Le récit de la femme qui ne répondait qu’avec le Qur’ân quand des gens venaient lui parler

Il a été rapporté dans plusieurs recueils (1) une histoire qui s’est déroulée au temps des tabi’în (les disciples des Sahaba). Ce récit relate donc une discussion entre un savant et une femme âgée qu’il rencontra dans le désert. La particularité de cette femme était qu’elle ne répondait aux questions qu’en citant le Qur’ân. L’identité du tabi’i qui a été évoquée est celle de l’imâm et sûfi ’Abdullâh Ibn Al Mubârak (726 – 797), mais parfois aussi le tabi’i Al-Asma’î (740 – 828) qui était un célèbre savant, philologue, botaniste et zoologiste. Il se pourrait également très bien que ces 2 hommes aient eu affaire à la même situation, mais Allâh sait mieux. Quant à l’identité de la femme, certains savants l’ont désigné comme étant Râbi’a Basri ou Umm Yahya. Il existe quelques variantes qui ont été rapportées sur cette histoire – que certains ont d’ailleurs jugé fabriquée bien qu’intéressante -.

« Ibn Al Mubarak : Alors que je me rendais à la ville sacrée (de La Mecque) pour y accomplir le pèlerinage et visiter la tombe du Prophète (ﷺ), j’aperçus sur ma route une silhouette noire. C’était une femme vêtue d’une tunique noire et d’un khimar. Je me suis alors adressé à elle : « Paix et Miséricorde d’Allâh sur vous ».

La femme : « « Salâm » (Paix et salut) ! Parole de la part d’un Seigneur Très-Miséricordieux » (Qur’ân 36, 58) ».

Ibn Al Mubarak : Qu’Allâh vous fasse miséricorde, que faites-vous dans cet endroit ?

La femme : « Et quiconque Allâh laisse égarer, n’a plus personne pour le guider » (Qur’ân 13, 33). Ibn Al Mubarak sut qu’elle s’était égarée et lui demanda donc où est ce qu’elle souhaitait se rendre.

La femme : « Gloire et Pureté à Celui qui de nuit, fit voyager Son serviteur [Muhammad], de la Mosquée Al-Haram à la Mosquée Al-Aqsa » (Qur’ân 17, 1). Ibn Al Mubarak comprit qu’elle avait accompli son pèlerinage et voulait visiter la mosquée sacrée d’Al-Aqsa à Jérusalem. Il lui demanda combien de temps elle était à cet endroit.

La femme : « 3 nuits tout en étant bien portant » (Qur’ân 19, 10).

Ibn Al Mubarak : Avez-vous de quoi manger ?

La femme : « C’est Lui qui me nourrit et me donne à boire » (Qur’ân 26, 79).

Ibn Al Mubarak : Comment faites-vous les ablutions ?

La femme : « Si vous ne trouviez pas d’eau, alors recourez à une terre pure » (Qur’ân 4, 43).

Ibn Al Mubarak : J’ai avec moi de quoi manger, en voulez-vous ?

La femme : « Puis accomplissez le jeûne jusqu’à la nuit » (Qur’ân 2, 187).

Ibn Al Mubarak : Il nous est permis de manger durant le voyage.

La femme : « Mais il est mieux pour vous de jeûner; si vous saviez ! » (Qur’ân 2, 184)

Ibn Al Mubarak : Pourquoi ne me parlez-vous pas comme je vous parle ?

La femme : « Il ne prononce pas une parole sans avoir auprès de lui un observateur prêt à l’inscrire » (Qur’ân 50, 18).

Ibn Al Mubarak : Quel type de personne êtes-vous ?

La femme : « Et ne poursuis pas ce dont tu n’as aucune connaissance. L’ouïe, la vue et le cœur : sur tout cela, en vérité, on sera interrogé » (Qur’ân 17, 36).

Ibn Al Mubarak : Excusez mon erreur !

La femme : « Pas de grief contre vous aujourd’hui ! Qu’Allâh vous pardonne » (Qur’ân 12, 92).

Ibn Al Mubarak : Voulez-vous que je vous porte sur mon chameau jusqu’à rejoindre la caravane ?

La femme : « Et le bien que vous faites, Allâh le sait » (Qur’ân 2, 197). Ibn Al Mubarak fit accroupir son chameau pour qu’elle puisse monter.

La femme : « Dis aux croyants de baisser leurs regards » (Qur’ân 24, 30).

Ibn Al Mubarak : Montez ! Au moment de monter, le chameau s’enfuit et lui déchira ses habits.

La femme : « Tout malheur qui vous atteint est dû à ce que vos mains ont acquis » (Qur’ân 42, 30).

Ibn Al Mubarak : Patientez !

La femme monta sur le chameau et dit : « Gloire à Celui qui nous a soumis tout cela alors que nous n’étions pas capables de les dominer. C’est vers notre Seigneur que nous retournerons » (Qur’ân 43, 13-14). Ibn Al Mubarak prit la laisse et se mit à criailler en marchant avec précipitation.

La femme : « Sois modeste dans ta démarche, et baisse ta voix » (Qur’ân 30,19). Ibn Al Mubarak se mit à marcher doucement tout en déclamant des poèmes.

