dit : « Et parmi Sa Miséricorde, il a créé la nuit pour vous afin que vous vous y reposiez », et Il a qualifié la nuit de miséricorde : pourtant, cela n’implique pas forcément que le jour soit une punition », réfutant ainsi l’avis d’Ibn Hazm et des Salafis qui l’ont suivi sur cette question.
L’Imâm Badr ud Dîn Az Zarkashî rapporte dans Tadhkirah fil Ahâdîth ul Mushtaharah que l’Imâm de Médine de son époque, la lumière des Salaf Us Sâlih, Sayyidunâ Al Qâssim Ibn Muhammad Ibn Abî Bakr As Siddîq a dit : « Les divergences parmi les Compagnons de Muhammad sont une miséricorde pour les serviteurs d’Allâh ».
Le Shaykh Ibn Taymiyya a dit dans Mukhtasar Fatâwî Al Misriyyah : « Le consensus des Imâms est une preuve indubitable et leur divergence est une vaste miséricorde ».
L’imâm Abû Ishâq As-Shatibi (m. 790 H/1388) a également rapporté cela dans son Al Muwafaqqat et a dit : « Une grande partie des Salaf a considéré que les divergences dans les branches [de la Religion] étaient un des signes de la miséricorde d’Allâh. Ce qui clarifie le fait que la divergence susmentionnée soit une miséricorde, et c’est ce qui est rapporté des propos de Al Qâssim Ibn Muhammad : « Allâh nous a fait bénéficier des divergences parmi les Compagnons du Messager d’Allâh dans leur pratique ». Et personne ne s’est attaché à la pratique de l’un d’entre eux sans qu’il (Al Qâssim) ne l’ait considéré sur la bonne voie ». (…) Ibn Wahb a également rapporté que Al Qâssim a dit : « J’ai été heureux de la parole de ‘Umar Ibn ‘Abd al ‘Azîz : « Je détesterais que les Compagnons n’eurent pas divergés entre eux, car s’ils n’avaient pas divergé, il n’y aurait alors aucune liberté [pour nous]. Vraiment, les Compagnons sont des Imâms par lesquels les gens sont guidés. Si quelqu’un suit la parole de l’un d’entre eux, il est dans la Sunnah » ».
Conclusion
Parmi les Compagnons dont il a été rapporté de façon sahîh ou plausible l’autorisation des instruments de musique accompagnant les chants licites il y a ‘Abdullâh Ibn ‘Umar, ‘Abdullâh Ibn Ja’far, ‘Abdullâh Ibn Zubayr, Hassân Ibn Thabit, ‘Amr Ibn al-‘Âs, Mu’awiyya et quelques autres, Parmi leurs disciples, citons le Qâdî Shurayh, Sâ’îd Ibn al-Musayyib qui était très apprécié des Sahaba pour sa piété, son intelligence et sa science, ‘Atâ Ibn Abî Rabah, As-Sha’bi, Az-Zuhri, Sa’d Ibn Ibrâhîm Ibn ‘Abd ar-Rahmân Ibn ‘Awf, la majorité des médinois et d’autres parmi les Salafs comme le rapportent Ad-Dhahabî dans son Siyâr et As-Shawkani dans Nayl al-Awtar. Et parmi les Khalafs citons Al-Juwaynî, Al-Ghazâlî, Abû Ishâq as-Shirâzî, Ar-Rafi’i, Ibn Tahir al-Qaysarânî, ‘Izz ud-Dîn Ibn ‘Abd as-Salâm, Ibn Daqîq al-‘Îd et d’autres parmi les shafi’ites, Ibn Hazm et d’autres parmi les zahirites, Jalâl ud-Dîn Rûmî, ‘Abd al-Ghanî an-Nabulsî et d’autres parmi les hanafites, Ahmad Zarrûq, Ibn Rushd, Abû Bakr Ibn al-‘Arabî, Al-Qurtûbî et d’autres parmi les malikites (qui du moins respectent l’avis de la licéité en le faisant remonter à l’époque des Salafs disant qu’il n’y avait pas ijmâ’), Al-Jilânî et quelques autres parmi les hanbalites Il en ressort qu’aucun verset du Qur’ân n’interdit en soi la musique (contrairement à des récits faibles imputés à Ibn ‘Abbâs et certains de ses disciples). Dans les ahadiths, certains récits tendant vers l’interdiction ne sont pas sahîh, d’autres le sont mais peuvent concerner un contexte particulier et n’ont donc pas de portée absolue ou générale, mais plutôt restreinte, et d’autres ahadiths (sahîh, hassân et da’îf) tendent clairement vers la licéité du chant accompagné aussi de certains instruments de musique comme le dhûf et d’autres. Parmi ceux qui l’ont autorisé comme interdit, il existe des conditions et exceptions, là aussi faisant l’objet de divergences.
