L’éthique de la guerre et de l’altérité humaine selon le Qur’ân et l’Islam

Malgré les nombreuses réfutations qui existent déjà sur le sujet, il est utile de faire un rappel sur ce que dit réellement le Qur’ân concernant les relations intercommunautaires et la guerre.


Rappelons pour commencer que le Qur’ân condamne l’antisémitisme comme toutes les autres formes de racisme ou de persécutions envers les autres communautés ethniques ou religieuses, où le racisme ainsi que le tribalisme, la violence, l’oppression, l’injustice et la misogynie furent d’ailleurs dénoncées et interdites par le Prophète Muhammad (ﷺ) lors de son dernier sermon public dit le Sermon d’Adieu ou le Sermon d’Arafat (1), et invite à ne pas faire d’amalgames entre les justes ou les innocents qui sont pacifiques (qu’ils soient arabes, juifs, chrétiens, musulmans ou autres) et les criminels et perfides parmi chaque peuple (2).

Quant aux versets incriminés, il faut les lire dans leur ensemble et dans leur contexte ; il s’agissait à chaque fois de ceux qui attaquaient ou chassaient les Musulmans de leurs maisons (3) et à ce titre la jyzia n’est pas une humiliation mais une manifestation du fait d’accepter le nouveau pouvoir politique et statut juridique de la Nation (l’autorité des Musulmans sur leurs terres) (4) mais cette fois-ci au nom de la Vérité et par la justice et la solidarité sociale (5), et le combat concerne que ceux qui ont violé leurs pactes et agressé les croyants en premier, comme c’est précisé explicitement dans la Sûrah At Tawba (n°9). La règle générale est évoquée dans plusieurs versets issus de Sûrates différentes : accepter la paix si l’autre camp la propose (6) ; ne combattre que ceux qui nous combattent (7) ; traiter les non-musulmans pacifiques avec respect, justice, équité, bienveillance et bonté (8) ; et aucune action violente ou hostile contre ceux qui se gardent de nous combattre (9).

Quant aux motivations du combat, elle est soit défensive (se défendre contre ceux qui nous attaquent) (10), soit pour neutraliser des terroristes et criminels du banditisme (11), soit pour soutenir des opprimés et peuples persécutés afin de leur venir en aide (12) et cela seulement si les voies diplomatiques et politiques ont échoué (13), et même dans le cas de la guerre, ne jamais s’en prendre délibérément aux non-combattants (enfants, femmes, hommes, vieillards, animaux) qui ne prennent pas part consciemment à la guerre ou à l’oppression (14).


Notes :

