Biographie : Najm ud-Dîn Kubrâ (m. 618 H/1221)


Le Shaykh Najm ud-Dîn Kubrâ (540 H/1145-46 – 618 H/1221), de son vrai nom Ahmad ibn ‘Umar ibn Muhammad ibn ‘Abdallah al-Sûfî al-Khiwaqî. Il est le Shaykh musulman d’origine persane, l’ascète, le Sûfi, le théologien, le juriste shafiite, le muhaddith, l’exégète, le maître spirituel, le noble martyr face aux mongols. Il étudia différentes sciences auprès de grands maîtres. Surnommé aussi « walî tirâsh » (« faiseur de saints ») en raison du fait qu’il lui suffisait parfois de porter un « regard perçant » (de nature spirituelle) ou d’opérer un « déclic intérieur » à travers quelques paroles ou sermons, pour que des personnes soient « projetées » vers la voie de la sainteté en peu de temps. Il est également célèbre pour être à l’origine d’une branche confrérique du tasawwûf, la Kubrâwiyya.

Il fut tout d’abord hostile au tasawwûf avant d’embrasser cette voie puis d’en devenir un brillant représentant. Sa pratique du tasawwûf s’appuyait sur le Qur’ân et la Sunnah comme en témoignent ses enseignements et ses traités. Son commentaire du Qur’ân intitulé ‘Ayn al-Hayât est grandement apprécié et constitue un chef d’œuvre en son genre. Il a aussi rédigé un écrit célèbre sur le tasawwûf, intitulé Fawâtih al-jamâl wa fawâ’ih al jalâl (en français : Les Eclosions de la beauté et les parfums de la majesté, traduit et présenté par Paul Ballanfat, aux éditions de l’éclat, 2001).

L’un des premiers, si ce n’est le premier Shaykh sûfi, qui l’a initié au tasawwûf, est Ismâ’îl Qasrî (considéré comme un pôle spirituel à son époque, du moins dans sa région), qui l’initia d’ailleurs à la pratique du samâ’ (alors que Najm ud-Dîn y était hostile durant sa jeunesse selon ce qui est rapporté) dont la chaine initiatique remonte à Kumayl Ibn Ziyâd, d’après l’imâm ‘Alî, d’après le Prophète Muhammad.

Ensuite, son maître l’envoya vers un autre maître du nom de ‘Ammâr al-Bidlîsî (qui était rattaché à la tarîqa Suhrawardiyya, du Shaykh Abû al-Najîb al-Suhrawardî mort en 563 H/1168), et Najm ud-Dîn fut donc rattaché à cette tarîqa également via ‘Ammâr al-Bidlîsî.

Ses chaines initiatiques remontent par de grands imâms tels que Ahmad al-Ghazâlî, …, Junayd, Sarî al-Saqatî, Ma’rûf al-Karkhî, Dawûd al-Tâ’î, Habîb al-‘Ajamî, Hassân al-Basrî, ‘Alî ibn Abû Tâlib, jusqu’au Prophète Muhammad (‘alayhî salât wa salâm).

‘Ammâr al-Bidlisî l’envoya ensuite chez un autre maître de la Suhrawardiyya, le Shaykh Rûzbihân Kâzarûnî Misrî (à ne pas confondre avec Rûzbihân Baqlî Shîrâzî).  

Najm ud-Dîn Kubrâ fonda ensuite sa propre tarîqa (confrérie, ordre sûfi), nommée la Kubrâwiyya.