Certaines paroles sur l’interdiction sont aussi à comprendre avec un sous-entendu induit par le contexte, comme le chant, la poésie ou la musique dont le contenu est blâmable ou dont le lieu est inapproprié. De même, certains avis virulents ou durs sont à remettre dans leur contexte, où certains savants voyaient des débauchés se comporter comme des animaux, chanter des paroles comportant des choses répréhensibles ou invitant au shirk ou l’indécence, ou qui buvaient de l’alcool et faisant appel à des esclaves chanteuses, et c’est cela qu’ils visaient par l’interdiction du chant ou de la musique, wa Allâhu a’lam.
Il y a donc eu, depuis l’époque des Salafs et ce jusqu’à notre époque (16), en passant par les savants des 5 grandes écoles juridiques sunnites ainsi que des autres écoles (ibadites, mu’tazilites, shiites, etc.) des divergences sur ce sujet, où d’éminents savants l’ont autorisé avec des conditions, et où d’autres éminents savants l’ont interdit (avec quelques exceptions) mais en resituant les choses dans leur contexte et avec rigueur, on s’apercevra que les récits semblant totalement l’interdire sont pour la plupart non-authentiques, et qu’il existe des récits sahîh qui autorisent cette pratique, avec les conditions que l’on sait. Il semblerait même que l’avis majoritaire, à l’époque des Salafs à Médine, était l’avis permissif, avis très répandu aussi dans la région du Shâm et du Khurassân, au moins jusqu’au 13e siècle. Mais voyant la décadence et la débauche de certains milieux, un certain nombre de juristes ont généralisé l’interdiction, par ailleurs peu suivi dans les faits puisque leur avis n’étant que consultatif, ceux qui voulaient écouter ou jouer de la musique pouvaient le faire dans leurs terrains, leurs maisons ou dans certains endroits publics à des moments déterminés. Au-delà de ce fait, les différents arguments des uns et des autres, dans les 2 camps, sont souvent contestables et certains savants tardifs ont aussi utilisé des récits faibles ou décontextualisés qu’ils ont imputé aux imâms du Salaf, alors que leurs positions étaient plus nuancées que cela, et que certaines fatâwâ interdisant cette pratique ne concernaient que des contextes particuliers et non pas une interdiction absolue ou générale. Le problème des citations (parmi les gens du Salaf et du Khalaf) c’est qu’ils sont souvent sortis de leur contexte. Qu’entendaient-ils réellement par « chanson », « samâ’ » et/ou « musique » ? Il y a en réalité souvent des sous-entendus : « la chanson (des débauchés) », « les instruments de musique (à vent) », « la musique (qui détourne de l’Obéissance divine) », etc.
Le Prophète (ﷺ) a dit : « Annoncez le mariage, célébrez-le dans la mosquée et frappez le Duff [une sorte de tambour] » (17), ce qui peut résumer l’ensemble du débat, à savoir que les chants et instruments de musique participant à certaines festivités licites, à rendre agréable l’ambiance sociale ou apaiser ou égayer notre état d’esprit – sans renoncer ou négliger à nos obligations et sans impacter notre santé physique et mentale, restent dans le cadre de la permission originelle, d’autant plus que dans le fiqh, la nécessité fait loi s’il s’agit de préserver notre état santé physique et mentale, et si chanter, jouer (certains instruments de musique traditionnels) ou écouter certains chants (avec ou sans instruments de musique, tant qu’ils ne sont pas associés aux instruments produisant des nuisances, des états de folie ou de négativité) peut soulager, apaiser ou égayer l’âme, cela devient autorisé.
