Ce qui suit est la conclusion d’un très long chapitre qui paraitra dans un livre, chapitre traitant d’une méthodologie rigoureuse et cohérente pour mieux comprendre le Hadith et le Fiqh, qui de nos jours, suscitent énormément de polémiques et de débats superficiels.
Déjà à l’époque des Compagnons, il existait des comportements déplacés et répréhensibles, en présence même du Prophète (ﷺ). Face à cela, certains Compagnons voulaient par exemple frapper le bédouin qui urinait dans la mosquée en présence du Prophète (ﷺ), mais il leur fut interdit d’agir ainsi. En effet, il a été rapporté qu’ « Un bédouin avait uriné dans la mosquée et les gens ont couru vers lui (pour le battre). Le Messager d’Allâh (ﷺ) a dit : « (Ne le frappez pas et) n’interrompez pas sa miction (c’est-à-dire laissez-le finir) » Puis le Prophète (ﷺ) a demandé un récipient d’eau et a versé l’eau sur la place de l’urine (afin de nettoyer l’impureté). Puis le Prophète a dit : « vous devez (être doux et conciliants et) rendre la vie facile aux gens et non pas leur rendre la vie difficile et contraignante » »[1].
Et pour des choses plus graves encore, qui apparaitront vers la fin des temps, il est rapporté en ce sens que : « Le Prophète me demanda, en croisant les doigts : « Comment te comporterais-tu, Abû Dharr ! si tu te trouvais avec la lie de l’humanité ? – Que me suggères-tu, Envoyé d’Allâh ? – La patience, la patience, la patience, répéta-il. Soyez indulgents pour la nature des hommes, mais ne les suivez pas dans leurs (mauvaises) actions ! » »[2]. La « lie » signifie ici le rebut, ce qu’il y a de plus vil, de plus mauvais chez une personne ou un groupe de personne. On dit souvent par exemple « la lie du peuple ».
Le Messager d’Allâh (ﷺ) a dit : « Certes la bonne voie, la belle apparence (pudique, sobre, chaste, simple et harmonieuse) et la modération sont une partie des 25 parties de la prophétie »[3].
Ibn al-Qayyîm écrit dans son Madârij al-Sâlikîn (2/303) : « Dans la clémence, le pardon et la patience sont la douceur de la foi, la paix de l’esprit et la tranquillité, ainsi que la noblesse de l’âme, son honneur et son ascension sur le désir de la vengeance ».
En effet, les hommes de science n’étant pas infaillibles, ils peuvent se tromper dans la fatwa. Néanmoins l’adab et l’intelligence exigent qu’on consulte les spécialistes d’un domaine pour avoir connaissance de leurs règles, informations et expériences, afin de diminuer la marge d’erreur et d’avoir le plus d’informations utiles et nécessaires avant de prendre une décision. Ensuite, le coeur sain et pur, habitué à accomplir les préceptes religieux, à faire le bien, à chercher la justice, à aspirer à la sagesse et à la piété, recevra des bénédictions et des inspirations spirituelles (provenant d’Allâh) permettant de déceler le vrai du faux, d’éviter ce qui est malsain, vicié, pervers, inutile, blâmable ou injuste, pour choisir l’avis le plus conforme à la piété et à ce qui élève et purifie l’âme.
Par contre, celui qui est adepte du péché, de la débauche, de l’injustice, de la paresse, de la haine, de l’arrogance, de l’avidité, etc., ne pourra que se tromper de façon générale dans son interprétation personnelle, et même quand il lui arrive d’avoir juste sur le bon avis, son intention n’est pas tournée vers Allah et le Bien, et cherchera la zizanie ou à assouvir un vice en détournant l’avis juste de sa noble finalité.
Le Messager d’Allâh (ﷺ) a dit : « La vertu est une disposition (intérieure) bienveillante (animée par la bonté) et le vice (péché) est ce qui vous ronge et avilit le coeur et que vous détestez que les gens le découvrent »[4].
Ces ahadiths sont tous conformes au Qur’ân, et notamment à ces versets :
« Et par l’âme et Celui qui l’a harmonieusement façonnée ; et lui a alors inspiré son immoralité, de même que sa piété ! A réussi, certes celui qui la purifie. Et est perdu, certes, celui qui la corrompt » (Qur’ân 91, 7-10).