La femme : « Récitez donc ce qui (vous) est possible du Qur’ân » (Qur’ân 73, 20).

Ibn Al Mubarak : « Il vous a été donné un bien immense ».

La femme : « Mais seuls les doués d’intelligence s’en souviennent » (Qur’ân 2, 269). Ibn Al Mubarak lui demanda, après des heures de route, si elle avait un mari.

La femme : « Ô les croyants ! Ne posez pas de questions sur des choses qui si elles vous étaient divulguées, vous mécontenteraient » (Qur’ân 5, 101).

Ibn Al Mubarak décida alors de ne plus l’interroger. Après avoir rattrapé la caravane il lui demanda : « Connaissez-vous du monde dans cette caravane ? ».

La femme : « Les biens et les enfants sont l’ornement de la vie de ce bas monde » (Qur’ân 18, 46).

Ibn Al Mubarak sut qu’elle avait des enfants et lui demanda ce qu’ils faisaient à La Mecque.

La femme : « Ainsi que des points de repère. Et au moyen des étoiles (les gens) se guident » (Qur’ân 16, 16). Ibn Al Mubarak comprit que ses enfants étaient des guides pour les voyageurs. Il se dirigea alors vers les habitations et demanda à la femme le nom de ses enfants.

La femme : « Et Allâh avait pris Ibrâhîm pour ami privilégié » (Qur’ân 4, 125), « Et Allâh a parlé à Mûsâ » (Qur’ân 4, 164) « Ô ! Yahyâ, tiens fermement au Livre (la Torah) ! » (Qur’ân 19, 12). Ibn Al Mubarak les appelèrent alors : « Ibrâhîm ! Mûsâ ! Yahya ! ». Ils vinrent à sa rencontre et leurs beautés étaient semblables à celle de la lune. Après s’être assis auprès de leur mère, celle-ci leur dit : « Envoyez, donc l’un de vous à la ville avec votre argent que voici, pour qu’il voie quel aliment est le plus pur et qu’il vous en apporte de quoi vous nourrir » (Qur’ân 18, 19). Un d’eux partit alors acheter de quoi manger et le présenta à Ibn Al Mubarak.

La femme : « Mangez et buvez agréablement pour ce que vous avez avancé dans les jours passés » (Qur’ân 69, 24) puis pour lui exprimer sa gratitude pour sa bonne conduite et sa courtoisie, elle récita aussi cet autre verset : « Y a-t-il d’autres récompenses pour l’Excellence et le Bien, que l’Excellence et le Bien ? » (Qur’ân 55, 60). Et leur conversation s’acheva sur ce verset.

Ibn Al Mubarak s’adressa ensuite aux enfants : « Je ne mangerais ce repas que lorsque vous m’aurez informé des raisons qui poussent votre mère à parler qu’avec le Qur’ân ». Les enfants lui dirent : « voilà 40 ans que notre mère ne parle qu’avec le Qur’ân de peur de prononcer une parole inconvenante et causer de ce fait la Rigueur du Miséricordieux ».

Ibn Al Mubarak s’exclama : « Telle est la grâce d’Allâh qu’Il donne à qui Il veut. Et Allâh est le Détenteur de l’immense grâce » (Qur’ân 57, 21).

Notes :

(1) Par exemple par Abû Bakr Muhammad Shata al-Milyâri dans Kifayat al-Atqiya’ wa Minhâj al-Asfiyâ’ sharh Hidayat al-Adhkiyâ’ ila Tariqi al-Awliyâ’ (pp.121-123) sous l’autorité d’Ibn al-Mubârak, et par Ibn Hibbân dans Rawdat ul-‘Uqala’ wa Nuzhat ul-Fudalâ’ sous l’autorité d’Al-Asma’î avec une chaine de transmission mais qui comporte une personne jugée très faible dans le Hadith. L’imâm Muḥammad ibn Hibbân al-Bustî (270 H/884 – 354 H/965) qui fait partie de la dernière génération ayant étudié auprès des Salafs, est l’auteur d’un célèbre recueil de ahadiths communément appelé Sahîh Ibn Hibbân. Il était un savant musulman polymathe, formé à la théologie, au droit, à la logique, au hadith, au Tafsîr, à la langue arabe, à l’histoire, à la médecine, à l’astronomie, à la littérature, aux mathématiques, au Tasawwuf et à d’autres sciences. Il fut également nommé juge (Qâdî) à Samarcande. Il étudia notamment avec An-Nasâ’î et Ibn Khuzayma – 2 grandes autorités dans le Hadith – et eut parmi ses élèves des sommités dans la science du Hadith comme Al-Hakim an-Naysabûri, Ad-Daraqutnî, Al-Khattabi et Ibn Mandah. Il était rattaché à l’école théologique asharite et à l’école juridique shafi’ite. L’imâm Ad-Dhahâbî dans son Siyâr a’lam an-Nubalâ’ le tient en très haute estime et le défendit face au fanatisme de certains de ses opposants. Il écrivit environ 60 ouvrages dépassant la centaine de volumes.


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