Wa Allâhu a’lam.
Notes :
(1) Rapporté par an-Nasâ’î dans ses Sunân n°3383, sahîh.
(2) Rapporté par l’imâm ‘Abd al-Qadîr al-Jilânî dans son Sirr al-Asrâr au chapitre 19, authentifié par kashf.
(3) Ibid.
(4) Ibid.
(5) Ibid.
(6) Ibid.
(7) Rapporté par Al-Hakîm At-Tirmidhî dans Nawâdir al Ussûl selon Hudhayfa Ibn Al Yaman.
(8) Rapporté par Abû Hâmid al-Ghazâlî dans son Ihyâ’ dans la section Kitâb âdâb al-samâ’ wa al-wajd, par al-Bukhari dans son Sahîh n°5048 et Muslîm dans son Sahîh n°793.
(9) Ibid. concernant Al-Ghazâlî.
(10) Pour la dimension métaphysique et la portée symbolique du langage des oiseaux, conduisant aux états supérieurs de l’être, voir aussi René Guénon, Symboles de la Science sacrée, éd. Gallimard, 1962, chap. 7. pp.55-59.
(11) Rapporté par Muslim dans son Sahîh n°2865 selon ‘Iyyâd Ibn Himâr, Ahmad dans son Musnad n°17030 et d’autres.
(12) Rapporté selon différentes voies et variantes, notamment par Ahmad dans son Musnad n°16138, sahîh, At-Tirmidhî dans ses Sunân n°2656 selon ‘Abd ar-Rahmân Ibn Aban Ibn ‘Uthmân, sahîh et n°2658 selon ‘Abd al-Malik Ibn ‘Umayr, sahîh, Ibn Mâjah dans ses Sunân n°230 selon Zayd Ibn Thabit, hassân/sahîh, n°236 selon Anas Ibn Mâlik, hassân/sahîh et n°3056 selon Muhammad Ibn Jubayr Ibn Mut’im, hassân/sahîh, Al-Hakim at-Tirmidhî dans son Bayân al-farq bayna as-sadr wa al-qalb wa al-fû’âd wa al-lubb au chapitre sur l’intelligence/compréhension – fiqh -, An-Nawawî dans son Riyâd as-Salihîn n°1389 selon Ibn Mas’ûd, et d’autres.
(13) Rapporté par At-Tirmidhî dans ses Sunân n°2684 selon Abû Hurayra avec une faiblesse dans la chaine, Al-Hakim dans son Târîkh Naysabûrî et d’autres, et le sens est correct et prouvé par l’expérience.
(14) Rapporté par Abû Nu’aym dans Al-Hilyat ul-Awliyâ’ 1/168.
(15) Rapporté par l’imâm ‘Abd al-Qadîr al-Jilânî dans son Sirr al-Asrâr au chapitre 4 « De la connaissance ».
(16) Le Shaykh et érudit Wahba az-Zuhaylî dans Al-Fiqh ul-islâmî wa adillatuh (4/2664) a relaté les divergences et donc l’avis permissif des anciens savants parmi les hanafites, les malikites, les shafi’ites et les hanbalites, citant aussi ceux qui disaient qu’en l’absence de texte rigoureusement authentifié (sahîh), que c’est la règle de la permission originelle qui s’applique.
(17) Rapporté par At-Tirmidhî dans ses Sunân n°1089 selon ‘Aîsha – hassân selon At-Tirmidhî, Ibn Mâjah dans ses Sunân n°1895, Al-Bayhaqî dans As-Sunân al-Kubrâ n°15095 qui le déclare da’îf, mais Al-Ajluni dans Kashf al-khafa 1/162 le déclare sahîh, Mullah Al Al-Qari dans Muraqât al-Mufayatih 5/2072 n°3152 et d’autres.