Le débat sur l’univers « éternel » ou « créé » chez les philosophes, les théologiens et les métaphysiciens (Frithjof Schuon)

Cette question, qui est à la fois au cœur de la physique comme de la philosophie, fait l’objet de vives discussions entre théologiens, métaphysiciens, physiciens et philosophes depuis de très nombreuses et longues générations. Selon la majorité des physiciens et astrophysiciens de notre époque, les éléments scientifiques à leur disposition, et les différents modèles théoriques en physique, parlent d’un monde (notre univers) créé, émanant d’une « singularité initiale » (1), d’où la matière, le temps et les lois de la physique ont émergé – autrement dit sa cause supérieure est donc supranaturelle -. Et pour reprendre les propos de René Guénon, seul le « Principe » est infini, tandis que Ses manifestations – dont l’ordre temporel – sont indéfinies. En effet, si l’on perçoit difficilement les limites des modalités physiques, ce qui est contingent reste tout de même conditionné par une certaine finitude, au moins sous un certain rapport. Il est cependant faux de penser qu’avant l’apparition de notre univers il n’y avait « rien », puisque le néant n’existant pas – il ne peut rien produire du tout -, il y avait donc au moins le « Principe » – c’est-à-dire la Réalité ultime, ou le Réel voilé pour reprendre l’expression du défunt physicien et philosophe des sciences Bernard d’Espagnat (1921-2015) (2) qui dira aussi ceci : « Au vu de la physique contemporaine je dis que s’il nous faut, à toute force, une explication nous avons à la chercher dans ce qui est plus élevé que nous-mêmes, et qui nous est, par conséquent, mystérieux. C’est le Réel, l’Être, le Divin. C’est de ce côté-là que l’on peut espérer discerner le sens » (3). Par ailleurs, même s’il existe d’autres types de monde (physique ou non) que le nôtre – celui où nous vivons actuellement (notre univers spatiotemporel) -, cela n’infirmerait aucunement le « principe anthropique » (4) de notre monde, ni la nécessité du Principe (absolu et immuable) à l’origine de tous les mondes comme manifestations contingentes – fussent-ils « indéfinis » et donc conditionnés sous certains rapports -, et montrerait tout autant l’impossibilité du hasard, car tout ordre mathématique et toutes formes d’énergie ou sources d’informations ne peuvent en aucun cas relever du « hasard » puisque ce dernier ne peut rien produire en soi et ne peut que « s’appuyer » sur une réalité et des lois qui existent déjà, et même dans la nature des interactions que nous observons et expérimentons, l’existence de la conscience, de l’intelligence et du sens, infirment également sous ce rapport, la croyance au « Hasard bouche-trou » invoqué par des athées ou des agnostiques.

Quant au concept de la « Création ex-nihilo », il ne faut pas l’entendre au sens littéral, tout comme quand on parle de « vide quantique » qui n’est pas réellement vide, en effet, notre monde n’a pas été créé à partir de « rien », mais plutôt n’a pas été créé par lui-même puisqu’il n’a pas sa propre raison suffisante, ni les propriétés intrinsèques nécessaires pour exister à partir de « rien », ce qui indique nécessairement sa dépendance à l’égard du Principe, qu’il soit ou non rattaché ou conditionné par d’autres « chaines causales » à travers différents mondes, qui tous, in fine, prennent « source » en Lui. Il y avait donc bien « une réalité » à l’origine de notre monde (comme nous l’apprennent aussi les Ecritures Saintes, ainsi qu’une célèbre tradition prophétique rapportée notamment par al-Bukharî dans son Sahîh n° 3020 et 6982 : « Allâh était, et il n’y avait rien d’autre que Lui et il n’y avait rien avant Lui »). Ainsi, sans Lui, pas de monde(s) uniques ou multiples, et seul Lui (le Divin) peut manifester les choses sans modèles préexistants, le « kûn faya kûn » du Qur’ân, placé justement dans le contexte de la Création du Monde : « L’Homme ne voit-il pas que Nous l’avons créé d’une goutte de sperme ? Et le voilà [devenu] un adversaire déclaré ! Il cite pour Nous un exemple, tandis qu’il oublie sa propre création; il dit : « Qui va redonner la vie à des ossements une fois réduits en poussière ? ». Dis : « Celui qui les a créés une première fois, leur redonnera la vie. Il Se connaît parfaitement à toute création ; c’est Lui qui, de l’arbre vert, a fait pour vous du feu, et voilà que de cela vous allumez. Celui qui a créé les cieux et la terre ne sera-t-Il pas capable de créer leur pareil ? Oh que si ! et Il est le grand Créateur, l’Omniscient. Quand Il veut une chose, Son commandement consiste à dire : « Sois (adviens) ! » et (alors) elle est (et advient). Alors, Immersion insondable en Lui et Louange à Celui par la Main duquel est le royaume de toute chose ! Et c’est vers Lui que vous serez ramenés (et rappelés) » (Qur’ân 36, 77-83).