(1) « Ô êtres humains ! Nous vous avons créés d’un mâle et d’une femelle, et Nous avons fait de vous des nations et des tribus, pour que vous appreniez à vous connaitre mutuellement. Le plus noble d’entre vous, cependant, auprès d’Allâh, est la personne qui fait le plus preuve de taqwâ – droiture (morale), de piété (religieuse), de vigilance (spirituelle sur son âme) et de justice (envers les autres) -. Allâh est certes Omniscient et Grand Connaisseur » (Qur’ân 49, 13) ; « Nous avons certainement honoré et accordé une dignité aux enfants d’Adam (à l’Humanité) » (Qur’ân 17, 70) ; « Et parmi Ses signes la création des cieux et de la terre et la variété de vos idiomes et de vos couleurs. Il y a en cela des preuves pour les savants » (Qur’ân 30, 22). Le Messager d’Allâh (ﷺ) a dit lors de son sermon d’adieu (le dernier sermon public qu’il a donné) : « Ô vous les gens ! Certes votre Seigneur est Unique et certes votre père (Adam) est unique. Il n’y a pas de mérite ou de supériorité en soi pour un arabe sur un non-arabe, ni pour un non-arabe sur un arabe, ni du rouge sur le noir, ni du noir sur le rouge si ce n’est par la taqwâ (la piété, la justice et la droiture, ainsi que la vigilance contre son ego). Certes celui d’entre vous qui est le plus noble auprès d’Allâh est celui qui a le plus de taqwâ – indépendamment du reste -. Ai-je bien transmis (le Message) ? ».
Ils ont dit : « Certes oui, ô Messager d’Allâh ».
Le Prophète a dit : « Que celui qui est présent transmette à celui qui est absent »
. Rapporté par al-Bayhaqî dans Shu’ab al-Imân n°5137 et Abû Nu’aym dans Hilyat al-Awliya 3/100 selon Jabir, sahîh, et par At-Tahawî avec une variante à la fin disant : « Les gens viennent d’Adam et Adam vient de la poussière ». Dans les versions plus longues, rapportées par exemple par Al-Bukharî et Muslim dans leur Sahîh ou At-Tirmidhî dans ses Sunân, il est rappelé aussi l’interdiction de la tyrannie, de l’oppression et de l’injustice entre les humains (croyants et incroyants) ainsi que l’ordre de cultiver le respect, la bienveillance, la gentillesse, la douceur et la bonté envers les femmes et notamment les épouses, conformément aussi à la portée générale du verset suivant : « Adorez Allâh et ne Lui donnez aucun associé. Agissez avec bonté, bienfaisance et bienveillance envers vos père et mère, les proches, les orphelins, les pauvres, le proche voisin, le voisin lointain, le collègue et le voyageur, et les serviteurs/employés qui sont sous votre responsabilité, car Allâh n’aime pas, en vérité, le présomptueux, l’arrogant » (Qur’ân 4, 36) et cela sans aucune distinction de religion, d’ethnie, d’apparence, de couleur de peau, de sexe, d’âge, de classe sociale, etc.
(2) « Mais ils ne sont pas tous pareils. Il est, parmi les gens du Livre, une communauté droite et juste qui, aux heures de la nuit, récite les versets d’Allâh (parmi les précédentes Révélations) en se prosternant. Ils ont foi en Allâh (Dieu) et au Jour dernier, ordonnent le convenable, interdisent le blâmable et concourent aux bonnes œuvres. Ceux-là sont parmi les gens de bien. Et quelque bien qu’ils fassent, il ne leur sera pas dénié. Car Allâh connaît bien les pieux (Muttaqin) » (Qur’ân 3, 113-115).
(3) « Combattez dans le Sentier d’Allâh (uniquement) ceux qui vous combattent, et sans transgresser ni agresser (les premiers). Certes, Allâh n’aime pas les transgresseurs ni les agresseurs. (…) chassez-les d’où ils vous ont chassé (en premier) (…). S’ils cessent (leur oppression), donc, plus d’hostilités (contre les négateurs), sauf contre les injustes (qui continuent à vous attaquer et à vous opprimer) » (Qur’ân 2, 190-193) ; « Et si l’un des associateurs te demande asile, accorde-le lui, afin qu’il entende la Parole d’Allâh, puis fais-le parvenir à son lieu de sécurité. Car ce sont des gens qui ne savent pas. Comment y aurait-il pour les associateurs un pacte admis par Allâh et par Son Messager ? A l’exception de ceux avec lesquels vous avez conclu un pacte près de la Mosquée sacrée. Tant qu’ils sont droits, justes et loyaux envers vous, soyez aussi droits, justes et loyaux envers eux. Car Allâh aime les pieux qui cultivent la justice et la droiture. Comment donc! Quand ils triomphent de vous, ils ne respectent à votre égard, ni parenté ni pacte conclu. Ils vous satisfont de leurs bouches, tandis que leurs coeurs se refusent; et la plupart d’entre eux sont des pervers.