« La bonté pieuse et la justice ne consistent pas (seulement) à tourner (extérieurement) vos visages vers le Levant ou le Couchant. Mais Al-Birr (bonté pieuse et justice) est de prêter foi en Allâh, au Jour Dernier, aux Anges, au Livre et aux Prophètes, de donner de son bien, quelqu’amour qu’on en ait, aux proches, aux orphelins, aux nécessiteux, aux voyageurs indigents et à ceux qui demandent l’aide et pour délier les jougs (affranchir les esclaves), d’accomplir la Salât et d’acquitter la Zakât. Et ceux qui remplissent (pleinement et sincèrement) leurs engagements lorsqu’ils se sont engagés, ceux qui sont endurants dans la misère, la maladie et quand les combats font rage, les voilà les véridiques et les voilà les vrais pieux qui font preuve de justice ! » (Qur’ân 2, 177).
« Adorez Allâh et ne Lui donnez aucun associé. Agissez avec bonté et bienfaisance envers (vos) père et mère, les proches, les orphelins, les pauvres, le proche voisin, le voisin lointain, le collègue et le voyageur, et les domestiques sous votre responsabilité, car Allâh n’aime pas, en vérité, le présomptueux, l’arrogant » (Qur’ân 4, 36).
« Dis : « Venez, je vais réciter ce que votre Seigneur vous a interdit : ne Lui associez rien ; et soyez bons et bienfaisants envers vos père et mère. Ne tuez pas vos enfants pour cause de pauvreté. Nous vous nourrissons tout comme eux. Et n’approchez pas des turpides et des perversions ouvertement, ou en cachette, qu’ils soient apparents ou cachés. Ne tuez qu’en toute justice la vie qu’Allâh a fait sacrée. Voilà ce qu'[Allâh] vous a enjoint de faire ; peut-être comprendrez-vous. Et ne vous approchez des biens de l’orphelin que de la plus belle manière, jusqu’à ce qu’il ait atteint sa majorité. Et donnez la juste mesure et le bon poids, en toute justice. Nous n’imposons à une âme selon ce qu’elle peut endurer (selon sa capacité). Et quand vous parlez, soyez équitables même s’il s’agit d’un proche parent. Et remplissez votre engagement envers Allâh. Voilà ce qu’Il vous enjoint. Peut-être vous rappellerez-vous. « Et voilà Mon chemin dans toute sa rectitude, suivez-le donc ; et ne suivez pas les sentiers qui vous écartent de Sa voie » Voilà ce qu’Il vous enjoint. Ainsi atteindrez-vous la piété » (Qur’ân 6, 151). Dans ce passage qurânique, la vie qu’Allâh a rendu sacrée englobe l’Humanité et l’espèce animale, il n’est donc pas permis de les agresser ou de les tuer sauf pour une raison impérieuse juste (légitime défense par exemple, ou punition contre un criminel ayant semé le désordre ou la mort dans la société, punition appliquée par les autorités légales du pays seulement si toutes les conditions sont réunies). De même, il y a interdiction d’approcher – et plus encore de commettre – les turpitudes et actes pervers, comme la zoophilie, la pédophilie, la nécrophilie, etc., que ce soit en public ou en privé.
Bien sûr, la facilité ne signifie pas l’abandon de tout effort visant à Lui plaire, à devenir meilleur, à faire le bien, etc., bien au contraire, mais de prendre en compte la situation personnelle de chacun et les contraintes auxquelles chacun peut faire face, et d’adopter une certaine souplesse et de se concentrer sur les priorités du moment, ou de faire autrement en l’absence de réelles solutions alternatives (entre 2 maux par exemple, choisir le moindre mal, jusqu’à pouvoir choisir ou appliquer ce qui est licite, bien ou même idéal). Quant au « cœur », il ne s’agit pas ici de « passions » ou de « sentimentalisme » et d’ego, mais de l’orientation du cœur vers Allâh, ce qui est utile, sain, bon, pieux, vertueux, juste et convenable, ce qui élève l’âme et l’esprit, ce qui empêche de tomber dans la dépravation et l’avilissement de l’âme ou de céder aux caprices ou aux déviances et pulsions égotiques de l’âme et aux choses blâmables et répréhensibles (comme l’excès, la violence, la tromperie, la pédophilie, la zoophilie, la maltraitance, la sauvagerie, le meurtre, le viol, l’agression, l’adultère, la fornication, etc.).
