Principes de la Religion, adab, fiqh, décadence et souplesse

Il faut rappeler que les principes de la Religion et les finalités de la Loi conditionnent l’application des huddûd comme des peines discrétionnaires (ta’zir) ou des avis juridiques en matière de pratique religieuse individuelle (qui ne peuvent pas sanctionnés juridiquement ceux qui adopteraient tel ou tel avis faisant l’objet d’une divergence entre les écoles ou les juristes et dont les fatâwâ ne sont ici pas contraignantes mais consultatives uniquement, sauf si cela troublerait l’ordre public). Ainsi, chaque avis juridique ou sanction pénale est soumis aux principes supérieurs du fiqh comme la nécessité, la sécurité, la préservation de la vie, de la santé physique et mentale, le moindre mal, l’intérêt général, l’absence de préjudice ou l’atteinte à l’honneur et à la dignité d’une personne, la protection des biens, la liberté de conscience et de culte (tant que cela n’empiète pas sur des crimes ou des troubles à l’ordre public), etc. C’est d’ailleurs cela qui justifie le caractère universel de l’Islam même dans sa dimension juridique, sans quoi l’Islam ne saurait être universel dans ce domaine. Or, cette ignorance de la part de certains Musulmans (y compris des juristes contemporains ou d’anciens juristes rigoristes blâmés déjà durant la période médiévale par de grands imâms comme Hassân al-Basrî, Abû Hanifa, Sufyân at-Thawrî, At-Tahâwi, Abû Hâmid al-Ghazâlî, ‘Abd al-Qadîr Al-Jilânî, Ibn ‘Arabî, Shihâb ud- Dîn al-Qarâfî, Ahmad Ibn Atâ’Llâh As-Sakandâri, ‘Abd al-Wahhâb As-Sha’rânî, ‘Abd al-Ghâni an-Nabulsî, Ibn ‘Abidîn,  Muhammad al-‘Arabi al-Darqâwî, Ahmad Ibn ‘Ajiba, Ahmad Al-‘Alawî, …) a provoqué une énorme confusion qui a engendré de nombreuses querelles, et une vague d’apostasie ou d’extrémistes/renégats kharijites car lorsque les avis basés sur la coutume ne sont plus en phase avec les réalités et conditions de vie actuelles au sein d’une région donnée, le mal l’emporte sur le bien, la confusion et l’angoisse sur la sérénité, l’extrémisme sur la pondération, les troubles sur la paix, etc., ce qui contredit la finalité de la Shari’ah.

  Nous sommes à une époque de décadence, de confusion et d’incompréhension, où du fait de la sécularisation et de l’obscurantisme qu’elle produit, des évidences métaphysiques, intellectuelles, scientifiques, théologiques et juridiques sont contestées ou oubliées dans la vie du quotidien, par ignorance, orgueil ou faiblesse mentale et spirituelle de la masse. Les personnes éveillées qui ont encore cette intelligence et cette dignité spirituelle en elles, doivent continuer à incarner l’exemplarité et à ne pas céder à la banalisation des péchés et de l’indécence qui se propagent partout, y compris dans les sociétés dites traditionnelles. Pour autant, ce bouleversement mondial doit être intégré dans la manière de répondre aux défis qu’il pose et à la façon de réagir ces maux qui rongent l’Humanité. Cela exige donc clairvoyance, pondération, souplesse, compréhension et indulgence de notre part face aux victimes (souvent inconscientes) de l’occidentalisation, car elles ne sont souvent pas conscientes des méfaits que cela engendre dans leur vie quotidienne, méfaits dont ils se plaignent sans en connaître les causes profondes, ou du moins sans en avoir toujours conscience. Il faut donc se montrer doux et patients à leur égard, tout en étant fermes et perspicaces contre les criminels et idéologues endurcis qui manipulent sciemment les gens afin de les tromper et de les plonger dans les ténèbres de l’égo et dans la misère (sociale, psychologique, économique, politique, etc.).

  Il faut dès lors se situer entre les charlatans qui égarent les gens et les extrémistes qui prétendent tout interdire avec dureté ou violence, car ces 2 tendances contribuent au déséquilibre de nos sociétés et à alimenter le chaos, les premiers par leurs idéologies et les seconds par leurs méthodes inappropriées et obsolètes.