Ils troquent à vil prix les versets d’Allâh (le Qur’ân) et obstruent Son chemin. Ce qu’ils font est très mauvais!
Ils ne respectent, à l’égard d’un croyant, ni parenté ni pacte conclu. Et ceux-là sont les transgresseurs et les agresseurs. Mais s’ils se repentent, accomplissent la Salat et acquittent la Zakat, ils deviendront vos frères en religion. Nous exposons intelligiblement les versets pour des gens qui savent. Et si, après le pacte, ils violent leurs serments et attaquent votre religion, combattez alors les chefs de la mécréance – car, ils ne tiennent aucun serment – peut-être cesseront-ils ? Ne combattrez-vous pas des gens qui ont violé leurs serments, qui ont voulu bannir le Messager et alors que ce sont eux qui vous ont attaqués les premiers ? Les redoutiez-vous ? C’est Allâh qui est plus digne de votre crainte si vous êtes croyants! (…)
» (Qur’ân 9, 6-13). Allâh conditionne donc le combat par les violences et trahisons causées par les autres, et exhorte les croyants à cibler en priorité les chefs pour faire cesser la guerre le plus rapidement possible et en évitant de faire de grands bains de sang au niveau des exécutants (soldats, mercenaires, combattants, etc.) qui ne se contentent (malheureusement) que d’obéir aveuglément à des chefs injustes et perfides.
(4) « Combattez [parmi ceux qui vous combattent] ceux qui par Allâh et en vue du Jour dernier ne cultivent pas la foi, ceux qui n’interdisent pas ce qu’Allâh et son Messager ont interdit [faisant donc preuve d’injustice et de transgression] en ne respectant pas le droit de la justice, et ceux qui parmi les Gens/Familles du Livre [qui vous combattent], ne s’acquittent pas du Culte pur dû au Vrai, à moins qu’ils ne versent directement la jyzia en toute humilité [envers l’autorité politique musulmane légitime ] » (Qur’ân 9, 29). Le segment « en toute humilité » est la meilleure traduction au vu du contexte. C’est aussi la compréhension des Califes bien-guidés, des savants comme As-Shafi’i, An-Nawawî, Al-Qarâfî, Ibn al-Qayyîm et d’autres – disant que l’avis contraire n’a aucun fondement -, et qui est conforme à la pratique prophétique, exigeant que la jyzia tout comme la Zakât soit prise avec douceur, sans humiliation, sans oppression ni violence (cf. Aussi le Pacte de Najrân rapporté par Abû Yûsuf dans Al-Kharâj et les ahadiths sur le sujet rapportés par Al-Bukhari dans son Sahih, Al Adab al-Mufrad et son Târîkh, Muslim dans son Sahîh, Abû Dawûd dans ses Sunân, Al-Bayhaqî dans ses Sunân Al-Kubrâ et d’autres) et ce sont aussi les choix de traduction des linguistes, théologiens et chercheurs Maurice Gloton (Shaykh ‘Ubaydullâh) et Jean-Louis Michon. Les 2 étaient des spécialistes de la langue arabe et du français, de la spiritualité islamique (le Tasawwuf), de la théologie musulmane et du Qur’ân. Outre l’étude des sciences islamiques J-L. Michon était aussi un juriste et un spécialiste de l’art. Voir aussi la synthèse faite par le spécialiste du fiqh et de la Shar’îah le Dr. Jamal Badawi sur Le droit des non musulmans en terre d’islam et l’impôt jyzia : https://youtu.be/2PxKZFMbptA