Ces 3 types de dérives sont une menace pour la Religion et un danger pour la Communauté. Le tasawwuf et l’approche de grands maîtres spirituels qualifiés aussi dans le fiqh et les ussûl comme Al-Junayd, Abû Hâmid al-Ghazâlî, Ibn ‘Arabî, Al-Qarâfî, Ahmad Zarrûq, Muhammad al-Darqâwi et Ahmad Ibn ‘Ajiba pour ne citer que ceux datant d’avant l’ère contemporaine, permettent de corriger les lacunes et excès des laxistes, des extrémistes, des rigoristes et des insouciants.
Pour résumer, comme l’ont expliqué les compilateurs et savants de Hadith eux-mêmes, un hadith authentifié (sahîh) ou validé (hassân) dans sa chaine n’implique pas forcément que le matn (énoncé) le soit également, ou qu’il faille le mettre en application puisque le hadith peut avoir être cité sans son contexte, mal interprété, abrogé (par exemple le hadith interdisant la visite des tombes au début quand les Musulmans n’avaient pas encore bien assimilé le Tawhid, les règles de bienséance et les droits envers les défunts, puis l’a autorisé plus tard dans un autre hadith quand tout cela avait bien été assimilé), ou car des ahadiths plus complets (et avec le contexte) et plus solides (et par diverses voies) « corrigent » en quelque sorte le simple hadith sahîh mais ahâd comportant des bizarreries, ou que le hadith s’adresse à une catégorie spécifique de personne et dans une situation précise et circonstancielle, ou encore que le hadith a été compris selon la déduction du narrateur ou par des termes étranges qui ont pu varier au niveau de la langue ou des expressions et non pas comme étant directement la parole (ou le sens voulu) du Prophète (ﷺ), ou avec des rajouts étranges de la part des narrateurs postérieurs dans la chaine (isnad), etc. Enfin, un hadîth ne peut pas s’appliquer en dehors des principes et finalités de la Religion, de l’éthique qurânique et des règles juridiques supérieurs (intérêt général, nécessité, absence de préjudice, prise en compte du contexte et de la coutume, moindre mal, analogie, préservation de la santé et la dignité avant ce qui est simplement licite, etc.).
Concernant le fiqh et le cheminement spirituel, de nos jours, il est plus efficace d’avancer dans ses projets et dans son cheminement en petit groupe soudé et bienveillant, que de s’éparpiller dans la masse via les réseaux sociaux, ou d’y trouver une pseudo-communauté remplie de vices et de gens toxiques (ce que l’on retrouve dans pratiquement toutes les communautés présentes sur les plateformes numériques).
Pour les frères et sœurs qui ont cette aspiration, il faut s’orienter vers une tariqa orthodoxe, ce qui existe à peu près dans tous les pays fréquentés par des communautés musulmanes.
En ce qui concerne les divergences et la pluralité des opinions juridiques, il faut garder ceci à l’esprit : si on sait ce qu’Allâh attend de nous, on doit étudier et examiner les différents avis qui s’offrent à nous dans le cadre de l’école que l’on suit (globalement), puis suivre ce qui est le plus en phase avec notre cœur (tourné vers Allâh et ce qu’Il a commandé, comme la piété, la justice, la sagesse, l’équité, la bonté d’âme, l’amour bienveillant, la compassion, la générosité, etc.). Il faut prendre en compte nos faiblesses et notre degré de piété, et choisir avec intelligence et souplesse les avis pertinents qui ont été institués, sans banaliser ou rendre licite nos péchés ou nos faiblesses. Il ne faut pas non plus se noyer dans les détails au point de nous faire perdre pied, mais il ne faut pas les négliger non plus, car s’il ne faut pas perdre de vue l’essentiel, la Baraka, la Lumière et la Guidance divine dépendent aussi de la connaissance et de la mise en pratique des règles juridiques sur lesquelles reposent nos actes de dévotion, même si ceux-ci découlent avant tout du coeur et des bonnes intentions.
