Le penseur, philosophe et écrivain colombien, – possédant un véritable savoir encyclopédique – fervent chrétien et religieux ainsi que profond érudit, Nicolás Gómez Dávila (1913 – 1994) était très lucide au sujet du monde moderne et de ses idéologies perverties et obscurantistes. Citons quelques-unes de ses réflexions et de ses aphorismes. Il écrivit dans Les Horreurs de la démocratie (éd. du Rocher, 2003) : « La Révolution française paraît admirable à celui qui la connaît mal, terrible à celui qui la connaît mieux, grotesque à celui qui la connaît bien » (p. 162), « La civilisation n’est pas suite interminable d’inventions, mais devoir d’assurer la pérennité de certaines choses » (p.137), « Après avoir discrédité la vertu, ce siècle a réussi à discréditer les vices. Les perversions sont devenues des parcs d’attractions que fréquentent en famille les foules » (p. 30), « La violence ne suffit pas pour détruire une civilisation. Chaque civilisation meurt de notre indifférence devant les valeurs particulières sur lesquelles elle est fondée » (p. 55), « Le Progrès se réduit finalement à voler à l’homme ce qui l’ennoblit, pour lui vendre au rabais ce qui l’avilit » (p. 214), « Les anciens despotismes se contentaient de confiner l’homme dans sa vie privée, ceux à la mode du jour préfèrent qu’il n’ait qu’une vie publique » (p. 216), « Les problèmes des pays « sous-développés » sont le prétexte favori, à gauche, pour se refuser à prendre ses responsabilités. Faute de nouvelles denrées à offrir sur le marché européen, l’intellectuel de gauche fourgue dans le tiers-monde ses soldes défraîchis » (p. 231), « Le monde moderne ne censure plus que celui qui se révolte contre l’avilissement » (p. 240), « La cité disparaît, tandis que le monde entier s’urbanise. La cité occidentale était une personne. Aujourd’hui, l’hypertrophie urbaine et le centralisme étatique la désintègrent en un simple entassement de gîtes sans âme » (p. 240), « Les idéologies ont été inventées pour que celui qui ne pense pas puisse donner son opinion » (p. 250), « Beaucoup n’aiment l’homme que pour oublier Dieu la conscience tranquille » (p. 178), « N’espérons pas que la civilisation renaisse tant que l’homme ne se sentira pas humilié de se consacrer corps et âme à des tâches économiques » (p. 154), « Le monde moderne ne sera pas châtié. Il est le châtiment » (p. 296), « Les individus, dans la société moderne, sont chaque jour plus semblables les uns aux autres et chaque jour plus étrangers les uns aux autres. Des monades identiques qui s’affrontent dans un individualisme féroce » (p. 349) et « La modernité tente d’élaborer avec la luxure, la violence et l’infamie l’innocence d’un paradis infernal ».
Dans son ouvrage Le Réactionnaire authentique (éd. du Rocher, 2005) : « La misère spirituelle est le prix de la prospérité industrielle » (p.29), « Démocratie libérale : c’est le régime où la démocratie avilit la liberté avant de l’étrangler » (p.38), « La technique n’est pas une activité neutre. L’homme oublie de surveiller sa propension naturelle au mal » (p.44), « La plus grave accusation contre le monde moderne, c’est son architecture » (p.49), « À partir du moment où plus rien ne mérite le respect dans notre société, nous devons nous forger dans la solitude de nouvelles loyautés silencieuses » (p.111), « L’ultime dégradation d’un édifice, c’est sa conservation pour les touristes » (p.111), « Les despotismes, finalement, ne rencontrent de résistance invincible, comme l’a bien vu Montesquieu, que dans la conscience religieuse. Propager l’athéisme est l’arcanum imperii de la tyrannie » (p.113), « La liberté à laquelle aspire l’homme moderne n’est pas celle de l’homme libre, mais celle de l’esclave un jour de fête » (p.119), « On ne prend bien le pouls d’une civilisation que dans son architecture » (p.136), « Dans le monde moderne, ce ne sont pas des idées antagoniques qui s’affrontent, mais simplement des candidats à la possession des mêmes biens » (p. 139), « Aussi longtemps qu’on ne le prend pas au sérieux, celui qui dit la vérité peut survivre dans une démocratie. Ensuite, la cigüe » (p. 145), « Là où le terrorisme prospère et là où prospère la pornographie, le libéral leur rend hommage au nom de la liberté de conscience » (p. 147), « Les révolutions se font pour changer la propriété des biens et le nom des rues. Le révolutionnaire qui ambitionne de changer la « condition de l’homme » finit fusiller comme contre-révolutionnaire » (p. 153), « N’espérons aucun salut économique tant que les critères des décisions économiques seront économiques » (p. 154).
Et dans Carnets d’un vaincu (éd. L’Arche, 2008) : « L’ennemi d’une civilisation n’est pas tant son adversaire externe que son étiolement interne » (p. 11), « La loi est la méthode la plus aisée d’exercer la tyrannie » (p. 17), « Ce qui est notoire dans toute entreprise moderne c’est le décalage entre l’immensité, la complexité de l’appareil technique et l’insignifiance du produit final » (p. 24), « La civilisation est un épisode qui naît avec la révolution néolithique et meurt avec la révolution industrielle » (p. 37) « La société industrielle met la vulgarité à la portée de tous » (p.49), « La falsification du passé est la façon par laquelle la gauche a prétendu élaborer le futur » (p. 51).
Et la France actuelle illustre exactement ce que dénonce et dépeint Nicolás Gómez Dávila, constat que l’on peut généraliser pour l’ensemble du monde moderne comme l’ont démontré et rappelé René Guénon et Ananda Kentish Coomaraswamy, dont nous citerons ses propos dans Suis-je le gardien de mon frère ? (éd. Pardès, 1998) : « La civilisation moderne, par son divorce d’avec tout principe, est comparable à un cadavre sans tête dont les dernières motions sont convulsives et insignifiantes (privées de sens) » (p.15) et « Le monde moderne a, en fait, abandonné (comme l’a récemment fait remarquer Aldous Huxley) la notion d’une «vie honnête» selon laquelle un homme n’est pas un bon chrétien s’il vit d’usure ou de spéculation, ou un bon bouddhiste s’il fabrique des armes ou des boissons enivrantes. Comme je l’ai dit ailleurs : s’il y a des emplois incompatibles avec la dignité humaine, ou des produits, même lucratifs, qui ne sont pas des biens véritables, ces emplois et ces produits doivent être abandonnés par toute société qui a en vue la dignité de l’ensemble de ses membres. Un niveau de vie ne peut être proprement qualifié de «haut» que s’il est évalué du point de vue de la dignité, et non pas uniquement du point de vue du confort » (p. 20).