Il avait un lien particulier avec l’imâm ‘Alî, l’ayant vu à plusieurs reprises en songe en compagnie du Prophète, détenant des informations et des confirmations de traditions prophétiques transmises par chaine de transmission ordinaire, il dit : « Je me suis « absenté (à moi-même) et j’ai vu le Prophète – ‘alayhî salâm – en compagnie de ‘Alî. Je me suis dépêché d’aller vers ‘Alî, je l’ai pris par la main, et je la lui ai serrée. J’ai eu l’inspiration qu’il me semblait entendre le Prophète élu dire : « Celui qui serre la main de ‘Alî, entrera au Paradis ». J’ai alors demandé à ‘Alî si ce propos était juste, et il me répondit : « Certes, l’Envoyé d’Allâh a dit vrai, celui qui m’aura (avec sincérité) serré la main entrera au Paradis » » (cf. Al-Qâdî Nûrullâh Shûshtarî, Majâlis al-mu’minîn, 2/74 ; et aussi Qâdî Maybudî dans Sharh Dîwân al-murtadawî). A noter que lors de l’événement appelé « Ghadir Kumm », célèbre récit mutawatir rapporté dans plusieurs sources sunnites avec une grande fiabilité, tous les nobles compagnons qui étaient présents ont félicité l’imâm ‘Alî pour son haut rang spirituel et les mérites qui lui furent attribués publiquement par le Prophète Muhammad, mais ni le Prophète, ni l’imâm ‘Alî ni aucun autre compagnon n’ont compris cet événement comme étant la désignation de la succession politique formelle (plusieurs récits authentiques dans les sources sunnites et shiites indiquent bien, que même après cet événement, l’imâm ‘Alî et Ibn ‘Abbâs n’ont jamais eu connaissance d’une quelconque désignation privée ou publique de la succession politique par un ahl ul bayt). Aucun terme désignant spécifiquement l’autorité politique n’a été employé, tels que « Sultân », « amir », « khalif », « mâlik ». Le but du Prophète, lors de cet événement, était entre autres choses, d’annoncer ou de rappeler publiquement, à tous les fidèles, dont les proches compagnons, de l’importance qu’avait l’imâm ‘Alî, tant dans sa proximité avec le Prophète, que dans l’amour que la communauté devait lui porter, ainsi que sa fonction d’héritier spirituel par excellence, et donc de la haute considération qui lui était portée.

Dans une ijaza que Najm ud-Dîn Kubrâ donna à l’un de ses disciples, il cita le hadith du manteau (cf. Sahîh Muslim notamment, à noter qu’une chaine de ce récit est rapportée sous l’autorité de ‘Aîsha), dans lequel le Prophète étendit son manteau sur l’élite des ahl ul bayt (Fâtima, ‘Alî, Hassân et al-Hussayn), ainsi que deux autres récits prophétiques : « Tu es envers moi comme Hârûn à l’égard de Mûsa, sauf qu’il n’y aura pas de prophète après moi » et « Celui dont je suis ami, ‘Alî est son ami, Ô Allâh ! Sois amis de celui qui est son ami, (et) ennemi de celui qui est son ennemi ».
Dans son tafsîr du Qur’ân (13b), il qualifie l’imâm ‘Alî de « prince des héritiers » (sayyîd al-awsiyâ’). Sa relation privilégiée avec l’imâm ‘Alî le conduit aussi à apprécier les autres compagnons du Prophète ainsi qu’avec ‘Aîsha, qu’il tient en haute estime, preuve spirituelle également s’il en est, que l’imâm ‘Alî n’était pas en opposition avec les califes bien-guidés et les épouses du Prophète, quoi que pouvaient être les divergences (toujours possibles, sans briser la fraternité et l’islamité des membres au sein d’une même communauté) entre les compagnons et les épouses du Prophète (de nobles compagnons étaient en désaccord entre eux, tout comme certaines épouses du Prophète n’ont pas hésité à exprimer leurs désaccords à l’égard de certains propos ou de certaines décisions de grands compagnons). Au début de son Tafsîr (7a), il cite la parole prophétique à l’égard d’Abû Bakr : « Le plus compatissant des membres de ma communauté envers ma communauté est Abû Bakr ». Abû Bakr lui-même, dans de nombreux récits, manifeste sa compassion et son désir de satisfaire aussi bien le Prophète Muhammad que l’imâm ‘Alî, Fâtima la fille du Prophète, ainsi que Al-Hassân et Al-Hussayn. Dans son commentaire du passage qurânique (3, 33-34) il cite la parole prophétique : « Est de ma famille tout croyant craignant Allâh et qui est pur », précisant que le plus noble héritage prophétique est de nature spirituelle (ce que diront aussi les ahl ul bayt eux-mêmes).

