Le renouveau doit passer par une réforme de la conscience et non pas par des confrontations stériles et superficielles

Comme nous l’avions déjà écrit dans de précédents articles, les débats contemporains se multiplient entre les partisans de la réforme moderniste et les partisans du fiqh traditionnel, avec leurs différentes tendances respectives. Mais d’un côté comme de l’autre, il ne semble pas y avoir de réconciliation possible, chacun campant sur ses positions, et ne voulant pas comprendre que le problème se situe en amont.

Nous introduirons cet article en citant une réflexion de notre cher Sofiane Meziani, qui dit : « Pour conclure, appelons une sagesse censée frapper par son évidence : il faut penser à changer l’homme plutôt que la société, le croyant plutôt que la communauté. Contrairement à la vision moderne, la perspective traditionnelle met l’accent sur la transformation intérieure de l’homme plutôt que sur la révolution ou le changement extérieur de la société, qui, toujours au regard de la Tradition, n’est jamais une fin mais un support de transformation individuelle, un dépôt collectif du Sacré. Car devant Dieu, nous sommes jugés individuellement, non collectivement, c’est l’homme, non la société, qui rend compte de ses actes. L’une des plus graves anomalies de l’époque moderne est de croire en la possibilité de bâtir une société meilleure sur la base d’individus dépravés. Une telle erreur de perspective repose sur l’idée selon laquelle le « mal » et l’injustice résident dans les structures sociales, et non dans la dérive spirituelle et morale de l’humanité » (Sofiane Meziani, Le Souffle de l’Esprit – ou comment faire face au culte de la matière, éd. Albouraq, 2020, p.44).

En effet, c’est d’abord à partir de la réalisation intérieure du Prophète, qu’il a pu éduquer et changer ses proches et sa communauté, et c’est avec l’éclosion de la nouvelle communauté, que la société a pu positivement changer. De même, ce n’est pas en bricolant ou en réformant maladroitement la théologie ou le droit (fiqh) que les choses changeront réellement, mais ce sont les mentalités qui doivent être réformées, et donc la perspective métaphysique quoi doit se renouveler et apporter une lumière nouvelle pour interagir avec le Divin, le cosmos, la nature et la société.

L’Islam, de par son caractère universel et miséricordieux, tolère et comporte plusieurs degrés de musulmans. Les musulmans de la masse, les musulmans avancés dans la voie spirituelle et les musulmans de l’élite spirituelle.

Cela se reflète dans le fiqh avec les différents statuts légaux parmi les choses autorisées : ce qui est permis, ce qui est recommandé et ce qui est obligatoire.

Parmi les choses autorisées parmi les juristes, mais qui ne sont ni obligatoires ni fortement recommandées, il y a toute une série de pratiques culturelles qui ne posaient pas forcément problème aux mentalités anciennes ou contemporaines dans certaines régions du globe, car leurs priorités étaient ailleurs et leur conscience tournée vers le Sacré faisaient que certaines pratiques étaient acceptées ou relativisées, sans que l’individualisme et le sentimentalisme prennent le pas sur les nécessités socioéconomiques, et que tous, bon gré ou malgré, enduraient mieux les malheurs ou les épreuves et faisaient preuve de plus de patience que les gens de l’époque moderne.

De même, certaines pratiques anciennes qui sont aujourd’hui contestées, étaient parfois rendues légitimes par les conditions spécifiques de l’époque, et où les conditions de notre temps ont tellement changé qu’il n’y a plus de nécessité et d’utilité de les maintenir, en tout cas pas dans la forme qui prévalait auparavant.

On ne peut pas s’offusquer du fait que tous ne soient pas des saints, c’est-à-dire des êtres qui sont tellement proches de leur Seigneur, qui ne causent aucune nuisance à autrui, qui se détournent des futilités, et n’accomplissent que ce qui est obligatoire, fortement recommandé et qui réalisent uniquement ce qui est utile et nécessaire dans le cadre de leur cheminement avec Allâh et pour la société. Cependant, si l’on constate clairement qu’une pratique juridique entraine concrètement une nuisance physique, psychologique ou sociale à l’égard d’une personne ou de la société, l’Islam ne l’autorise certainement pas.

Fiqh classique ou réformiste, ce n’est pas là le noeud du débat, car c’est surtout une question d’éducation. Entre l’immense respect que doivent les enfants à l’égard de leur parent, l’obéissance (dans le convenable) que la femme doit à son mari (pour des raisons métaphysiques souvent méconnues, où la femme se réalise dans l’homme, – en se « fondant en lui » et où l’homme ne s’accomplit réellement qu’en manifestant ses dons divers pour le bien-être de sa femme) et d’autres choses du même genre, si l’ambiance sociale n’est pas imprégnée du respect du Sacré, de spiritualité, de l’esprit de justice, de bonté et de compassion, la décadence se manifestera alors de différentes manières.