Le développement proposé ici par Frithjof Schuon, sur cette question est à ce titre, assez intéressant (même si nous ne lui concédons pas les critiques impertinentes et peut-être aussi mal comprises, qu’il adresse à l’imâm Abû Hâmid al-Ghazâlî quand il aborde la critique de la philosophie et de certains philosophes, lui comme les autres maîtres comme Rûmî, Attâr, Ibn ‘Arabî, Najm ud-Dîn al-Kubrâ d’autres, et qui étaient pourtant aussi des « logiciens », en visant l’approche limitative des philosophes « rationalisants » qui étaient déconnectés ou éloignés de l’illumination spirituelle et de la métaphysique) :

« Pour donner un exemple concret, nous mentionnerons le cas suivant, qui du reste nous intéresse en lui-même et en dehors de toute question de terminologie : les philosophes arabes admettent avec raison l’éternité du monde, car disent-ils. Dieu ne peut pas créer à un moment donné sans se mettre en contradiction avec sa nature même, donc sans absurdité (128) ; Ghazâlî réplique fort ingénieusement — et d’autres le répètent — qu’il n’y a pas d’«avant» par rapport à la création, que le temps «fut» créé avec, pour et dans le monde. Or cet argument n’est pas valable puisqu’il est unilatéral : car s’il sauvegarde la transcendance, l’absolue liberté et l’intemporalité du Créateur par rapport à la création, il n’explique pas la temporalité de celle-ci ; c’est-à-dire qu’il ne rend pas compte de la limitation temporelle d’un monde unique projeté dans le vide du non-temps, limitation qui engage Dieu puisqu’il en est la cause et qu’elle existe par rapport à son éternité (129) ; la nature même de la durée exige un commencement. La solution du problème est que la co-éternité du monde n’est pas celle de notre monde « actuel », — qui forcément a eu une origine et aura une fin —, mais que cette co-éternité consiste en la nécessité de mondes successifs : Dieu étant ce qu’il est, — avec son absolue Nécessité et son absolue Liberté —, Il ne peut pas ne point créer nécessairement, mais II est libre dans les modes de la création, qui ne se répètent jamais puisque Dieu est infini. Toute la difficulté vient du fait que les Sémites n’envisagent qu’un seul monde, le nôtre, alors que les Aryens non sémitisés, soit admettent une série indéfinie de créations, — c’est la doctrine hindoue des cycles cosmiques —, soit envisagent le monde en tant que manifestation nécessaire de la Nature divine et non en tant que phénomène contingent et particulier. Dans cette confrontation entre deux thèses, la théologique et la philosophique, ce sont les philosophes, non les théologiens, — fussent-ils des soufis comme Ghazâlî, qui ont raison; et si l’ésotérisme doctrinal est l’explication de problèmes posés mais non clarifiés par la foi, nous ne voyons pas pourquoi ceux des philosophes qui fournissent cette explication grâce à l’intellection — car le raisonnement pur et simple n’y parviendrait pas, et c’est d’ailleurs la vérité métaphysique qui prouve la valeur de l’intuition qui lui correspond —, nous ne voyons pas pourquoi ces philosophes n’auraient pas autant de mérite que les ésotéristes attitrés; d’autant que, pour paraphraser saint Paul, on ne peut attester les grandes vérités que par le Saint-Esprit. Pour les théologiens, dire que le monde est « sans commencement » revient à dire qu’il est éternel a se, — c’est pour cela qu’ils rejettent cette idée —, alors que pour les philosophes cela signifie qu’il est éternel ab alio, car c’est Dieu qui lui prête l’éternité; or une éternité prêtée est tout autre chose que l’éternité en soi, et c’est pour cette raison précisément que le monde est à la fois éternel et temporel : éternel en tant que série de créations ou rythme créateur, et temporel du fait que chaque chaînon de ce flux a un commencement et une fin. C’est la Manifestation universelle en soi qui est coéternelle à Dieu du fait qu’elle est une expression nécessaire de son éternelle Nature —, le soleil ne prouvant s’abstenir de rayonner, — mais l’éternité ne saurait revenir à telle phase contingente de cette divine Manifestation. La Manifestation est «coéternelle», c’est-à-dire : non éternelle comme seule l’Essence l’est; et c’est pour cela qu’elle s’interrompt périodiquement et se résorbe totalement dans le Principe, si bien qu’elle est à la fois existante et inexistante, et ne jouit pas d’une réalité plénière et pour ainsi dire « continue » comme l’Eternel lui-même. Dire que le monde est «coéternel» signifie néanmoins qu’il est nécessaire en tant qu’aspect du Principe, qu’il est donc «quelque chose de Dieu», comme l’indique déjà le terme de «Manifestation»; et c’est précisément cette vérité que les théologiens se refusent d’admettre, pour d’évidentes raisons puisqu’elle abolit à leurs yeux la différence entre la créature et le Créateur (130). La « coéternité » du monde à Dieu évoque la Matériel universelle d’Empédocle et d’Ibn Masarrah, laquelle n’est autre que le Logos en tant que Substance (amâ =« nuage» ou habâ = «poussière») (131) : ce n’est pas la création en tant que telle qui est coéternelle au Créateur, c’est la virtualité créatrice, laquelle comporte — selon ces doctrines — quatre principes formatifs fondamentaux. Ce sont, symboliquement parlant, le «Feu», l’«Air», l’«Eau», la «Terre» (132), lesquels rappellent les trois déterminations principielles (gunas) incluses en Prakriti : Sattwa, Rajas, Tamas ; la différence du nombre marquant une différence secondaire de perspective (133).

