Commentaire au sujet de la notion de « Ghurâba » (étrangers en ce bas-monde) en Islam

Paradoxalement, beaucoup de musulmans sont déçus de la Communauté de notre époque (car affectée par la décadence à l’échelle mondiale et la corruption des moeurs en raison du capitalisme et du consumérisme) ou se sentent étrangers à ce bas-monde, en voyant à quel point la masse est déconnectée des priorités et des nobles aspirations, ainsi que des belles valeurs dans leur vie quotidienne, alors que les foules musulmanes savent (mais sans l’assimiler) à quel point les valeurs et principes de la Religion sont nobles et sont éloignés du consumérisme, de l’individualisme, de la méchanceté, de l’injustice, de l’oppression, de l’égoïsme, de l’orgueil, de la condescendance, etc.

Mais cet état de fait est aussi l’un des sens du célèbre hadith concernant les ghurâba (étrangers à ce bas-monde), où l’on se sent parfois rejeté ou totalement incompris par nos semblables, et qui persistent dans leur insouciance ou leur mauvaise conduite alors même qu’ils savent que ce qu’ils font est répréhensible.

Si l’on prend l’ensemble des versets et des ahadiths sur cette thématique, on comprendra que les ghurâba ne sont pas les khawarij, ni les insouciants et les laxistes, ni les rigoristes et les fanatiques, mais plutôt ceux qui ont une conscience spirituelle élevée, une conscience tournée vers l’Absolu, le Sacré, la justice (impartiale), la bonté d’âme et l’ihsân (la vertu, l’excellence et la réalisation spirituelle, le bien, la charité, la bienfaisance, la générosité), et qui agissent avec adab en incarnant la futuwwa (chevalerie spirituelle), qui font preuve de patience face à l’adversité et à l’ignorance des gens mais sans jamais céder à la violence gratuite ou aux grands péchés (comme le terrorisme, le meurtre, le banditisme, l’oppression, l’orgueil, l’extrémisme, la condescendance, l’orgueil, etc.). Ils ont aussi conscience du dépôt divin qui leur est confié, impliquant une responsabilité de gardien et de protecteur, aussi bien de la Communauté musulmane en particulier que du monde du vivant en général (l’Humanité dans son ensemble, les animaux, l’environnement, etc.) et qu’ils sont conscients de ce que cela exige en termes d’exemplarité, de sacrifices personnels, de maitrise de soi, des enjeux majeurs qui doivent les préoccuper en priorité, car étant Ses témoins ici-bas, veillant à la protection des opprimés et du monde du vivant, à prodiguer des conseils salutaires et bénéfiques, à dompter leur ego afin d’être des supports de Ses Bénédictions, de Sa Justice, de Sa Bonté et de Sa Rahma pour les êtres de la terre, tout en étant des remparts entre les innocents et les criminels qui cherchent à semer la corruption, l’oppression et le désordre sur la terre. Ils ne craignent pas non plus le blâme des blâmeurs mais cherchent avant tout à plaire à leur Seigneur et à agir selon les principes de la justice et de la miséricorde : « Ô les croyants ! Quiconque parmi vous abandonne sa religion… Allâh fera venir un peuple qu’Il aime et qui L’aime, modeste et humble envers les croyants et fier et puissant envers les mécréants (hostiles), qui lutte dans le Sentier d’Allâh, ne craignant le blâme d’aucun blâmeur. Telle est la Grâce d’Allâh. Il la donne à qui Il veut. Allah est Immense et Omniscient » (Qur’ân 5, 54).

En somme, les ghurâba sont ceux qui aspirent à l’excellence tout en se refusant de semer la terreur, le désordre et la corruption (idéologique, politique, économique, morale, etc.) sur terre, et qui refusent de choisir un camp extrême ou de suivre aveuglément un groupe politique ou un courant idéologique ou religieux adhérant à une vision sectaire ou justifiant des comportements déviants ou décadents, quitte à faire cavalier seul, en prenant appui et refuge qu’en Lui. Leurs aspirations sont éminemment spirituelles, ils s’attachent aux principes supérieurs, cultivent la sagesse et l’éthique, et font constamment retour à leur Seigneur sans courir derrière les biens matériels et les honneurs mondains de ce bas-monde. Leur coeur et leur conscience sont tournés vers Allâh, leur esprit tourné vers l’Au-delà, et sachant qu’ils ne sont que des voyageurs ici-bas, ne s’attachant pas aux biens matériels éphémères, mais vivant avec dignité et honneur, et en étant au service de la justice et des gens dans le besoin – toujours dans le cadre du convenable -.

Le Messager d’Allâh (ﷺ) a dit en effet : « Certes cette religion (l’islâm) a débuté comme quelque chose d’étranger, et elle redeviendra étranger comme elle a débuté, faites donc la bonne annonce aux étrangers – heureux et bénis soient-ils – ; il s’agit de ceux qui font revivre ma Sunnah (voie, tradition) après qu’elle ait été corrompue (par certains) après moi, et l’enseignent aux serviteurs d’Allâh (…) et ceux qui rectifient ce que les gens ont perverti, (…) constituant (ainsi) un groupe de gens (restant constamment) pieux, justes et droits vivant parmi une masse pervertie et corrompue » (1), et qu’est-ce que la Sunnah prophétique si ce n’est essentiellement la spiritualité, l’adab, la dévotion, la piété, la droiture et la justice, et non pas – comme le pensent certains esprits superficiels – des détails culinaires ou vestimentaires.

