Les scientifiques, mathématiciens et philosophes de science Mahmoud Bina et Alireza K. Ziarani, dans leur ouvrage sur la Science moderne et l’épistémologie, écrivent :
« Le symbolisme, avons-nous dit, est une science « exacte ». Or, conformément au principe platonicien que le semblable attire le semblable, Plotin déclare :
« Il est toujours facile d’attirer l’Âme universelle […] en construisant un objet capable de subir son influence et de recevoir sa participation. La représentation fidèle d’une chose est donc toujours capable de subir l’influence de son modèle ; c’est comme un miroir capable de saisir l’apparence de la chose » (25).
Pour qu’un archétype soit présent dans son symbole terrestre, un sanctuaire ou une icône, par exemple, il est important que le symbole, par sa forme même, représente de manière adéquate la réalité qu’il est censé symboliser ; il doit donc se conformer à des lois universelles excluant tout arbitraire humain. Cela explique pourquoi l’art sacré pour l’homme traditionnel était une science « exacte » qui nécessitait une compréhension profonde des vérités universelles ainsi qu’une préparation et une formation strictes (26).
Les langues anciennes, à la différence de leurs héritières dénaturées que sont nos langues modernes, ont fourni, par leur richesse formelle, des distinctions qui rendaient explicitement compte des causes fondamentales (27). La déclinaison d’un nom transmettait alors des informations importantes sur sa fonction. En sanskrit, par exemple, la cause finale peut s’exprimer au moyen du datif ; la cause efficiente est liée au nominatif et la cause instrumentale au cas instrumental ; l’ablatif s’utilise pour exprimer l’origine ainsi que la cause matérielle.
Dans cet ordre d’idées, il convient de noter que les mots fondamentaux dans les langues anciennes étaient encore apparentés à leurs prototypes primordiaux ; ils étaient donc des symboles des réalités qu’ils manifestaient dans le domaine des sons ; en tant que tels, ils faisaient écho aux Paroles divines créatrices qui étaient les principes des choses dans ce monde (28).
En ce sens, leur forme même, ou leur son, reflétait leur cause paradigmatique. En général, la Sainte Écriture, étant la Parole de Dieu, véhicule la présence de Dieu de la manière la plus directe dans le domaine du langage. Compte tenu de son pouvoir théurgique, sa récitation n’est pas simplement une assimilation mentale d’idées, mais une participation existentielle à la Présence divine.
Une connaissance parfaite des causes fait largement défaut à l’homme moderne, en particulier les plus élevées, à savoir les causes finales et paradigmatiques. La science moderne se préoccupe uniquement du mécanisme des choses, jamais de leurs causes supérieures ; mais parfois, par abus de langage, il présente des formulations qui sont perçues comme des explications de telles causes. La théorie de l’évolution en est un exemple. En tant qu’hypothèse, elle est utilisable pour rationaliser et classifier certaines observations, mais elle ne peut remplacer une explication des causes supérieures. On pourrait faire valoir que la variation et la sélection naturelles pourraient être utiles, en particulier en biologie, pour expliquer certains développements au sein des espèces. Mais même dans ce cas, et tout en admettant que des évolutions très partielles ou des adaptations superficielles à des environnements donnés sont toujours possibles, la théorie de l’évolution ne parvient pas à expliquer les phénomènes qui dépassent le cadre des investigations empiriques – le phénomène de la subjectivité humaine par exemple -. Nous avons dit qu’une théorie acceptable devrait être en mesure de rendre compte de manière adéquate des choses qui entrent dans son champ d’application. L’évolution transformiste échoue clairement à cette épreuve par son incapacité flagrante à expliquer des choses telles que l’émergence de la vie, de l’intelligence ou de la conscience hors de matière sans vie ; toute explication sur cette supposée transition du moins (la matière, dans ce cas) au plus (l’intelligence humaine, par exemple) fait défaut. Les anciens appliqueraient ici le principe selon lequel le plus ne peut jamais sortir du moins **, et partant réfuteraient l’évolutionnisme à sa racine. L’évolutionnisme, en niant la dimension verticale, postule des causes hypothétiques sur le plan horizontal. Ce faisant, il ignore toute une dimension de la réalité, celle des archétypes, et leur pénétration dans notre monde en passant par des états supra-formels et subtils ; comme le dit Schuon « c’est comme si on voulait faire un tissu avec la seule trame, en omettant la chaîne ».