Ce qui peut aider considérablement les gens de notre époque, surtout pour viser le juste milieu, c’est le sûluk (cheminement) auprès d’un maitre vertueux et clairvoyant – et donc qualifié – qui nous montre le bon équilibre, et nous fournir, par Sa Grâce, ce dont nous avons besoin.
Il n’est pas exigé d’étudier dans les moindres détails les avis juridiques si l’on est ni étudiant en fiqh ni savant, mais lorsqu’un cas pratique nous concerne, il faut suivre l’avis détaillé selon notre situation et notre cas particulier, si cela nous est possible de le mettre en pratique, car si cela s’avère impossible ou trop pénible à appliquer, d’autres avis plus souples existent et peuvent faire l’affaire jusqu’à ce que notre état spirituel ou notre situation (personnelle, familiale, professionnelle, etc.) change, mais si la situation est blâmable et problématique, il ne faut pas se complaire dans cet état, et il faut invoquer Allâh pour nous renforcer spirituellement et mentalement, et en Lui demandant de nous accorder une meilleure situation, plus en phase avec la piété, la vertu, la sagesse, la justice et un bon mode de vie.
Beaucoup de gens n’ont plus un niveau de piété et de force mentale aussi élevés qu’avant, parmi les pieux des précédentes générations. Le sécularisme et le pseudo-confort matériel ont atrophié nos sens et nos capacités, il faut donc savoir être souple quand cela s’avère nécessaire envers les gens faibles dans leur foi, tout en les incitant à faire plus d’efforts dans Son Sentier, mais sans les brusquer.
S’ils ne sont pas étudiants en fiqh, leur obligation est surtout d’interroger des professeurs, shuyukhs ou imams en qui ils ont confiance (ou que des gens vertueux et clairvoyants leur ont indiqué), qui sont pieux et qui ont étudié sérieusement la Religion et ses différentes sciences (et donc forcément, qui ont appris les règles et la science selon une ou plusieurs écoles juridiques existantes), et qui connaissent leur situation personnelle et la région où ils vivent et pratiquent leur Religion, car la fatwa dépend du contexte, et en principe, ils pourront ainsi leur donner un avis pertinent, existant (dans l’une des 4 écoles) et adapté à leur contexte ou à leur situation personnelle. Il n’est pas permis aux savants d’appliquer bêtement ou aveuglément des avis obsolètes, dangereux, inappropriés, inutiles, malsains ou pratiquement impossibles à pratiquer dans des cas concrets.
Ensuite ils doivent choisir l’avis le plus conforme à la piété, à la sagesse, à la bienfaisance, à la justice et au respect des droits des gens, car ce sont les finalités qu’Allâh nous enjoint d’atteindre. La fitra et le cœur doivent coïncider et tendre avec les principes de la Religion, les valeurs et les finalités spirituelles de l’Islam.
Avant les gens appliquaient l’avis de leur pays, alors qu’aujourd’hui toutes les divergences de toutes les époques et du monde entier sont propagées, sans tri ni règles, partout sur internet, donc cela peut troubler les gens. Il est donc primordial de suivre la pédagogie prophétique, qui est de faciliter la pratique et la connaissance de la Religion aux gens (en débutant par les piliers de l’Islam et de la foi, ainsi que les obligations et les grandes interdictions morales, et le bon comportement via l’adab) sans chercher à les troubler ou à trop complexifier la Religion, et à éviter les querelles sectaires ou les polémiques sur les divergences existantes (et défendues par d’éminents savants) sur les aspects secondaires (furu’) de la Religion.