Le Messager d’Allâh (ﷺ) a dit : « La cruauté, la brutalité, le rigorisme et la dureté enlaidissent et déshonorent toute chose dans laquelle on les trouve. Et certes, Allâh est Bon et Bienveillant, et Il aime (voir chez Ses serviteurs) la bonté, la gentillesse et la bienveillance » (2).

Le Messager d’Allâh (ﷺ) a dit : « Certes, Allâh Tout-Puissant aime la douceur et la bonté et s’en trouve Satisfait (lorsque le serviteur incarne ces qualités). Il soutient et supporte d’une manière (ceux qui sont doux et bons) qu’Il n’accorde pas à ceux qui sont cruels et qui font preuve de dureté » (3).

Le Messager d’Allâh (ﷺ) a dit : « Allâh – Puissant et Majestueux, donne à la personne comme rétribution pour le beau caractère et le bon comportement ce qu’Il accorde au mujâhid dans le Sentier d’Allâh, lequel reçoit sa récompense matin et soir » (4).

Le Messager d’Allâh (ﷺ) a dit : « Le bien (la bonne action) c’est le bon comportement et le beau caractère. Le péché, c’est ce qui trouble ton âme (et ta conscience), en dépit des avis juridiques successifs que les gens pourront te donner » (5).

Le Messager d’Allâh (ﷺ) a dit : « Il n’est guère de péché plus grave (en dehors du shirk) auprès d’Allâh que le mauvais caractère et le mauvais comportement. En effet, l’individu au mauvais caractère et au mauvais comportement ne sort d’un péché (ou d’un acte répréhensible) que pour retomber dans une offense » (6).

Le Messager d’Allâh (ﷺ) a dit : « Connaissez-vous celui pour qui la Géhenne est interdite ? C’est celui qui est accommodant, conciliant et facile à vivre, et qui est (aussi) bienveillant et proche des gens » (7).

Le Messager d’Allâh (ﷺ) a dit : « Celui qui est facile et agréable à vivre, doux et calme, Allâh lui interdit la Géhenne » (8).

Homme ou femme, enfant ou parent, voisin, voyageur, collègue, client, employé ou employeur, cela nous concerne tous, et permet de diminuer la souffrance et le mal dans le monde, et de le rendre meilleur, ou du moins, plus agréable à vivre.

Les 2 axes du ghârib sont ainsi la conscience du Tawhîd et la réalisation du Bien et de la Vertu : « Adorez Allâh et ne Lui donnez aucun associé. Agissez avec bonté, bienfaisance et bienveillance envers vos père et mère, les proches, les orphelins, les pauvres, le proche voisin, le voisin lointain, le collègue et le voyageur, et les serviteurs/employés qui sont sous votre responsabilité, car Allâh n’aime pas, en vérité, le présomptueux, l’arrogant » (Qur’ân 4, 36).



Notes :

(1) Rapporté par Muslim dans son Sahîh n°262, Ahmad dans son Musnad n°3814, 6692, 7125 et 9114, At-Tirmidhî dans ses Sunân n°2629 et d’autres selon Ibn ‘Umar, Ibn Mas’ûd, Abû Hurayra et d’autres. Ce hadith est une synthèse des différentes variantes.

(2) Rapporté par Al-Bukharî dans Al-Adab al-Mufrad n°462 selon Anas Ibn Malik, sahîh.

(3) Rapporté par At-Tabarânî dans Al-Mu’jâm al-Kabîr n°7477 selon Abû Ummama, sahîh, et dans une version voisine par Abû Dawûd dans ses Sunân n°4807 selon ‘Abdullâh Ibn Mughaffal, sahîh.

(4) Rapporté par Ibn Abi ad-Dunyâ dans Mudârât al-Nâss n°82 selon al-Hassân Ibn ‘Alî.

(5) Rapporté par Ibn Abi ad-Dunyâ dans Mudârât al-Nâss n°85 selon al-Nawwâs Ibn Sa’mân.

(6) Rapporté par Ibn Abi ad-Dunyâ dans Mudârât al-Nâss n°95 selon Maymûn Ibn Mahrân.

(7) Rapporté par Ibn Abi ad-Dunyâ dans Mudârât al-Nâss n°97 selon Ibn Mas’ûd.

(8) Rapporté par Al-Bayhaqî dans As-Sunân al-Kubrâ‘ n°20806 selon Abû Hurayra, sahîh, Al-Hakim dans Al-Mustadrak n°435, Hanad Ibn Al-Sir Al-Kufi dans Kitâb az-Zuhd 2/596, ainsi qu’une variante selon Ibn Mas’ûd par Ahmad dans son Musnad 1/415, Ibn Hibbân dans son Sahîh 2/216, At-Tirmidhî dans ses Sunân n°2488.


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