La physique et la question de l’éternité de l’univers

La question de l’éternité de l’univers reste un sujet d’actualité qui fait souvent encore souvent débat. On pourrait dire que l’existence d’une succession dans le temps, de phénomènes limités sous au moins un rapport, suffirait à régler la question, à savoir que l’ensemble des phénomènes qui constituent et composent l’univers, possède une temporalité, et ne peut donc pas être qualifié « d’éternel » ou « d’infini ».

Depuis environ 2 siècles, la physique tend à montrer que la matière n’est ni éternelle ni auto-crée, et qu’une autre réalité (qui est distincte de notre espace-temps) a existencié la matière. C’est dans un premier temps, James Clerk Maxwell (1831-1879), le fondateur de l’électromagnétisme, dans les années 1860, qui introduit les méthodes statistiques permettant de calculer la distribution des différentes vitesses de déplacement des particules qui composent un gaz. Ces calculs lui ont permis de fonder l’hypothèse d’Avogadro, selon laquelle le nombre des molécules dans un volume donné, dans des conditions identiques de température et de pressions, est constant pour tous les gaz parfaits. Ce qui implique une régularité presque absolue des structures moléculaires de base. Ce sujet, il l’a abordé dans Les molécules (Nature, Vol. 8, 25 septembre 1873 ; et cité aussi dans Les atomes, une anthologie historique, Agora, Paris, Presses Pocket, 1991), et de son observation, Maxwell remarque deux choses : « Les molécules, dit-il, sont conformes à un type constant avec une précision qui ne se trouve pas dans les propriétés sensibles des corps qu’elles constituent. En premier lieu, la masse de chaque molécule individuelle, et toutes les molécules de la même sorte sont absolument identiques. […] Chaque molécule, écrit Maxwell, partout dans l’univers, porte sur elle l’empreinte du système métrique […] » ». Dès lors, comment expliquer une telle régularité ? On pourrait tenter d’expliquer ce constat par une évolution des molécules (elles seraient devenues similaires par polissage mutuel, ou par collisions réciproques). Mais ce postulat est impossible à accepter. Car il suppose des densités de matériau parfaitement homogènes, et une matière déjà constituée en éléments qu’il ne reste qu’à dégrossir ou à passer au crible. En plus, il faudrait que toute la matière y passe. Cela est forcément « au-dessus des forces de la nature ». Maxwell dit : « aucun processus de la nature, depuis que la nature a commencé, n’a jamais produit la plus mince différence dans les propriétés d’une molécule. Nous sommes par conséquent, dans l’impossibilité d’attribuer l’existence des molécules ou de l’identité de leurs propriétés à l’action d’une des causes que nous appelons naturelles ». Après cette constatation, on pourrait peut-être penser que ces molécules sont peut-être éternelles et sont comme elles sont par elles-mêmes. Mais si toutes ces molécules existaient éternellement par elles-mêmes, elles seraient complètement indépendantes. Elles n’auraient absolument aucune raison d’être identiques. Au contraire, « l’égalité exacte de chaque molécule, par rapport à toutes les autres de la même espèce, lui donne […] le caractère essentiel d’un article manufacturé, et dissipe l’idée d’une existence éternelle et d’une auto-existence ».

La production en série des constituants de la matière est une énigme physiquement insoluble. Si aucun processus naturel n’a pu produire la régularité des molécules, il faut bien qu’elles l’aient reçu en même temps que leur existence. Maxwell conclut en disant que « la science est incompétente pour raisonner sur la création de la matière à partir de rien. Nous avons atteint la limite extrême de nos facultés de penser quand nous avons admis que, parce que la matière ne peut être éternelle ni exister par elle-même, elle a dû être créée ». En d’autres termes, cela signifie que comme la matière n’est pas ordonnée par elle-même et n’existe pas par elle-même, la cause de l’ordre et de la stabilité de l’univers, est extérieure à notre univers physique, ou est en tout cas, distincte de lui. Ce constat s’est vu renforcé et doublement démontré, dans un deuxième temps, par la physique quantique.

Etant donné que James Clerk Maxwell est mort en 1879, certains pourraient dire que son développement est « dépassé », puisque presque 150 ans se sont écoulés depuis. Mais non, ses observations restent d’actualité, et certains physiciens contemporains ont « réactualisé » ces développements, comme John D. Barrow dans La grande théorie, les limites d’une explication globale en physique (éd. Flammarion, 1996, p. 246), qui constate aussi que les particules élémentaires « présentent sous forme de populations universellement identiques ».

Le philosophe Paul Clavier dans son ouvrage Qu’est-ce que la théologie naturelle (éd. Vrin, 2004, pp.51-52) résumait ainsi le développement de J. C. Maxwell :

« 1) « En premier lieu, la masse de chaque molécule individuelle, et toutes les autres propriétaires, sont absolument inaltérables » (ibid., p. 199).

2) « Deuxièmement, les propriétés de toutes les molécules de la même sorte sont absolument identiques » (ibid., pp. 199-200). Comment expliquer cette permanence et cette régularité ? Maxwell évoque l’hypothèse d’une évolution des molécules : elles seraient devenues similaires par polissage réciproque, ou criblage et calibrage mutuels. Mais cette hypothèse est irrecevable : elle suppose une matière déjà constituée en éléments qu’il ne reste qu’à dégrossir ou à passer au crible.

3) « Nous sommes, par conséquent, dans l’impossibilité d’attribuer l’existence de molécules ou l’identité de leurs propriétés à l’action d’une des causes que nous appelons naturelles » (ibid., p. 202). Pourquoi, dira-t-on, passer de la cause de l’organisation et des propriétés des molécules, à la cause de leur existence ? C’est le nerf de l’argument : l’identité de propriétés d’un très grand nombre d’objets indépendants quant à leur existence ne peut s’expliquer que par une cause commune de leur existence : « l’égalité exacte de chaque molécule, par rapport à toutes les autres de la même espèce lui donne (…) le caractère essentiel d’un article manufacturé, et dissipe l’idée d’une existence éternelle et d’une auto-existence (self existence) » (ibid., p.202). Si la matière existait par soi, indépendamment de toute cause, il est peu probable qu’elle se prêterait à l’action d’un agent métaphysique étranger à elle. Il est bien plus probable que la cause de l’existence de la matière soit aussi la cause de ses propriétés structurelles et de ses capacités d’interaction. C’est pourquoi Maxwell passe d’une réflexion physico-théologique de type newtonien (qui est l’arrangeur de cette matière en molécules régulières ?) à une réflexion de type cosmologique (qu’est-ce qui fait qu’il y a des molécules ?). Il y a donc bien, comme l’affirme Kant, un saut de l’argument physico-théologique vers l’argument cosmologique. Mais ce saut n’est pas irrationnel. L’argument cosmologique est déclenché par une aporie physique.

4) « La science est arrêtée, conclut Maxwell, quand elle s’assure, d’une part, que la molécule a été faite, et d’autre part qu’elle n’a été faite par aucun des processus que nous appelons naturels ».

« La science, poursuit-il, est incompétente pour raisonner sur la création de la matière à partir de rien. Nous avons atteint la limite extrême de nos facultés de penser quand nous avons admis parce que la matière ne peut être éternelle ni exister par elle-même, elle a dû être créée » (ibid., p.202) ».


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