(5) « Nous avons envoyé Nos Messagers avec des preuves évidentes, et fait descendre avec eux le Livre et la Balance, afin que les gens établissent l’équité et la justice » (Qur’ân 57, 27). La « Balance » désigne ici l’intelligence, la justice, la clairvoyance, la vertu, la bienfaisance et la droiture qui doivent accompagner la lecture, la compréhension et l’application du Livre (la Révélation). Le Prophète (ﷺ) a dit aussi : « La première chose qui sera mise sur la balance (le Jour du Jugement) est le bon comportement cultivant les nobles caractères (envers les autres) » (Rapporté par Ahmad dans son Musnad n°27517 selon Abû ad-Dardâ’, sahîh). Et la variante : « Quiconque a reçu sa part de compassion, de miséricorde et d’amour bienveillant a reçu sa part de bien. Quiconque à qui on refuse sa part de compassion, de miséricorde et d’amour bienveillant a été privé de sa part de bien. Le Jour de la Résurrection, rien ne pèsera plus lourd dans la Balance du croyant que le bon comportement cultivant les nobles caractères et les bonnes manières (envers les gens). Et Allâh réprouve l’individu (au comportement) indécent, mauvais, vil, obscène, outrancier et grossier » (Rapporté par Al-Bukharî dans Al-Adab al-Mufrad n°464 selon Abû ad-Dardâ’, sahîh, At-Tirmidhî dans ses Sunân n°2002 qui rapporte la fin du hadith, An-Nawawî dans son Riyâd As Salihîn n°625 et d’autres).
(6) « Et s’ils inclinent à la Paix, incline vers celle-ci (toi aussi) et place ta confiance en Allâh, car c’est Lui l’Audient, l’Omniscient. Et s’ils veulent te tromper, alors Allâh te suffira. C’est Lui qui t’a soutenu par Son secours, ainsi que par (l’assistance) des croyants » (Qur’ân 8, 61-62).
(7) « Combattez dans le Sentier d’Allâh (uniquement) ceux qui vous combattent, et sans transgresser ni agresser (les premiers). Certes, Allâh n’aime pas les transgresseurs ni les agresseurs. Et éliminez-les (ceux qui vous combattent) où que vous les rencontriez (sur le champ de bataille) et chassez-les d’où ils vous ont chassé (en premier) ; la fitna (l’oppression, le chaos, la sédition, le trouble, la persécution, l’imposition du kufr et du shirk, …) est pire que le (simple) meurtre (isolé). Mais ne les combattez pas près de la Mosquée Sacrée (la Ka’ba de la Mecque) avant qu’ils ne vous y aient combattus. S’ils vous y combattent, combattez-les donc. Telle est la rétribution des négateurs (qui vous attaquent). S’ils cessent (leurs oppressions, attaques et persécutions), alors Allâh est certes, Pardonneur, Miséricordieux et Amour-Rayonnant. Combattez-les (alors) jusqu’à ce qu’il n’y ait plus de fitna (oppression, persécution, …) et que la Religion soit entièrement à Allâh seul (et qu’il soit possible de la pratiquer en toute dignité et liberté). S’ils cessent (leur oppression), donc, plus d’hostilités (contre les négateurs), sauf contre les injustes (qui continuent à vous attaquer et à vous opprimer) » (Qur’ân 2, 190-193). L’imâm, historien et exégète At-Tabarî dans son Tafsîr (2/190) commente en rapportant l’avis de Ibn ‘Abbâs (le cousin du Prophète) qui dit : « Ne tuez ni femmes, ni enfants, ni vieillards, ni quiconque vient à vous avec la paix et qui retient sa main de vous combattre, car si vous faisiez cela, vous auriez certainement transgressé » ainsi que l’avis de ‘Umar Ibn ‘Abd al-‘Azîz : « Cela fait référence aux femmes, aux enfants et à quiconque ne vous fait pas la guerre parmi eux (les gens des autres nations) ».
(8) « Il se peut qu’Allâh établisse de l’amitié ou un amour fraternel entre vous et ceux d’entre eux dont vous avez été les ennemis. Et Allâh est Omnipotent et Allâh est Pardonneur, Très-Miséricordieux et Rayonnant d’Amour. Allâh ne vous défend pas d’être bienfaisants, bons, bienveillants, généreux, justes et équitables envers ceux qui ne vous ont pas combattus pour la Religion et ne vous ont pas chassés de vos demeures. Car Allâh aime les équitables et les justes. Allâh vous interdit seulement de prendre pour alliés ceux qui vous ont combattus pour la Religion, chassés de vos demeures et ont aidé à votre expulsion. Et ceux qui les prennent pour alliés sont les injustes » (Qur’ân 60, 7-9).
(9) « S’ils s’écartent de vous sans avoir eu à vous combattre, et s’ils vous proposent la paix, alors Allâh n’établira pour vous aucun recours (hostile ou violent) contre eux » (Qur’ân 4, 90) et « Et si l’un des associateurs (qui a renoncé au combat) te demande asile, accorde-le lui, afin qu’il entende la parole d’Allâh, puis fais-le parvenir à son lieu de sécurité. Car ce sont des gens qui ne savent pas » (Qur’ân 9, 6).

