La contrainte, l’obligation, le sacré, le profane et le culturel dans le paradigme islamique



Allâh dit : « Nulle contrainte en religion. La bonne voie est désormais distincte de l’erreur. Celui qui rejette les fausses divinités et croit en Allâh a saisi l’anse la plus solide, qui ne se brisera jamais.  Allâh entend tout, et Il est Omniscient » (Qur’ân 2, 256). Ce verset, révélé vers l’an 8 ou 9 de la période médinoise, donc soit vers la fin de la prédication prophétique, comme le relate At-Tabarî dans son Tafsîr (relation n° 5810) en rapportant la narration de Ibn ‘Abbâs. Ibn Âshûr a écrit la même chose dans “At-Tahrîr wa-t-tanwîr” dans l’explication de ce verset. Ce verset a donc été révélé après la plupart (ou la totalité) des versets relatifs au combat et aux sanctions pénales.

Ce verset indique bien que, pour toutes les pratiques cultuelles et rituelles, ainsi que les convictions religieuses, en Islam, nulle contrainte ne peut peser sur les fidèles ou les non-musulmans. Ce verset n’abolit, non pas les obligations religieuses, qui existent, mais les contraintes physiques ou psychologiques. Une obligation individuelle, du point de vue religieux, n’implique donc pas une contrainte sur la personne, selon l’Islam, qui établit par conséquent une distinction fondamentale entre la notion d’obligation et la notion de contrainte. Le verset parle bien ici de « religion », et non pas d’éthique universelle et de normes sociétales concernant le « vivre-ensemble » entre les différentes communautés, qui doivent tous s’accorder sur l’interdiction du meurtre, du vol, de la calomnie, du viol, de la maltraitance, etc.

Les juristes, du moins dans leur immense majorité (si ce n’est l’unanimité), n’ont pas considéré le port du voile, du turban, de la barbe ou l’importance du mariage, que comme des pratiques culturelles, mais bien comme ayant un sens spirituel et donc une dimension cultuelle. Ce sont d’ailleurs des choses qui ne faisaient l’objet d’aucune contestation sociale avant la période coloniale. C’est le climat idéologique moderne, opérant une rupture radicale avec la conscience religieuse et spirituelle des anciennes civilisations, – car le port du voile dans l’Europe chrétienne, ou chez les juifs et les hindous n’avait jamais posé de problème non plus -, qui a jeté la suspicion et la haine idéologique pour tout ce qui avait une relation avec le Sacré et le spirituel. Pour justifier leurs attaques idéologiques, ils les dissimulent à travers « la méthode scientifique » ou « la méthode historico-critique », mais, bien que ces méthodes soient parfois utiles dans certains cas, elles demeurent souvent incapables de produire de la connaissance fiable, et souvent, leurs théories sont chargées de connotations idéologiques et subjectives, en plus de se contredire souvent entre elles, et d’opérer un tri arbitraire dans les sources qu’ils veulent bien accepter ou rejeter, souvent pour des raisons essentiellement idéologiques et personnelles, avec des ambitions socio-politiques pour beaucoup de « chercheurs ».

La pudeur était une valeur éthique qui faisait office de norme sociétale dans les civilisations traditionnelles. Or, depuis que la vulgarité, la décadence morale et la superficialité ont été promues au rang de “dogmes sécularistes” pour la société à travers les idéologies modernes, tout ce qui a trait à la pudeur et à la chasteté, sont désormais diabolisées, marginalisées et même souvent combattues. Le problème est donc idéologique (avec souvent une extension trop « émotionnelle » virant souvent à l’hystérie et au fanatisme et non pas éthique, spirituel ou rationnel.
Le jour où aider son prochain deviendra mal vu, – et c’est parfois le cas où des autorités belges et françaises interdisent parfois de venir en aide à des réfugiés, des immigrés, des gens injustement calomniés et accusés ou à des sdf rassemblés dans certains endroits -, que diront les réformistes de type moderniste, où l’idéologie dominante criminalisera de nobles vertus qui découlent aussi des injonctions islamiques sur l’importance d’aider les démunis, les pauvres, les opprimés, etc. ?