En ce qui concerne la confrontation entre soufis et philosophes, la remarque suivante s’impose ici : si Ghazâlî s’était borné à relever qu’il n’y a pas de réalisation ésotérique possible sans une initiation et une méthode correspondante, et que les philosophes n’exigent en général ni l’une ni l’autre (134), nous n’aurions aucun motif de le blâmer; mais sa critique vise la philosophie en soi, c’est-à-dire qu’elle se situe avant tout sur le plan doctrinal et épistémologique. En fait, la philosophie hellénisante dont il s’agit est neutre au point de vue initiatique, étant donné qu’elle entend fournir un exposé de la vérité, et rien d’autre; les opinions particulières — tel le rationalisme proprement dit — n’entrent pas dans la définition de la philosophie (135). Quoi qu’il en soit, l’ostracisme ghazalien nous fait penser à ces antiques théologiens qui entendaient opposer à la « vaine sagesse du monde » les « larmes du repentir», mais qui en fin de compte ne se privaient pas de construire leurs systèmes à eux, et cela sans pouvoir se passer de l’aide des Grecs, auxquels ils déniaient pourtant le concours du « Saint-Esprit » et partant la « surnaturalité».

Les soufis ne veulent pas être des philosophes, c’est entendu; et ils ont raison s’ils veulent dire par là que leur point de départ n’est pas le doute et que leurs certitudes ne sont pas des conclusions rationnelles. Mais nous ne voyons absolument pas pourquoi, quand ils déraisonnent, ils le feraient autrement que les philosophes; ni pourquoi un philosophe, quand il conçoit une vérité dont il reconnaît le caractère transcendant et axiomatique, le ferait autrement que les soufis.

Ce n’est pas en tant que gnostique, c’est en «penseur» que Ibn Arabî a traité la question du mal, en expliquant celui-ci par la subjectivité et la relativité, avec une logique proprement pyrrhonienne. Ce qui est grave c’est qu’en abolissant pratiquement le mal — puisqu’on le réduit à une optique subjective — on abolit du même coup le bien, qu’on le veuille ou non; et on abolit notamment la beauté, tout en vidant l’amour de son contenu, alors que c’est précisément sur leur réalité et leur connexion nécessaire qu’insiste la doctrine d’Ibn Arabî. Or c’est la beauté qui détermine l’amour, et non inversement : est beau, non ce que nous aimons et parce que nous l’aimons, mais ce qui par sa valeur objective nous oblige à l’aimer; nous aimons le beau parce qu’il est beau, même si en fait il peut arriver que nous manquions de jugement, ce qui ne saurait infirmer le principe du rapport normal entre l’objet et le sujet. De même, que l’on puisse aimer à cause d’une beauté intérieure et malgré une laideur extérieure, ou que l’amour puisse se mêler à la compassion ou à d’autres motifs indirects, ne saurait infirmer la nature ni de la beauté ni de l’amour. Par contre, c’est en tant que gnostique qu’Ibn Arabî a répondu à la question de la liberté : toute créature fait ce qu’elle veut parce que toute créature est au-fond, ce qu’elle veut être: autrement dit, parce qu’une possibilité est ce qu’elle est et non autre chose. La liberté coïncide en dernière analyse avec la possibilité, ce qu’énonce d’ailleurs le récit koranique du pacte initial des âmes humaines avec Dieu; le destin, par conséquent, est ce que la créature veut de par sa nature, donc de par sa possibilité. On peut se demander ce qu’on doit admirer ici davantage ; le gnostique qui a perçu ce mystère ou le philosophe qui a su l’expliciter.