(10) « Autorisation est donnée à ceux qui sont attaqués (de se défendre) – parce que vraiment ils sont lésés ; et Allâh est certes Capable de les secourir » (Qur’ân 22,39). Le Messager d’Allâh (ﷺ) a dit : « Celui qui est tué en défendant ses biens, est un martyr. Celui qui est tué en défendant sa religion, est un martyr. Celui qui est tué en défendant sa vie, est un martyr. Et celui qui est tué en défendant sa famille, est un martyr » (Rapporté par At-Tirmidhî dans ses Sunân n°1421 selon Sa`îd ibn Zayd, sahîh).

(11) « Et, sauf en droit (par nécessité impérieuse et juste), ne tuez point la vie qu’Allâh a rendu sacrée. Quiconque est tué injustement, alors Nous avons donné pouvoir à son proche [parent] » (Qur’ân 17, 33) ; « Quiconque a tué un être humain non coupable de meurtre ou de sédition sur la Terre est considéré comme ayant tué l’humanité tout entière ; et quiconque a sauvé la vie d’un seul être humain est considéré comme ayant sauvé la vie de l’humanité tout entière ! (Cependant) La récompense de ceux qui font la guerre contre Allâh et Son Messager, et qui s’efforcent de semer la corruption, la terreur, l’insécurité, le chaos et l’oppression sur la terre, c’est qu’ils soient tués, ou crucifiés, ou que soient coupées leur main et leur jambe opposées, ou qu’ils soient expulsés du pays. Ce sera pour eux l’ignominie ici-bas; et dans l’au-delà, il y aura pour eux une énorme correction, excepté pour ceux qui se sont repentis avant de tomber en votre pouvoir : sachez qu’alors, Allâh est Pardonneur et Miséricordieux » (Qur’ân 5, 32-34). Ibn Kathîr dans son Tafsîr (concernant le verset 5/32) : « Le verset signifie que quiconque tue une âme sans juste cause telle qu’une punition légale pour meurtre ou pour avoir causé la corruption (le désordre, la terreur, l’insécurité et le chaos) sur terre, alors ce sera comme s’il avait tué tout le monde parce qu’il y a aucune différence entre une vie et une autre ».