Le réformisme séculariste se caractérise avant tout par sa mentalité et son paradigme. Sa mentalité s’enferme dans un état d’esprit contestataire pour tout ce qui contredit l’idéologie humaine dominante, et dérive vers une approche très superficielle et binaire des choses, faisant souvent dans l’émotivité plus que dans la rationalité, sombrant dans les anachronismes multiples, les omissions, les amalgames et l’absence d’analyses intellectuelles sur les conséquences de certaines positions modernistes (très laxistes sur le plan moral) qui entrainent de nombreux fléaux sur le long terme. Quant à son paradigme, il ne puise ni dans le Qur’ân ni dans la spiritualité musulmane et les outils juridiques traditionnels, mais dans la « modernité » vague, mal définie et s’apparentant à une vision à la fois « matérialiste » (mais subtile) et « horizontale » des choses. Il se peut cependant que, à travers deux perspectives et méthodologies totalement différentes, l’une découlant de l’ambiance sociale à un moment donné, et l’autre à partir des principes de l’islam, que des personnes appartenant au réformisme modernisme aussi bien qu’au traditionalisme musulman, adoptent le même point de vue sur quelques sujets théologiques, culturels ou juridiques, mais en aucun cas nous pouvons les identifier comme faisant partie de la même catégorie alors que leurs intentions, leurs argumentations, leurs état d’esprit et leurs aspirations ne sont pas du tout identiques. Le réformisme moderniste entraine plus de problèmes et de méfaits, que de solutions et de bienfaits, et pousse les individus à sortir de l’orthodoxie islamique et donc d’une pratique spirituelle enracinée dans l’expérience et la discipline, qui vont justement éduquer l’âme et l’éloigner des mauvais penchants et des illusions diverses. A contrario, on peut être totalement orthodoxe (sunnite au sens large), tout en étant critique sur certains avis théologiques ou juridiques qui ont toujours fait l’objet de divergences chez les premières générations, et où cette critique se fondera sur le Qur’ân et ses principes, la Sunnah purifiée (mutawatir), les finalités et les outils intellectuels et juridiques développés par les anciens savants musulmans, avec comme aspirations, se rapprocher du Divin, se conformer à l’éthique qurânique, et s’éloigner des pratiques blâmables et des croyances populaires qui n’ont aucun fondement.

Pour citer quelques exemples, même si le port du voile, du turban et de la barbe, existaient avant l’Islam, et donc dans les civilisations et formes traditionnelles antérieures, il n’a été rapporté qu’aucune femme musulmane n’a été contrainte de le porter, ni même qu’aucune d’entre elles n’ait refusé de le porter librement. Pour les croyants avertis, comme Allâh est la Source de l’existence et de tous les bienfaits de la vie, il est rationnel et évident, que tout ce qu’Allâh a décrété de bon, soit accompli et réalisé dans la mesure du possible, et sans jamais transgresser ni causer du tort aux gens. Dans cette conscience primordiale et spirituelle, le voile n’est pas perçu comme une contrainte, pas plus que l’accomplissement de la prière, du jeûne, de la zakât, etc., car leurs bienfaits sont perceptibles et le croyant aime la sagesse et le bien, et y aspire de tout son être à leur réalisation.

En effet, à leur époque, leur respect du sacré était tellement évident, et du fait de l’absence de haine idéologique et de contestation irrationnelle du sacré, que toutes les normes sociétales et les pratiques cultuelles étaient acceptées librement et massivement sans aucun problème de conscience. Le port du voile donne ainsi un sens spirituel à la femme qui le porte, exprimant sa beauté accompagnée de sa pudeur, et d’un moyen de préserver son mystère, par amour du Divin, et de ne le livrer qu’à ses proches ou à son époux, des gens en qui elle a confiance et auprès de qui, la femme doit potentiellement se sentir en sécurité. Le port du turban participe aussi de la même manière à l’orientation spirituelle et au charisme du musulman, contribuant ainsi à sa conscience spirituelle et donc à sa fonction sur terre.
Si le port du voile découle au maximum d’une obligation religieuse, et au minimum d’une forte recommandation religieuse, il n’est pour autant pas autorisé de l’imposer de force aux femmes ou de les insulter pour celles, qui, à notre époque, refuseraient de le porter. Les crimes sociétaux sont évoqués dans le Qur’ân et la Sunnah, mais nulle sanction n’est mentionnée concernant des femmes qui refuseraient de porter le voile, un homme qui raserait sa barbe, jouerait de la musique (si celle-ci ne comporte aucune incitation au blasphème, au meurtre, à la haine, à la calomnie, …) lors d’un concert, ne jeûnerait pas durant le mois de Ramadân, ne prierait pas à l’heure ou à la mosquée, etc.



A l’égard des non-musulmans plus spécifiquement, il a été révélé que : « Et s’ils argumentent avec toi, (ô Muhammad), dis : « Je me suis entièrement soumis à Allâh, (de même que) ceux qui me suivent ». Et dis à ceux qui ont reçu le Livre, ainsi qu’aux ignorants (illettrés) : « Vous êtes-vous (également) soumis ? ». S’ils se soumettent (en devenant musulmans), alors ils sont réellement bien guidés. Mais s’ils se détournent, alors il ne t’incombe que de (leur) transmettre le message. Et Allâh voit parfaitement ce que font Ses serviteurs » (Qur’ân 3, 20).

Là aussi, le verset interdit la contrainte pour pousser les gens à adhérer à l’Islam, mais institue aussi le dialogue respectueux comme moyen d’échanger et de s’entre-connaitre. La mission du croyant devant se limiter, à leur égard, à leur communiquer les principes et les aspects de l’Islam, sans leur imposer quoi que ce soit.


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