Une autre erreur répandue dans la perspective moderne est la confusion des causes. Lorsqu’on découvre des lois physiques dans un langage mathématique, par exemple, c’est comme si tout le mystère de la création était prétendument dévoilé, alors qu’en réalité, ces lois ne sont que des explications des causes inférieures. Mais cela n’a aucune importance pour le scientifique moderne, dès lors que sa perspective a depuis longtemps laissé de côté le « pourquoi », troublant de la création, pour ne s’occuper allègrement que de son « comment ».
Notes :
(25) Les Ennéades, IV.3.11
(26) On se reportera au livre de Titus Burckhardt Principes et méthodes de l’art sacré, éd. Dervy Poche, 2011, pour un excellent exposé sur le sujet.
(27) Ce qui, notons-le en passant, est révélateur du sens du discernement que doivent avoir les locuteurs de ces langues. Il est difficile d’imaginer que la corrosion des langues au fil du temps constitue une « évolution ».
(28) Dans l’hindouisme, par exemple, un bija mantra est un mot d’une syllabe n’ayant pas de signification littérale, qui lorsqu’il est prononcé, invoquerait la présence de la divinité* qu’il symbolise. Le cas mystérieux des « lettres isolées » qui ouvrent un quart des chapitres du Coran n’est sans doute pas sans rapport avec la notion de un bija mantra ».
Mahmoud Bina & Alireza K. Ziarani, La philosophie de la science à la lumière de la Sagesse pérenne, éd. Tasnîm, 2021, pp. 90-92.
* Ou plutôt, comme l’explique le spécialiste Ananda Kentish Coomaraswamy dans Hinduism and Buddhism (Golden Elixir Press, 2011), pour les métaphysiciens et sages orthodoxes hindous, cela correspond plutôt à des énergies divines – à l’instar des Attributs et Noms divins dans les formes traditionnelles abrahamiques – qui sont rattachées au Principe divin et créateur -.
** « Le plus ne peut jamais émaner du moins » constatait le mathématicien, métaphysicien et épistémologue René Guénon, constat qui réfute l’illusion démocratique, l’athéisme comme le matérialisme et l’évolutionnisme transformiste, puisque le moins (absence de qualités ou de causes) ne peut pas produire son contraire ou une réalité dépourvue de qualités qui sont absentes dans les effets ou le « moins ». Par exemple, le néant, en tant qu’absence de réalité, ne peut pas produire la réalité. L’absence d’information, d’énergie, de lois, de conscience ou d’intelligence, ne peut pas produire l’information, l’énergie, les lois, la conscience ou l’intelligence, et donc, la matière inerte, seule, et ce, même au bout de milliards d’années, ne peut pas produire la vie, la conscience, l’intelligence, etc. De nombreux scientifiques ont mené de nombreuses expériences pour essayer de produire la vie à travers les différents processus physico-chimiques formant ce qu’ils appellent la soupe primitive (incluant tous les composés chimiques essentiels à la vie organique sur le plan corporel), mais sans jamais y arriver. Comme le dira vers la fin de sa vie le célèbre physicien lauréat du prix Nobel de physique et mathématicien Max Planck, qui était aussi l’un des fondateurs de la mécanique quantique : « Pour moi qui ai consacré toute ma vie à la science la plus rigoureuse, l’étude de la matière, voilà tout ce que je puis vous dire des résultats de mes recherches : il n’existe pas, à proprement parler, de matière ! Toute matière tire son origine et n’existe qu’en vertu d’une force qui fait vibrer les particules de l’atome et tient ce minuscule système solaire qu’est l’atome en un seul morceau […] Nous devons supposer, derrière cette force, l’existence d’un Esprit conscient et intelligent. Cet Esprit est la matrice de toute matière » (« Das Wesen der Materie [La Nature de la matière] conférence donnée à Florence, Italie (1944). », Archiv zur Geschichte der Max-Planck-Gesellschaft, Abt.Va, Rep. 11 Planck, vol. 1797, 1944, p. 362).