Mais si l’homme fait ce qu’il est, ou s’il est ce qu’il fait, pourquoi s’efforcer de devenir meilleur et pourquoi prier à cet effet? Parce qu’il y a la distinction entre la substance et l’accident : les démérites comme les mérites viennent soit de l’une soit de l’autre, sans que l’homme puisse savoir d’où ils viennent, à moins d’être un « pneumatique » conscient de sa réalité substantielle, et ascendante puisque conforme à l’Esprit (Pneuma). «Qui connaît son âme, connaît son Seigneur»; mais même alors, l’effort appartient à l’homme et la science à Dieu, c’est-à-dire qu’il suffit que nous nous efforcions en sachant que Dieu nous connaît. Il nous suffit de savoir que nous sommes libres dans et par notre mouvement vers Dieu ; notre mouvement vers notre « Soi ».

Sous un certain rapport, la différence entre la philosophie, la théologie et la gnose est totale; sous un autre rapport, elle est relative. Elle est totale quand on entend par « philosophie » le seul rationalisme ; par «théologie», la seule explication des données religieuses; par «gnose», la seule connaissance intuitive et intellective, donc suprarationnelle; mais la différence n’est que relative quand on entend par « philosophie » le fait de penser, par « théologie » le fait de parler dogmatiquement de Dieu et des choses religieuses, par « gnose » le fait de présenter de la pure métaphysique, car alors les genres s’interpénètrent. Il est impossible de nier que les plus illustres soufis, tout en étant « gnostiques » par définition, furent en même temps un peu théologiens et un peu philosophes, ou que les grands théologiens furent à la fois un peu philosophes et un peu gnostiques, ce dernier mot devant s’entendre dans son sens propre et non sectaire.

Si nous tenons à garder au mot philosophe son sens limitatif, voire péjoratif, nous pourrons dire que la gnose ou la pure métaphysique part de la certitude, alors que la philosophie au contraire part du doute et qu’elle ne sert qu’à le surmonter, avec les moyens qui sont à sa disposition et qui veulent être purement rationnels. Mais comme ni le terme « philosophie » en soi, ni l’usage qui en est fait depuis toujours, ne nous obligent à n’admettre que le seul sens restrictif du mot, nous ne ferons en tout cas pas un crime à ceux qui l’emploient dans un sens plus large que celui qui nous paraît opportun (136).

(128) En effet, l’unicité de Dieu exclut celle du monde, dans la succession aussi bien que dans l’étendue ; l’infinité de Dieu exige la répétition du monde, sous les deux rapports : la création ne peut être un événement unique, pas plus qu’elle ne peut se réduire au seul monde humain.

(129) Il y a toutefois pour cette argumentation, que reprend d’ailleurs Ibn Arabî, cette circonstance atténuante qu’elle est la seule façon de concilier la vérité émanationniste avec le dogme créationniste sans devoir donner à celui-ci une interprétation qui s’éloigne trop de la « lettre » ; nous disons « vérité émanationniste » pour bien souligner qu’il s’agit de l’idée métaphysique authentique et non de quelque émanationnisme panthéiste ou déiste. Quoi qu’il en soit, Ibn Arabî, en parlant de la création — au début de ses Fuçûç el-Hikam — ne peut s’empêcher de s’exprimer en mode temporel : «Lorsque le Réel divin voulut voir… son Essence» (lammâ shâ’a ’l-Haqqu subhânahu an yarâ… ’aynahu…) ; il est vrai qu’en arabe le passé a en principe un sens d’éternel présent quand il s’agit de Dieu, mais ceci s’applique surtout au verbe être (kâna) et ne saurait empêcher que la création soit envisagée comme un « acte » et non comme une « qualité ».