Et si les parents prennent conscience qu’ils doivent agir avec bienveillance et sagesse envers leurs enfants, prendre en compte leurs besoins et leurs sentiments dans leur choix (à condition d’être raisonné) de leur conjoint, et que le mari prend conscience qu’Allâh lui a enjoint d’assumer les besoins de son épouse, de vivre avec elle par la bonté, l’affection, la concertation et la douceur, beaucoup de problèmes ne se poseront plus, et les esprits malveillants n’essaieront pas de contourner le fiqh classique ou réformiste pour assouvir leurs passions et leur égocentrisme.

Ce n’est pas un hasard, si Allâh dans le Qur’ân, et le Prophète Muhammad (‘alayhî salât wa salâm) dans sa Sunnah, considèrent que les meilleurs croyants de la communauté musulmane sont ceux qui sont humbles et modestes envers leur Seigneur et les habitants de la terre, qui sont doux et bienfaisants envers leurs épouses, compatissants et généreux envers leurs parents tout comme leurs enfants, qui se détournent des futilités et des polémiques stériles, qui sont tournés vers Allâh et le cheminement spirituel, qui ne causent nulle nuisance à leurs proches ou à autrui, qui oeuvrent sincèrement pour le bien de la communauté et de l’humanité, qui préservent leur sexe, leurs paroles et leurs mains de tout rapport interdit, des actions viles ou de préjudices aux gens. Et ceux qui malheureusement suivent une voie où ces vertus sont absentes, ont été blâmés par le Prophète, ne les considérant pas parmi ceux qui font partie des « meilleurs » et de ceux qui seront le plus proche de lui au Jour du Jugement.

Il en va de même avec les enjeux écologiques de notre temps, où multiplier des lois (sur le plan pénal) et réformes superficielles sur le plan économique, ne changera pas le problème de fond, qui se situe au niveau des consciences et du mode de vie, où la surconsommation est ce qui constitue le problème à la racine, ce qui engendre les crises et catastrophes mondiales que nous pouvons tous observer.

Beaucoup de problèmes contemporains s’opposent ainsi aux avis du fiqh classique, en raison du changement de mentalité et du rapport à l’égard du Sacré et du Divin. En effet, avant les gens comprenaient – même si par faiblesse ou par orgueil certains s’y adonnaient -, le fait que leur corps était un dépôt dont ils devaient en prendre soin (excluant la malbouffe, les tatouages nocifs, les piercings partout, la fornication, la drogue, l’alcool, …), que la nature et le monde du vivant avaient aussi des droits qu’il fallait respecter, que les parents avaient tellement d’importance qu’il était inconcevable de les insulter ou de les maltraiter, que les enfants devaient bénéficier d’une attention particulière empreinte de bienveillance et de compassion, que l’on devait se nourrir par nécessité et ne pas gaspiller les ressources naturelles et matérielles, que le sens de la vie était de se rapprocher du Divin par tout ce qu’Il avait enjoint (la méditation spirituelle, l’observation et l’exploration du monde, la prière, la charité et les autres actes de bienfaisance, etc.), qu’il y avait du bien même dans les épreuves difficiles de la vie, etc.

Or, quand la conscience de l’humanité actuelle s’est détournée du Sacré, pour n’envisager les choses que sous le prisme de la matière quantitative, tout a changé, et les catastrophes en même temps que les dérives en tous genres se sont multipliées, et voilà que la terre manifeste ses plaintes et nous montre que les activités humaines rongées par leur propre avidité doublée d’ignorance, engendrent les catastrophes dont nous sommes aujourd’hui les témoins.

Quant aux musulmans, – en tout cas pour ceux qui prétendent à l’excellence et à l’orthodoxie -, qu’ils commencent déjà par s’élever spirituellement, délaissent les paroles obscènes, ne nuisent pas à leur entourage ni aux gens, respectent leurs épouses et leurs parents, soient bienveillants envers leurs enfants, ne gaspillent pas les ressources précieuses, dépensent dans le bien (ou au moins dans le licite, même si c’est pour du divertissement ou une chose agréable qui ne relève pas de la nécessité, mais tant que cela ne consiste pas en des dépenses extravagantes qui auraient pu servir à nourrir des milliers de personnes se trouvant dans une situation misérable) et se mettent au service de la communauté de Muhammad (‘alayhî salât wa salâm) en cherchant sincèrement l’Agrément d’Allâh, tout  en se souciant du bien-être des gens et de la préservation de l’environnement et du bien-être animal, car sur tout cela, nous serons certes interrogés le Jour du Jugement.


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