Très intelligent et érudit, il était aussi entouré de nombreux disciples qui étaient des savants dans les sciences islamiques, la médecine, la logique, la rhétorique, la théologie scolastique (basée sur une argumentation rationnelle tout en étant conforme aux principes qurâniques), la poésie, l’histoire, l’astronomie, les mathématiques, etc.

Parmi ses nobles disciples, certains furent aussi des saints et de grands savants exotériques (théologiens, juristes, spécialistes du hadîth, exégètes, etc.) tels que Majd al-Dîn Baghdâdî, Najm ud-Dîn Râzî, Sa’d al-dîn Hamûya (qui deviendra plus tard le compagnon du célèbre sûfî Ibn ‘Arabî), Sayf al-Dîn Bâkharzî, Radî ud-Dîn ‘Alî Lâlâ, ou encore le Shaykh ul Islam des hanafites Bahâ’ ud-Dîn Walad, le père du célèbre Jalâl ud-Dîn Rûmî (lui-même grand savant de l’Islam, tout comme l’un de ses fils) qui finit par s’exiler en Anatolie face aux menaces ourdies par les philosophes de la région, car Najm ud-Dîn Kubrâ tout comme Bahâ’ ud-Dîn Walad condamnaient fermement la philosophie hellénistique, car cela menait souvent à l’égarement et à la perte de temps (surtout chez les personnes incapables de faire le tri dans les spéculations philosophiques), et car la spéculation ne permettait pas de parvenir à la certitude intellectuelle et spirituelle, ni à la Réalité Ultime. Pour cette raison, Ibn ‘Arabî, Najm ud-Dîn Kubrâ et Bahâ ud-Dîn Walâd furent très durs et critiques contre Fakhr ud-Dîn ar-Râzî et vice-versa, lorsqu’il était encore hostile au tasawwûf et enclin à étudier trop longtemps la spéculation philosophique (car si tout n’est pas certes à rejeter, et que ce n’est pas de la mécréance en soi, tant que la personne ne rejette aucun fondement doctrinal de l’Islam ni un verset du Qur’ân, cela mène souvent nulle part, si ce n’est dans des spéculations futiles et vaines qui ne se fondent sur aucune expérience et qui n’entrainent aucune action pieuse). Certains ont imputé à Fakhr ud-Dîn ar-Râzî des complots qu’il élabora contre certains sûfis très critiques envers la philosophie grecque, mais cela semble peu probable, contrairement à d’autres philosophes ou à d’éventuels disciples chevronnés de Fakhr ud-Dîn, qui par jalousie, étaient prêts à les menacer ou à les exiler.

Par la suite, Fakhr ud-Dîn se repentit et demanda pardon auprès de Ibn ‘Arabî et de Najm ud-Dîn Kubrâ, et devint, selon plusieurs sources, un disciple (au rang de novice dans le tasawwûf) du Shaykh Najm ud-Dîn Kubrâ, et s’initia donc au tasawwûf (cf. le témoignage de Musannifak qui indique que c’est à la suite de son initiation qu’il aurait écrit, du moins en partie, son grand commentaire du Qur’ân ; voir aussi As-Sha’rânî dans Irshâd al-Tâlibîn, Mullâ Hussayn Khwârizmî dans Jawâhir al-asrâr wa zawâhir al-anwâr, al-Munawî dans Al-Kawâkib al-duriyya). Son grand tafsîr du Qur’ân et d’autres ouvrages, indiquent l’influence sûfie dans sa pensée, et lui-même fit l’éloge du tasawwûf et de grands sûfis. As-Subkî le place ainsi parmi les sûfis dans ses Tabaqat as-Shafi’iyya, le sûfi ‘Umar Suhrawardî lui écrivit une lettre pleine d’indulgence en appelant les bénédictions Divines sur lui tout en le critiquant contre le discours exclusivement théologico-philosophique. Parmi les disciples du célèbre sûfi Rûzbihân Baqlî, il était bien apprécié et accepté.