(130) On peut comparer l’Univers total soit à un cercle soit à une croix, le centre représentant dans les deux cas le Principe ; mais tandis que dans le premier schéma le rapport entre la périphérie et le centre est discontinu, et c’est la perspective dogmatiste de la théologie, analogiquement parlant, le même rapport sera continu dans le second schéma, et c’est la perspective de la gnose. La première perspective est valable quand on envisage les phénomènes en tant que tels. — ce que la gnose ne saurait contester, — tandis que la seconde perspective rend adéquatement compte de la réalité essentielle des choses et de l’Univers.

(131) Cette idée, comme les termes qui l’expriment, appartiennent à l’Islam, abstraction faite des analogies grecques constatées plus tard ; ce qui n’a rien de surprenant puisque la vérité est une.

(132) Cette quaternité empédocléenne se retrouve sous une autre forme dans la cosmologie des Indiens de l’Amérique du Nord, peut-être aussi du Mexique et d’autres régions plus méridionales: c’est l’Espace qui symbolise ici la Substance. !’« Ether» universel, tandis que les Points cardinaux représentent les quatre déterminations principielles et existenciantes.

(133) Sattwa — analogiquement parlant — est le «Feu», qui monte et qui illumine: Tamas est alors la «Terre», qui est lourde et obscure. Rajas — en raison de sa position intermédiaire — comporte un aspect de légèreté et un autre de lourdeur, à savoir l’« Air» et « Eau », mais tous deux envisagés en mode violent : c’est d’une part le déchaînement des vents et d’autre part celui des vagues.

(134) Ce silence éventuel ne prouve rien, en tout cas, contre la justesse de telle philosophie; Platon dit du reste dans une de ses lettres que ses écrits n’englobent pas tous ses enseignements. Notons que selon Synésius, le but des moines et des philosophes est le même, à savoir la contemplation de Dieu.

(135) Dans notre premier livre — «De l’unité transcendante des religions» — nous avions adopté le point de vue de Ghazâlî en ce qui concerne la « philosophie » : c’est-à-dire que, sous l’impression de la grande misère des philosophies modernes, nous avons, comme d’autres avant nous, simplifié le problème en faisant de la « philosophie » un synonyme de «rationalisme». Selon Ghazâlî, faire de la philosophie c’est opérer par syllogismes. — il ne s’en prive pas. — donc utiliser la logique ; reste à savoir si on l’utilise a priori ou a posteriori.

(136) Même Ananda Coomaraswamy n’hésite pas à parler de « philosophie hindoue », ce qui a au moins l’avantage de préciser le « genre littéraire », d’autant que le lecteur est censé savoir ce qu’est l’esprit hindou en particulier et l’esprit traditionnel en général. D’une manière analogue, quand on parle de « religion hindoue », on sait bien qu’il ne s’agit pas — et qu’il ne peut s’agir — d’une religion sémitique et occidentale, donc réfractaire à toute différenciation de perspective ; aussi parle-t-on traditionnellement de la « religion » romaine, grecque, égyptienne, et le Koran n’hésite pas à dire aux païens arabes : – A vous votre religion et à moi la mienne», alors que celle des païens n’avait aucun des traits caractéristiques du monothéisme judéo-chrétien ».

Frithjof Schuon, Soufisme – Voile et quintessence, éd. Dervy, 2006, chapitre Sur les traces de la notion philosophique.

Notes :

(1) Voir par exemple “L’univers ne commence pas avec le Big Bang : entretien avec Etienne Klein”, TV5 Monde, 11 novembre 2012 : https://information.tv5monde.com/info/l-univers-ne-commence-pas-avec-le-big-bang-entretien-avec-etienne-klein-3847 ; Etienne Klein est un brillant physicien, ainsi qu’un philosophe qui ne craint pas de sortir en dehors des sentiers battus, ce qui ne doit pas nous empêcher de garder un discours critique par rapport à certaines de ses réflexions, lui-même ne se contentant que d’explorer certaines pistes, fussent-elles fausses ou infécondes.

(2) Comme dans son ouvrage Le réel voilé – Analyse des concepts quantiques, éd. Fayard, 1994.

(3) Voir Physique et réalité, interview de Bernard d’Espagnat, par Thierry Magnin, 30 septembre 2009, Les Bernardins : https://web.archive.org/web/20190127220819/http://www.cphi2.org/portals/4/articles/2009%20Physique%20et%20ralit.pdf

(4) Voir par exemple Trinh Xuan Thuan, Le Cosmos et le Lotus, éd. Albin Michel, 2011 ou encore Notre existence a-t-elle un sens ? Une enquête scientifique et philosophique, éd. Fayard, 2017 (qui est une réédition basée sur celle des éditions Presses de la Renaissance de 2007-2008).


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