  Le Messager d’Allâh (ﷺ) a dit : « Allâh Tout-Puissant ne m’a pas envoyé pour être dur, strict, rigoriste ni pour rendre les choses pénibles ou faire du mal (aux gens), mais Il m’a envoyé plutôt pour enseigner (de façon conciliante et sage) et comme facilitateur (pour rendre aux gens les choses plus faciles en œuvrant dans le bien et en s’éloignant du mal) »[1].

  Le Messager d’Allâh (ﷺ) a dit aussi : « Ô Allâh, de même que Tu as embelli ma création, embellis aussi mon caractère »[2] ; « J’ai été envoyé (essentiellement) pour parfaire (et enseigner) les nobles vertus et les nobles caractères »[3] ; « Ô vous les gens ! Certes je ne suis qu’une miséricorde (empreinte d’amour rayonnant) qui a été donnée (aux gens par Allâh) »[4], ainsi que sa réponse à des Compagnons lui demandant d’invoquer contre des combattants ennemis (idolâtres) : « Certes, je n’ai pas été envoyé comme maudisseur (pour les gens), je n’ai été envoyé (essentiellement) que comme miséricorde et amour rayonnant (pour les gens) »[5].

   Et enfin, le Messager d’Allâh (ﷺ) a dit : « Faites preuve de clémence tout en étant indulgents et tolérants (envers les gens), ne soyez pas durs, rigoristes ou brusques envers eux. Annoncez-leur (plutôt) de bonnes nouvelles (des bienfaits divins dans ce monde et dans l’Au-delà) et ne suscitez pas d’aversion (envers la Religion ou envers vous). Facilitez-leur les choses et ne leur compliquez pas davantage les choses. Travaillez en collaboration et ne soyez pas divisés »[6]. Or, par leur ignorance, leur dureté, leur manque de sagesse et de clairvoyance, et leur absence du sens de la justice et de l’équité, combien de gens se sont éloignés de la Religion ou l’ont abandonné à cause du fanatisme de certains, combien de couples et de familles se sont brisés ou ont été empoisonnés à cause de leur rigorisme, et surtout d’interdire des choses qu’Allâh avait autorisé, de priver certains enfants ou les épouses de leurs droits que l’Islam leur avait conféré, tout comme les fanatiques autorisaient des comportements malsains que l’Islam condamnait pourtant !

« Il n’y a rien de bon ni de louable dans leurs conversations, excepté pour celles qui prônent la charité, ou le bien (par les bonnes œuvres), ou le fait de faire la paix ou une conciliation entre les gens » (Qur’ân 4, 111) et « (…) Vous montrez conciliants est plus proche de la piété. Et n’oubliez pas d’user de bonté et de bienveillance les uns envers les autres, puisqu’Allâh voit parfaitement tout ce que vous faites » (Qur’ân 2, 237).

  Prenons à notre époque le cas du voile (pour la femme). Des gens pervers et/ou ignorants tentent de faire croire que le voile n’est pas un précepte important, ou pire, qu’il n’est même pas « islamique » alors qu’il se trouve mentionné très clairement dans le Qur’ân et la Sunnah, et qu’il a été mis en pratique à chaque génération par les femmes musulmanes et ce depuis l’époque prophétique. Mais en raison de l’ignorance des uns, de l’hypocrisie des autres, et de la perversion des charlatans, beaucoup usent d’artifices malhonnêtes pour tenter d’éloigner les femmes de la pudeur, dont les bienfaits sont pourtant immenses et observables, aussi bien pour les femmes que pour les hommes. L’absence de pudeur, de nos jours, conduit d’ailleurs hommes et femmes à se comporter de façon violente, indécente, superficielle et hypocrite les un(e)s envers les autres. Quant au contexte français, dans la très grande majorité des cas porter le voile n’est pas une revendication politique mais une démarche spirituelle, religieuse, culturelle ou sociale, et même si c’était le cas, cela ne poserait aucun problème en soi, sauf si elles voudraient l’imposer aux autres contre leur gré… La liberté politique autorise ce genre de revendications.