Quant au talfiq, c’est-à-dire le fait de mélanger des avis juridiques issus des différentes écoles, cela n’est pas permis, contrairement au fait de choisir parfois des avis juridiques d’autres écoles, ce qui a été autorisé par un certain nombre de savants et juristes[5], à certaines conditions, comme le fait de ne pas remixer des avis juridiques sur les mêmes sujets, surtout ceux qui concernent les rites (les ablutions, la prière, la zakâh, etc.) de peur qu’au final ça les rende tous invalides sur le plan juridique et embrouillent plus surtout l’esprit qu’autre chose. Se référer globalement à une école juridique, surtout si l’une d’entre elles est majoritaire dans la région où l’on vit, en plus d’inculquer la discipline et la cohérence, peut aussi faciliter les choses pour unifier les interactions avec les autres membres de la communauté, mais rien n’interdit, islamiquement, d’adopter de temps en temps, – et non par passion mais par recherche de la justice, de la piété ou de la prise en compte de notre santé physique ou mentale -, un avis juridique issu d’une autre école surtout si cela est justifié par le contexte ou par notre situation personnelle. Par exemple, suivre l’école hanafite pour les rites comme pour les transactions commerciales, mais choisir un avis malikite pour la consommation de certains aliments ou pour l’autorisation de dessiner des êtres vivants complets. Bien sûr, le musulman, peu importe l’école qu’il choisit, doit veiller à ne pas céder aux passions ou à justifier un acte qui relève clairement du harâm (comme le meurtre, l’agression, le shirk, le viol, le vol, le banditisme, etc.), et ce qui pourrait le conduire à avilir son âme, à causer du tort aux autres ou à dévier vers des sentiers douteux, malsains ou clairement blâmables.
Le Shaykh Muhammad al-Arabî al-Darqâwî al-Hassânî (1760–1823), juriste malikite, théologien, exégète, logicien, Sûfi rattaché à la Shadhiliyya et descendant du Prophète (ﷺ) et considéré comme le mujaddîd de son temps, ne recommandait pas à ses disciples l’accomplissement d’une multitude d’actes cultuels, il leur demandait seulement de « s’acquitter des rites obligatoires et des oeuvres surérogatoires les plus recommandées ». De même, concernant la science extérieure (jurisprudence), voici ce qu’il dit dans ses Rasâ’il (traduit en français Lettres sur le Prophète et autres lettres sur la voie spirituelle, traduit par Titus Burckhardt, puis par Tayeb Chouiref aux éditions Tasnîm) : « Si tu veux que la Voie soit courte pour toi et si tu désires atteindre la réalisation spirituelle (tahqîq) en peu de temps, accomplis les actes d’adoration obligatoires (wâjibât) et les œuvres surérogatoires (nawâfil) les plus recommandées, n’apprends de la science exotérique (al-‘ilm al-zâhir) que le nécessaire car on ne peut adorer le Seigneur sans cela. Mais ne t’engage pas dans des études approfondies (dans les choses qui ne sont pas nécessaires) : cela ne t’est pas demandé. Ce qu’il faut approfondir c’est l’intériorité. De plus, contrecarre ton ego et tu verras (nombre de) merveilles ! ». Il insista beaucoup sur le fait que peu de science et d’actes tout en sachant rester concentré valent mieux que l’inverse, à savoir l’accumulation de beaucoup de science et d’actes en étant distrait d’Allâh. Il mettait en garde le disciple contre les « idées illusoires » (wahm) et l’incitait à s’orienter vers Allâh, comme dans le passage suivant : « Ô disciple, les idées illusoires (wahm) sont parfaitement vaines comme tu le sais ! Mais si tu les prends en considération, elles t’empêcheront de voyager vers ton Seigneur et t’amèneront à rester seul avec toi-même, plongé en toi-même, égaré et loin de ton Seigneur-nous cherchons refuge en Allâh ! Si tu ne leur prêtes aucune attention, leur côté nuisible s’en ira et tu en tireras un bénéfice. C’est ainsi, en s’opposant au point de vue de ces idées illusoires, à celui de l’âme et à celui de Satan, que les Voyageurs avancent et que tous leurs instants sont bien « à point » (yatîbu waqtuhum). Il traite aussi la notion de « sidq » (sincérité) dans son acception la plus haute, et dont «la mort de notre ego, son effacement, son anéantissement, son départ et sa disparition, ainsi que notre extinction de notre extinction, en sont les conditions préalables ».