Al-Miswar ibn Makhramah a rapporté : « Pendant la période d’ignorance (pré-islamique), Al-Mughirah a accompagné certaines personnes, les a tuées et a pris leurs biens matériels, et plus tard, il finit par embrasser l’Islam. Le Messager d’Allâh a dit : « Quant à ton islam, nous l’avons accepté. Quant à la propriété, c’est la richesse de la trahison et nous n’en avons pas besoin » » (rapporté par Abû Dawûd dans ses Sunân n°2765, sahîh), c’est-à-dire que les biens matériels qu’il avait acquis de cette façon (injuste) tout comme le fait de les avoir tué (même s’ils étaient non-musulmans), cela est incompatible avec l’Islam et que les musulmans n’en ont guère besoin.

« Au milieu des biens qu’Allâh t’a accordés, recherche la Demeure Dernière. Ne néglige pas ta part de ce bas-monde. Sois bon, généreux, bienveillant et bienfaisant comme Allâh l’est avec toi. Ne cherche (et ne sème) pas le fasâd (corruption, insécurité, désordre, oppression, terrorisme, perversion, ..) sur la Terre. Allâh n’aime pas ceux qui sèment le fasâd » (Qur’ân 28, 77).

Dans la tradition islamique, la notion de fasâd englobe toutes les formes de perversion, de corruption, de tyrannie, d’injustice et d’actes semant la terreur ou l’insécurité, ce qui comprend l’interdiction du terrorisme, de la délinquance, de la criminalité, de la pédocriminalité, du viol, de la prostitution, de l’esclavage sexuel, de la dépravation politique, morale ou sexuelle, etc., ainsi que du fait d’imposer aux gens l’oppression, la négation de la foi ou de l’idolâtrie contre leur gré au point de les persécuter et de les pousser à abjurer de leur foi, c’est-à-dire un acte allant à l’encontre de la liberté de conscience et de culte (dans la limite du raisonnable et du vivre-ensemble). Bref, de tout ce qui s’oppose à la justice et à la bonté, et d’ailleurs ce verset enjoint d’une part à faire preuve d’humilité, d’équilibre et de bonté – choses ordonnées par Allâh aux croyants -, et d’autre part, interdit les actes qui s’y opposent et qui sont classées dans la catégorie du fasâd. La notion de fasâd est donc très large, et inclut donc les crimes sociétaux s’apparentant à la notion d’hiraba (comme le vol, le viol, l’agression, le meurtre, le banditisme, le terrorisme, etc.). Bien que les juristes l’interdisent tous en principe, conformément au Qur’ân et à la Sunnah purifiée, ils divergent toutefois sur la nature des peines. Le Qur’ân mentionne plusieurs peines possibles (comme la peine capitale pour les crimes les plus graves, comme le meurtre, le terrorisme ou le viol ; l’expulsion/bannissement, l’emprisonnement, l’amputation d’un certain membre pour les empêcher de commettre d’autres crimes qui menacent la société, etc.). Les autorités politiques et juridiques du pays peuvent aussi suspendre ou choisir entre les différentes peines possibles, selon les cas particuliers, le contexte, l’intérêt général de la nation, etc., ou prendre en compte le pardon ou le dédommagement souhaités par la victime ou la famille des victimes, afin de ne pas appliquer légalement les sanctions pénales maximales (les plus dures). Les criminels et terroristes, s’ils se rendent aux autorités avant qu’on leur mette la main dessus, peuvent aussi bénéficier d’une certaine clémence et d’un allégement de la peine. Voir notamment les explications, entre autres, dans les commentaires des versets 2/11-13 et 5/33 fournies dans The Study Qur’ân (éd. HarperCollins, 2015) sous la direction de Seyyed Hossein Nasr, Shaykh traditionnel, chercheur, islamologue, scientifique et universitaire.

(12) « Et qu’avez vous à ne pas combattre dans le Sentier d’Allâh, et pour la cause des opprimés (qui n’ont pas la capacité de se défendre face aux injustes) : hommes, femmes et enfants qui disent : « Seigneur! Fais-nous sortir de cette cité, dont les gens sont injustes, et assigne-nous de Ta part un allié, et assigne-nous de Ta part un secoureur » » (Qur’ân 4, 75).

(13) « Toutes les fois qu’ils allument un feu pour la guerre, Allâh l’éteint. Et ils s’efforcent de semer le désordre, la terreur, le banditisme et le chaos sur la terre, alors qu’Allâh n’aime pas les semeurs de désordre, de terreur, de barbarie et de chaos » (Qur’ân 5, 64). Par déduction, ce verset interdit aux Musulmans de semer le trouble, le désordre, le chaos, la violence, l’insécurité ou la terreur sur la terre, car il s’agit d’actions clairement prohibées et condamnées par Allâh. Le Messager d’Allâh (ﷺ) a dit : « En vérité, après moi, il y aura des conflits et des affaires difficiles, donc si vous parvenez à y mettre un terme par la paix ou à la maintenir, alors faites-le » (Rapporté par Ahmad dans son Musnad n°697 selon ‘Alî, sahîh). Peu importe la nature des conflits et querelles (envers d’autres Musulmans ou envers des non-Musulmans), qu’elle soit politique, théologique, juridique, ethnique, linguistique, idéologique, etc., l’islam nous demande de gérer cela de façon pacifique dans une approche équilibrée permettant d’éviter l’oppression, la persécution, l’effusion de sang, l’agression et le meurtre. D’où l’appel de l’Islam à maitriser son ego et à se discipliner à tous les niveaux, et surtout par la langue, le cœur, la main et aussi dans un autre registre, par rapport à la sexualité et aux désirs. Le Messager d’Allâh (ﷺ) a dit : « L’homme fort n’est pas celui qui est fort en lutte (qui terrasse son adversaire extérieur), mais c’est celui qui arrive à maitriser son égo et à ne pas céder à la colère » (Rapporté par Ibn Hibbân dans son Sahîh n°717 selon Abû Hurayra, sahîh, Al-Bukharî dans son Sahîh n°6114 et dans Al-Adab Al-Mufrad n°1317, Muslim dans son Sahîh n°2609, Mâlik dans Al-Muwattâ’ n°1647, An-Nawawî dans Riyâd as-Salihîn n°45 et d’autres).