  Le voile existait par ailleurs avant l’Islam mais n’était pas une pratique « païenne » ou propre aux idolâtres, il existait dans toutes les grandes civilisations à leur âge d’or (chez les Perses avant l’Islam, chez les Romains avant le Christianisme, chez les Grecs de l’Antiquité, chez les Hindous, etc.) avant que leurs traditions ou sociétés ne dégénèrent vers l’idolâtrie et la débauche (les 2 sont souvent corrélées d’ailleurs). Le voile faisait aussi partie de la culture millénaire française, et reste une prescription religieuse aussi dans le Judaïsme, le Christianisme et d’autres religions ou cultures que l’Islam…

  Si le discours irrationnel, intolérant, grossier et fanatique des islamophobes à l’encontre du voile est bien connu et réfuté, le mal vient aussi parfois de certaines personnes se réclamant (hypocritement ou non) de l’Islam, et qui pour bien se faire voir auprès des autorités politiques islamophobes ou pour faire le buzz et gagner de l’argent, préfèrent encourager les gens dans le culte de l’ego et le consumérisme, plutôt que dans la spiritualité et la sagesse. Ils suivent ainsi les étapes du shaytan :

1) banaliser les péchés

2) jouer sur l’émotion et dire qu’ils veulent juste débattre du sujet sans prendre parti

3) introduire ce péché et cette opinion déviante parmi les divergences acceptables

4) éloigner les gens des finalités de l’islam et des questions qui font consensus (et qui ne comportent aucun problème éthique en soi)

5) éloigner les gens de l’islam pour les mener à la mentalité consumériste et néolibérale

6) assumer plus tard leur position lorsque les mentalités ont été mieux préparées et affaiblies pour accepter ces déviances.

  Mais il faut savoir que même s’il n’existait aucun texte sur le voile (et il en existe plusieurs, qui sont explicites dans le Qur’ân et la Sunnah), celui-ci est avant tout lié à la spiritualité, au social et à la valeur morale de la pudeur qui est centrale en islam, ce qui serait suffisant pour en démontrer sa nécessité et son importance, aussi bien à l’égard de la société que du cheminement spirituel (éduquer sa nafs par le voile). Par contre, effectivement, ce n’est pas un pilier de la religion ni un acte annulatif de l’islam en cas de négligence (du port du voile) – sauf si la personne prétend en connaissance de cause que le voile est anti-islamique ou n’est pas évoqué dans le Qur’ân (en tant que prescription religieuse : l’avis ultra-majoritaire parlant même d’obligation, là où des avis marginaux parlent de forte recommandation). Il faut aussi dénoncer par ailleurs ceux qui usent de violence physique ou psychologique contre celles qui ne le portent pas (pour diverses raisons) ou qui voudraient les forcer contre leur gré à le porter, alors que ni les parents, ni les frères ni personne ne peuvent imposer par la force ce genre de choses en Islam, pas même les autorités politiques (qui peuvent tout au plus ordonner son port obligatoire, et les sanctionner pénalement – par des amendes ou licenciements par exemple – en cas de non-respect, mais pas par la violence ou l’oppression). Par ailleurs, lorsqu’il s’agit de préceptes islamiques relevant de ce qui est individuel et personnel (comme la prière, le jeûne, le port du voile, le port de la barbe ou du turban, etc.), aussi importants soient-ils du point de vue de la pratique et de la doctrine, et même s’ils peuvent aussi avoir un lien avec la communauté, l’Islam ne stipule jamais de sanctions pénales dans ce genre de choses – contrairement aux crimes sociétaux -. L’État n’a donc aucune obligation d’élaborer ou d’appliquer des peines légales concernant le manquement des pratiques religieuses, sauf dans les cas où des gens inciteraient à ne pas respecter les codes religieux ou voudraient rendre cela plus difficile aux pratiquants. Les autorités peuvent aussi exiger comme conditions pour le personnel administratif ou politique, de pratiquer les préceptes islamiques (en plus du bon comportement) pour travailler dans les secteurs liés directement à l’État, mais non pas de réprimer les gens (ici Musulmans) qui manqueraient la prière individuelle ou collective, le jeûne (sauf si une personne adopte une attitude explicitement provocante ; et manger ou boire en public de façon discrète car on est malade ou en voyage par exemple, n’en fait pas partie, et est autorisé selon l’Islam). Dans les sociétés traditionnelles où le Sacré faisait l’objet d’un consensus et d’un profond respect, il était normal de sévir contre les fauteurs de troubles et « tout le monde » respectait les codes religieux et culturels sans que cela ne posait de problèmes (et même les avis juridiques les plus durs n’étaient pas appliqués tant les conditions à réunir étaient nombreuses et pratiquement impossibles à exécuter dans les faits), mais dans les sociétés actuelles, la mentalité est toute autre et l’Islam exige d’adapter le fiqh – dans son aspect pénal – en prenant en compte les réalités sociologiques, économiques, psychologiques et culturelles comme l’ont expliqué les grands savants du fiqh et des ussûl. Même dans la da’wah, la sagesse prophétique interdisant d’effrayer, de mépriser ou de déranger les gens qui n’étaient pas très réceptifs – et avec eux la meilleure da’wah (prédication) était d’incarner le bon comportement et d’être au service des gens dans le besoin -, ni de les menacer de « l’enfer » en cas de manquement, mais plutôt de les aborder par des paroles communes sur des sujets universels, puis de leur parler des « bonnes nouvelles » (les bienfaits de la Religion et de ses pratiques bien comprises, le devenir post-mortem et le Paradis, s’éloigner des péchés qui sont associés à la Géhenne en raison de leur gravité et caractère nuisible pour soi-même et la société, etc.).