Il dit également (p.65) : « Pour assurer sa sécurité, ô disciple, il faut fuir les gens, excepté ceux qui sont spirituellement actifs et dont le discours ramène à Allâh. En effet, les gens ignorent la Tradition (Sunnah) de leur Prophète et ignorent leur ignorance — qu’Allâh nous en préserve ! -. Leur ignorance est grande. Elle est tellement immense que lorsqu’ils voient quelqu’un abaisser sa nafs, la sous-estimer, la mépriser, l’avilir, n’en faire aucun cas et s’écarter de plus de ce bas-monde et de ses gens, ils le sous-estiment, le méprisent, le trouvent mauvais, pesant, le repoussent et le prennent en aversion, parce qu’ils le croient en dehors de la Tradition et le considèrent comme un innovateur. Ils ne savent pas que l’essentiel de la tradition muhammadienne, c’est précisément sa voie tandis que l’innovation blâmable (bidah), c’est justement la leur. C’est la domination du monde sensible qui est à l’origine d’une telle ignorance ; il a pris leur cœur et leurs membres, les laissant sourds, aveugles et muets : ils ne comprennent rien. C’est proprement incroyable ! Comment l’ordre normal a-t-il pu être inversé au point que la tradition (prophétique) devienne l’innovation et l’innovation la tradition (à suivre), et que l’aveugle décrive le chemin à celui qui lui-même le parcourt ! En vérité, nous sommes à Allâh et vers Lui nous revenons. « Point de force ni de puissance si ce n’est par Allâh, l’Elevé, l’Immense. » Salâm ! ». Cela désigne notamment les modernistes et les salafistes, les rigoristes ainsi que les rawafidhs, parmi ceux qui inversent les priorités et valeurs de l’Islam, et érigent leurs déviances et mauvaises actions, comme normes à la place des traditions islamiques instituées (comme le dhikr à voix haute et en groupe, le tawassul et le tabarruk légiférés en accord avec le Tawhid et l’Ordre divin, réciter le Qur’ân pour nos défunts, reconnaitre la haute station spirituelle du Prophète (ﷺ), des gens purifiés de sa famille et de ses nobles compagnons, ainsi que des Saints et des vertueux qui ont magnifiquement cheminé sur leur Voie).
Il dit aussi : « Louez Allâh — exalté soit-Il ! — de cette orientation vers Lui qui est la vôtre à cette époque où le bas monde s’est emparé du cœur et des membres des gens, si ce n’est de rares individus. Sachez mesurer la valeur de cette disposition qui est la vôtre : celle du dépouillement, car cette disposition constitue un grand mérite, ainsi qu’un secret notoire et éclatant. Seuls les gens au regard intérieur éteint et au for intérieur enténébré ignorent cela. Par Allâh ! Sans la bénédiction du Seigneur, nous serions, tous autant que nous sommes, noyés dans la turpitude dans laquelle nous nous trouvions avant ! Grâce à cet engagement, notre condition est bonne ».
Ainsi que : « Les disciples des premiers temps ne recherchaient que ce qui pouvait faire mourir leurs egos et vivifier leurs cœurs alors que nous sommes, à l’inverse, entièrement préoccupés, à tuer nos cœurs et à vivifier nos egos ! Eux, ils ne s’efforçaient qu’à se défaire de leurs passions et à détrôner leur égo ; quant à nous, c’est à la satisfaction de nos désirs sensuels et à l’exaltation de notre ego que nous aspirons ! C’est pourquoi nous sommes le dos tourné à la porte et faisons face à un mur. Je ne vous dis cela que parce que j’ai vu les grâces (mawâhib) qu’Allâh accorde à quiconque fait mourir son ego et vivifie son cœur. Nous nous contentons de bien peu ; or, seul l’ignorant se contente avant d’être arrivé au terme de la Voie. Je me suis demandé s’il y avait en dehors de nos désirs concupiscents et de l’exaltation de l’ego, autre chose qui nous prive des dons divins, et Allâh en est témoin, j’ai trouvé que l’absence de nostalgie spirituelle était aussi un voile. De fait, les intuitions (ma’âni) ne sont généralement données qu’à celui dont le cœur est percé d’une intense nostalgie et d’un grand désir de contempler l’Essence de son Seigneur. C’est à lui qu’affluent les intuitions de l’Essence divine jusqu’à ce qu’il s’éteigne en Elle, en s’affranchissant de l’illusion d’une réalité autre qu’Elle. Par contre, celui qui n’aspire qu’à la science ou à l’action exclusivement, ne reçoit pas intuition sur intuition ; il ne s’en réjouirait d’ailleurs pas puisque son aspiration vise autre chose que l’Essence divine, et qu’Allâh – qu’Il soit exalté – comble Son serviteur à la mesure de son aspiration ». Et toujours dans le même recueil, il dit : « Quiconque souhaite voir le visage de la liberté doit lui-même commencer par lui montrer sa servitude. Cela signifie faire preuve d’une bonne intention, d’un amour sincère, d’une bonne opinion a priori et d’un bon caractère, et respecter les obligations légales et les interdits sans les modifier ou les altérer. S’il procède ainsi, la liberté lui montrera son visage et ôtera son voile pour lui. Paix ! ».