(14) Le Messager d’Allâh (ﷺ) a dit : « Remplissez pleinement votre engagement en étant digne de confiance envers ceux en qui vous vous êtes librement engagés, et ne trahissez pas (en retour) celui qui vous a trahit » (Rapporté par At-Tirmidhî dans ses Sunân n°1264 selon Abû Hurayra, hassân).

Le Messager d’Allâh (ﷺ) a dit : « Combattez (ceux qui vous combattent), mais ne brisez pas un pacte et ne trahissez pas, ne mutilez pas les corps des ennemis, et ne tuez sous aucun prétexte un nouveau-né, un enfant, une femme, un vieillard ou un ermite ; ne coupez aucun arbre et ne démolissez aucune maison » (Rapporté par Muslim dans son Sahîh n°1731 en partie et qui rajoute aussi le fait qu’il faut proposer 3 solutions aux combattants ennemis dont celles de la paix ou de la jyzia afin d’éviter la guerre, et les autres parties sont rapportées notamment par An-Nasâ’î, Ibn Mâjah et Abû Dawûd dans leur Sunân). Le Prophète (ﷺ) a dit aussi : « Ne tuez pas les femmes ou les travailleurs (qui ne combattent pas » (rapporté par Abû Dawûd dans ses Sunân n°2669) et « Ne tuez pas d’enfants ou de travailleurs » (rapporté par Ibn Mâjah dans ses Sunân n°2842). Le Messager d’Allâh (ﷺ) a dit : « En vérité, le plus tyrannique des êtres humains auprès d’Allâh est celui qui tue ceux qui ne l’ont pas combattu » (Rapporté par Ahmad dans son Musnad n°15943 selon Abû Shurayh, sahîh).

Alors même qu’en temps d’expédition, tuer des non-combattants est interdit, que dire en temps de paix, dans une zone où il n’y a pas la guerre et où les fidèles d’une autre religion se tenaient à l’écart de toute attitude belliqueuse et hostile ? En effet, le Calife et beau-père du Prophète (ﷺ), Abû Bakr, – en reprenant les paroles prophétiques – dit à Yazid Ibn Abi Sufyân, le commandant de l’expédition : « (…) Je vous recommande 10 choses : « Ne tuez pas les femmes, les enfants, les personnes âgées et les infirmes. Ne coupez pas les arbres fruitiers. Ne détruisez pas les lieux inhabités. Ne tuez pas les moutons ni les chameaux, sauf pour vous nourrir. Ne brûlez pas les abeilles et ne les effrayez pas. Ne volez pas du butin et n’agissez pas en lâches » (Rapporté par At-Tabârî dans son Tarîkh, Mâlik dans Al Muwattâ’, Livre 21, récit n°10 et d’autres). Preuve que la conversion forcée ou tuer des civils restaient interdits même après la mort du Prophète (ﷺ), et où ces interdictions ne furent jamais abrogées. Il y a encore la parole de Abû Bakr qui interdit de tuer les « gens des monastères (« as’hâb us-sawâmi’») » comme le rapporte Ibn Qudâma dans Al-Mughnî (12/723-724)

Il est rapporté également que le Calife ‘Umar ibn al-Khattâb a dit : « Ne volez pas le butin, ne trahissez pas l’ennemi (et la parole donnée), ne mutilez pas les morts, ne tuez pas les enfants et craignez Allâh à l’égard des agriculteurs qui ne vous font pas la guerre » (rapporté par Sa’îd Ibn Mansûr dans ses Sunân n°2466 selon Zayd Ibn Wahb).
L’imâm Ibn Qudâma Al-Hanbalî dit dans Al-Mughnî (7617) dit : « Nous adhérons à la parole d’Umar. Les Sahâba (Compagnons) du Messager d’Allâh (ﷺ) n’ont pas tué les agriculteurs lorsqu’ils ont libéré les terres parce qu’ils ne se battent pas. En cela, ils ressemblent à des vieillards et à des prêtres (qu’on ne tue pas) ».