  Il faut être indulgent et compréhensif, surtout dans nos sociétés modernes qui manipulent les esprits, excitent la nafs et poussent les gens à renoncer à leurs valeurs et principes pour des « opportunités professionnelles » (qui ne leurs garantiront par ailleurs pas le bonheur) ou qui radicalisent les gens au point de les rendre agressifs envers celles qui portent le voile ou les hommes qui portent des habits traditionnels ou qui pratiqueraient leur religion avec sagesse, humilité et pondération, sans les imposer aux autres. Plutôt que de les accabler davantage, les Musulmans doivent fonder de nombreux commerces, instituts ou entreprises pour recruter des femmes voilées où leurs convictions et valeurs seront respectées dans le cadre professionnel, et cela serait déjà bien plus productif et bénéfique.


Notes :

[1] Rapporté par Abû Y’ala dans son Musnad n°2253 selon Jabir – sahîh -, Ahmad dans son Musnad n°14515, An-Nasâ’î dans Sunân al-Kubrâ n°9164, Muslim dans son Sahîh n°1478 et d’autres.

[2] Rapporté par Ahmad dans son Musnad n°24392 selon ‘Aîsha – sahîh -, Al-Bayhaqî dans Al-Du’a al-Kabir n°488 et d’autres, Ibn Hibbân dans son Sahîh n°959 selon Ibn Masû’d – sahîh -, At-Tabarânî dans Al-Du’a n°404, At-Tayalisi dans son recueil n°372, Ibn Sâ’d, Al-Ghazâlî et d’autres.

[3] Rapporté par Mâlik dans Al-Muwattâ’ n°1614, Al-Bukharî dans Al-Adab Al-Mufrad n°273 – sahîh –, al-Hâkim dans Al-Mustadrak n°4221 qui l’a authentifié, Al-Bazzâr, Ahmad et d’autres.

[4] Rapporté par Al-Munawî dans Al Fayd Al Qadîr, hadith n°2583 selon Abû Salîh, Ibn Sa’d et d’autres.

[5] Rapporté par Muslim dans son Sahîh n°2599, Al-Bukharî dans Al-Adab al-Mufrad n°321 d’après Abû Hurayra.

[6] Synthèse des différentes variantes du hadith rapportée par Muslim dans son Sahîh n°1732 selon Abû Mûsâ, n°1733 selon Sa’d Ibn Abû Burda et n°1734 selon Anas Ibn Mâlik qui rapportent ce hadith adressé notamment à Mu’adh Ibn Jabâl quand il devait conseiller et prêcher aux gens.


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