Cet ouvrage devrait être lu et médité par l’ensemble des Musulmans de notre temps, tant il est important pour le cheminement spirituel et la clairvoyance en ces temps troubles.
L’imâm et Salaf Abû Uthmân Sa’îd ibn Ismâ’îl al-Hirî (m. 298 H) a dit : « La compagnie avec Allâh consiste en la bienséance, la permanente crainte révérencielle (piété), et la vigilance (en domptant l’ego et en respectant les convenances). La compagnie avec le Messager d’Allâh (ﷺ) consiste à suivre sa pratique (Sunna), et à observer ce que la science met en évidence. La compagnie avec les amis d’Allâh (awliyâ’) consiste en la déférence et le dévouement ; la compagnie des proches est par le bon caractère (et comportement) ; celle des frères, par une attitude toujours avenante, sans jamais faire de mal ; la fréquentation des ignorants consiste à prier pour eux et être miséricordieux envers eux ».
Notes :
[1] Rapporté avec quelques variantes mais dont le sens est le même (être patient et indulgent, ne pas frapper/humilier les pécheurs pour ce genre d’actes, et nettoyer les impuretés qu’ils ont causé) : par An-Nasâ’î dans ses Sunân n°54 et 571 selon Anas Ibn Mâlik (sahîh) dans le Kitâb de la purification et de la Sunnah, par Al-Bukharî dans son Sahîh n°219 dans le Kitâb du Wudu’ et n°6025 dans le Kitâb de l’Adab au chapitre sur le fait d’être gentil et conciliant en toute chose ainsi que n°6128 selon Abû Hurayra avec le rajout consistant à un conseil adressé à ses compagnons : « vous devez (être doux et conciliants et) rendre facile la vie aux gens et non pas leur rendre la vie difficile et contraignante » et d’autres.
[2] Rapporté par al-Bayhaqî dans Kitâb az-Zuhd n°192 sous l’autorité d’Abû Dharr, ainsi que par Al-Haythâmî dans son Majma’ al-Zawâ’îd 7/283.
[3] Rapporté par Abû Dawûd dans ses Sunân n°4776 selon Ibn ‘Abbâs, par At-Tirmidhî dans ses Sunân n°2010 selon Abdullâh Ibn Sarjis Al-Muzam qui rapporte seulement une partie et avec « 24 parties » au lieu de « 25 », avec une bonne chaîne.
[4] Rapporté par Muslim dans son Sahîh n°2553 selon Nawwas ibn Sam’an.
[5] Voir par exemple les fatâwâ sur cette question du Shaykh Hamza Karamali dans Talfiq (invalidly Mixing Between Madhabs), ainsi que du Shaykh Hamza Yusuf, Shaykh ‘Abd al-Hakim Murad et Shaykh Nuh Keller, qui ont fait une synthèse des positions et arguments des savants des 4 écoles juridiques sunnites à travers l’histoire. Voir https://islamqa.org/shafii/qibla-shafii/33788/talfiq-invalidly-mixing-between-madhabs/