Gengis Khan ayant entendu parler de lui pour son charisme spirituel et sa sainteté, envoya des émissaires pour le sommer de quitter la ville afin de l’épargner, lui et ses disciples. Mais il refusa et décida de se battre aux côtés du peuple avec lequel il avait vécu depuis des années. Il envoya cependant plusieurs disciples quitter la région, et seuls une partie de ses disciples était restée à ses côtés pour combattre les envahisseurs mongols. Il est rapporté en effet que Najm ud-Dîn Kubrâ leur a dit : « J’ai vécu 80 ans dans les temps de la prospérité avec les khwârazmiens, se séparer d’eux en temps de détresse serait être dénué de toute noblesse virile » (Hamdullâh Mustawfî, Târîkh guzîda, p. 669 ; Al-Qâdî Nûrullâh Shûshtarî, Majâlis al-mu’minîn, 2/74).

Ibn Karbalâ’î dans Rawdât al-janân (2/326-327) décrit l’ambassade envoyée à Najm ud-Dîn Kubrâ envoyée par les mongols ainsi : « Lorsque cette année arriva à Bukharâ, Qâdî Khân qui était le plus qualifié des savants de ce temps s’y trouvait. Ils l’emmenèrent donc avec eux jusqu’à Khwârazm. Lorsqu’ils arrivèrent à la porte de Khwârazm Qâdî Khân leur dit : « Le roi des maîtres spirituels, le Shaykh Najm ud-Dîn Kubrâ est ici. On ne peut lui porter atteinte non plus qu’à ses disciples. Les fils de Gengis Khân qui étaient les chefs de cette armée envoyèrent Qâdî Khân en ambassade auprès du maître afin de lui faire dire qu’ils n’avaient rien contre lui et ses disciples et les serviteurs pour qu’ils s’échappent à ce qui devait arriver (ndt : le massacre). Qâdî vint et transmit le message. Le maître répondit : « Si vous n’avez rien contre moi, moi j’en ai contre vous, car je vous ai appelé par la prière (à Allâh) de sorte que la cause de cette calamité fut ma prière. La noblesse et l’esprit de chevalerie imposent de consentir à la nécessité. Par vous, nous trouverons la bonne fortune de la guerre et du martyr (ndt : car les mongols allaient commettre leur massacre quoi qu’il arrive), et par nous vous gagnerez la bonne fortune de l’Islam (ndt : beaucoup de mongols allaient se convertir à l’Islam par la suite, notamment à travers l’ordre sûfi de la kubrâwiyya) ».

En 1219, l’invasion mongole de l’Asie Centrale menée par Gengis Khan, conduit finalement au siège de Kharâzm. Najm al-dîn Kubrâ enjoint plusieurs de ses disciples de quitter la région. Au moment où les troupes adverses entrent dans la ville, accompagné des disciples restés à ses côtés (certaines sources parlent de « quelques disciples », et d’autres semblent aller jusqu’à 40 ou 60 disciples), il se munit de pierres et d’une lance et se jette sur l’ennemi. Il meurt en martyr sous une pluie de flèches en 1221 (618 de l’Hégire) dont l’une qui entra dans sa poitrine, qui l’arracha et la jeta avant de mourir, tout en capturant le drapeau ennemi (celui des mongols) selon certains récits, qui précisent que même la force combinée de 10 personnes ne purent arracher le drapeau de la main du maître, et durent couper directement le drapeau finalement pour le récupérer.


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