Le Shaykh Ibn Taymiyya a dit dans Al-Nubûwât (1/140) : « (…) les incroyants (non-musulmans) ne sont combattus qu’à condition qu’ils fassent la guerre, comme cela est mentionné par la majorité des savants et comme cela est évident dans le Livre (Qur’ân) et la Sunnah ».

Le Shaykh et Dr. Wahbah Mustafa al-Zuhayli (1932– 2015) d’origine syrienne était un grand savant ayant étudié le Qur’ân et ses sciences, l’exégèse (Tafsir), les sciences du Hadith et la Sirah prophétique, la théologie, la logique, les fondements de la Religion (Ussûl ud-Dîn), la philosophie juridique, les fondements du fiqh (ussûl Al Fiqh), les finalités de la Loi (maqâsîd as-Shari’ah), la langue arabe et la grammaire, la physique, la poésie et la littérature, le Tajwid, le Tasawwuf, le fiqh comparé (notamment au sein des 8 grandes écoles juridiques), le droit international, le fiqh selon les 4 écoles sunnites (malikite, shafi’isme, hanafisme et hanbalisme), la philosophie morale et politique, l’économie, et quelques autres sciences. Auteur de plusieurs ouvrages importants, certains d’entre eux sont devenus des références étudiées dans plusieurs pays Musulmans comme Ussûl Al-Fiqh Al-Islâmî (les fondements et racines du fiqh), Al-Fiqh Al-Islâmî wa Adillatuh (le fiqh et ses arguments), Athar al-Harb fi al-Fiqh al-Islami : Dirasa Muqarin (une étude comparative sur les influences de la guerre dans le fiqh), al-‘Alaqat al-Dawali fi al-Islam (sur les relations internationales en islam), al-Huqûq al-Insan fi al-Fiqh al-Islami bi al-Ishtirak ma` al-Akhirîn (sur les droits humains concernant les autres selon le fiqh), Tafsîr al-Munîr (une exégèse du Qur’ân en 17 volumes), Haqq al-Huriyah fi al-‘Alam (le droit de la liberté dans le monde), Asl Muqaranit al-Adyan (les bases en religions comparées), etc.

Il conclura son étude sur le Jihâd armé en disant que l’Islam ne le permet que dans 3 situations précises : (1) « Agression contre les musulmans, individuellement ou collectivement, en tant que prédicateurs de l’islam, ou dans une entreprise visant à les pousser à l’apostasie ou de déclencher une guerre contre eux » ; (2) « Assistance aux victimes d’injustice, qu’elles soient individuelles ou collectives – mais sous plusieurs conditions – » ; (3) « Légitime défense et défense contre les attaques ennemies dirigées contre sa patrie ».
Il rappelle aussi que la conversion forcée est interdite, qu’il est interdit de tuer les non-combattants (hommes, femmes, enfants, animaux) tout comme il n’est pas permis de détruire des biens matériels (y compris les infrastructures) même en temps de guerre s’ils ne sont pas directement liés au domaine militaire. Et bien évidemment, le recours au terrorisme est prohibé et condamné par l’islam.

L’ordre prophétique, conformément au Qur’ân, est l’interdiction absolue de tuer les non-combattants dont les femmes, les enfants, les personnes menant une vie contemplative loin des zones de guerre, les travailleurs, les agriculteurs, les personnes âgées, etc. comme cela est mentionné explicitement dans la Sunnah (dont les recueils d’Al-Bukhari, Muslim, Abû Dawûd n°121, At-Tirmidhî n°9, Ibn Mâjah n°30, Ad-Dârimî n°25, Ahmad 2/122/123 et d’autres dans les chapitres correspondants), conformément aussi à l’avis retenu dans les 4 écoles sunnites de fiqh comme le rappelle le Shaykh Al-Zuhayli dans Al-Fiqh ul-Islami (6/421-423). Par ailleurs, l’imâm Ibn Hajar al ‘Asqalânî dans Fath ul-Barî (6/147) précise que selon les imâms Mâlik et Al-Awzâ’î : « Les femmes et les enfants ne peuvent pas être tués même s’ils sont utilisés comme boucliers (humains) par l’ennemi ».


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